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Mémoires secrets de Bachaumont/1770/Août

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 185-198).
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Août 1770

2 Aout. — Madame Senac, dont on a tant parlé, et dont le mari, dans sa jalousie contre M. le comte de La Marche, a donné des scènes si ridicules et si plaisantes au public, s’est soustraite depuis quelque temps aux bontés de ce prince du sang, et s’est laissée aller à quelque faiblesse envers M. le duc de Fitz-James. Le comte de La Marche, indigné de cette préférence, paraît avoir porté ses vues sur une autre bourgeoise très-aimable, qu’on appelle madame Prévôt de Chantemerle. Un jour qu’elle soupait chez le sieur Baudouin, capitaine aux gardes, ce prince fit dire à cet officier qu’il lui ferait l’honneur de s’y rendre. Cette présence a beaucoup alarmé le mari. Quant à madame Prévôt, il paraît qu’elle a toute la reconnaissance qu’elle doit aux bontés d’un grand prince, et qu’elle trouve, ainsi que faisait madame Senac et que à d’autres feraient, la jalousie de son mari très-déplacée.

4. — Le sieur De Rosoy entré à la Bastille le samedi 13 mai, en est sorti le samedi 21 juillet, après avoir expié son double crime littéraire d’avoir fait imprimer sans permission les deux ouvrages dont on a parlé, savoir les Jours d’Ariste et le Nouvel Ami des hommes, et d’avoir inséré dans l’un et dans l’autre des maximes nouvelles et hardies que le Gouvernement désapprouve, et qu’il a voulu réprimer. Le premier traité roulait sur la morale, et le second sur la politique. Il prétend que madame la duchesse de Grammont et M. le duc de Choiseul ont beaucoup contribué à son élargissement.

Quant à sa requête au chancelier contre le sieur Palissot, voici ce qu’il raconte. Une vingtaine de petits auteurs, à la tête desquels était le sieur Baculard d’Arnaud, sont venus le trouver pour l’engager à se joindre à eux et à solliciter auprès du chef de la librairie une défense au sieur Palissot de faire paraître la suite de sa Dunciade, dont ils redoutaient la publicité. Pour mieux l’exciter, ils lui ont rapporté ce que le poète satirique y disait de lui, et les anecdotes scandaleuses qu’il y mettait sur son compte. Alors, sans vouloir faire aucune ligue, après avoir vérifié ce qui le concernait, il avait effectivement porté plainte au chef de la magistrature, par le lieutenant-général de police, contre le sieur Palissot, pour son propre compte, et sur ce qui le concernait seulement, en prévenant M. de Sartine de la réclamation générale qui devait suivre ; mais il se plaint que ses lâches compagnons l’aient abandonné, et n’aient osé se joindre à lui dans un projet qu’ils lui avaient suggéré. Du reste, il disculpe le sieur Palissot, et ne le croit pas coupable de l’infâme récrimination par laquelle on a prétendu qu’il avait dénoncé le sieur De Rosoy à la police.

7. — Vers faits à Versailles par une femme de vingt ans, le 16 juillet 1770[1]).

Fille à dix ans est un petit livret
Intitulé : le Berceau de nature.
Fille à quinze ans est un joli coffret
Qu’on n’ouvre point sans forcer la serrure.
Fille à vingt ans est un épais buisson
Dont maint chasseur pour le battre s’approche.
Fille à trente ans est de la venaison
Bien faisandée et bonne à mettre en broche.
À quarante ans c’est un gros bastion
Où le canon a fait plus d’une brèche.
À cinquante ans c’est un vieux lampion
Où l’on ne met qu’à regret une mèche.

8. — La diatribe de M. de Voltaire, qui a provoqué sanglante épigramme qu’on a citée[2], n’est autre chose que des Anecdotes sur Jean Fréron, imprimées il y a long-temps dans un recueil[3], mais qui n’avaient encore fait aucun bruit, et n’étaient pas parvenues à la connaissance de ceux qu’elles concernaient. Ce libelle, outre le sieur Fréron, diffame tous ceux que le vieillard de Ferney croit être les acolytes et les suppôts du journaliste. Le sieur Dorat, entre autres, qu’on sait être fort lié avec lui, se trouve aujourd’hui obligé de renier son ami, et dans une Lettre à M. de Voltaire, qu’il vient de faire imprimer, se disculpe absolument de ce commerce.

9. — On peut voir, dans l’atelier du sieur Pigalle, un petit buste, esquissé nouvellement par ce grand artiste, de la tête de M. de Voltaire. Rien de plus ressemblant que cette figure, pleine d’esprit et de feu. Cette rage de mordre, qui fait aujourd’hui le caractère distinctif du philosophe de Ferney, respire dans tous les traits de son visage, et la satire semble s’élancer de tous les plis et replis de cette face ridée.

10. — Lettre sur la Théorie des lois civiles, etc. où l’on examine entre autres choses s’il est bien vrai que les Anglais soient libres, et que les Français doivent ou imiter leurs opérations, ou porter envie à leur gouvernement[4]. Tel est le titre d’un livre attribué au sieur Linguet, et qui porte en effet l’empreinte de son imagination ardente et de son génie satirique. Il y défend le paradoxe de sa Théorie des Lois civiles, où il avait avancé que le despotisme était le meilleur des gouvernemens. À cette occasion, il dit des vérités dures et hardies ; il établit des parallèles singuliers et brillans, et il plaide sa cause avec tant d’esprit et d’adresse, qu’on serait tenté, sur son exposition, de préférer le gouvernement des tyrans orientaux à celui des États qui semblent les plus libres. En un mot, il renverse de fond en comble le système de Montesquieu dans son Esprit des Lois, et parle de ce grand homme avec une irrévérence, un mépris, une horreur même, bien propres à alarmer ses adorateurs. Mais ce qui paraît tenir le plus au cœur du sieur Linguet, est la critique que les auteurs du journal des Éphémérides ont faite de ses ouvrages. En conséquence, il tombe d’estoc et de taille sur ses adversaires.

À la suite de cette Lettre, et après quelques autres écrits qui ne sont pas aussi saillans, est une Lettre du même écrivain à M. le chevalier de *** sur l’histoire des Révolutions de l’Empire Romain, où le sieur Linguet, vivement piqué de l’épigramme répandue contre lui[5], à l’occasion de son Mémoire pour M. le duc d’Aiguillon, se disculpe d’avoir loué les Tibère, les Néron, d’avoir déprimé les Trajan, les Titus, etc., cite ses textes, et prouve l’injustice des reproches horribles qu’on lui fait à cet égard.

11. — La pièce du sieur Lemière[6], après être tombée dans les règles à la cinquième représentation, est absolument morte aujourd’hui à la sixième. On dit que l’auteur s’en prend à la chaleur du temps et au mauvais jeu des acteurs. Quoi qu’il en soit, relativement à la dernière circonstance, qui est vraie en elle-même, un plaisant a fait l’épigramme suivante :

J’ai vu cette Veuve indécise :
Ami, que veux-tu que j’en dise ?
Son sort est digne de nos pleurs.
Du bûcher elle est délivrée,
Mais c’est pour être déchirée
Par le public et les acteurs.

12. — Mardi dernier la distribution des prix de l’Université s’est faite avec toute la pompe accoutumée[7]. C’est l’abbé Delille, auteur de la traduction des Géorgiques, qui a prononcé le Discours latin[8]. Cette fête a pensé être troublée par une petite sédition des écolier qui ont voulu forcer le guet pour entrer, et qui, en effet, avaient déjà mis en fuite le guet à pied, lorsque le sieur Le Laboureur, commandant cette troupe, s’est présenté, a harangué d’abord la jeunesse révoltée, et n’ayant pu rien gagner par son éloquence, a mis l’épée à la main, et ordonné à la troupe de foncer au milieu d’elle, la baïonnette au bout du fusil. Les écoliers, intimidés par cet appareil belliqueux, se sont enfuis avec rapidité. Le dedans de l’assemblée a été aussi troublé par un enfant turbulent que le procureur-général a fait enlever pour être remis aux mains du guet.

13. — Le clergé est fort scandalisé d’un nouveau intitulé : Du Droit du souverain sur les biens-fonds du clergé et des moines, et de l’usage qu’il peut faire de ces biens pour le bonheur des citoyens[9]. On sent effectivement, par ce titre, combien il doit redouter la distribution d’un pareil mémoire. Aussi jette-t-il les hauts cris contre l’auteur et l’ouvrage. Les zélés voudraient les flétrir l’un et l’autre des censures ecclésiastiques ; mais les prélats les plus flegmatiques craignent que le châtiment n’illustre ce livre clandestin, et ne lui donne plus de publicité ; d’autres souhaiteraient plus judicieusement qu’on le réfutât.

En attendant que l’assemblée ait pris un parti définitif sur cet objet, elle s’occupe du soin de conserver le précieux dépôt de la foi, et de garantir les fidèles contre tout ce qui pourrait ébranler leur créance. Pour opposer une digue à ce torrent d’ouvrages abominables contre la religion, toujours les mêmes, mais que l’impiété reproduit infatigablement sous des figures diverses, elle a nommé le Père Bonhomme, Cordelier, docteur de Sorbonne, à cette illustre fonction. Il est chargé de ramasser les meilleurs écrits faits en faveur de la bonne cause, et d’en former un corps de preuves, suffisant pour repousser tous les argumens qu’on renouvelle, et réfutés d’avance dans ces traités aussi solides qu’éloquens.

14. — Il paraît que le livre de M. le marquis de Puysegur, intitulé : Discussion intéressante sur la prétention du clergé d’être le premier ordre d’un État, qui fit un grand scandale dans l’Église au commencement de 1768[10], a donné lieu à celui dont on a parlé sur le Droit du souverain ; mais l’auteur pousse son système plus loin ; il le développe, il l’étend, il en tire des conséquences, et, après avoir démontré que les richesses et les dignités politiques ne sont point essentielles à la religion, et qu’elles ne lui servent de rien, qu’elles sont même contraires à l’esprit de son institution, puisque son auteur ne l’a dotée d’aucun bien, qu’il a placé son berceau dans l’avilissement et la pauvreté, il démontre de quelle manière s’est opéré le changement, comment le clergé a séparé ses intérêts de ceux du reste des fidèles, et s’est substitué aux droits de l’Église invisible. Il discute ensuite si le peuple a pu donner, et le clergé récevoir, et il pulvérise tous les titres prétendus du clergé, même le titre si sacré de l’antiquité de la possession, duquel se prévalent les gens de main-morte, et qui s’écroule de lui-même par le vice imprescriptible de son origine.

Cet ouvrage passe pour être aussi de M. le marquis de Puységur.

15. — Le roi de Prusse a écrit à M. d’Alembert[11] à l’occasion de la souscription ouverte pour l’érection d’une statue de M. de Voltaire. Ce monarque lui apprend qu’il veut se réunir aux admirateurs de ce grand homme, et qu’il laisse son correspondant maître de porter à la somme qu’il jugera à propos, celle qu’il entend donner non en roi, mais en homme de lettres. Le prince loue beaucoup un pareil projet, qu’il suppose principalement éclos dans le sein de l’Académie Française, dont, à cette occasion, il exalte plusieurs membres. L’Académicien n’a pas manqué de faire part à ses confrères d’une lettre aussi flatteuse, et la compagnie, vivement touchée de reconnaissance envers ce roi poète et philosophe, a ordonné, par une délibération solennelle, que ladite lettre serait inscrite dans ses registres.

17. — Les prélats de l’assemblée du clergé ne se sont pas contentés du travail dont ils ont prescrit la tâche au Père Bonhomme, Cordelier, dont on a parlé ; ils ont entrepris eux-mêmes une Instruction pastorale anti-philosophique, c’est-à-dire une instruction où ils renversent cette philosophie irréligieuse, qui voudrait lutter contre l’Église et en saper les fondemens.

18. — Un Courtisan, sans doute, a voulu flétrir le Parlement par les vers suivans, où il semble l’accuser d’abuser de son pouvoir :

Elle Thémis a ceint le diadème :
Elle tient de Louis le sceptre dans sa main,
ElPour abroger par son pouvoir suprême
ElLe vieux respect qu’on porte au souverain.
ElGens, qui tenez le parlement de France,
Elle Dieu soit loué ! vous voilà rois.

ElOn ne saurait vous contester vos droits :
Vous les avez pesés dans la même balance
Elle Où l’on vous a vus tant de fois
Immoler au tuteur le pupille et les lois,
Elle En protestant d’obéissance.

19. — Il y a une requête[12] adressée au roi par les habitans de Saint-Claude contre les abbés et religieux dudit lieu, que l’on attribue à M. de Voltaire, et qui respire en effet tous les sentimens d’humanité dont est pétri ce poète philosophe.

20. — L’assemblée du clergé, depuis son ouverture, s’est spécialement occupée à consolider la foi ébranlée de toutes parts, et comme le concours de la puissance Séculière lui a paru nécessaire à ce grand œuvre, elle a provoqué le zèle du Saint-Père, qui, de concert avec elle, a sollicité le roi d’interposer son autorité en faveur de la religion. Le Parlement n’a pu se refuser à cette injonction, et les Gens du roi, depuis quelque temps, travaillaient à un Réquisitoire[13] contre les livres scandaleux les plus nouveaux, les plus répandus et les plus dangereux. Le réquisitoire a été présenté samedi aux chambres assemblées par M. Séguier. Il a été rendu arrêt qui condamne au feu tous les ouvrages en question ; mais par une humiliation sans exemple, on n’a point voulu admettre le réquisitoire de M. Séguier, et il ne sera point imprimé en tête de l’arrêt, suivant l’usage. Outre ce mécontentement personnel que la Cour a des Gens du roi à l’occasion de leur dernière mission à la Cour, on a trouvé que ce réquisitoire était une dérision perpétuelle de la religion, par l’affectation d’y présenter les morceaux les plus brillans des ouvrages condamnés, ainsi que les raisonnemens les plus forts, et d’y mettre à côté des citations misérables et des réfutations très-faibles. M. Séguier, dont le réquisitoire était déjà à l’impression, est allé le retirer de fort mauvaise humeur et couvert de confusion.

23. — Les Comédiens Italiens ont vers député J.-J. Rousseau, pour lui offrir ses entrées à leur spectacle, ainsi qu’à madame Rousseau. On assure qu’il les a acceptées ; ce qui serait une espèce d’engagement contracté de sa part de faire quelque chose pour eux : ce nouveau soutien renforcerait merveilleusement un théâtre dont le public est toujours engoué.

25. — L’Académie de Peinture et de Sculpture, moins exclusive que les autres, nous donne quelquefois l’exemple rare il est vrai, mais encourageant pour le sexe, de femmes admises dans son sein. Le 28 juillet dernier, demoiselle Vallayer[14], âgée de vingt-deux à vingt-trois ans, lui a été présentée, et a été agréée ce même jour. Ses tableaux sont dans le genre des fleurs, des fruits, des bas reliefs, des animaux. On assure qu’elle a porté l’art si difficile de rendre la nature à un degré de perfection qui enchante et qui étonne. On en jugera au premier salon

26. — L’Académie Française n’a point décerné de prix de poésie cette année pour le jour de la Saint-Louis. M. Duclos, qui a ouvert la séance publique en sa qualité de secrétaire, en a donné pour raison qu’aucun des auteurs n’était entré dans le sens de l’Académie. Il court à ce sujet une anecdote, suivant laquelle cette raison ne serait que l’ostensible et non la vraie. On prétend que l’Académie avait été partagée entre deux pièces, l’une du sieur de La Harpe, et l’autre de l’abbé de Langeac ; que les partisans de ce dernier avaient cabalé fortement pour lui, et par la connaissance qu’ils avaient donnée de l’auteur, avaient entraîné presque toute l’assemblée ; que le marquis de Saint-Lambert seul avait tenu bon pour le premier, et avait ramené beaucoup de gens à son avis ; sur quoi il s’en était élevé un troisième, de laisser la chose indécise, pour ne pas donner de mortification au jeune abbé, et ne pas faire d’injustice au candidat, ce qui a été adopté.

Ensuite M. Thomas a lu l’Éloge de Marc-Aurèle. Cet orateur, pour rendre sa tournure plus neuve et plus imposante, commence son discours par le convoi de son héros. Là il suppose qu’un nommé Apollonius, ancien ami de ce prince, fait son oraison funèbre devant tous les Romains assemblés. Il donne d’abord l’idée des devoirs d’un souverain, tels que les avait conçus Marc-Aurèle ; il fait voir, après, comme il les avait remplis. L’allusion continuelle entre ce qui se passait alors, et les événemens actuels, que l’auteur a eu soin d’indiquer tacitement aux spectateurs, a rendu cette lecture extrêmement piquante, et la satire indirecte qui résultait naturellement du contraste a excité des applaudissemens continuels. On n’a point vu de lecture aussi chaudement soutenue que celle-là. Comme elle était extrêmement longue, le sieur Thomas s’est reposé un instant.

Le sieur Duclos a repris alors la parole ; il a déclaré que l’Académie laissait de nouveau le choix du sujet libre pour le prix de poésie, et qu’il serait distribué l’année prochaine avec celui de prose ; qu’au surplus il avertissait que la médaille ne serait que de cinq cents livres au lieu de six cents livres. Il a donné à entendre, sans s’expliquer ouvertement, qu’une main fiscale s’était étendue jusque dans le trésor des Muses, et avoir rogné un depôt qui aurait dû être sacré, c’est-à-dire qu’on avait mis un des impôts jusque sur ce petit et très-petit objet, ce dont M. de L’Averdy avait déjà donné l’exemple durant son ministère.

Après cette digression, le sieur Thomas a fini avec les mêmes applaudissemens son Éloge de Marc-Aurèle. Ce morceau d’éloquence a d’autant mieux les suffrages, qu’il a paru dégagé de cette emphase, de tout cet appareil oratoire, qu’on remarque dans les autres ouvrages de l’auteur.

Pour délasser un peu l’assemblée de la tension d’esprit que lui avait occasionée ce discours, M. le duc de Nivernois a lu six fables : le Seigneur et son Fermier, le Chêne et le Ruisseau, la Pyramide, l’Orgueilleuse, le Roi et son Gouverneur, le Lion inconsolable. Quoiqu’il résulte la même morale des trois premières, elles ont été entendues toutes avec la même curiosité et le même plaisir.

27. — Le sieur La Beaumelle, l’homme de lettres que M. de Voltaire déteste le plus peut-être après le sieur Fréron, prétend que ce philosophe a oublié ses principes de l’ordre et son amour de l’humanité, jusqu’au point d’envoyer aux vassaux d’une terre que le sieur La Beaumelle a en Languedoc, des écrits injurieux à leur seigneur[15]. Il dit que dans le premier mouvement de son indignation, ayant toutes les preuves nécessaires pour la conviction de l’anonyme, il a été sur le point de le faire décréter par son bailli ; mais, revenu à lui-même, il a cru plus sage de mépriser ces efforts impuissans d’un vieillard forcené ; il s’est contenté de le tourner en ridicule par une plaisanterie qu’il se propose de faire imprimer incessamment : elle aura pour titre : Dictionnaire à l’usage des gens de Lettres qui, au défaut de l’épée, voudront se battre à coups de plume ; et ce Dictionnaire[16] n’est qu’un extrait de toutes les invectives dont M. de Voltaire a farci beaucoup de ses ouvrages et sutout les derniers.

28. — Le clergé, à qui l’on a fait sentir le ridicule du titre d’Instruction pastorale antiphilosophique[17], l’a changé, et son ouvrage paraît aujourd’hui sous celui d’Avertissement du Clergé de France, assemblé à Paris par permission du roi, aux Fidèles du royaume our les dangers de l’incrédulité[18]. On sent déjà, à l’énoncé, combien celui-ci est singulier ; au surplus cet écrit de plus de soixante et dix pages d’impression in-4° est assez bien fait dans son genre ; il y règne surtout une modération extrêmement rare dans ces sortes de traités, trop souvent dictés par le fanatisme. On y accorde aux incrédules une chose, qui avait fourni matière jusqu’ici aux déclamations les plus indécentes et aux apostrophes les plus injurieuses ; on y convient que la vertu, la probité, et toutes les autres qualités morales, peuvent exister dans un homme indépendamment de la religion.


29. — L’avocat-général Séguier, extrêmement mortifié de la suppression de son Réquisitoire, déjà tout imprimé d’avance, et dont il avait promis d’envoyer le jour même des exemplaires à la Cour, a eu recours à la voie de l’autorité pour faire paraître son ouvrage. Il s’imprime actuellement au Louvre, par ordre du roi. On assure qu’il a supprimé ou absolument changé la phrase, page 26, du Réquisitoire imprimé chez l’imprimeur du Parlement, dont ses ennemis s’étaient prévalus pour lui donner cette humiliation, sous prétexte qu’elle était injurieuse aux Anglais. La voici telle qu’elle texte original, page 26, ligne 3 :

« N’est-ce pas ce fatal abus de la liberté de penser qui a enfanté chez les insulaires nos voisins cette multitude de sectes, d’opinions et de partis, cet esprit d’indépendance, qui finira par détruire cette Constitution même dont ils se glorifient ? »

  1. Ces vers, généralement attribués au chevalier de Boufflers, ne se trouvent point dans ses Œuvres. — R.
  2. V. 27 juillet 1770. — R.
  3. Les Choses utiles et agréables, t.  II, p. 350. — R.
  4. Amsterdam, 1770, in-12. — R.
  5. V. 12 juillet 1770. — R.
  6. La Veuve du Malabar. — R.
  7. Le prix d’honneur fut remporté par Antoine-Marie-Henri Boulard, mort le 6 mai 1825, et si connu par sa passion pour les livres. — R.
  8. Il n’a point été imprimé. — R.
  9. Par De Cervol. Naples (Rouen, Besogne), in-8° de 164 pages. — R.
  10. V. 5 février 1768. — R.
  11. Cette lettre est datée du 28 juillet 1770. — R.
  12. Au roi en son conseil pour les sujets du roi qui réclament la liberté de la France contre des moines bénédictins devenus chanoines de Saint-Claude en Franche-Comté In-8° de 22 pages. — R.
  13. Réquisitoire sur lequel est intervenu l’arrêt du Parlement, du 18 août 1770, qui condamne à être brûlés différens livres ou brochures ; imprimé par ordre exprès du roi. Paris, Imprimerie Royale, 1770, in-4° de 35 pages. — R.
  14. Depuis madame Coster. — R.
  15. Tout ce que l’on dit ici de M. de Voltaire est faux. — W.
  16. Il n’a point été imprimé. — R.
  17. V. 17 août 1770. — R.
  18. Paris, Desprez, 1770, in-4° et in-12. — R.