Lotus de la bonne loi/Chapitre 7

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 96-120).
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CHAPITRE VII.

L’ANCIENNE APPLICATION.

Jadis, ô Religieux, dans le temps passé, bien avant des Kalpas plus innombrables que ce qui est sans nombre, immenses, incommensurables, inconcevables, sans comparaison comme sans mesure, avant cette époque et bien avant encore, apparut au monde le Tathâgata, nommé Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., doué de science et de conduite, etc. ; c’est, ô Religieux, dans l’univers Sambhava et dans le Kalpa Mahârûpa, que parut, il y a bien longtemps, ce Tathâgata. C’est comme si, ô Religieux, broyant la terre qui se trouve ici, dans cet univers formé de la réunion d’un grand millier de trois mille mondes, un homme la réduisait tout entière en poudre(85 b). Qu’ensuite, prenant dans cet univers un atome de poussière extrêmement fin, f. 86 a.l’homme franchissant mille univers du côté de l’orient, y dépose cet atome de poussière extrêmement fin. Que cet homme prenant un second atome de poussière extrêmement fin, franchissant mille univers par delà les premiers, y dépose ce second atome de poussière ; que de cette manière cet homme dépose la totalité de cette terre du côté de l’orient. Qu’en pensez-vous, ô Religieux ? Est-il possible d’atteindre par le calcul le terme et la limite de ces mondes ? Les Religieux dirent : Cela n’est pas possible, ô Bhagavat ; cela n’est pas possible, ô Sugata. Bhagavat reprit : Bien au contraire, ô Religieux, il n’est pas impossible qu’un calculateur, qu’un grand calculateur, trouve par le calcul le terme de ces mondes, tant de ceux sur lesquels ont été déposés ces atomes de poussière extrêmement fins, que de ceux sur lesquels on n’en a pas déposé. Il n’en est pas de même des cent mille myriades de kôṭis de Kalpas [écoulés depuis ce Buddha] ; l’emploi du calcul n’en peut atteindre le terme. Eh bien, tout ce qu’il y a de Kalpas passés depuis que ce Bienheureux est entré dans le Nirvâṇa complet, tout cela forme l’époque [dont je me souviens], cette époque qui échappe également à la pensée et à toute mesure. Et ce Tathâgata, ô Religieux, entré depuis si longtemps dans le Nirvâṇa complet, f. 86 b.je me le rappelle, parce que je déploie l’énergie de la vue de la science des Tathâgatas, comme si son Nirvâṇa complet devait avoir lieu aujourd’hui ou demain.

Ensuite Bhagavat prononça, dans cette occasion, les stances suivantes :

1. Plusieurs fois dix millions de Kalpas se sont écoulés depuis le temps où existait le grand Solitaire Abhidjñâdjñânâbhibhû, le Meilleur des hommes ; il fut, dans ce temps-là, le Djina sans supérieur.

2. C’est comme si un homme venait à réduire en une poudre extrêmement fine les trois mille mondes dont se compose cet univers, et qu’après avoir pris un atome de cette poudre, il allât le déposer par delà mille terres.

3. Que transportant ainsi successivement un second, un troisième atome, il finisse par avoir transporté la totalité de cette masse de poussière ; que cet univers soit entièrement vide, et que toute cette poussière soit épuisée.

4. Eh bien ! le nombre des atomes de poussière, de ces atomes dont il n’y a pas de mesure, qui se trouveraient dans ces univers si on les avait complètement réduits en poudre, ce nombre, je le prends comme l’image de celui des Kalpas écoulés [depuis ce Buddha].

5. Ainsi sont incommensurables les nombreux kôṭis de Kalpas écoulés depuis que ce Sugata est entré dans le Nirvâṇa complet ; les atomes de poussière [dont j’ai parlé] réunis tous n’en donnent qu’une idée incomplète ; les Kalpas passés depuis cette époque ne sont pas moins nombreux(86 b).

6. Le Guide [du monde] parvenu au Nirvâṇa depuis si longtemps, ses Çrâvakas, ainsi que ses Bôdhisattvas, f. 87 a.je me les rappelle tous comme si c’était aujourd’hui ou demain, tant est grande la science des Tathâgatas.

7. Telle est en effet, ô Religieux, la science du Tathâgata dont le savoir est infini ; oui, je sais ce qui s’est passé depuis plusieurs centaines de Kalpas, au moyen de ma mémoire subtile et parfaite.

La durée de l’existence de ce bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâ­djñânâbhibhû, vénérable, etc., fut, ô Religieux de cinquante-quatre fois cent mille myriades de kôṭis de Kalpas. Ce bienheureux Tathâgata, avant d’être Buddha parfait, étant entré dans l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi, pour parvenir à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, brisa et vainquit toutes les troupes de Mâra. Et après les avoir vaincues et brisées, il pensa qu’il allait atteindre à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Cependant les lois de cet état ne lui apparaissaient pas encore face à face. Il resta donc pendant un moyen Kalpa auprès de l’arbre Bôdhi, dans la pure essence de l’état de Bôdhi ; il passa encore un second moyen Kalpa dans cette situation ; et cependant il ne parvint pas à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Il passa ainsi un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième, un septième, un huitième, un neuvième, un dixième moyen Kalpa auprès de l’arbre Bôdhi, dans la pure essence de l’état de Bôdhi, gardant pendant tout ce temps la même posture, c’est-à-dire les jambes croisées, f. 87 b.sans se lever une seule fois dans l’un de ces intervalles, conservant sa pensée comme son corps dans une complète immobilité. Et cependant les lois de l’état de Buddha ne lui apparaissaient pas encore face à face.

Or, ô Religieux, pendant qu’il était ainsi entré dans la pure essence de l’état de Bôdhi, les Dêvas Trâyastrim̃ças lui préparèrent un grand trône, haut de cent mille Yôdjanas, sur lequel le Bienheureux ne fut pas plutôt assis qu’il parvint à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. À peine le Bienheureux fut-il entré dans la pure essence de l’état de Bôdhi, que les fils des Dêvas nommés Brahmakâyikas firent tomber une pluie divine de fleurs dans une étendue de cent Yôdjanas autour du siége sur lequel il était assis. Ils firent en même temps souffler dans l’air des vents qui enlevaient celles de ces fleurs qui étaient fanées. La pluie de fleurs qui tombait sur le Bienheureux parvenu à la pure essence de l’état de Bôdhi, ils la firent tomber sans aucune interruption ; ils l’en couvrirent ainsi pendant dix moyens Kalpas complets, et la répandirent sur lui jusqu’à ce que vint le moment où il entra dans le Nirvâṇa complet. f. 88 a.Les fils des Dêvas nommés Tchâturmahârâdjakâyikas firent résonner les timbales divines, les frappant sans interruption en l’honneur du Bienheureux qui était entré dans l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi(88 a). Pendant dix moyens Kalpas complets, ils firent retentir sans cesse et ensemble des instruments divins au-dessus de la tête du Bienheureux, jusqu’à ce que vint le moment où il entra dans le grand Nirvâṇa.

Ensuite, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., parvint au bout de dix moyens Kalpas à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Aussitôt que les seize fils légitimes qu’il avait eus pendant qu’il était Kumâra, et dont l’aîné se nommait Djñânâkara, connurent qu’il était parvenu à cet état, ces seize fils de roi qui possédaient chacun divers jouets agréables, variés et beaux à voir, les ayant tous abandonnés, parce qu’ils avaient appris que le Bienheureux était parvenu à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; f. 88 b.ces seize fils, dis-je, environnés et suivis de leurs mères et de leurs nourrices qui pleuraient, ainsi que du grand monarque Tchakravartin, roi vénérable, maître d’un grand trésor, des conseillers royaux et de plusieurs centaines de milliers de myriades de kôṭis d’êtres vivants, se rendirent au lieu où se trouvait le bienheureux Tathâgata Mahâbhi­djñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., qui était entré dans l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi, afin de vénérer, d’adorer, d’honorer ce Bienheureux. Quand ils s’y furent rendus, ayant salué, en les touchant de la tête, les pieds du Bienheureux, ayant tourné trois fois autour de lui, en commençant par la droite, les mains réunies en signe de respect, ils célébrèrent le Bienheureux dans des stances régulières qu’ils prononcèrent en sa présence.

8. Tu possèdes les grandes connaissances surnaturelles, tu es sans supérieur et tu as été perfectionné pendant des Kalpas sans fin ; tes excellentes réflexions à l’effet de sauver tous les êtres vivants, sont arrivées à leur perfection.

9. Ils ont été bien difficiles à traverser ces dix moyens Kalpas que tu as passés, assis sur le même siége ; pendant cet intervalle de temps, tu n’as remué ni ton corps, ni tes pieds, ni tes mains, et tu ne t’es pas transporté dans un autre lieu.

10. Ton intelligence arrivée au comble de la quiétude est parfaitement calme ; elle est immobile et à jamais à l’abri de toute agitation ; l’inattention t’est inconnue ; exempt de toute faute, tu restes dans une quiétude inaltérable.f. 89 a.

11. Et voyant que tu es heureusement et en sûreté arrivé, sans éprouver aucun mal, à l’état suprême de Bôdhi, [nous nous disons :] Puissions-nous obtenir un pareil bonheur ! et t’ayant vu, ô lion parmi les rois, nous croissons [en vertu].

12. Toutes ces créatures, qui n’ont pas de protecteur, qui sont malheureuses, semblables à des hommes auxquels on a arraché les yeux, privées de félicité, ne connaissent pas la voie qui conduit au terme du malheur, et elles ne développent pas leur énergie pour l’affranchissement.

13. Elles prolongent pour longtemps leur séjour dans les lieux de châtiments ; leurs lois sont d’être privées de la possession de corps divins ; elles n’entendent jamais la voix des Djinas(89 a) ; enfin, ce monde tout entier est plongé dans les ténèbres de l’aveuglement.

14. Aujourd’hui, ô toi qui connais le monde, tu as atteint ici ce lieu fortuné, excellent et exempt d’imperfection ; nous et les mondes, nous sommes devenus les objets de ta faveur ; aussi cherchons-nous, ô chef, un asile auprès de toi.

Ensuite, ô Religieux, ces seize fils de roi ayant célébré dans ces stances prononcées devant lui, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, lui adressèrent la prière suivante, pour qu’il fît tourner la roue de la loi(89 a) : Que Bhagavat, que Sugata enseigne la loi pour l’utilité et le bonheur de beaucoup d’êtres, par compassion pour le monde, pour l’avantage, l’utilité et pour le bonheur du grand corps f. 89 b.des êtres, Dêvas et hommes. Ensuite ils prononcèrent les stances suivantes :

15. Enseigne la loi, ô toi qui es le Meilleur des hommes ; enseigne la loi, toi qui portes les signes des cent vertus ; ô Guide [du monde], ô grand Rĭchi qui n’as pas ton égal, tu as acquis la science rare et éminente.

16. Expose-la au monde réuni aux Dêvas, et sauve-nous ainsi que ces créatures ; enseigne-nous la science des Tathâgatas, pour que nous obtenions l’excellent état de Bôdhi, ainsi que tous ces êtres.

17. Car tu connais toute science et toute conduite ; tu connais les pensées et les bonnes œuvres accomplies autrefois ; tu connais les inclinations de toutes les créatures. Fais donc tourner la suprême et excellente roue.

Or, en ce temps-là, ô Religieux, au moment où le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., parvenait à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, dans les dix points de l’espace et dans chacun des dix points de l’espace, cinquante centaines de mille de myriades de kôṭis d’univers furent ébranlés de six manières différentes, et furent éclairés d’une grande lumière. Et dans les intervalles qui séparent tous ces univers(89 b) les uns des autres, au sein de cette nuit profonde et de ces ténèbres épaisses qui sont dans une perpétuelle agitation, et où ces deux flambeaux de la lune et du soleil, si puissants, f. 90 a.si énergiques, si resplendissants, ne peuvent parvenir à répandre la lumière par leur propre lumière, la couleur par leur propre couleur, et l’éclat par leur propre éclat, au sein de ces ténèbres elles-mêmes, apparut en ce moment la splendeur d’une grande lumière. Les êtres eux-mêmes qui étaient nés dans les intervalles de ces univers, se virent les uns les autres, se reconnurent les uns les autres, [se disant entre eux :] Oh ! voici d’autres êtres nés ici ! voici d’autres êtres nés ici ! Les palais et les chars divins des Dêvas qui se trouvaient dans tous ces univers jusqu’au monde de Brahmâ, furent ébranlés de six manières différentes et éclairés d’une grande lumière qui surpassait la puissance divine des Dêvas. C’est ainsi, ô Religieux, qu’en ce moment eut lieu, dans tous ces mondes, un grand tremblement de terre, et une grande et noble apparition de lumière.

Ensuite, ô Religieux, à l’orient, dans ces cinquante centaines de mille de myriades de kôṭis d’univers, les chars des Brahmâs qui s’y trouvaient brillèrent, furent éclairés, resplendirent, furent lumineux et éclatants. Aussi, ô Religieux, cette réflexion vint-elle f. 90 b. à l’esprit des Brahmâs : Ces chars des Brahmâs brillent extraordinairement ; ils sont éclairés, ils resplendissent, ils sont lumineux et éclatants. Qu’est-ce que cet événement nous présage ? Alors tous les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, s’étant rendus chacun dans les palais les uns des autres, se communiquèrent entre eux cette question. Ensuite, ô Religieux, dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, le Mahâbrahmâ nommé Sarvasattvatrâtâ adressa à la grande troupe des Brahmâs les stances suivantes :

18. Tous nos excellents chars, amis, brillent aujourd’hui d’une manière extraordinaire, de beauté, de splendeur et d’un grand éclat ; quelle en peut être maintenant la cause ?

19. Cherchons bien la cause de ce phénomène ; quel est le fils des Dêvas né aujourd’hui, de la puissance duquel nous voyons en ce moment cet effet qui n’a pas existé auparavant ?

20. Ou bien serait-ce qu’il serait né aujourd’hui quelque part dans le monde, un Buddha, roi des chefs des hommes, qui produirait ce miracle, que ces chars brillent de splendeur dans les dix points de l’espace ?

Ensuite, ô Religieux, les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. f. 91 a. d’univers, réunis tous ensemble en un seul corps, étant montés chacun sur leurs chars divins de Brahmâ et ayant pris des corbeilles de fleurs divines de la grandeur du mont Sumêru, parcoururent en cherchant les quatre points de l’horizon, et étant parvenus du côté de l’occident, ces Mahâbrahmâs y virent le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., parvenu à l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi(91 a), assis sur un trône auprès de l’arbre Bôdhi, entouré et servi par des Dêvas, des Nâgas, des Yakchas, des Gandharvas, des Asuras, des Garuḍas, des Kinnaras, des Mahôragas, des hommes, des êtres n’appartenant pas à l’espèce humaine, sollicité par les seize fils de roi de faire tourner la grande roue de la loi. Ayant regardé de nouveau, ils se dirigèrent du côté où se trouvait le Bienheureux et y étant parvenus, ayant salué ses pieds en les touchant de la tête, et ayant tourné autour de lui en signe de respect plus de cent mille fois, ils couvrirent le Bienheureux de ces corbeilles de fleurs de la grandeur du mont Sumêru, les répandirent sur lui en abondance, et en ayant couvert l’arbre Bôdhi sur une étendue de dix Yôdjanas, ils offrirent à ce Bienheureux leurs chars de Brahmâ. Que le Bienheureux f. 91 b.accepte ces chars de Brahmâ, [lui dirent-ils,] pour nous témoigner sa compassion ! Que le Bienheureux jouisse, que Sugata jouisse de ces chars de Brahmâ par compassion pour nous !

Alors, ô Religieux, tous ces Mahâbrahmâs ayant offert au Bienheureux chacun son propre char, célébrèrent en ce moment le Bienheureux dans des stances régulières qu’ils prononcèrent en sa présence.

21. Un Djina merveilleux, incomparable, vient de naître, bon pour le monde, et plein de compassion ; tu es né le chef, le précepteur, le maître spirituel ; tu répands aujourd’hui ta bienveillance dans les dix points de l’espace.

22. Il n’y a pas moins de cinquante fois dix millions complets d’univers d’ici jusqu’au monde d’où nous sommes venus, dans l’intention d’honorer le Djina, en faisant l’entier abandon de tous nos excellents chars.

23. C’est par le mérite de nos œuvres antérieures que nous avons acquis ces chars beaux et variés ; accepte-les par compassion pour nous ; que celui qui connaît le monde en jouisse comme il le désirera.

Après avoir célébré, ô Religieux, par ces stances régulières prononcées en sa présence, le Bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., les Mahâbrahmâs lui parlèrent f. 92 a.ainsi : Que le Bienheureux, que le Sugata fasse tourner la roue de la loi dans le monde ! Que le Bienheureux enseigne le Nirvâṇa ! Que le Bienheureux sauve les êtres ! Que le Bienheureux témoigne sa bienveillance à ce monde ! Que le maître de la loi enseigne la loi à ce monde réuni aux Dêvas, aux Mâras et aux Brahmâs, à l’ensemble des créatures, Dêvas et hommes, Çramanas et Brahmanes. Cela sera pour l’utilité et pour le bonheur de beaucoup d’êtres, par compour le monde, pour l’utilité, l’avantage et le bonheur du grand corps des êtres, Dêvas et hommes.

Alors, ô Religieux, ces Brahmâs, au nombre de cinquante fois cent mille myriades de kôṭis, adressèrent au Bienheureux, d’une seule voix et d’un commun accord, ces stances régulières :

24. Enseigne, ô Bienheureux, la loi ! enseigne-la, ô toi, le meilleur des hommes ! Enseigne aussi la force de la charité(92 a) ; sauve les créatures du malheur.

25. Celui qui illumine le monde est aussi difficile à rencontrer que la fleur de l’Udumbara ; tu es né, ô grand héros ; nous, nous sollicitons le Tathâgata.

Cependant, ô Religieux, le Bienheureux gardait le silence et ne répondait rien aux Mahâbrahmâs.

Ensuite, ô Religieux, au sud-est, dans ces cinquante centaines de mille de myriades de kôṭis d’univers, les chars des Brahmâs qui s’y trouvaient brillèrent, furent éclairés, resplendirent, f. 92 b.furent lumineux et éclatants. Aussi, ô Religieux, cette réflexion vint-elle à l’esprit des Brahmâs : Ces chars des Brahmâs brillent extraordinairement ; ils sont éclairés, ils resplendissent, ils sont lumineux et éclatants. Qu’est-ce que cet événement nous présage ? Alors tous les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, s’étant rendus chacun dans les palais les uns des autres, se communiquèrent entre eux cette question.

Ensuite, ô Religieux, le Mahâbrahmâ nommé Adhimâtrakâruṇika adressa à la grande troupe des Brahmâs les stances suivantes :

26. De quelle cause est-il l’effet, amis, le miracle qui se voit ici en ce moment ? Tous ces chars brillent d’une splendeur extraordinaire.

27. Serait-ce qu’il serait arrivé ici quelque fils des Dêvas, plein de vertu, par la puissance duquel tous ces chars sont éclairés ?

28. Ou serait-ce qu’il vient de naître dans ce monde un Buddha, le Meilleur des hommes, par la puissance duquel tous ces chars ont aujourd’hui l’apparence que nous leur voyons ?

29. Réunissons-nous tous pour chercher la cause de ce fait, laquelle ne doit pas être peu considérable ; car jamais en effet un tel prodige ne nous est apparu.

30. Rendons-nous dans les quatre points de l’espace ; visitons des myriades de terres de Buddha ; certainement l’apparition d’un Buddha aura lieu aujourd’hui dans ce monde.

f. 93 a.Ensuite, ô Religieux, ces Brahmâs, au nombre de cinquante centaines de mille de myriades de kôṭis, étant montés chacun sur leur char divin de Brahmâ et ayant pris des corbeilles de fleurs divines de la grandeur du mont Sumêru, parcoururent en cherchant les quatre points de l’horizon, et étant parvenus du côté du nord-ouest, ces Mahâbrahmâs y virent le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, [etc. comme ci-dessus, f. 91 a jusqu’à : ] Alors, ô Religieux, f. 93 b.tous ces Mahâbrahmâs ayant offert au Bienheureux chacun son propre char, célébrèrent en ce moment le Bienheureux dans des stances régulières qu’ils prononcèrent en sa présence.

31. Adoration à toi, ô grand Rĭchi, être incomparable, Dêva supérieur aux Dêvas, dont la voix est comme celle du Kalavig̃ka ! ô Guide du monde réuni aux Dêvas, nous te saluons, toi qui es bon pour le monde et plein de compassion.

32. Ô chef, c’est une merveille que tu sois né aujourd’hui dans le monde, une merveille rare, et qui ne s’est pas vue depuis bien longtemps ; il y a aujourd’hui cent quatre-vingts Kalpas complets depuis que le monde n’a pas possédé de Buddha.

33. L’univers était vide des Meilleurs des hommes, et pendant tout ce temps les lieux où l’homme est puni ne faisaient que s’augmenter ; le nombre des corps divins diminuait au contraire ; oui, il y a bien de cela quatre-vingts myriades de Kalpas.

34. Aujourd’hui, celui qui est l’œil, la voie, l’appui, le protecteur, le père, l’ami [des créatures], celui qui est bon, plein de miséricorde, f. 94 a.le roi de la loi, est apparu dans ce monde par [suite de] nos bonnes œuvres.

Après avoir ainsi célébré, ô Religieux, par ces stances régulières prononcées en sa présence, le bienheureux Tathâgata Mahâ­bhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., les Mahâbrahmâs lui parlèrent ainsi : Que le Bienheureux, que le Sugata fasse tourner la roue de la loi dans le monde ! [etc. comme ci-dessus, f. 92 a jusqu’à :] Alors, ô Religieux, ces Brahmâs, au nombre de cinquante fois cent mille myriades de kôṭis, adressèrent au Bienheureux, d’une seule voix et d’un commun accord, les deux stances suivantes :

35. Fais tourner, ô grand solitaire, l’excellente roue ; enseigne la loi dans les dix points de l’espace ; sauve les êtres tourmentés f. 94 b.par les conditions du malheur ; fais naître chez les créatures la joie et le contentement :

36. Afin que t’ayant entendu, ils obtiennent l’état de Buddha, ou qu’ils aillent dans des demeures divines, que tous quittent leurs corps d’Asuras, et qu’ils deviennent calmes, maîtres d’eux-mêmes et heureux.

Cependant, ô Religieux, le Bienheureux gardait le silence et ne répondait rien aux Mahâbrahmâs.

Ensuite, ô Religieux, au midi, dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, les chars de Brahmâ qui s’y trouvaient brillèrent, furent éclairés, resplendirent, furent lumineux et éclatants, [etc. comme ci-dessus, f. 90 b jusqu’à :] Ensuite, ô Religieux, dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, le Mahâbrahmâ nommé Sudharma adressa les deux stances suivantes à la grande troupe des Brahmâs :

f. 95 a.37. Ce n’est pas sans cause, ce n’est pas sans motif, ô amis, que tous ces chars paraissent aujourd’hui lumineux ; cette lumière nous annonce quelque prodige dans le monde ; cherchons-en bien l’origine.

38. Plusieurs centaines de Kalpas se sont écoulées depuis qu’on n’a vu un prodige de cette espèce ; sans doute c’est un fils des Dêvas qui est né ici, ou bien c’est un Buddha qui a paru dans le monde.

Ensuite, ô Religieux, les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, réunis tous ensemble en un seul corps, étant montés chacun sur leurs chars divins de Brahmâ et ayant pris des corbeilles de fleurs divines de la grandeur du mont Sumêru, parcoururent, en cherchant, les quatre points de l’horizon, et étant parvenus du côté du nord, ces Mahâbrahmâs y virent le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, [etc. comme ci-dessus, f. 91 a jusqu’à :] Alors, ô Religieux, tous ces Mahâbrahmâs f. 95 b. ayant offert au Bienheureux chacun son propre char, célébrèrent en ce moment le Bienheureux dans des stances régulières qu’ils prononcèrent en sa présence.

39. Elle est difficile à obtenir la vue des Guides [du monde]. Sois le bienvenu, ô toi qui détruis l’existence et la cupidité ! Il y a bien longtemps, il y a des centaines de Kalpas complets qu’on ne t’a vu dans le monde.

40. Ô Chef du monde ! remplis de joie les créatures altérées, toi qu’on n’a pas vu avant aujourd’hui, toi que l’on voit si rarement ; f. 96 a.tout de même que la fleur de l’Udumbara est difficile à rencontrer, ainsi, ô Guide, il est rare qu’on te voie.

41. C’est par ta puissance, ô Guide [du monde], que nos chars brillent aujourd’hui d’un éclat surnaturel ; accepte-les, ô toi dont la vue est infinie, et consens à en jouir par bienveillance pour nous.

Après avoir ainsi célébré, ô Religieux, par ces stances régulières prononcées en sa présence, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâ­djñânâbhibhû, vénérable, etc., les Mahâbrahmâs lui parlèrent ainsi : Que le Bienheureux, que le Sugata fasse tourner la roue de la loi dans le monde ! [etc. comme ci-dessus, fol. 92 a jusqu’à :] Alors, ô Religieux, ces Brahmâs, au nombre de cinquante fois cent mille myriades de kôṭis, adressèrent au Bienheureux, d’une seule voix f. 96 b.et d’un commun accord, les deux stances suivantes :

42. Enseigne la loi, ô bienheureux Guide [des hommes], et fais tourner cette roue de la loi ; fais résonner la timbale de la loi, et enfle la conque de la loi.

43. Fais tomber dans le monde la pluie de la loi excellente ; fais entendre le langage dont le son est doux ; prononce la parole de la loi qu’on te demande ; sauve des myriades de kôṭis de créatures.

Cependant, ô Religieux, le Bienheureux gardait le silence, et ne répondait rien aux Mahâbrahmâs.

Pour tout dire(96 b), enfin, la même chose eut lieu au sud-ouest ; la même chose eut lieu à l’ouest ; la même, au nord-ouest ; la même, au nord ; la même, au nord-est ; la même, au point de l’espace qui est au-dessous [de la terre].

Ensuite, Religieux, au point de l’espace qui est en haut, dans ces cinquante centaines de mille de myriades de kôṭis d’univers, les chars de Brahmâ qui s’y trouvaient brillèrent, furent éclairés, resplendirent, furent lumineux et éclatants. Aussi, ô Religieux, cette réflexion vint-elle à l’esprit des Brahmâs : Ces chars de Brahmâ brillent extraordinairement, ils sont éclairés, ils resplendissent, ils sont lumineux et éclatants. Qu’est-ce que cet événement nous présage ?f. 97 a. Ensuite, ô Religieux, tous les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers s’étant rendus chacun dans le palais les uns des autres, se communiquèrent cette question. Alors, ô Religieux, le Mahâbrahmâ nommé Çikhin adressa à la grande troupe des Brahmâs les stances suivantes :

44. Quelle est, amis, la cause pour laquelle nos chars resplendissent ? Pourquoi brillent-ils d’un éclat, d’une couleur et d’une lumière extraordinaires ?

45. Non, nous n’avons pas vu précédemment un pareil miracle, et personne n’a rien entendu auparavant de pareil ; voilà qu’aujourd’hui nos chars brillent d’une splendeur et d’un éclat extraordinaires : quelle en peut être la cause ?

46. Serait-ce que quelque fils des Dêvas est né en ce monde en récompense de sa pieuse conduite ? Serait-ce sa puissance qui se manifeste ? Ou bien aurait-il paru enfin un Buddha dans le monde ?

Ensuite, ô Religieux, les Mahâbrahmâs qui se trouvaient dans ces cinquante centaines de mille, etc. d’univers, réunis tous ensemble en un seul corps, étant montés chacun sur leurs chars divins de Brahmâ, et ayant pris des corbeilles de fleurs divines de la grandeur du mont Sumêru, parcoururent, en cherchant, les quatre points de l’horizon, et étant parvenus au point qui est en haut(97 a), ces Mahâbrahmâs f. 97 b.y virent le Bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâ­djñânâbhibhû, vénérable, etc., parvenu à l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi, assis sur un trône auprès de l’arbre Bôdhi, entouré et servi par des Dêvas, des Nâgas, des Yakchas, des Gandharvas, des Asuras, des Garudas, des Kinnaras, des Mahôragas, des hommes et des êtres n’appartenant pas à l’espèce humaine, sollicité par les seize Râdjakumâras de faire tourner la roue de la loi. Ayant regardé de nouveau, ils se dirigèrent du côté où se trouvait le Bienheureux, et y étant parvenus, saluant ses pieds en les touchant de la tête, et ayant tourné autour de lui, en signe de respect ; plus de cent mille fois, ils couvrirent le Bienheureux de ces corbeilles de fleurs de la grandeur du mont Sumêru, les répandirent sur lui en abondance, et en ayant couvert l’arbre Bôdhi sur une étendue de dix Yodjanas, ils offrirent à ce Bienheureux leurs chars de Brahmâ. Que le Bienheureux accepte ces chars de Brahmâ, [lui dirent-ils,] pour nous témoigner sa compassion(97 b). Que le Bienheureux jouisse, que le Sugata jouisse de ces chars de Brahmâ par compassion pour nous. Alors, ô Religieux, tous ces Mahâbrahmâs f. 98 a.ayant offert au Bienheureux chacun son propre char, célébrèrent en ce moment le Bienheureux dans ces stances régulières qu’ils prononcèrent en sa présence.

47. Elle est excellente la vue des Buddhas, des Chefs du monde, des Protecteurs ; car ce sont les Buddhas qui délivrent les créatures enchaînées dans l’enceinte des trois mondes.

48. Les Indras du monde, dont la vue est infinie, embrassent de leur regard les dix points de l’espace ; ouvrant la porte de l’immortalité, ils sauvent un grand nombre d’êtres.

49. Ils sont inconcevables, ils sont vides les Kalpas écoulés jadis, pendant lesquels l’absence des chefs des Djinas avait plongé les dix points de l’espace dans les ténèbres.

50. [Pendant ce temps,] les Enfers redoutables, les existences animales et les Asuras, n’avaient fait que s’accroître ; des milliers de kôṭis de créatures avaient pris naissance parmi les Prêtas.

51. Les corps divins étaient abandonnés ; les êtres, après leur mort, entraient dans la mauvaise voie ; n’ayant pas entendu la loi des Buddhas, la voie du péché leur était seule ouverte.

52. La connaissance de la pure règle de la conduite religieuse est étrangère à tous les êtres ; pour eux le bonheur est anéanti, et l’idée du bonheur n’existe pas davantage.

53. Ils sont privés de morale, et restent étrangers à la bonne loi ; n’étant pas disciplinés par le Chef du monde, ils tombent dans la mauvaise voie.

54. Ô lumière du monde, c’est un bonheur que tu sois né, toi qui, depuis si longtemps, n’as pas paru [dans l’univers] ; tu es né ici par compassion pour tous les êtres.

fol. 98 b55. Tu as heureusement et sans peine acquis la science excellente d’un Buddha, nous éprouvons de la joie à ta présence, ainsi que ce monde réuni aux Dêvas.

56. C’est par ta puissance, ô Seigneur, que nos chars sont devenus si beaux ; nous te les donnons, ô grand héros : veuille bien, ô Solitaire, les accepter.

57. Jouis-en, ô Guide [du monde], par compassion pour nous ; et nous, puissions-nous, ainsi que toutes les créatures, toucher à l’état suprême de Bôdhi !

Après avoir ainsi célébré, ô Religieux, dans ces stances régulières, prononcées en sa présence, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâ­bhibhû, vénérable, etc., les Mahâbrahmâs lui parlèrent ainsi : Que le Bienheureux, que le Sugata fasse tourner la roue de la loi dans le monde ! Que le Bienheureux enseigne le Nirvâṇa ! Que le Bienheureux sauve les êtres ! Que le Bienheureux témoigne sa bienveillance à ce monde ! Que le Bienheureux, que le maître de la loi enseigne la loi à ce monde réuni aux Dêvas, aux Mâras, aux Brahmâs, à l’ensemble des créatures, Dêvas et hommes, Çramanas et Brahmanes ! Cela sera pour l’utilité et pour le bonheur de beaucoup d’êtres, par compassion pour le monde, pour l’utilité, l’avantage et le bonheur du grand corps des êtres, Dêvas et hommes.

Alors, ô Religieux, ces Brahmâs, au nombre de cinquante fois cent mille myriades de kôṭis, adressèrent au Bienheureux, d’une seule voix et f. 99 a.d’un commun accord, ces deux stances régulières :

58. Fais tourner la roue excellente, laquelle n’a pas de supérieure ; frappe les timbales de l’immortalité, délivre les créatures des cent espèces de maux, et montre leur le chemin du Nirvâṇa.

59. Expose-nous la loi que nous cherchons ; témoigne ta bienveillance à ce monde et à nous ; fais entendre ta voix douce et belle, qui a retenti, il y a des milliers de kôṭis de Kalpas.

Ensuite, ô Religieux, le bienheureux Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., connaissant la prière de ces cent mille myriades de kôṭis de Brahmâs, ainsi que celle de ses seize fils, les Râdjakumâras, fit tourner en cet instant la grande roue de la loi, qui a trois tours et se compose de douze parties constituantes(99 a), cette roue que n’a plus fait tourner de nouveau dans le monde, d’une manière légale, ni un Çramaṇa, ni un Brahmane, ni un Dêva, ni un Mâra, ni un Brahmâ, ni quelque autre être que ce soit ; [et il le fit] en disant : Ceci est le malheur ; ceci est la production du malheur ; ceci est l’anéantissement du malheur ; ceci est la voie qui conduit à l’anéantissement du malheur ; voilà la vérité des Aryas(99 a 2). Il expliqua aussi avec étendue comment se développe la production de l’enchaînement mutuel des causes, en disant : Les conceptions, ô Religieux, ont pour cause l’ignorance ; la connaissance f. 99 b.a pour cause les conceptions ; le nom et la forme ont pour cause la connaissance ; les six siéges [des sens] ont pour cause le nom et la forme ; le contact a pour cause les six siéges [des sens] ; la sensation a pour cause le contact ; le désir a pour cause la sensation ; la caption a pour cause le désir ; l’existence a pour cause la caption ; la naissance a pour cause l’existence ; de la naissance, qui en est la cause, viennent la vieillesse et la mort, les peines, les lamentations, la douleur, le chagrin, le désespoir. C’est ainsi qu’a lieu la production de ce qui n’est qu’une grande masse de maux. De l’anéantissement de l’ignorance vient celui des conceptions ; de l’anéantissement des conceptions, celui de la connaissance ; de l’anéantissement de la connaissance, celui du nom et de la forme ; de l’anéantissement du nom et de la forme, celui des six siéges [des sens] ; de l’anéantissement des six siéges [des sens], celui du contact ; de l’anéantissement du contact, celui de la sensation ; de l’anéantissement de la sensation, celui du désir ; de l’anéantissement du désir, celui de la caption ; de l’anéantissement de la caption, celui de l’existence ; de l’anéantissement de l’existence, celui de la naissance ; de l’anéantissement de la naissance, celui de la vieillesse, de la mort, des peines, des lamentations, de la douleur, du chagrin, du désespoir. C’est ainsi qu’a lieu l’anéantissement de ce qui n’est qu’une grande masse de maux.

Or, ô Religieux, pendant que le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâ­djñânâbhibhû, vénérable, etc., f. 100 a.faisait ainsi tourner la roue de la loi en présence de l’assemblée formée par le monde réuni aux Dêvas, aux Mâras et aux Brahmâs, et par l’ensemble des créatures, Çramanas, Brahmanes, Dêvas, hommes et Asuras, alors, en ce moment même, ô Religieux, les esprits de soixante fois cent mille myriades de kôṭis d’êtres vivants furent d’eux-mêmes(100 a) affranchis de leurs imperfections, et tous ces êtres furent mis en possession des trois sciences, des six connaissances surnaturelles et de la contemplation des huit [moyens d’]affranchissement. Le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., fit ensuite successivement, ô Religieux, une seconde exposition de la loi, puis de même une troisième, puis enfin une quatrième. Alors, ô Religieux, à chaque exposition de la loi que fit le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., les esprits de cent mille myriades de kôṭis d’êtres vivants furent d’eux-mêmes affranchis de leurs imperfections. À partir de ce moment, ô Religieux, l’assemblée des Çrâvakas du Bienheureux dépassa tout calcul.

De plus, en ce temps-là, ô Religieux, les seize fils de roi qui étaient devenus Kumâras, quittèrent tous leur maison dans l’excès de leur foi, afin d’entrer dans la vie religieuse, f. 100 b.et devinrent tous des Çrâmanêras sages, éclairés, intelligents, habiles, serviteurs de plusieurs centaines de mille de Buddhas, et aspirant à obtenir l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Alors, ô Religieux, ces seize Çrâmanêras s’adressèrent en ces termes au bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc. Ces nombreuses centaines de mille de myriades de kôṭis de Çrâvakas du Tathâgata, ô Bienheureux, sont, grâce à l’enseignement de la loi qu’a fait le Bienheureux, arrivés à posséder complètement les grandes facultés surnaturelles, la grande énergie, la grande puissance. Que le Tathâgata vénérable, etc., ô Bienheureux, consente donc, par compassion pour nous, à nous enseigner la loi, en commençant par l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; car nous aussi, nous sommes les disciples du Tathâgata, Nous demandons, ô Bienheureux, la vue de la science du Tathâgata ; le Bienheureux lui-même est en cette matière le témoin de nos intentions. Toi qui connais, ô Bienheureux, les pensées de tous les êtres, tu sais quel est notre désir.

Or, en ce moment, ô Religieux, à la vue de ces jeunes enfants, fils de roi, qui étant entrés dans la vie religieuse, étaient devenus Çrâmanêras, la moitié de la foule f. 101 a. dont se composait la suite du roi Tchakravartin entra dans la vie religieuse, formant ensemble quatre-vingts centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants.

Alors, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., ayant reconnu l’intention de ces Çrâmanêras, expliqua d’une manière étendue, pendant vingt mille Kalpas, le Sûtra nommé le Lotus de la bonne loi, contenant de grands développements, etc., en présence des quatre assemblées réunies.

De plus, en ce temps-là, ô Religieux, les seize Çrâmanêras reçurent, saisirent, pénétrèrent, comprirent parfaitement les discours prononcés par le Bienheureux. Ensuite, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâ­djñânâbhibhû, vénérable, etc., prédit aux seize Çrâmanêras leurs destinées futures, en leur disant qu’ils parviendraient un jour à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; et pendant qu’il expliquait cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi, les Çrâvakas étaient pleins de confiance(101 a), ainsi que les seize Çrâmanêras ; mais plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants sentaient naître des doutes dans leur esprit. Alors, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata f. 101 b. Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., après avoir expliqué sans relâche, pendant huit mille Kalpas, cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi, se retira dans le Vihâra pour s’y absorber dans la méditation ; et y étant entré, ô Religieux, le Tathâgata resta dans le Vihâra durant quatre-vingt-quatre mille Kalpas, ainsi absorbé dans la méditation.

Ensuite, ô Religieux, les seize Çrâmanêras voyant que le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., était absorbé dans la méditation, après avoir fait disposer pour chacun d’eux des trônes, siéges de la loi, s’y assirent, et après avoir vénéré le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, ils expliquèrent avec de grands développements, aux quatre assemblées réunies, cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi, pendant quatre-vingt-quatre mille Kalpas. Dans cette circonstance, ô Religieux, chacun de ces Çrâmanêras devenu Bôdhisattva, mûrit, instruisit, remplit de joie, combla de satisfaction, dirigea des centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants, en nombre égal à celui des sables de soixante fois soixante Ganges, pour les conduire à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli.

f. 102 a. Ensuite, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû, vénérable, etc., à l’expiration des quatre-vingt-quatre mille Kalpas, le Bienheureux, dis-je, doué de mémoire et de sagesse(102 a), se releva de cette méditation ; et s’en étant relevé, le Bienheureux se dirigea vers le lieu où se trouvait le siége de la loi ; et y étant arrivé, il s’assit sur le siége qui lui était destiné.

À peine, ô Religieux, le bienheureux Tathâgata Mahâbhidjñâdjñânâbhibhû fut-il assis sur le siége de la loi, que jetant les yeux sur le cercle entier de l’assemblée, il s’adressa ainsi à la réunion des Religieux : Ils ont acquis une chose étonnante, ô Religieux, ils ont acquis une chose merveilleuse, les seize Çrâmanêras, pleins de sagesse, qui ont honoré plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis de Buddhas, qui ont rempli les devoirs Religieux, qui se sont exercés dans la science de Buddha, qui l’ont saisie, qui la transmettent et l’expliquent [aux autres]. Honorez, ô Religieux, ces seize Çrâmanêras ; car tous ceux, quels qu’ils soient, ô Religieux, qui faisant usage du véhicule des Çrâvakas, ou de celui des Pratyêkabuddhas, ou de celui des Bôdhisattvas, ne mépriseront pas, ne blâmeront pas ces fils de famille occupés à exposer la loi, deviendront bientôt possesseurs de l’état suprême de Buddha f. 102 b. parfaitement accompli ; tous ceux-là obtiendront la science du Tathâgata.

De plus, ô Religieux, ces seize fils de famille expliquèrent à plusieurs reprises, sous l’enseignement de ce Bienheureux, cette exposition de la loi du Lotus de la bonne loi. Et les centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants, en nombre égal à celui des sables de soixante fois soixante Ganges, qui avaient été introduits dans l’état de Buddha par chacun de ces seize Çrâmanêras, devenus Bôdhisattvas Mahâsattvas, ces myriades d’êtres, dis-je, entrèrent dans la vie religieuse avec ces Çrâmanêras, chacun dans leurs diverses existences ; tous jouirent de leur vue ; ils entendirent la bonne loi de leur bouche même ; ils comblèrent de joie quarante mille kôṭis de Buddhas, et quelques-uns les en comblent même encore aujourd’hui.

Je vais vous témoigner mon affection, ô Religieux(102 b), je vais vous instruire. Oui, ces seize fils de roi, devenus Kumâras, qui s’étant faits Çrâmanêras sous l’enseignement de ce Bienheureux, sont devenus interprètes de la loi, ces personnages, dis-je, sont tous parvenus à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; tous ils se trouvent, ils vivent, ils existent dans ce monde, occupés, dans les dix points de l’espace, dans de nombreuses terres de Buddha, à enseigner la loi à plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis de Çrâvakas et de Bôdhisattvas. f. 103 a. Par exemple, ô Religieux, à l’orient, dans l’univers Abhirati(103 a), est le Tathâgata nommé Akchôbhja, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Mêrukâta, vénérable, etc. Au sud-est, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Simhaghôcha, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Simhadhvadja, vénérable, etc. Au midi, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Akâçapratichthita, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Nityaparivrîta, vénérable, etc. Au sud-ouest, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Indradhvadja, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Brakmadhvadja, vénérable, etc. À l’occident, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Amitâbha, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Sarvalôkadhâtâpadra­vôdvêgapratyuttîrna, vénérable, etc. Au nord-ouest, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Tamâlapatratchandanagandha, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Mêrukalpa, vénérable, etc. Au nord, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé Mêghasvara, vénérable, etc., et le Tathâgata nommé Mêghasvararâdja, vénérable, etc. Au nord-est, ô Religieux, se trouve le Tathâgata nommé f. 103 b. Sarvalôkabhayâstam­bhitatvavidhvam̃sanakara, vénérable, etc., et moi, ô Religieux, qui suis le seizième, et qui, sous le nom de Çâkyamuni, et en qualité de Tathâgata, vénérable, etc., suis parvenu, dans la région centrale de l’univers Saha, à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli.

De plus, ô Religieux, ceux des êtres, qui, pendant que nous étions Çrâmanêras, sous l’enseignement du Bienheureux ont entendu la loi de notre bouche, ces nombreuses centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants, en nombre égal à celui des sables du Gange, qui suivaient chacun des seize Bôdhisattvas, et que chacun de nous séparément introduisait dans l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, tous ces êtres, ô Religieux, placés aujourd’hui même sur le terrain des Çrâvakas, sont mûris pour l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ; ils sont parvenus au rang qui assure la possession de cet état. Pourquoi cela ? C’est que, ô Religieux, la science des Tathâgatas n’obtient pas aisément la confiance des hommes(103 b). Et quels sont donc, ô Religieux, ces êtres sans nombre et sans mesure, semblables aux sables du Gange, ces centaines de mille de myriades de kôṭis d’êtres vivants qui, pendant que j’étais Bôdhisattva, sous l’empire du Bienheureux, ont entendu de ma bouche la parole de l’omniscience. f. 104 a.C’est vous, ô Religieux, qui, en ce temps à cette époque, étiez ces êtres.

Et ceux qui dans l’avenir seront Çrâvakas(104 a), lorsque je serai entré dans le Nirvâṇa complet, ceux-là entendront exposer les règles de la conduite des Bôdhisattvas, mais ils ne s’imagineront pas qu’ils sont des Bôdhisattvas. Ces êtres, en un mot, ô Religieux, ayant tous l’idée du Nirvâṇa complet, entreront dans cet état. Il y a plus, ô Religieux, s’il arrivait que je dusse me retrouver dans d’autres univers sous d’autres noms, ces êtres y renaîtraient aussi de nouveau, cherchant la science des Tathâgatas, et ils entendraient de nouveau cette doctrine : Le Nirvâṇa complet des Tathâgatas est unique ; il n’y a pas là un autre ni un second Nirvâṇa. Il faut reconnaître ici, ô Religieux, [dans l’indication de plusieurs Nirvâṇa,] un effet de l’habileté dans l’emploi des moyens dont les Tathâgatas disposent ; c’est là l’exposition de l’enseignement de la loi. Lorsque le Tathâgata, ô Religieux, reconnaît que le temps, que le moment du Nirvâṇa complet est venu pour lui, et qu’il voit que l’assemblée est parfaitement pure, qu’elle est pleine de confiance, qu’elle comprend les lois du vide, qu’elle est livrée à la contemplation, livrée à la grande contemplation, alors ô Religieux, le Tathâgata, se disant : « Voici le temps arrivé », après avoir rassemblé tous les Bôdhisattvas et tous les Çrâvakas, leur fait entendre ensuite ce sujet : Il n’y a certainement pas, ô Religieux, dans le monde un second véhicule, f. 104 b.ni un second Nirvâṇa ; que dire donc de l’existence d’un troisième ? C’est là un effet de l’habileté dans l’emploi des moyens dont disposent les Tathâgatas vénérables, etc., [qu’il paraisse exister plusieurs véhicules,] lorsque voyant la réunion des êtres profondément perdue, livrée à des affections misérables, plongée dans la fange des désirs, le Tathâgata leur expose l’espèce de Nirvâṇa dans lequel ils sont capables d’avoir confiance.

C’est, ô Religieux, comme s’il y avait ici une épaisse forêt de cinq cents Yôdjanas d’étendue, et qu’une grande troupe de gens y soit réunie, et qu’à leur tête se trouve un guide pour leur enseigner le chemin de l’île des joyaux, un guide éclairé, sage, habile, prudent, connaissant les passages difficiles de la forêt, et que ce guide s’occupe à faire sortir de la forêt cette réunion de marchands. Cependant, que cette grande troupe de gens, fatiguée, épuisée, effrayée, épouvantée, parle ainsi : Sache, ô vénérable guide, ô vénérable conducteur, que nous sommes fatigués, épuisés, effrayés, épouvantés, et cependant nous n’avons pas encore atteint le terme de notre délivrance ; nous retournerons sur nos pas, il y a trop loin d’ici [à l’extrémité] de cette forêt. Qu’alors, ô Religieux, ce guide habile dans l’emploi des divers moyens, voyant ces hommes désireux de retourner sur leurs pas, se livre à cette réflexion : Ces malheureux ne parviendront pas ainsi à la grande île des joyaux ; et que, par compassion pour eux, il mette en usage l’habileté dont il dispose. f. 105 a.Qu’au milieu de cette forêt, il construise une ville, effet de sa puissance magique, dont l’étendue surpasse cent ou deux cents Yôdjanas ; qu’ensuite il s’adresse ainsi à ces hommes : N’ayez pas peur, ne retournez pas en arrière. Voici un grand pays, il faut vous reposer ; faites-y tout ce que vous avez besoin de faire ; arrivés au terme de votre délivrance, fixez ici votre séjour. Ensuite, quand vous serez délassés de vos fatigues, celui qui y aura encore affaire ira jusqu’à l’île des joyaux, jusqu’à la grande ville.

Qu’alors, ô Religieux, les gens qui se trouvaient dans la forêt soient frappés d’étonnement et de surprise : Nous voici sortis de cette épaisse forêt ; arrivés au terme de notre délivrance, nous fixerons ici notre séjour. Qu’alors, ô Religieux, ces hommes entrent dans cette ville produite par une puissance magique, qu’ils se croient arrivés au but, qu’ils se croient sauvés, en possession du repos ; qu’ils pensent ainsi : Nous voici calmes. Qu’ensuite le guide voyant leur fatigue dissipée, fasse disparaître cette ville produite par sa puissance magique, et que l’ayant fait disparaître, il s’adresse ainsi à ces hommes : Marchez, amis, voici la grande île des joyaux tout près d’ici ; cette ville n’a été construite par moi que pour servir à vous délasser.

f. 105 b.De même, ô Religieux, le Tathâgata, vénérable, etc., est votre guide et celui de tous les êtres. En effet, ô Religieux, le Tathâgata vénérable, etc., réfléchit ainsi : Il faut ouvrir un chemin à travers cette grande forêt des douleurs, il faut en sortir, il faut l’abandonner. Puissent les êtres, après avoir entendu cette science de Buddha, ne pas retourner bien vite sur leurs pas ! Puissent-ils ne pas arriver à se dire : Cette science de Buddha qu’il faut apprendre est pleine de difficultés ! Alors le Tathâgata reconnaissant que les créatures ont des inclinations faibles, de même que ce guide qui construit une ville produite par sa puissance magique, pour servir à délasser ses gens, et qui leur parle ainsi après qu’ils s’y sont reposés : Cette ville n’est que le produit de ma puissance magique ; le Tathâgata, dis-je, ô Religieux, grâce à la grande habileté qu’il possède dans l’emploi des moyens, montre en attendant et enseigne aux créatures, pour les délasser, deux degrés de Nirvâṇa, savoir, le degré des Çrâvakas et celui des Pratyêkabuddhas. Et dans le temps, ô Religieux que les créatures s’y arrêtent, alors le Tathâgata lui-même leur fait entendre ces paroles : Vous n’avez pas accompli votre tâche, ô Religieux, vous n’avez pas fait ce que vous aviez à faire ; mais la science des Tathâgatas est près de vous ; regardez, ô Religieux ; f. 106 a. réfléchissez-y bien, ô Religieux : ce qui est à vos yeux le Nirvâṇa n’est pas le Nirvâṇa [véritable] ; bien au contraire, c’est là un effet de l’habileté dans l’emploi des moyens dont disposent les Tathâgatas vénérables, etc., qu’ils exposent trois véhicules différents. Ensuite Bhagavat voulant exposer ce sujet plus amplement, prononça dans cette occasion les stances suivantes :

60. Le Guide du monde, Abhidjñâdjñânâbhibhû, qui était parvenu à l’intime essence de la Bôdhi(106 a), resta pendant dix moyens Kalpas complets, sans pouvoir obtenir l’état de Buddha, quoiqu’il vît la vérité.

61. Alors les Dêvas, les Nâgas, les Asuras, les Guhyakas, appliqués à rendre un culte à ce Djina, firent tomber une pluie de fleurs dans le lieu où ce Chef des hommes parvint à l’état de Bôdhi.

62. Et ils frappèrent les timbales du haut des cieux, afin de rendre honneur à ce Djina ; et ils étaient plongés dans la douleur, de ce que le Djina mettait un temps si long à parvenir à la situation suprême.

63. Au bout de dix moyens Kalpas, le Bienheureux, surnommé l’Invincible, parvint à toucher à l’état de Bôdhi ; les Dêvas, les hommes, les Nâgas et les Asuras furent tous remplis de joie et de satisfaction.

64. Les seize fils du Guide des hommes, ces héros devenus Kumâras, qui étaient riches en vertus, vinrent, avec des milliers de kôṭis d’êtres vivants, pour honorer le premier des Indras des hommes.

f. 106 b.65. Et après avoir salué les pieds du Guide [des hommes], ils le sollicitèrent en lui disant : Expose la loi et réjouis-nous, ainsi que ce monde, par tes bons discours, toi qui es un lion parmi les Indras des hommes.

66. Ô grand Guide [des hommes], il y a longtemps qu’on ne t’a vu paraître dans les dix points de cet univers, ébranlant les chars de Brahmâ par un prodige destiné à éveiller les créatures.

67. À l’orient, cinquante mille fois dix millions de terres furent ébranlées, et les excellents chairs de Brahmâ qui s’y trouvaient, resplendirent d’un éclat extraordinaire.

68. Ces Dêvas connaissant ce prodige pour en avoir vu autrefois un pareil, se rendirent auprès de l’Indra des Guides du monde, et après l’avoir couvert entièrement de fleurs, ils lui firent l’offrande de tous leurs chars.

69. Ils le sollicitèrent de faire tourner la roue de la loi ; ils le célébrèrent en chantant et en lui adressant des stances ; cependant le roi des Indras des hommes gardait le silence, [parce qu’il pensait ainsi :] Il n’est pas encore temps pour moi d’exposer la loi.

70. De même au midi, à l’occident, au nord, au point placé sous la terre, aux points intermédiaires de l’horizon, ainsi qu’au point supérieur, mille fois dix millions de Brahmâs s’étant réunis,

71. Couvrirent de fleurs le Protecteur, et après avoir salué les pieds du Guide [des hommes], et lui avoir fait l’offrande de tous leurs chars, ils le célébrèrent et lui adressèrent de nouveau la même prière.

72. Fais tourner la roue de la loi, ô toi dont la vue est infinie ! On ne peut te rencontrer qu’au bout de nombreux kôṭis de Kalpas ; f. 107 a.enseigne-nous cette doctrine que, dans l’énergie de ta bienveillance, tu daignas répandre autrefois ; ouvre-nous la porte de l’immortalité.

73. Celui dont la vue est infinie, sachant quelle était leur prière, exposa la loi de beaucoup de façons différentes ; il enseigna les quatre vérités avec de grands développements : Toutes ces existences, [dit-il,] naissent [de l’enchaînement successif] des causes.

74. Le sage doué de vue, commençant par l’ignorance, parla de la mort dont la douleur est sans fin ; toutes les misères sont produites par la naissance ; connaissez ce que c’est que la mort des hommes ;

75. À peine eut-il exposé les lois variées, de diverses espèces, et qui n’ont pas de fin, que quatre-vingts myriades de kôṭis de créatures qui les avaient entendues, furent sans peine établies sur le terrain des Çrâvakas.

76. Il y eut un second moment où le Djina se mit à exposer amplement la loi ; et en cet instant même des créatures purifiées, aussi nombreuses que les sables du Gange, furent établies sur le terrain des Çrâvakas.

77. À partir de ce moment, l’assemblée du Guide du monde devint incalculable ; chacun [de vous] comptant pendant des myriades de kôṭis de Kalpas, ne pourrait en atteindre le terme.

78. Et les seize fils de roi, ces fils chéris, qui étaient parvenus à la jeunesse(107 a) s’étant faits tous Çrâmanêras, dirent à ce Djina : Expose, ô Guide [du monde] la loi excellente.

79. Puissions-nous, ô toi qui es le meilleur de tous les êtres, devenir tels que tu es toi-même, devenir des sages connaissant le monde ! et puissent tous ces êtres aussi devenir tels que tu es toi-même, doués d’une vue parfaite !

f. 107 b.80. Le Djina connaissant les pensées de ses fils devenus Kumâras, leur exposa l’excellent et suprême état de Bôdhi, au moyen de nombreuses myriades de kôṭis d’exemples.

81. Enseignant à l’aide de milliers de raisons, et exposant la science des connaissances surnaturelles, le Chef du monde montra les règles de la véritable doctrine, de celle que suivent les sages Bôdhisattvas.

82. Le Bienheureux exposa ce beau Lotus de la bonne loi, ce Sûtra aux grands développements, en le récitant dans de nombreux milliers de stances dont le nombre égale celui des sables du Gange.

83. Après avoir exposé ce Sûtra, le Djina étant entré dans le Vihâra, s’y livra à la méditation, pendant quatre-vingt-quatre Kalpas complets, le Chef du monde resta recueilli dans la même posture.

84. Les Çrâmanêras voyant que le Guide [du monde] était assis dans le Vihâra, d’où il ne sortait pas, firent entendre à beaucoup de kôṭis de créatures cette science de Buddha, qui est exempte d’imperfections et qui est fortunée.

85. S’étant fait préparer chacun un siége distinct, ils exposèrent aux créatures ce Sûtra même ; c’est ainsi que sous l’enseignement de ce Sugata, ils remplirent alors leur mission.

86. Ils firent alors entendre [la loi] à un nombre d’êtres aussi infini que les sables de soixante mille Ganges ; chacun des fils du Sugata convertit en cette circonstance une immense multitude de créatures.

87. Quand le Djina fut entré dans le Nirvâna complet, ces sages virent des kôṭis de Buddhas auprès desquels ils s’étaient rendus ; accompagnés alors de tous ceux auxquels ils avaient fait entendre [la loi], ils rendirent un culte aux Meilleurs des hommes.

f. 108 a.88. Ayant observé les règles étendues et éminentes de la conduite religieuse, et ayant atteint l’état de Buddha, dans les dix points de l’espace, ces seize fils du Djina devinrent eux-mêmes des Djinas, réunis deux à deux dans chacun des points de l’horizon.

89. Et ceux aussi qui, en ce temps-là, avaient entendu [la loi de leur bouche], devenus tous les Çrâvakas de ces Djinas, s’assurèrent successivement la possession de cet état de Bôdhi, à l’aide de divers moyens.

90. Et moi aussi, je faisais partie de ces [seize Çrâmanêras], et vous tous vous avez entendu ensemble [la loi de ma bouche] ; c’est pour cela que vous êtes aujourd’hui mes Çrâvakas, et que, grâce au moyen que j’emploie, je vous conduis ici tous à l’état de Bôdhi.

91. C’est là l’ancienne cause, c’est là le motif pour lequel j’expose la loi ; c’est pour vous conduire à ce suprême état de Bôdhi : ô Religieux, ne vous effrayez pas dans cette circonstance.

92. C’est comme s’il existait une forêt terrible, redoutable, vide [d’habitants], une forêt privée de tout lieu de refuge et de tout abri, fréquentée par un grand nombre de bêtes sauvages, manquant d’eau, et que cette forêt soit un lieu d’épouvante pour les enfants.

93. Qu’il s’y trouve plusieurs milliers d’hommes qui soient arrivés dans cette forêt, et qu’elle soit vide, grande, ayant cinq cents Yôdjanas d’étendue.

94. Et qu’il y ait un homme riche, doué de mémoire, éclairé, sage, instruit, intrépide, qui soit le guide de ces nombreux milliers d’hommes à travers cette forêt redoutable et terrible.

95. Que ces nombreux kôṭis d’êtres vivants, épuisés de fatigue, s’adressent ainsi en ce temps à leur guide : Nous sommes épuisés de fatigue, vénérable chef, nous n’en pouvons plus de lassitude ; f. 108 b.nous éprouvons aujourd’hui le désir de retourner sur nos pas.

96. Mais que ce guide habile et sage songe alors à employer quelque moyen convenable ; [qu’il se dise :] Hélas ! tous ces ignorants vont être privés de la possession des joyaux [qu’ils recherchent], s’ils retournent maintenant en arrière.

97. Pourquoi ne construirais-je pas aujourd’hui, à l’aide de ma puissance magique, une ville grande, ornée de mille myriades de maisons et embellie de Vihâras et de jardins,

98. D’étangs et de ruisseaux créés par ma puissance, d’ermitages et de fleurs, d’enceintes et de portes, et remplie d’un nombre infini d’hommes et de femmes ?

99. Qu’après avoir créé cette ville, le guide leur parle ainsi : N’ayez aucune crainte et livrez-vous à la joie ; vous voici arrivés à une ville excellente, hâtez-vous d’y entrer pour y faire ce que vous désirez.

100. Soyez pleins d’allégresse, livrez-vous ici au repos ; vous êtes entièrement sortis de la forêt. C’est pour leur donner le temps de respirer qu’il leur tient ce langage ; aussi se rassemblent-ils tous autour de lui.

101. Puis, quand il voit tous ces hommes délassés, il les réunit et leur parle de nouveau : Accourez, écoutez ma voix ; cette ville que vous voyez est le produit de ma puissance magique.

102. À la vue du découragement qui s’était emparé de vous, j’ai employé ce moyen adroit pour vous empêcher de retourner en arrière ; faites de nouveau usage de vos forces pour atteindre l’île.

103. De la même manière, ô Religieux, je suis le guide, le conducteur de mille fois dix millions de créatures ; f. 109 a.de même je vois les êtres épuisés de fatigue et incapables de briser l’enveloppe de l’œuf des misères.

104. Alors je réfléchis à ce sujet : Voici, [me dis-je,] les êtres reposés de leurs fatigues, arrivés au Nirvâṇa ; c’est là le point où l’on reconnaît ce que sont toutes les douleurs ; oui, [leur dis-je,] c’est sur le terrain des Arhats que vous avez rempli votre devoir.

105. Puis, quand je vous vois tous arrivés à ce degré, tous devenus des Arhats, alors vous ayant réunis tous ici, j’expose la vérité et la loi telle qu’elle est.

106. C’est là un effet de l’habileté dans l’emploi des moyens dont les Guides [des hommes] disposent, que le grand Rĭchi enseigne trois véhicules ; il n’y en a qu’un seul et non un second ; c’est uniquement pour délasser les êtres qu’on parle d’un second véhicule.

107. Voilà pourquoi je dis aujourd’hui : Produisez en vous, ô Religieux, une suprême, une noble énergie, afin d’obtenir la science de celui qui sait tout ; non, il n’y a pas jusqu’ici pour vous de Nirvâṇa.

108. Mais quand vous toucherez à la science de celui qui sait tout, aux dix forces qui sont les lois des Djinas, portant alors sur vos personnes les trente-deux signes [de beauté] et devenus des Buddhas, vous aurez atteint le Nirvâṇa.

109. Tel est l’enseignement des Guides [des hommes] ; c’est pour délasser les êtres qu’ils leur parlent de Nirvâṇa ; quand ils les savent délassés, ils les conduisent tous pour les mener au Nirvâṇa, dans la science de celui qui sait tout.


Notes du chapitre VII

CHAPITRE VII.

f. 85 b Un homme la réduisait tout entière en poudre.] J’ai passé ici un mot qu’avec le seul manuscrit de la Société asiatique je ne pouvais comprendre ; voici le texte même de ce manuscrit : puruchaḥ sarvam̃ tchûrnîkrĭtya machim̃ kuryât. À ne considérer que le sens donné par Wilson au mot machi, il faudrait traduire, « qu’il en fit de l’encre ; » mais ce sens ne s’accorde pas très-bien avec celui de l’ensemble. Les deux manuscrits de M. Hodgson lisent mârcham̃ kuryât ; or en combinant ces deux leçons machim̃ et mârcham̃, on est conduit au mot marchṭi, « l’action de nettoyer ; » de sorte que la fin de notre texte pourrait se traduire « et qu’il nettoie, » peut-être en balayant, pour faire un monceau de toute cette poussière.

f. 86 b St. 5. Les Kalpas passés depuis cette époque ne sont pas moins nombreux.] Il faut traduire plus exactement, « tant sont nombreux les Kalpas écoulés depuis cette époque. »

f. 88 a Étant entré dans l’intime et excellente essence de l’état de Bôdhi.] Lisez, « s’étant assis sur l’excellent trône de la Bôdhi. » La même correction doit être répétée deux autres fois sur cette même page, quatre fois sur le folio 87 b, une fois au commencement du folio 88 a et une fois sur le folio 88 b.

f. 89 a St. 13. Elles n’entendent jamais la voix des Djinas.] Il serait plus exact de dire : « elles n’entendent jamais prononcer le nom de Djina. »

Pour qu’il fît tourner la roue de loi.] Le texte se sert de l’expression consacrée dharmatchakra pravartanatâyâi ; je ne vois aucun inconvénient à conserver cette interprétation littérale, comme l’a fait A. Rémusat dans sa traduction du Foe koue ki. Il est cependant bon de remarquer que cette expression qui semble revenir uniquement à ce sens, « enseigner la loi, » a chez les Buddhistes de Ceylan une signification légèrement différente, et que M. Turnour, dans sa traduction du Mâhâvam̃sa pâli, rend les mots dhammatchukkam pavattayi par « il proclama la souveraine suprématie de la loi. « Cette traduction qui selon toute vraisemblance est justifiée par les commentaires que M. Turnour a eus à sa disposition, peut aussi l’être par l’étymologie, puisque dans les composés de ce genre, dans balatchakra, par exemple, tchakra signifie le domaine, le cercle de la puissance, et par extension « la suprématie. » Il résulte de là que le dharmatchakra est le cercle sur lequel s’étend la loi, et par suite sa suprématie incontestée, comme balatchakra est le cercle sur lequel s’étend l’armée, et par suite son empire. Un Buddha possède la puissance de la première espèce, ce qui le fait appeler aussi « roi de la loi ; » un monarque souverain possède la seconde. Et c’est sans doute pour cela qu’à la vue des signes favorables qui faisaient prévoir la grandeur future de Siddhârtha, les astrologues annoncèrent au roi Çuddhôdana son père, qu’il serait un jour ou un Râdja Tchakravartin, ou un Buddha. Sous ce dernier point de vue on peut consulter le Lalita vistara, au commencement du chapitre iii[1]. Il ne faut pas non plus omettre les excellentes observations de MM. G. de Humboldt et Lassen sur le titre même de Tchakravartin[2] ; Lassen en a très-nettement fait ressortir le sens militaire et politique. J’ajouterai seulement que l’idée de représenter l’empire illimité de la loi par l’expression de « faire tourner la roue de la loi, » est un de ces emprunts faits à l’art militaire des Indiens, qui sont très-fréquents dans la langue des Buddhistes[3].

f. 89 b Et dans les intervalles qui séparent tous ces univers.] Comme il reste encore quelques doutes sur deux, termes qui se trouvent au commencement de cette description, j’ai cru devoir l’examiner en détail dans une note que l’on trouvera sous le n° XVI de l’Appendice.

f. 91 a Parvenu à l’intime et suprême essence de l’état de Bôdhi.] Lisez, « sur l’excellent siége de la Bôdhi. »

f. 92 a St. 24. Enseigne aussi la force de la charité.] Au lieu de ce sens que confirment les manuscrits de M. Hodgson, la version tibétaine traduit, « enseigne par la force de la charité. »

f. 96 b Pour tout dire en un mot.] Il paraît que la répétition fastidieuse de ce récit a fatigué le copiste lui-même ; car au lieu de le reproduire tout au long, comme il a fait jusqu’à présent, il ajoute un mot que j’ai remarqué dans un grand nombre de textes, notamment dans les diverses rédactions de la Pradjñâ pâramita, et qui est employé chaque fois qu’il s’agit d’exprimer l’idée de comme ci-dessus. Ce mot est pêyâlam̃ que je ne trouve pas dans le sanscrit classique. Dans les textes pâlis, la formule abréviative comme ci-dessus est exprimée par le monosyllabe qui est le commencement de pêyyâlam ; car c’est ainsi qu’est orthographié ce mot en pâli. J’en trouve un exemple dans l’Aṭânâtiya sutta, qui est ainsi conçu : sôyêva purimapêyyâlêna vitthârêtabbô, « il doit être développé avec le précédent pêyyâla[4]. » Je n’ai jusqu’à présent trouvé d’autre manière d’expliquer ce mot que de supposer qu’il dérive de , abréviation de pûrvé, « précédemment, » réuni à alam, « assez, » de façon à exprimer cette idée, « la chose a été dite précédemment d’une manière suffisante. » Je ne donne cependant encore cette explication que comme une conjecture.

f. 97 a.Au point qui est en haut.] J’avais cru pouvoir substituer le mot de en haut à celui de au-dessous (adhô) que donnent tous les manuscrits. Il me semblait que le seul point de l’espace où les Mahâbrahmâs n’eussent pas encore fait leur recherche, était le zénith, puisqu’il est dit positivement au f. 96 b, qu’ils se transportèrent adhô, c’est-à-dire au-dessous, ou au nadir. Mais l’accord des manuscrits qui sont unanimes en faveur de adhô, m’a engagé à examiner de plus près le texte ; et j’ai reconnu que puisqu’il s’agissait des Mahâbrahmâs placés au zénith, les seuls dont le voyage n’eût pas encore été décrit, il fallait de toute nécessité que ces Dieux descendissent pour venir voir le Buddha prêchant la loi. Il n’y a donc rien à changer au texte ; et je prie le lecteur de substituer à la phrase « étant parvenus au point qui est en haut » la version suivante : « étant parvenus au point qui est au-dessous d’eux. »

f. 97 b. Pour nous témoigner sa compassion.] Le texte se sert ici d’une locution, anukampâm upâdâya qui offrirait quelque difficulté, si l’on ne se rappelait l’observation judicieuse faite par Stenzler sur l’emploi spécial de quelques participes en tvâ et en ya, qui représentent de véritables adverbes[5]. Le participe adverbial upâdâya, qui littéralement interprété signifie ayant pris, employé, peut se traduire dans beaucoup de passages par à partir de, en partant de. Ainsi je trouve dans le Vinaya sûtra le texte suivant : Tchakrâdinyupâdâya rathâg̃gâni ratham̃ pradjñapyatê. « En partant des diverses parties d’un char, telles que les roues et autres, on a la notion d’un char[6]. » Il n’en est pas moins évident que le sens de cause se trouve dans ce participe, parce qu’il appartient à la même formation que le substantif upâdâna, « cause prochaine et immédiate. » J’en vois la preuve dans le passage suivant de l’Abhidharma kôça vyâkhyâ, où le commentateur voulant expliquer cette expression mahâbhûtâny upâdâya, ajoute ces paroles : Mahâbhûtahêtaka ityarthâḥ, yathêndhanam upâdâyâgnir bhavatîtyuktê indhanahêtukô ’gnir iti gamyatê. « Ayant pour cause les grands éléments ; « de même que quand on dit, Ayant pour cause le bois à brûler, le feu existe, on entend dire que le feu a pour origine le bois à brûler[7]. » De même avec une négation, anupâdâya se rencontre dans le sens de « n’ayant pas pris pour cause, sans l’emploi d’aucune cause. » Si nous revenons maintenant à la locution de notre texte, anukampâm upâdâyâ, nous reconnaîtrons qu’elle signifie littéralement « ayant pris pour cause, ou ayant employé la compassion, » ce qui revient exactement à dire, par compassion. Cette locution est également usitée avec ce même sens par les Buddhistes du Sud, anukampâm upâdâya, « par compassion[8]. » On trouve de même kalyânakamyatam upâdâya, « par un désir vertueux, par amour de la vertu[9]. » Dans le Kammavâkya, Spiegel traduit upâdâya par le latin inde a, et il allègue un passage du Mahâvam̃sa, où tad upâdâya signifie « d’après cela[10]. » Il ne serait sans doute pas impossible de trouver des textes où le sens fondamental de upâdâya s’effacerait presque jusqu’à ne représenter plus que l’idée de « par rapport à, eu égard à ; » j’en alléguerai une preuve empruntée au passage suivant du Dharma pradipikâ : Atîtam anâgatam patchtchuppannam upâdâya sabhê dhammâ sabhâ kâraṇâ Buddhassa Bhagavatô nâṇamukhê âpâtham âgatchtchhanti. « Toutes les conditions, toutes, les actions, eu égard au passé, à l’avenir et au présent, arrivent, dans la voie de la science du bienheureux Buddha[11]. »

f. 99 a.Qui a trois tours et se compose de douze parties constituantes.] Depuis l’impression de cette traduction, j’avais rencontré l’expression du texte triparivartan dvâdaçâkâram, et je croyais l’avoir traduite plus exactement ainsi : « qui en trois tours se présente de douze manières différentes. » J’avais même essayé dans une note d’expliquer cette expression énigmatique où je voyais une allusion aux quatre vérités sublimes envisagées de trois manières différentes[12]. Depuis lors je crois être arrivé sur ce point à une précision plus grande, et sans tenir pour irréprochable la traduction que j’ai donnée dans le Lotus, je la préfère maintenant à celle qui se trouve dans le tome Ier de l’Introduction à l’histoire du Buddhisme. En effet, voici, ce me semble, comment on pourrait expliquer les trois tours et les douze parties de la loi. Je pense toujours que les deux expressions sont connexes, et supposant que les douze formes ou parties ne sont autre chose que les douze Nidânas ou causes de l’existence, je crois que les trois tours sont les trois manières dont les commentateurs Buddhistes du Sud nous apprennent que Çâkyamuni se les représenta, quand il eut atteint à la science parfaite d’un Buddha. Nous voyons en effet par la glose du Samanta pâsâdika vinaya, que Çâkyamuni se représenta l’enchaînement des douze causes ou Nidânas, d’abord dans l’ordre direct, qui est celui de leur production, c’est-à-dire anulôma ; ensuite dans l’ordre inverse, qui est celui de leur destruction, c’est-à-dire patilôma ; enfin dans l’ordre direct et dans l’ordre inverse à la fois, ce qu’il faut entendre de cette manière, que dans trois portions égales de temps il accomplit la condition de ce triple examen[13]. Les trois tours sont donc relatifs à la méthode, et les douze formes ou parties constituent le fonds même de la doctrine.

Voilà la vérité des Aryas.] Lisez, « c’est là une vérité sublime. » Je prie le lecteur de vouloir bien comparer le morceau qui suit, relatif à l’enchaînement des causes successives de l’existence, avec la version et les explications que j’en ai données, dans mon Introduction à l’histoire du Buddhisme indien[14]. Les deux traductions ne diffèrent que par quelques mots, la dernière cependant me paraît la moins imparfaite.

f. 100 a.D’eux-mêmes.] Le texte dit anupâdâya, « sans l’emploi d’aucune cause. « J’ai essayé d’expliquer cette locution ci-dessus, f. 97 b, p. 389.

f. 101 a.Huit moyens d’affranchissement.] Voyez f. 82 b, st. 22, et la note sur cette stance, p. 386.

f. 101 a.Pleins de confiance.] Lisez, « pleins de pénétration. »

f. 102 a.Doué de mémoire et de sagesse.] Voyez sur cette locution la note relative au commencement du chap. ii, f. 18 b, p.  342.

f. 102 b.Je vais vous témoigner mon affection.] Lisez, « Je vais vous parler, » ou encore « je vous annonce. »

f. 103 a.À l’orient, dans l’univers Abhirati, etc.] Cette distribution de seize Buddhas disposés deux à deux dans les huit points de l’espace est certainement une de ces inventions fabuleuses des Buddhistes du Nord, qui non contents du caractère d’universalité que les disciples de Çâkya prétendaient assurer à sa doctrine parmi les hommes, ont encore voulu s’emparer de l’espace, et n’ont pas permis qu’il en restât un seul point sans monde et sans Buddha. Je ne crains pas d’affirmer que ces conceptions systématiques sont entièrement étrangères aux Sûtras simples, et qu’il n’en est pas prononcé un seul mot dans les livres des Buddhistes du Sud, au moins dans ceux qui sont à ma disposition. L’origine de ces Buddhas est du reste conforme aux données primitives du Buddhisme : comme Çâkyamuni, qui se dit leur contemporain dans le moment même où il les signale, ces quinze Buddhas sont d’anciens Religieux, qui par la pratique de toutes les vertus, et en particulier par suite de l’enseignement qu’ils ont donné du Lotus de la bonne loi, ont obtenu de devenir des Buddhas. Il faut donc les distinguer des formes de Tathâgatas que les Buddhas ont, suivant notre Lotus, le pouvoir de créer miraculeusement de leur propre corps, et dont il sera parlé plus bas, chap. xi, f. 131 a.

f. 103 b.La science des Tathâgatas n’obtient pas aisément la confiance des hommes.] Lisez, « la science des Tathâgatas n’est pas facile à pénétrer. »

f. 104 a.Ceux qui dans l’avenir seront Çrâvakas, etc. jusqu’à Ces êtres, en un mot, etc.] La ponctuation que j’avais adoptée masque le sens véritable de ce passage, qu’il faut traduire plus exactement ; « Et ceux qui dans l’avenir, lorsque je serai entré dans le Nirvâṇa complet, seront des Çrâvakas et entendront exposer les règles de la conduite des Bôdhisattvas, sans cependant comprendre qu’ils sont des Bôdhisattvas, ces êtres eux-mêmes, ô Religieux, ayant tous l’idée du Nirvâṇa complet, entreront dans cet état. » Ceci est, si je ne me trompe, une allusion à ce qui, selon le Lotus, se passe dans l’assemblée de Çâkyamuni, où ses auditeurs d’élite, ses Çrâvakas, sont étonnés de la loi qu’il leur expose, et ne peuvent encore comprendre qu’ils doivent être un jour des Buddhas.

f. 106 a.St. 60. Qui était parvenu à l’intime essence de la Bôdhi.] Lisez, « quand il était assis sur le trône de la Bôdhi. »

f. 107 a.St. 78. Qui étaient parvenus à la jeunesse.] Je n’avais pu tirer un sens satisfaisant de la leçon du manuscrit de la Société asiatique ; mais les deux manuscrits de M. Hodgson, qui lisent tchâilaka bhûta sarvê, donnent cette version régulière, « tous devenus mendiants. » Le mot de tchâilaka est formé de tchêla, « haillons, lambeaux de vêtements. » Il est devenu au Népal le nom d’une classe particulière d’ascètes[15]. Je ne suppose pas cependant que le texte désigne ici spécialement cette classe, dont l’origine paraît assez moderne. Nous ne devons pas oublier que la rédaction en vers ne peut faire absolument autorité pour la doctrine, et qu’ici l’auteur voulant dire que ces personnes entrèrent dans la vie religieuse, il a pu se servir d’un mot qui est synonyme de celui de Bhikchu, sans prétendre affirmer qu’ils devinrent des mendiants de l’espèce particulière qu’on nomme Tchâilaka. J’insiste d’autant plus sur ce point, qu’au commencement du chapitre xiii, ci-dessous f. 148 b, nous trouvons les Tchâilakas, ou ascètes, rangés au nombre des Religieux dont un Bôdhisattva doit éviter le commerce. C’est probablement leur état de nudité presque complète qui en fait un objet de répulsion pour les Buddhistes, qui attachent, comme on sait, un très-grand prix à la décence[16].

  1. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 14. Voyez encore Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 82, note 1 ; et ci-dessus, chap. 1, f. 2 b, p. 299 et 300.
  2. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 276 ; Lassen, Ind. Alterthumsk. t. I, p. 810, note 2 ; t. II, p. 76, note 5.
  3. Voyez ci-dessus, chap. 1, f. 10 a.
  4. Dîgha nikâya, f. 177 a.
  5. Stenzler, Kumâra sambhava, p. 129 ; Westergaard, Rad. sanscr. p. 267, r. diç.
  6. Vinaya sûtra, f. 158 b.
  7. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 24 b, init. Add. f. 21 b. de mon man.
  8. Subha sutta, dans Dîgha nikâya, f. 49 a.
  9. Pâṭimôkkha, man. pâli-barman de la Bibl. nat. f. 20 a, et p. 178 de ma copie.
  10. Kammavâkya, p. 38 ; Mahâwanso, t. I, ch.xxiii, p. 141, l. 2.
  11. Dharma pradîpikâ, f. 14 a.
  12. Introd. à l’hist. du Buddh. indien t. I, p. 82, note 1.
  13. Samanta pâsâdika vinaya, fol. 26 et 30 de mon man.
  14. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, p. 488 et 489.
  15. Hodgson, Sketch of Buddhism, dans Transact. of the asiat. Soc. of Great Britain, t. II, p. 245.
  16. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 311 et 312.