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Mémoires secrets de Bachaumont/1770/Juillet

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 173-185).
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Juillet 1770

1er Juillet. — On raconte deux bons mots à l’occasion du Lit de justice[1], car le Français est toujours facétieux : l’un de M. de Choiseul à M. le chancelier, qui s’embarrassait en sortant dans les plis de sa robe : « M. le chancelier, lui dit ce seigneur en riant, prenez garde de tomber » : l’autre, d’un de Messieurs qui, entendant ronfler la trompette avec laquelle il est d’usage d’annoncer les princes à ces sortes d’assemblée… « Qu’entends-je ? c’est, je crois, la trompette du jugement dernier ! »

— J.-J. Rousseau, las de son obscurité et de ne plus occuper le public, s’est rendu dans cette capitale, et s’est présenté, il y a quelques jours, au café de la Régence, où il s’est bientôt attroupé un monde considérable. Notre philosophe cynique a soutenu ce petit triomphe avec une grande modestie. Il n’a pas paru effarouché de la multitude de spectateurs, et a mis beaucoup d’aménité dans sa conversation, contre sa coutume. Il n’est plus habillé en Arménien ; il est vêtu comme tout le monde, proprement, mais simplement. On assure qu’il travaille à nous donner un Dictionnaire de Botanique. La publicité que s’est donnée l’auteur d’Émile est d’autant plus extraordinaire, qu’il est toujours dans les liens d’un décret de prise de corps à l’occasion de ce livre, et que, dans le cas même où il aurait parole de M. le procureur général de n’être pas inquiété, on l’assure, il ne faut qu’un membre de la compagnie de mauvaise humeur pour le dénoncer au Parlement, s’il ne garde pas plus de réserve dans l’incognito qu’il doit toujours conserver ici.

2. — On parle d’un Dialogue des morts nouveau. Cette facétie a été faite à l’occasion de la catastrophe de la nuit du 30 au 31 mai, qui n’est rien moins que plaisante. On suppose que les gens morts dans la bagarre arrivent en foule chez Pluton. Ce dieu est surpris de cette débâcle. Il les interroge sur le sujet de leur venue, et demande pourquoi ils ne sont pas restés à la noce ? Ce qui amène un détail des circonstances de l’aventure malheureuse, et une satire amère contre ceux qui auraient dû la prévenir. On y joint divers éloges, et entre autres celui de M. de Sartine, qu’on disculpe à tous égards.

3. — Le Français met tout en chanson. Voici un couplet qu’on a fait sur la terminaison du procès de M. le duc d’Aiguillon[2]. Il est sur un air du Déserteur :

Oublions jusqu’à la trace
De mon procès suspendu ;
Avec des lettres de grâce
On ne peut être pendu.
Je triomphe de l’envie,
Je jouis de la faveur :
Grâces aux soins d’une amie,
J’en suis quitte pour l’honneur.

On prétend que M. le duc de Brissac avait dit à cette occasion que M. le duc d’Aiguillon avait sauvé sa tête, mais qu’on lui avait tordu le cou.

4. — M. l’abbé de Voisenon est fort mécontent d’avoir été joué et persiflé par le sieur Palissot qui, après les démarches qu’il a fait faire à cet abbé, ainsi qu’on l’a raconté, et après s’être avoué à lui pour l’auteur du Satirique dans une lettre, a voulu lui faire persuader ensuite que cet ouvrage n’était plus de sa composition. Les encyclopédistes, instruits du fait, ont tenté des démarches auprès de M. l’abbé de Voisenon pour obtenir la lettre en question, pièce de conviction qu’ils désiraient fort avoir ; mais s’y étant mal pris, ayant même employé les menaces, l’abbé est devenu plus raide, et ils n’ont pu obtenir la lettre d’aveu. Voilà où en est cette tracasserie.

6. — Le sieur Rochon de Chabannes, auteur de quelques ouvrages, d’opéras comiques, et de quatre petits drames joués aux Français avec succès, après avoir travaillé un an ou deux dans les bureaux des affaires étrangères à la partie des déchiffremens, avait été réformé, en conservant ses appointemens, était rentré dans la carrière des lettres, et se disposait à présenter aux Comédiens une comédie en cinq actes ; mais la roue de la fortune le porte sur un plus grand théâtre, il vient d’être chargé des affaires du roi à la cour de Dresde. Il paraît que mademoiselle Dangeville, dont la protection l’avait poussé la première fois auprès de M. le duc de Praslin, n’a pas peu contribué à ce nouvel événement.

7. — Le sieur J.-J. Rousseau, après s’être montré quelquefois au café de la Régence, où son amour-propre a été flatté d’éprouver qu’il faisait la même sensation qu’autrefois, et que sa renommée attirait encore la foule sur ses pas, s’est enveloppé dans sa modestie ; il est rentré dans son obscurité, satisfait de cet éclat momentané, jusqu’à ce qu’une autre circonstance lui donne une célébrité plus longue. On parle beaucoup de son Pygmalion, ouvrage d’un genre unique, en un acte, en une scène, et n’ayant qu’un acteur. Il est en prose, sans musique vocale. C’est une déclamation forte et prononcée, dans le goût des drames anciens, soutenue d’un accompagnement de symphonie. Il a fait essayer sur le théâtre de Lyon cette nouveauté, qui a eu du succès. On désirerait fort la voir dans ce pays, mais on croit quelle sera d’abord réservée pour les fêtes du mariage de M. le comte de Provence.

8. — Outre le Dialogue des Morts dont on a parlé, concernant le désastre de la nuit du 30 au 31 mai, il y a une Vision sur le même sujet. La critique en paraît plus fine et plus juste. Elle peint le peu d’ordonnance, de goût et d’esprit qui ont régné dans les fêtes de Paris données par la Ville, tant à l’occasion des boutiques sur le Boulevard et de l’illumination, que de la décoration du feu de la place, où il n’y avait, dit l’auteur facétieux d’autre ordre que l’ordre corinthien de l’édifice de feu représentant le Temple de l’Hymen.

11. — Le sieur Pigalle, ce fameux sculpteur, qui s’est chargé de faire la statue de M. de Voltaire, est revenu de Ferney, où il était allé prendre les traits du philosophe de ce lieu. Il paraît qu’on est fort embarrassé sur l’attitude qu’on lui donnera ; que d’ailleurs la ferveur des gens de lettres se ralentit beaucoup, et que la sousscription n’avance point.

12. — Le sieur Linguet, auteur du Mémoire pour le duc d’Aiguillon, a été aussi frappé de sarcasmes à cette occasion. On a rapproché les éloges qu’il a insérés dans ses ouvrages des empereurs romains le plus en horreur, et la critique de ceux que l’Histoire a toujours loués ; et il en résulte l’épigramme suivante très-sanglante :


Linguet loua jadis et Tibère et Néron,
Calomnia Trajan, Titus et Marc-Aurèle :
Cet infâme, aujourd’hui, dans un affreux libelle,
Noircit La Chalotais et blanchit d’Aiguillon[3].


13. — Le sieur Bonamy, de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, historiographe et bibliothécaire de la Ville de Paris, est mort, le 8 juillet, âgé de plus de soixante-dix ans. C’était un savant obscur et modeste, dont les ouvrages, s’il en a fait, restent consignés dans les Mémoires de l’Académie. Il était, depuis 1749, auteur d’un ouvrage périodique, intitulé : le Journal de Verdun, qu’on qualifie de Mercure des Curés de campagne, parce qu’il est spécialement répandu dans les provinces.

— Le sieur Palissot a parodié le Mémoire du sieur De Rosoy, présenté contre lui au chancelier[4], par une Épître intitulée Requête de plusieurs grands hommes à M. le lieutenant-général de police contre la Dunciade du sieur Palissot. Cette requête plaisante, facile, et d’un bon ton, n’a point la dureté et l’amertume des autres satires de l’auteur ; elle est très-propre à lui concilier les rieurs, et à faire sentir le ridicule de la démarche sieur De Rosoy et de ses confrères.

16. — Vendredi 6 de ce mois, M. l’abbé de Beaumont, neveu de M. l’archevêque de Paris et prieur de Sorbonne fit l’ouverture de ce qu’on appelle les Sorboniques par un très-beau discours latin, dont le sujet était que le clergé de France avait répandu sur le royaume autant d’utilité que de splendeur. L’assemblée était très-brillante, et celle du clergé s’y était rendue en corps. Les prélats ont paru recevoir avec modestie l’encens que leur a prodigué le jeune orateur.

L’origine des Sorboniques vient d’un certain Cordelier qui, ayant été refusé à une thèse, demanda à entrer en lice et à soutenir la discussion contre tout venant sur toutes sortes de sujets depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir. Depuis ce temps, tout candidat est obligé de subir cet exercice, très-convenable à une poitrine de Cordelier, mais qu’on a adouci par ce qu’on appelle le bouillon. Ce sont deux heures d’intervalle qu’on accorde au soutenant pour dîner ; mais alors quelqu’un monte en chaire et dispute pour tenir en haleine l’assemblée. Cette espèce de gymnastique théologique se renouvelle, tous les deux ans, par un discours d’apparat.

20. — Les nouvelles publiques ont fait mention de la catastrophe singulière des deux amans[5] de Lyon qui se sont tués à Saint-Étienne en Forez au mois de juin. On débite leur épitaphe, qu’on prétend avoir été faite par J.-J. Rousseau, qui se trouvait alors dans cette ville :


Cî-gissent deux amans : l’un pour l’autre ils vécurent :
L’un pour l’autre ils sont morts, et les lois en murmurent ;
La simple piété n’y trouve qu’un forfait ;
Le sentiment admire, et la raison se tait.

21. — Les représentations du Parlement, arrêtées aux chambres assemblées le 2 du mois dernier, sont effectivement très-fortes, et sans déclamation. Elles inculpent le duc d’Aiguillon de la façon la plus grave ; elles présentent un tableau resserré de certaines dispositions qui entacheront à jamais son honneur, s’il n’est sauvé juridiquement ; elles réfutent d’une façon victorieuse les divers motifs sur lesquels sont appuyées lesdites Lettres Patentes. On est frappé en les lisant de la logique lumineuse qui en fait la base d’un bout à l’autre, et tout lecteur impartial les juge sans réplique. On continue les recherches les plus sévères, et le sieur D’Hémeri, exempt de police concernant la librairie, fait de temps en temps ses rondes et menace les imprimeurs, libraires, colporteurs, des châtimens les plus formidables s’ils se prêtent en aucune façon à les répandre.

22. — Quelques gens, sans doute ennemis du sieur J.-J. Rousseau, prétendent qu’il est extrêmement baissé. Ce qu’il y de sûr, c’est qu’il est beaucoup plus liant qu’il n’était ; qu’il a dépouillé cette morgue cynique qui révoltait ceux qui le voyaient ; qu’il se prête à la société ; qu’il va manger fréquemment en ville, en s’écriant, que les dîners le tueront. On ne sait trop à quoi il s’occupe. On sait seulement qu’il va plusieurs fois par semaine au Jardin du Roi, où est la collection de toutes les plantes rares, et qu’il a été herboriser dans la campagne avec le sieur de Jussieu, démonstrateur de botanique.

Il passe pour constant qu’il a envoyé ses deux louis pour la statue de M. de Voltaire ; acte de générosité bien humiliant pour ce dernier ; façon bien noble de se venger de la sortie indécente et cruelle que l’autre a faite contre ce grand homme, dans le chiffon en vers qu’il a adressé à madame Necker[6], et de s’élever infiniment au-dessus de lui auprès de tous ceux qui connaissent la vraie grandeur.

23. — Des partisans de mademoiselle Dumesnil, enchantés que la cour lui ait enfin rendu justice et n’ait pas secondé la basse jalousie de mademoiselle Clairon, ont fait contre cette dernière les vers suivans, qui, quoique vrais, paraîtront un peu durs :


ExDe la cour tu voulais en vain
Expulser, ô Clairon, ton illustre rivale.
ExDumesnil paraît, et soudain,
ExD’elle à toi l’on voit l’intervalle.
ExRenonce, crois-nous, au dessein
ExDe surpasser cette héroïne ;
ExTon triomphe le plus certain
Est d’avoir en débauche égalé Messaline[7].

24. — Le chevalier d’Arcq, qui par son intimité avec madame la comtesse de Langeac, et par le goût et l’intelligence qu’il a pour les plaisirs, préside à toutes les fêtes qu’elle donne à M. le comte de Saint Florentin, n’a pas laissé passer l’occasion de la faveur[8] que ce ministre a reçue tout récemment de S. M., sans la célébrer d’une manière toujours galante et nouvelle. Il a fait accepter à ce ministre un concert et un souper à l’hôtel qu’il a en face de celui de madame de Langeac, sans qu’il parût être question d’autre chose. Après souper on a engagé M. le duc de La Vrillière à faire un tour dans le jardin. Il s’y est trouvé une communication avec un jardin voisin, où la curiosité l’a invité d’entrer. Quelle surprise agréable ! quel spectacle enchanteur s’est offert à ses yeux ! un village entier a paru construit en ce lieu ; une joie naïve semblait animer tous ses habitans, et sur le champ il s’est établi une espèce de drame entre ces bonnes gens, qui a facilement indiqué le sujet de leurs divertissemens : c’étaient les vassaux du nouveau duc qui se félicitaient de l’élévation de leur seigneur à cette dignité. Ils sont venus tour à tour lui présenter leur hommage et leurs présens, en chantant des couplets analogues, et un bal général a terminé la fête. Elle s’est exécutée le 3 juillet, c’est-à-dire le jour même où a paru le fameux arrêt du Parlement contre le duc d’Aiguillon. Cet événement, qui a bouleversé tout Paris, n’a semblé troubler en rien la gaieté de l’oncle ministre et celle du neveu, qui y assistait, et qui, double qualité d’homme d’esprit et d’homme de cour n’a laissé percer aucune altération. Au surplus, ce joli divertissement ne s’est passé qu’en petit comité, et en présence seulement des initiés aux mystères de ces ingénieuses farces.

C’est le sieur de La Dixmerie, poète consacré à ces sortes de fêtes, qui avait fait les paroles du drame et des couplets, et qui a reçu tous les applaudissemens que méritait sa complaisance.

25. — Il paraît constaté que la prophétie dont on a parlé[9] sur la catastrophe de la nuit du 30 au 31 mai, est du sieur Cocqueley de Chaussepierre, avocat, auteur de plusieurs facéties du même genre, dont celle-ci est la plus médiocre.

26. — Le sieur J.-J. Rousseau de Genève a herborisé dans la campagne, jeudi dernier, avec le sieur de Jussieu, démonstrateur de botanique. La présence de cet élève célèbre a rendu le concours très-nombreux. On a été fort content de l’aisance qu’il a mise dans cette société. Il a été très-parlant, très-communicatif, très-honnête ; il a développé des connaissances profondes dans cet art. Il a fait beaucoup de questions au démonstrateur, qui les a résolues avec la sagacité digne de lui ; et à son le sieur Rousseau a étonné le sieur de Jussieu, par la finesse et la précision de ses réponses.



27. — On parle d’une diatribe diabolique[10] que le sieur de Voltaire vient de vomir contre plusieurs petits auteurs, entre autres les sieurs Lemière et Dorat. Ce dernier lui a déjà répondu par une épigramme, bien digne de faire le pendant de l’autre pièce :


Un jeune homme bouillant invectivait Voltaire :
UnQuoi, disait-il, emporté par son feu,
Quoi, cet esprit immonde a l’encens de la terre !
Cet infâme Archiloque est l’ouvrage d’un Dieu !
De vice et de talent quel monstrueux mélange !
Son âme est un rayon qui s’éteint dans la fange :

Il est tout à la fois et tyran et bourreau :
Sa dent d’un même coup empoisonne et déchire :
Il inonde de fiel les bords de son tombeau,
Et sa chaleur n’est plus qu’un féroce délire.
Un vieillard l’écoutait, sans paraître étonné :
Tout est bien, lui dit-il. Ce mortel qui te blesse,
Jeune homme, du ciel même atteste la sagesse ;
S’il n’avait pas écrit, il eût assassiné.


29. — Le sieur Du Theil, sous-lieutenant aux gardes françaises, vient d’être élu par l’Académie des Belles-Lettres à la place vacante par la mort du sieur Bonamy. L’abbé Bergier, ce nouveau chanoine de Notre-Dame, défenseur ardent de la religion chrétienne, a eu les secondes voix ; ce qui fait présumer qu’il aura la première place vacante.

31. — Le mausolée du maréchal de Saxe est sans contredit un des plus beaux morceaux de génie qu’on puisse voir en fait de sculpture. Le sujet en est simple et grand, l’ordonnance belle, nette et riche : tout y est plein de vie, de mouvement et de chaleur. La figure principale, celle du maréchal, s’offre la première au spectateur, suivant les principes du bon sens et de l’art. Il est dans ses habits militaires, et semble s’avancer vers le sarcophage ouvert à ses yeux. Il descend déjà les marches qui y conduisent : il a cette fermeté tranquille des héros, que les ignorans ont prise pour de la froideur. La Mort est debout devant lui, sur sa gauche : elle lui présente le sable, et lui indique qu’il est temps d’entrer au tombeau. L’artiste l’a couverte d’un voile, pour dérober aux yeux le hideux de cette figure, et cependant le squelette perce à travers la draperie. Du même côté, et sur le plan en avant, c’est à dire aux pieds du maréchal, est la France alarmée, qui paraît retenir d’une main son défenseur, et de l’autre supplier la Mort de retarder le fatal moment. À la droite du héros, et en face de celle-ci, est un Hercule courbé, dans l’attitude de la plus profonde douleur, mais d’une douleur mâle et réfléchie. Cette figure est d’une grande beauté, et peut lutter avec tout ce que l’antique nous offre de plus parfait. À droite, en remontant et un peu derrière le maréchal, on voit le léopard terrassé, l’aigle éperdu, le lion qui s’enfuit en rugissant ; tous emblèmes caractéristiques des puissances liguées dans la guerre où M. de Saxe se couvrit de gloire ainsi que la France. À sa droite sont des trophées militaires, sur lesquels pleure le Génie de la guerre, qui tient son flambeau renversé. On voit par cette exposition, quel effet peut produire un sujet aussi bien conçu et développé avec autant d’ordre et d’intelligence ; mais ce qu’on ne peut rendre, ce sont les airs de tête, et l’expression caractéristique de chaque figure : tout y est d’un sublime proportionné à une aussi belle idée.

Au surplus, comme il n’est point d’ouvrage sans défaut, celui-ci a essuyé plusieurs critiques, dont quelques-unes sont difficiles à résoudre. D’abord on pourquoi le tombeau s’ouvre en sens contraire, c’est-à-dire pourquoi la pierre qui le ferme, au lieu de se renverser du côté opposé au maréchal, revient sur lui et semble faire obstacle à son entrée, bien loin de la faciliter ? Il faut convenir, malgré tout ce que l’on dit pour excuser l’artiste, que c’est une faute de bon sens, telle qu’il s’en trouve souvent dans les productions du génie. On prétend, en second lieu, que l’Hercule pleurant d’une part, et le Génie de la guerre pleurant de l’autre, pléonasme dans la composition, et n’expriment que la même allégorie d’une façon différente ; ce qui rend le travail de l’artiste plus riche, mais trahit la stérilité de l’inventeur. On reproche au sculpteur d’avoir affaibli l’allégorie, en travestissant en Génie de la guerre cet enfant, qui n’était que l’Amour autrefois, et ajoutait réellement à l’idée du poète. D’autres censeurs disent que le sable est un attribut du Temps, et que c’est un défaut de costume de le donner à la Mort, ainsi que de la voiler. Cette dernière critique paraît tomber sur une hardisse trop ingénieuse de l’auteur pour ne pas la rejeter. Enfin on veut que l’invention du poëme soit de l’abbé Gougenot, amateur éclairé des arts, mort depuis quelque temps[11] et l’on assure que, par une modestie aussi sublime que l’ouvrage même, le sieur Pigalle n’en disconvient pas, et publie lui-même l’anecdote.

  1. Tenu à Versailles, le 27 juin 1770, pour l’enregistrement de lettres-patentes du roi ordonnant le silence le plus absolu sur le procès d’Aiguillon. — R.
  2. Le Parlement de Paris, qui avait évoqué à lui le procès intenté au duc d’Aiguillon par le Parlement de Bretagne, le déclara « prévenu de faits qui entachaient son honneur. » Aidé de la protection de madame Du Barry, d’Aiguillon fit enlever du greffe du Parlement toutes les pièces de sa procédure, qui fut ainsi anéantie. — R.
  3. Voici une autre épigramme sur le même sujet, et qu’on attribue à
    Rulhières :

    Lorsqu’aux abois le pacha d’Aiguillon
    Eut de Linguet déterré le repaire,
    Il le trouva composant un factum
    Qu’il a produit en faveur de Tibère.
    « Or sus, ami, dit le tyran breton.
    Tu sais mon cas ; fais mon apologie. »
    « Vous arrivez, lui dit l’autre, à propos ;
    Vous me trouvez en haleine et dispos :
    Je pelotais en attendant partie. » — R.

  4. V. 11 juin 1770. — R.
  5. Le jeune homme s’appelait Faldoni et la jeune personne Thérèse Monier. — R.
  6. V. 19 juin 1770. — R.
  7. Voici une autre version de cette épigramme :

    Indécemment tu quittas Melpomène,
    Et tu veux, Frétillon, remonter sur la scène ;
    Par la brigue écarter les talens de la cour,
    Et seule avoir l’honneur de paraître au grand jour ?
    C’était assez de gloire, impudente héroïne,
    Que d’avoir en débauche égalé Messaline.

    — R.
  8. V. 7 octobre 1770. — R.
  9. V. 8 juillet 1770. — R.
  10. V. 8 août 1770. — R.
  11. Louis Gougenot, né à Paris le 15 mars 1719, mourut en cette ville le 24 septembre 1767. — R.