Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 3

La bibliothèque libre.
Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 59-82).
◄  Chapitre 2
Chapitre 4  ►

Chapitre iii. — des amendemens.

Section ire.Considérations générales.

On a vu dans le chapitre précédent comment une proportion excessive de quelques-unes des terres élémentaires et même d’humus peut être nuisible au sol, en dérangeant l’équilibre de ses propriétés physiques, en détruisant sa consistance ou sa disposition, soit à retenir, soit à laisser écouler l’humidité, etc.; c’est amender le sol, que de corriger ces défauts par l’emploi de substances ayant des qualités opposées.

Avant d’appliquer des amendemens sur les champs, la première chose est donc de déterminer exactement la nature, les propriétés et les parties constituantes du sol ; la deuxième est de connaître, également d’une manière bien positive, la nature, les propriétés et la composition des substances qu’on veut employer. Ces notions se trouvent enseignées avec détail dans les articles relatifs aux différentes espèces de terre et à leurs propriétés physiques, et les moyens de connaître leur composition se trouvent indiqués dans le § qui traite des indices de la qualité des terres et notamment de leur analyse chimique, nous n’avons pas ici à nous occuper du choix des amendemens en général pour les différentes espèces déterres, choix qui sera suffisamment enseigné en parlant de chaque amendement en particulier.

L’amendement du sol est appelé, par Thaër, une amélioration physique, pour la distinguer de l’amélioration chimique qui consiste dans l’emploi, non seulement des engrais proprement dits, c’est-à-dire des alimens destinés à la nutrition des végétaux, mais encore des stimulans, c’est-à-dire des substances dont le rôle principal parait être de développer ces alimens et d’exciter les organes des plantes à les assimiler. Cette amélioration des qualités physiques de la terre, par l’addition d’une substance dont le mélange corrige les défauts du terrain qu’il s’agit d’améliorer, est sans doute toujours dans l’ordre des choses possibles ; mais les circonstances où elle peut s’opérer avec profit sont loin de se rencontrer constamment.

§ Ier. — Études préliminaires.

En conséquence, avant de songer à employer des amendemens à l’amélioration des terres, le fermier et le propriétaire doivent déterminer rigoureusement les circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés relativement à cette opération. Faisons remarquer avant tout que ces deux classes d’exploitans ne sont pas, sous ce rapport, dans une situation semblable. L’amélioration qui résulte de l’emploi des amendemens ayant des effets durables et quelquefois assez lents, il s’ensuit qu’une opération de cette nature, avantageuse dans certaines conditions pour le propriétaire, peut ne pas l’être dans ces mêmes circonstances pour le fermier, du moins si son bail n’a pas une longue durée. — De même, comme l’extraction et les charrois sont en général les principales dépenses qu’entraînent l’amendement d’une terre, le cultivateur qui a des bras et des moyens de transport économiques à sa disposition, ou qui serait obligé de les laisser chômer s’il ne les appliquait à ce travail, est dans une position qui lui permet de donner à ses champs cette sorte d’amélioration avec avantage, tandis que celui qui serait obligé de la faire exécuter à prix d’argent n’y trouverait que de la perte.

L’examen préliminaire auquel on doit se livrer consiste donc :

1o À bien connaître la nature, l’état et la composition du sol qu’on se propose d’amender ;

2o À rechercher les substances les plus proches et les plus faciles à extraire propres à cet amendement. Les indices géognostiques doivent à cet égard être consultés, et conduiront souvent à d’heureux résultats ; mais ce sont surtout les sondages auxquels on doit demander cette solution : car il arrive assez souvent que les couches inférieures d’un terrain recèlent à une profondeur plus ou moins considérable, sans que rien semble l’indiquera la surface, des substances très-convenables à l’amélioration de la couche cultivable. Les divers moyens d’opérer les sondages seront décrits et figurés dans le chapitre des desséchemens.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Sect. Ire. Considérations générales. 
 ib.
§ Ier. Études préliminaires. 
 ib.
§ 2. Importance de l’usage des amendemens. 
 60
§ 3. Résultats de l’emploi des amendemens sur le sol français. 
 ib.
Sect. II. Des amendemens calcaires. 
 61
Art. Ier. Du chaulage ou de l’emploi de la chaux comme amendement. 
 ib.
§ Ier. Terres auxquelles la chaux convient. 
 ib.
§ 2. Moyens divers d’employer la chaux. 
 ib.
§ 3. Chaulage en usage dans divers pays. 
 62
§ 4. Soins à prendre dans le chaulage. 
 64
§5. Qualités diverses de chaux. 
 ib.
§ 6. Des seconds chaulages. 
 65
§ 7. Doses des chaulages. 
 ib.
§ 8. Conduite à tenir dans les sols chaulés. 
 ib.
§ 9. Effets de la chaux sur le sol. 
 ib.
§ 10. Quantité absorbée par la végétation. 
 ib.
§ 6. De l’épuisement du sol par la chaux. 
 66
Art. II. Du marnage. 
§ Ier. Composition, recherche et choix de la marne. 
 ib.
§ 2. Procédés de marnage dans divers pays. 
 67
§ 3. Doses de marne à donner au sol. 
 68
§ 4. Soins à prendre dans le marnage. 
 69
§ 5. Des seconds marnages. 
 ib.
§ 6. Épuisement des sols par la marne. 
 70
§ 7. Culture du sol après les marnages. 
 ib.
§ 8. Assainissement produit par la marne. 
 ib.
Art. III. Emploi des plâtras ou débris de démolition comme amendemens. 
 ib.
Art. IV. Du falunage ou emploi des coquilles comme amendemens. 
 ib.
Sect. III. Des amendemens stimulans. 
 ib.
Art. Ier. Du plâtre, sulfate de chaux ou gypse. 
 ib.
Art. II. Des diverses sortes de cendres. 
 73
§ Ier. Cendres de bois. 
 ib.
§ 2. — de tourbe et de houille. 
 74
§ 3. — de pyriteuses, ou cendres noires, rouges. 
 75
§ 4. Tangue, cendres de varecs, engrais de mer. 
 76
Art. III. Des substances salines. 
 77
§ Ier. Sel marin ou hydrochlorate de soude. 
 ib.
§ 2. Muriate ou hydrochlorate de chaux. 
 79
§ 3. Sulfate de soude. 
 ib.
§ 4. Nitrate de potasse ou salpêtre. 
 80
§ 5. Remarques générales sur les sels. 
 ib.
Sect. IV. Des amendemens par le mélange des terres. 
 ib.


Section ire.Considérations générales.

On a vu dans le chapitre précédent comment une proportion excessive de quelques-unes des terres élémentaires et même d’humus peut être nuisible au sol, en dérangeant l’équilibre de ses propriétés physiques, en détruisant sa consistance ou sa disposition, soit à retenir, soit à laisser écouler l’humidité, etc.; c’est amender le sol, que de corriger ces défauts par l’emploi de substances ayant des qualités opposées.

Avant d’appliquer des amendemens sur les champs, la première chose est donc de déterminer exactement la nature, les propriétés et les parties constituantes du sol ; la deuxième est de connaître, également d’une manière bien positive, la nature, les propriétés et la composition des substances qu’on veut employer. Ces notions se trouvent enseignées avec détail dans les articles relatifs aux différentes espèces de terre et à leurs propriétés physiques, et les moyens de connaître leur composition se trouvent indiqués dans le § qui traite des indices de la qualité des terres et notamment de leur analyse chimique, nous n’avons pas ici à nous occuper du choix des amendemens en général pour les différentes espèces déterres, choix qui sera suffisamment enseigné en parlant de chaque amendement en particulier.

L’amendement du sol est appelé, par Thaër, une amélioration physique, pour la distinguer de l’amélioration chimique qui consiste dans l’emploi, non seulement des engrais proprement dits, c’est-à-dire des alimens destinés à la nutrition des végétaux, mais encore des stimulans, c’est-à-dire des substances dont le rôle principal parait être de développer ces alimens et d’exciter les organes des plantes à les assimiler. Cette amélioration des qualités physiques de la terre, par l’addition d’une substance dont le mélange corrige les défauts du terrain qu’il s’agit d’améliorer, est sans doute toujours dans l’ordre des choses possibles ; mais les circonstances où elle peut s’opérer avec profit sont loin de se rencontrer constamment.

§ Ier. — Études préliminaires.

En conséquence, avant de songer à employer des amendemens à l’amélioration des terres, le fermier et le propriétaire doivent déterminer rigoureusement les circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés relativement à cette opération. Faisons remarquer avant tout que ces deux classes d’exploitans ne sont pas, sous ce rapport, dans une situation semblable. L’amélioration qui résulte de l’emploi des amendemens ayant des effets durables et quelquefois assez lents, il s’ensuit qu’une opération de cette nature, avantageuse dans certaines conditions pour le propriétaire, peut ne pas l’être dans ces mêmes circonstances pour le fermier, du moins si son bail n’a pas une longue durée. — De même, comme l’extraction et les charrois sont en général les principales dépenses qu’entraînent l’amendement d’une terre, le cultivateur qui a des bras et des moyens de transport économiques à sa disposition, ou qui serait obligé de les laisser chômer s’il ne les appliquait à ce travail, est dans une position qui lui permet de donner à ses champs cette sorte d’amélioration avec avantage, tandis que celui qui serait obligé de la faire exécuter à prix d’argent n’y trouverait que de la perte.

L’examen préliminaire auquel on doit se livrer consiste donc :

1o À bien connaître la nature, l’état et la composition du sol qu’on se propose d’amender ;

2o À rechercher les substances les plus proches et les plus faciles à extraire propres à cet amendement. Les indices géognostiques doivent à cet égard être consultés, et conduiront souvent à d’heureux résultats ; mais ce sont surtout les sondages auxquels on doit demander cette solution : car il arrive assez souvent que les couches inférieures d’un terrain recèlent à une profondeur plus ou moins considérable, sans que rien semble l’indiquera la surface, des substances très-convenables à l’amélioration de la couche cultivable. Les divers moyens d’opérer les sondages seront décrits et figurés dans le chapitre des desséchemens. 3o À étudier la nature, les propriétés et la composition de la substance qu’on se propose d’employer, d’abord chimiquement ; mais cette étude ne suffit pas, attendu les effets très-différens que produisent souvent, en raison de la diversité de leurs propriétés physiques, des matières d’une composition semblable. Si l’on ne connaît pas déjà par avance le mode d’action et les résultats de l’amendement, on doit donc, pour en juger, avoir recours à un essai direct sur le champ à améliorer. Presque toujours l’examen de la manière dont se comportera dans ce cas l’amendement, et les changemens qu’il apportera dès la première année dans les qualités physiques du sol, suffiront pour faire apprécier ses effets, et l’on n’aura pas besoin d’attendre, pour se livrer en grand à l’opération, l’expérience de la culture durant toute la période d’action de l’amendement ;

4o À examiner la situation respective du terrain à amender et du gisement de l’amendement ; ce qui comprend : la distance à parcourir ; la facilité ou la difficulté que le terrain ou les chemins offrent à franchir cette distance ; le plus ou le moins de peines et de travaux que nécessitera l’extraction, en raison des terres supérieures à enlever ou détourner, de la profondeur où git la substance à extraire, de la résistance que présente cette substance à l’emploi de la pioche ou de la pelle ; la possibilité d’amener les voitures de transport à l’endroit même où se fera l’extraction ; etc.

5o Pour les amendemens stimulans qui sont rarement sur le lieu même à la disposition du cultivateur, mais aussi qu’on emploie souvent à de très-faibles doses, les calculs ci-dessus sont remplacés par ceux du prix d’achat et d’expédition, soit dans les villes de commerce, soit dans les centres de production, soit dans les usines où l’on peut se les procurer.

De l’examen des circonstances que nous venons d’énumérer sortira la solution de la question de savoir s’il y aura avantage à opérer l’amendement. En effet, l’agriculteur n’aura plus qu’à comparer entre eux, d’une part, les effets de l’amendement sur ses terres, et par conséquent les résultats qu’il est en droit d’en attendre pour l’accroissement de ses récoltes ou la facilité et l’extension de ses cultures ; d’une autre part, les dépenses qu’entraînera l’opération et qu’il est à même d’établir avec une exactitude suffisante, puisqu’il connaît la dose d’amendement qu’il doit employer, sa situation ou son prix, et par conséquent qu’il lui est facile de calculer approximativement les frais d’extraction, de chargement, ou ceux d’achat, et enfin ceux de transport, d’éparpillement sur le terrain, et du mélange de l’amendement avec la terre végétale.

Il reste maintenant à traiter des divers amendemens et de leur emploi ; ce qui comprend leurs propriétés, leurs effets, leur durée, la dose qu’il convient d’employer, l’époque et la manière de les répandre, etc.

[3:1:2]
§ ii. — Importance de l’usage des amendemens.

La question des amendemens est d’un grand intérêt dans l’agriculture ; ce moyen d’améliorer le sol est trop peu connu et surtout trop peu pratiqué dans une grande partie de la France, et cependant c’est une condition absolument nécessaire à la prospérité agricole d’un pays : le départ. du Nord, la Belgique, l’Angleterre leur doivent en grande partie leur prospérité ; le départ. du Nord dépense tous les ans, sur deux tiers de son sol, en chaux, marne, cendres de mer, cendres pyriteuses, cendres de tourbe et de houille, 1,000,000 de fr.[1], etc. C’est principalement à ces agens d’amélioration que paraît due cette suite non interrompue de fécondité qui étonne tous ceux qui ne voient pas tous les jours leurs produits.

Dans le moment où nous sommes, sur tous les points de la France, l’agriculture, à l’exemple des autres arts industriels, est en travail d’amélioration ; de toutes parts, surtout, en essaie ou on veut essayer la chaux, la marne, les cendres, le noir animal. C’est le point particulièrement en progrès, celui qu’il faut surtout éclairer ; c’est cette pensée qui a présidé à la rédaction de cet article. Depuis près de 30 ans l’auteur s’est livré par goût à l’agriculture ; mais les amendemens calcaires ont été pour lui un sujet spécial d’études, dans la pratique de beaucoup de pays, dans le sien propre, dans ses essais personnels, et dans ce qu’en ont écrit les étrangers et les nationaux.

[3:1:3]
§ iii. — Résultats de l’emploi des amendemens sur le sol français.

Les trois quarts de l’étendue du territoire français ont besoin, pour être fécondés, des agens calcaires ; si le tiers de cette étendue en reçoit déjà, ce que nous croyons au-dessus du vrai, sur les deux autres tiers qui font moitié du tout, les produits agricoles, par cette opération, croîtront de moitié en sus ou d’un quart au total. Mais par ce même moyen, en s’aidant encore de l’écobuage, la plus grande partie des sept millions d’hectares en friche et sans produit donnerait au moins un sixième du produit total actuel ; le produit brut du sol français, accru de plus d’un tiers en sus, pourrait donc occuper et nourrir une population aussi d’un tiers en sus de la population actuelle ; et cette révolution, due successivement au travail du sol, à des améliorations annuelles, qui se ferait avec les accroissemens progressifs des récoltes, serait insensible. L’État croîtrait en force, en vigueur, en richesse, en population active, morale, et qui serait dévouée à la paix et au pays, parce qu’elle prendrait sa part de ce sol nouveau et amélioré.

Sur notre étendue de 54 millions d’hectares, notre population, accrue et portée à 44 millions, où chaque individu a un hectare et quart, serait moins pressée que les 24 millions d’habitans du sol anglais qui n’ont pas un hectare par tête ; et cependant notre sol est au moins aussi bon et il est plus favorisé du climat ; et puis nos voisins consomment au moins un quart ou un cinquième de viande dans leur nourriture, tandis que notre population n’en consomme pas un quinzième. Or, comme il faut douze à quinze fois plus d’étendue pour produire la viande que le pain, il s’ensuit qu’il faut, pour nourrir un Anglais, presque une fois plus d’étendue que pour nourrir un Français ; d’où il résulte qu’avec l’accroissement d’un tiers en sus, notre population serait encore une fois plus au large pour sa nourriture que la population anglaise.

Mais cette prospérité du pays, sans doute encore bien éloignée de nous, vers laquelle cependant nous marchons chaque jour, serait encore bien moindre que dans le département du Nord, où un hectare nourrit presque deux habitans ; et cependant ils ont encore plus du sixième de leur sol en bois, marais et terres non productives ; ils ont en outre un autre sixième de leur meilleur sol en récoltes de commerce qui consomment une grande partie de leurs engrais, et qui s’exportent presque en entier. Ce résultat prodigieux est sans doute dû en partie à une étendue de bon sol plus grande là qu’ailleurs ; mais il est dû surtout, aussi bien qu’en Angleterre, à l’emploi régulier des amendemens.

Après ce grand résultat sur la production, celui sur la salubrité, quoique s’appliquant à de moindres étendues, serait encore très-précieux ; sur un sixième au moins de notre sol, la population est maladive, sujette à des fièvres intermittentes souvent funestes, et les morts dépassent les naissances. Eh bien ! sur ce sol sans marais les agens calcaires détermineraient une progression de population croissante, celle qui règne dans nos pays sains, et comme le travail s’offrirait de tous côtés, ces pays assainis seraient bientôt ceux où la population serait la plus heureuse, la plus riche, et croîtrait le plus rapidement.

Section ii. — Des amendemens calcaires.

Les principales substances que nous comprenons sous le nom d’amendemens calcaires sont la chaux, la marne, les plâtras et débris de démolition, le falun ou substances coquillères.

[3:2:1]
Article ier. — Du chaulage ou de l’emploi de la chaux comme amendement.
[3:2:1:1]
§ ier. — Des terres auxquelles la chaux convient.

Nous avons vu qu’au milieu de l’immense variété des substances et des combinaisons diverses qui composent les premières couches terreuses du globe, trois substances, la silice, l’alumine et la chaux, forment à peu-près exclusivement la surface du sol. Nous avons vu également quels sont les qualités et les défauts des terres où domine l’un ou l’autre de ces principes. Les amendemens bien appropriés portent avec eux sur les sols les qualités qu’ils n’ont pas, et c’est notamment le principe calcaire et ses diverses combinaisons qu’on emploie à cet effet. Il suffit de les y répandre en petite proportion : une quantité de chaux qui ne dépasse pas un millième de la couche labourable, une même proportion de cendres lessivées, un deux-centième de marne, suffisent pour modifier la nature, changer les produits, accroître de moitié les récoltes dans le sol qui ne contient pas le principe calcaire.

La chaux convient aux sols qui ne contiennent pas déjà en excès les combinaisons calcaires. Tout sol composé de débris granitiques, de schistes, presque tous les sols sablo-argileux, ceux humides et froids de ces immenses plateaux argilo-siliceux qui lient entre eux les bassins des grandes rivières ; le terrain sur lequel la fougère, le petit ajonc, la bruyère, les petits carex blancs, le lichen blanchâtre viennent spontanément ; presque tous les sols infestés d’avoine à chapelet, de chiendent, d’agrostis, d’oseille rouge, de petite matricaire ; celui où l’on ne recueille que du seigle, des pommes-de-terre et du blé noir ; où l’esparcette et la plupart des végétaux de commerce ne peuvent réussir ; où cependant les bois de toute espèce, et surtout les essences résineuses, le pin sylvestre, le pin maritime, le mélèze, le pin Weimouth et les châtaigniers réussissent mieux que dans les meilleures terres ; tous ces sols ne contiennent pas le principe calcaire ; et tous les amendemens où il se rencontre leur donneront les qualités et y feront naître les produits des sols calcaires.

Mais là, plus encore qu’ailleurs, il faut se garder de trop de hâte ; les chaulages, sur une grande échelle, ne doivent se faire qu’après avoir réussi dans des essais en petit, sur plusieurs points de l’exploitation.

Étendue du sol auquel la chaux convient. — Une grande partie du sol français ne contient pas le principe calcaire : les pays primitifs, les montagnes dont la roche n’est pas calcaire, une foule de ceux dont le sous-sol renferme des formations calcaires, la grande et dernière alluvion qui a couvert la surface et qui la compose encore partout où les eaux en se retirant ne l’ont pas entraînée ; toute cette étendue, qui compose au moins les trois quarts du sol français, demande, pour être fécondée, des amendemens calcaires. En admettant qu’un tiers de ce sol reçoive déjà de la chaux, de la marne, des cendres de bois, de tourbe, du noir d’os, des os pilés, il resterait encore la moitié du sol français à féconder, tâche immense sans doute, mais dont le résultat serait bien plus prodigieux encore, puisqu’on verrait croître de moitié en sus tous les produits de cette grande étendue.

[3:2:1:2]
§ ii. — Des divers moyens d’employer la chaux sur le sol.

Trois procédés principaux sont en usage pour répandre la chaux. Le premier et le plus simple, celui qu’on emploie dans la plupart des lieux où la chaux est à bon marché, la culture peu avancée, la main-d’œuvre chère, consiste à mettre la chaux immédiatement sur le sol par petits tas, distans entre eux de 20 pieds (6 m. 30) en moyenne (fig. 45), et contenant, suivant les doses du chaulage, depuis un demi-pied (18 déc.) jusqu’à un pied (36

déc.) cube. Lorsque la chaux, par suite de son exposition à l’air, est réduite en poussière, on la répand sur le sol de manière à ce qu’elle y soit exactement répartie.
Le deuxième procédé diffère du premier en ce qu’on recouvre chaque tas d’une couche de terre, de 6 pouces (0 m. 16) à un pied (0 m. 33) d’épaisseur (fig. 46), suivant la grosseur des tas, et qui équivaut à cinq ou six fois le volume de la chaux éteinte ; lorsque la chaux commence à se gonfler pour fuser, on remplit de terre les fentes et les crevasses qui se font dans la terre de l’enveloppe, et lorsqu’elle est réduite en poussière, on remanie chaque tas en mélangeant la terre et la chaux. Si rien ne presse dans les travaux, on recommence quinze jours après cette même opération, et après une troisième quinzaine on étend le tout sur le sol.

Le troisième procédé, usité dans les pays les mieux cultivés, lorsque la chaux est chère, et qui réunit tous les avantages des chaulages, sans offrir aucun de leurs inconvéniens, consiste à faire des composts de chaux et terre ou terreau. Pour cela on fait un premier lit de terre, terreau ou gazon d’un pied (0 m. 33) d’épaisseur, d’une longueur double de sa largeur ; on recoupe les mottes de terre ; on recouvre d’un lit de chaux d’un hectolitre par 20 pi. (6m.50) ou d’un tonneau par 45 pi. cubes de terre ; sur cette chaux on place un second lit de terre, puis un second de chaux, et successivement un troisième lit de terre et de chaux qu’on recouvre encore de terre. Si la terre est humide et la chaux récente, huit à dix jours suffisent pour fuser la chaux ; on coupe alors et on mélange le compost ; on le recoupe une seconde fois avant l’emploi, qu’on retarde autant que possible, parce que l’effet sur le sol est d’autant plus puissant que le mélange est plus ancien, plus parfait, et surtout lorsqu’il aura été fait avec de la terre contenant plus d’humus. Cette méthode est la plus usitée en Belgique, en Flandre ; elle devient presque exclusive en Normandie ; elle est seule pratiquée, et avec le plus grand succès, dans la Sarthe. La chaux en compost ne nuit jamais au sol, elle porte avec elle le surplus d’engrais que demande le surplus de produit. Les sols légers, graveleux ou sablonneux ne peuvent jamais en être surchargés. Enfin, ce moyen nous semble le plus sûr, le plus utile et le moins dispendieux d’appliquer la chaux au sol.

La réduction de la chaux en poussière par le moyen de l’immersion momentanée dans l’eau avec des paniers à anse, peut beaucoup hâter le chaulage, soit qu’on le fasse immédiatement sur le sol ou par le moyen d’un compost ; quelques heures alors suffisent au lieu d’une quinzaine de jour d’attente. Si de grandes pluies surviennent, cette manipulation n’est pas sans inconvéniens, parce qu’alors la chaux se met plus facilement en pâte, et c’est ce qu’on doit éviter par-dessus tout.

La réduction de la chaux en poussière, qu’elle soit spontanée ou par immersion, produit dans les composts un volume moitié en sus de la chaux en pierre : 10 pieds (68 c.m. 81) cubes en produisent 15 (89 c.m. 53), ou un tonneau produit 10 pieds cubes.

[3:2:1:3]
§ iii. — Chaulages en usage dans divers pays.
i. — Chaulages dans le département de l’Ain.

Les chaulages dans ce pays datent de 50 ans ; le sol chaulé à cette époque est encore plus productif que le sol voisin non chaulé ; toutefois les chaulages ne font que commencer à prendre de l’extension, tandis que les marnages, entrepris 15 ans plus tard, ont déjà couvert plusieurs milliers d’hectares ; c’est que le marnage est une opération à la portée des cultivateurs pauvres, parce qu’il s’accomplit avec de la main-d’œuvre seulement, tandis que le chaulage demande des avances considérables, surtout dans ce pays où la chaux est chère et où la dose employée est forte.

En effet, les doses varient de 60 à 100 hectolitres par hectare, suivant la nature du terrain ou plutôt suivant le caprice du cultivateur.

Quoique ces chaulages n’aient pas été faits avec tout le soin et l’économie désirables, ils ont été très-efficaces, lorsque le sol qu’on a chaulé a été suffisament égoutté.

Le dépouillement des registres des produits de trois domaines contigus, pendant 12 ans, 3 avant et 9 pendant les chaulages, nous donne le moyen d’apprécier leurs résultats. Les quantités de semences et produits sont calculés en doubles décalitres.

Tableau du produit du domaine de la Croisette.
ANNÉES SEIGLE FROMENT
Semences Produits Semences Produits
1822 110 600 24 146
1823 110 764 24 136
1824 110 744 24 156
1825 107 406 27 251
1826 106 576 28 210
1827 100 504 30 249
1828 90 634 36 391
1829 82 538 48 309
1830 60 307 60 459
1831 78 350 48 417
1832 55 478 68 545
1833 61 529 52 545
Tableau du produit du domaine de Meyzériat.
ANNÉES SEIGLE FROMENT
Semences Produits Semences Produits
1822 120 487 16 100
1823 120 708 16 103
1824 120 644 18 84
1825 112 504 28 228
1826 120 677 20 115
1827 115 594 20 162
1828 118 726 40 328
1829 104 566 41 277
1830 79 298 71 477
1831 91 416 43 326
1832 79 411 75 786
1833 76 661 48 351
Tableau du produit du domaine La Baronne.
ANNÉES SEIGLE FROMENT
Semences Produits Semences Produits
1822 110 505 22 180
1823 110 652 22 138
1824 110 662 24 149
1825 102 398 32 252
1826 110 612 32 187
1827 107 546 34 204
1828 98 696 35 343
1829 84 608 40 268
1830 91 389 59 374
1831 92 411 40 295
1832 70 512 80 471
1833 75 511 51 471

L’emploi de 3,000 hectolitres de chaux d’une valeur de 6,000 fr. sur 32 hectares de terrain, fait successivement pendant 9 ans, a donc plus que doublé le produit des céréales d’hiver, semences prélevées. Les autres récoltes du domaine ont reçu un accroissement proportionnel, et le revenu du propriétaire en doublant s’est accru annuellement des deux tiers au moins de la somme capitale dépensée en achats de chaux, et cependant il n’y a pas encore la moitié du sol labourable chaulé, puisque sur 76 hectares de terre, 32 seulement ont reçu l’amendement.

D’autres exemples nombreux appuient ces résultats, et il en ressort particulièrement que le produit du froment s’accroît de deux à trois semences, que les terres à seigle passent du produit de 4 à 5 en seigle à 7 à 8 en froment, et que les autres produits ont un accroissement analogue. L’amélioration est beaucoup plus considérable sur les mauvais fonds que sur les bons, puisqu’il est de deux tiers en sus dans les terres à froment, et que la récolte est triple en valeur dans les terres à seigle.

ii. Chaulages flamands.

L’usage des amendemens calcaires dans le département du Nord comme dans la Belgique, paraît aussi ancien que leur bonne agriculture ; il est beaucoup moins fréquent en Belgique. Des chaulages anciens et successifs ont, à ce qu’il semble, fourni à de grandes parties de ce sol ce qui lui en est pour le moment nécessaire ; mais le départ. du Nord reçoit encore de la chaux, de la marne ou des cendres partout à peu près où la chaux n’entre pas comme composant du sol. On distingue dans le pays le chaulage foncier et le chaulage d’assolement ; le premier consiste à donner au sol, tous les dix à douze ans, avant la semaine d’automne, 4 mètres cubes ou 40 hectolitres de chaux par hectare ; on mêle le plus souvent à la chaux en poudre des cendres de houille et de tourbe qui entrent dans le mélange dans la proportion d’un tiers à moitié.

Le chaulage à tous les renouvellemens d’assolement ou sur les grains de mars, se donne en compost ; il est d’usage régulier dans ce pays, plus encore qu’en Belgique, sur les prairies ou pâtures froides qui ne reçoivent pas des eaux d’irrigation ; il en réchauffe le fonds, accroît et améliore les produits ; plus le compost est ancien, plus grand est l’effet : il se prolonge pendant 15 ou 20 ans, au bout desquels on recommence.

Les chaulages de Normandie, les plus anciens de France, se sont soutenus dans les environs de Bayeux, pendant qu’ailleurs on les défendait dans les baux. Cependant maintenant ils gagnent toute la surface qui en a besoin ; mais au lieu d’être employée immédiatement sur le sol, comme dans les anciens chaulages, la chaux est presque toujours mise en compost.

iii. Chaulages de la Sarthe.

De tous les procédés, ceux de la Sarthe semblent à préférer ; ils sont à la fois économiques, productifs et garantissent le sol de tout épuisement. Ils ont lieu tous les trois ans, à chaque reprise d’assolement, à la quantité moyenne de 10 hectolitres par hectare, en compost fait à l’avance avec 7 à 8 volumes de terreau ou de bonne terre contre un de chaux. On emploie le compost sur le sol pour la semaille d’automne, en rangs alternatifs avec le fumier. Ce procédé, dont le succès s’accroît de jour en jour, se répand sur les bords de la Loire et semblerait devoir être adopté partout où le sol s’égoutte facilement.

Nous croyons devoir insister sur la convenance et les avantages éminens de l’emploi simultané de la chaux et des engrais. Ici on fait mieux encore, en employant simultanément le compost de chaux terreauté et le fumier ; aussi, depuis un demi-siècle que les Manceaux ont commencé leur chaulage, la fécondité du sol n’a pas cessé de s’accroître.

Les pays dont nous avons parlé sont ceux de France où le chaulage est le plus étendu ; cependant plus de la moitié des départemens en a, je pense, commencé l’usage, et dans un quart il est tout-à-fait établi. Sans doute les premiers essais ne réussissent pas partout ; il faut une réunion de conditions rares pour que des essais, même couronnés de succès, soient imités par les masses ; cependant les succès se multiplient et deviennent des centres d’impulsion qui propageront l’amélioration.

iv. Chaulages anglais.

Les chaulages anglais semblent établis sur un tout autre principe que les chaulages français ; ils sont pratiqués avec une telle prodigalité, que l’amélioration sur le sol chaulé a souvent lieu pour n’y plus revenir. Pendant qu’en France on se contente de donner depuis un millième jusqu’à un centième de chaux à la terre labourable, depuis 10 jusqu’à 100 hectolitres par hectare, on en donne en Angleterre depuis un jusqu’à six-centièmes, ou depuis 100 jusqu’à 600 hectolitres par hectare. Le plein succès de la méthode de notre pays nous fait regarder la méthode anglaise comme une prodigalité sans nécessité. On sacrifie un capital cinq, six, dix fois plus fort pour n’avoir pas un résultat supérieur ; et, à moins de prodiguer à la suite les engrais, on peut même compromettre entre les mains d’un cultivateur avide l’avenir de son sol. Toutefois, il paraît en être résulté peu d’inconvéniens, probablement en raison du terrain, dans les sols très-humides ; on a sans doute par là assaini le sol, et sa nature semble modifiée pour un long avenir.

v. Chaulages superficiels.

En Allemagne, où les chaulages et les marnages, comme la plupart des améliorations agricoles, ont pris depuis peu un grand développement, outre les procédés ordinaires, on trouve l’emploi de la chaux superficielle. On saupoudre au printemps le seigle avec un compost contenant 8 à 10 hectolitres de chaux par hectare, quinze jours après avoir semé du trèfle.

On l’emploie aussi immédiatement sur le trèfle de l’année précédente, en poussière et éteinte dans l’eau de fumier, à une dose moitié moindre. Son effet sur le trèfle et le froment qui le suit est très-avantageux.

En Flandre, lorsqu’on emploie la chaux mêlée avec les cendres, c’est particulièrement pour les prairies naturelles et artificielles. L’emploi s’en fait donc à la surface.

[3:2:1:4]
§ iv. — Soins à prendre dans le chaulage.

Quel que soit le procédé en usage pour l’emploi de la chaux, il est essentiel que, comme tous les amendemens calcaires, elle soit employée en poudre et non en pâte, sur le sol non mouillé. On doit absolument éviter, avant de la recouvrir, toute pluie qui la mouillerait, la réduirait en grumeaux ou en pâte, ce qui nuit essentiellement à son effet, plus encore que le raisonnement ne peut l’expliquer.

Elle ne doit être placée que sur un sol dont la couche végétale et la surface s’égouttent naturellement. Dans un sol marécageux, à moins que la couche supérieure ne soit bien desséchée, dans un sol très-humide, dont l’eau de la surface ne s’écoule pas très facilement, les propriétés de la chaux restent comme enchaînées, et ne se font apercevoir que lorsque, par de nouveaux travaux, on a assaini et égoutté la couche végétale.

Dans un sol argileux et très-humide, l’emploi de la marne, qui se fait en grande masse, est préférable à celui de la chaux, parce qu’elle peut assainir plus puissamment la couche végétale productrice. Dans un sol de cette nature, un labour profond est une condition préliminaire essentielle au succès du chaulage et du marnage, parce qu’en augmentant l’épaisseur de la couche cultivée, on augmente aussi les moyens d’assainir la surface.

Les sols légers, graveleux ou sablonneux, ne peuvent en être surchargés ; car l’emploi irréfléchi de la chaux peut devenir dangereux dans ces sortes de sols lorsqu’ils sont très-chauds et peu profonds. Il n’est pas sans exemple qu’elle ait brûlé des récoltes.

Pour que la chaux produise son effet sur la première récolte, elle doit être mélangée au sol quelque temps avant la semaille ; cependant, lorsqu’on l’emploie en compost, il suffit que le compost soit anciennement fait.

La chaux ou le compost répandus secs sur le sol sec doivent être enterrés par un premier labour peu profond ou demi-labour précédé d’un petit hersage, afin que la chaux, dans la suite de la culture, reste toujours autant que possible placée au milieu de la couche végétale. En effet, la chaux réduite en molécules tend à s’enfoncer dans le sol, elle glisse entre les parties ténues d’argile et de silice, et descend au-dessous de la sphère de nutrition des plantes, s’arrête sous la couche labourable, et lorsqu’elle s’y trouve abondante, elle y forme par ses combinaisons une espèce de plancher qui arrête les eaux et nuit beaucoup aux recolles ; c’est là l’inconvénient de la chaux en grande dose enterrée par des labours profonds.

[3:2:1:5]
§ v. — Qualités diverses de chaux.

Il est nécessaire de connaître la qualité de la chaux que l’on emploie : la chaux peut être pure ou mélangée de silice, d’argile ou de magnésie. La chaux pure est la plus économique, la plus active, celle qui peut produire le plus d’effet sous le moindre volume.

La chaux mêlée de silice s’emploie en plus grande quantité ; elle prend le nom de chaux chaude comme celle qui précède, dont elle diffère peu dans l’emploi, sinon qu’il en faut davantage.

La chaux mélangée d’argile est la même que la chaux hydraulique ou chaux maigre des constructeurs ; il paraît que les deux premières favorisent davantage la grenaison, tandis que celle-ci est plus favorable au fourrage, à la croissance de la paille, aux légumineuses ; elle ménage davantage le sol, mais demande une dose plus forte.

La chaux magnésifère agit d’une manière très-active, mais épuise le sol si on la donne en grande dose ou si on ne la fait pas suivre d’engrais abondans ; elle a épuisé quelques cantons d’Angleterre, des provinces entières d’Amérique, et c’est à elle que sont dus la plupart des reproches qu’on fait à la chaux.

On peut, à l’aide de procédés chimiques fort simples, s’assurer de la nature de la chaux qu’on emploie. (Voyez la sect. qui traite de l’analyse des sols, à la fin du chap. précédent.)

[3:2:1:6]
§ vi. — Des seconds chaulages.

Lorsque le champ chaulé revient à l’état où il était avant l’opération, que les mêmes végétaux inutiles y reparaissent, que les récoltes baissent dans leurs produits, il est temps de revenir à la chaux. L’époque d’un second chaulage dépend de la dose du premier ; lorsque la dose a été petite, il faut, comme les Flamands et les Manceaux, la recommencer en entier ; lorsqu’elle a été forte, on peut la réduire de moitié. On doit d’ailleurs, dans cette circonstance, prendre conseil de l’état du sol et de l’expérience, parce qu’il est des terrains qui demandent et consomment de plus fortes doses que d’autres.

[3:2:1:7]
§ vii. — Doses des chaulages.

Les doses des premiers, comme des seconds chaulages, varient avec la consistance des sols ; elles doivent être faibles dans les sols légers et sablonneux, elles peuvent sans inconvénient être fortes dans les terrains argileux. La dose doit aussi varier suivant que le sol est plus ou moins bien égoutté ; les faibles doses, dans un sol où les eaux ne s’écoulent pas facilement, sont peu sensibles ; mais, si la dose est forte et les labours profonds, la chaux facilite l’écoulement et l’assainissement de la terre. On conçoit que la dose doit aussi s’accroître avec la quantité annuelle de pluies qui tombe dans un pays, parce qu’à mesure que cette quantité s’accroît, les conditions de l’écoulement du sol deviennent plus difficiles.

Toutefois, les procédés des départemens du Nord et de la Sarthe semblent nous avoir indiqué la dose moyenne de chaux qui convient en général au sol. Ainsi, le chaulage foncier du Nord, qui tous les dix ou douze ans donne au sol 40 hectol. de chaux par hect., un peu plus de 3 hectol. par an, concorde avec celui de la Sarthe qui en donne 8 à 10 hectolitres tous les trois ans ; le 1er donne en une fois ce que l’autre distribue petit-à-petit. Comme tous deux sont une moyenne, on pourrait en induire que la terre demande par an 3 hectol. de chaux par hect., pour soutenir sa fécondité. Cependant, comme ni le sol ni les plantes ne consomment cette chaux, il est à croire qu’au bout d’un temps plus ou moins long le sol en aura reçu assez pour n’en avoir plus besoin pendant un certain espace de temps.

[3:2:1:8]
§ viii. — Conduite à tenir dans les sols chaulés.

Après avoir doté son sol d’une grande fécondité, l’avoir mis dans le cas de produire les récoltes les plus précieuses, qui sont souvent les plus épuisantes, il faut le ménager, lui donner des engrais en compensation des produits obtenus, employer en litière et non en nourriture les pailles accrues de moitié, faire produire des fourrages à un sol qui désormais les porte avec avantage, modifier enfin l’ensemble et les détails de sa culture d’après les forces nouvelles de son sol, les prix de commerce et les convenances locales.

Toutefois, il ne faut pas se presser de changer d’assolement : une pareille opération est longue, difficile, très-dispendieuse, et ne doit être faite qu’avec une grande maturité.

[3:2:1:9]
§ ix. — Effets de la chaux sur le sol.

Les effets de la chaux, quoique analogues, ne sont point identiques avec ceux produits par la marne, et les qualités des sols chaulés diffèrent en quelques points de celles des sols calcaires : le blé d’un fonds chaulé est plus rond, plus fin, donne moins de son et plus de farine que celui d’un sol non chaulé, d’un sol calcaire ou d’un sol marné ; le grain du sol marné est plus gris, donne plus de son et ressemble au blé sur trèfle, quoiqu’il lui soit préférable : le blé du sol chaulé a plus d’analogie avec celui produit par les terres amendées avec les cendres lessivées. Le sol chaulé craint moins la sécheresse pour sa semaille que le sol calcaire ou le sol marné ; il n’est pas sujet à laisser verser, dans le printemps, sa récolte au moment de sa floraison, lorsque la semaille a été faite dans une terre sèche.

Dans le sol chaulé, les mauvaises herbes et les insectes disparaissent ; la terre prend de la consistance lorsqu’elle est trop légère, et s’adoucit lorsqu’elle est trop argileuse. La surface du sol argilo-siliceux, auparavant unie et blanchâtre, s’ameublit, et devient rousse et comme cariée, elle sèche, durcit et se fend par la chaleur, et fuse et se délite par la pluie qui succède ; cet ameublissement spontané facilite beaucoup la main-d’œuvre du cultivateur, le travail et la marche des racines dans le sol, et l’action réciproque de l’atmosphère sur le sol qui reste ouvert à ses influences.

[3:2:1:10]
§ x. — Quantité de chaux absorbée par la végétation.

Les végétaux des sols calcaires ou devenus tels par amendement, renferment dans leurs cendres 30 pour cent de carbonate ou de phosphate de chaux qui sont perdus pour le sol ; mais le produit du sol chaulé, de qualité moyenne, est à peu près, pendant les 2 années de l’assolement, de 20 milliers pesans de produits secs par hectare, qui contiennent un peu moins d’un hectolitre de chaux ; la végétation en a donc employé un demi-hectolitre par an. Nous avons vu qu’il en fallait en moyenne, par an, 3 hectol. par hectare, la végétation n’absorbe donc en nature qu’un 6e de la chaux qu’on donne avec profit au sol ; les 5 autres 6es se perdent, sont entraînés par les eaux descendues aux couches inférieures du sol, se combinent ou servent à former d’autres composés : une portion encore sans doute reste en nature dans le sol et sert à former cette réserve qui, à la longue, dispense, pendant longues années, de continuer les chaulages.

[3:2:1:11]
§ xi. — De l’épuisement du sol par la chaux.

La chaux, dit-on, n’enrichit que les vieillards ou enrichit les pères et ruine les enfans : c’est là effectivement ce qu’a prouvé l’expérience, lorsque dans les sols légers chaulés abondamment ou sans l’intermédiaire des composts, on a fait des récoltes successives de grains, sans rendre au sol des engrais dans une proportion convenable, ou quand la magnésie mêlée à la chaux a porté dans le sol son influence malfaisante ; mais, lorsque la chaux a été employée avec mesure, que sans surcharger le terrain de récoltes épuisantes on les a alternées avec les fourrages, qu’on a donné au sol des engrais en proportion des produits obtenus, le cultivateur prudent voit alors continuer la fécondité nouvelle que la chaux lui a apportée, sans que son sol donne aucun signe d’épuisement.

Nulle part on ne parle de sols argileux qui aient eu à se plaindre de la chaux, et la fécondité s’est soutenue dans les sols légers toutes les fois que la chaux y a été employée en composts et avec modération.

En Amérique, là où la chaux d’écaillés d’huîtres a pris la place de la chaux magnésienne, les plaintes sur les effets épuisans de la chaux ont cessé.

[3:2:2]
Art. ii.Du marnage ou de l’emploi de la marne comme amendement.
[3:2:2:1]
§ ier. — Composition, recherche et choix de !a marne.

Nature et composition de la marne. — La marne est un composé de carbonate de chaux et d’argile plus ou moins sablonneuse ; on la trouve en général sur les bords des plateaux en grand nombre que présentent les terrains d’alluvion, et sous la couche qui les forme, à plus ou moins de profondeur. Ainsi, la Sologne, sur tous les bords et dans la plupart des bassins qui la sillonnent ; la Bresse, sous ses terrains blancs ; les environs de Toulouse, sous ses boulbennes ; la Puisaye, sous ses blanches terres ; la Normandie, sous ses terres froides, trouvent la marne comme placée par une main bienfaisante pour donner à ces sols l’activité et les moyens de production que la nature ne leur avait pas départis.

La marne se présente sous différens aspects et sous diverses variétés qui offrent une composition très-variable. Elle durcit à mesure que la quantité de carbonate de chaux augmente jusqu’à 70 pour 100 où elle commence à devenir pierreuse ; passé 80 p. 100 elle cesse d’être utilement employée dans le sol. On rencontre des marnes en poudre qui contiennent une très grande proportion de carbonate de chaux.

Les différentes compositions et les changemens d’aspect ont fait diviser la marne en argileuse, sablonneuse et pierreuse, dénominations un peu vagues, il est vrai, mais qui cependant sont utiles dans la pratique.

Recherche de la Marne. — L’importance de la marne en agriculture doit la faire rechercher partout où elle peut être de quelque utilité. Les tussilages, l’ononis, les sauges, le trèfle jaune, les ronces, les chardons, le mélampyre, sont ordinairement un indice des sols dans lesquels la marne se trouve à peu de profondeur : les creusemens de fossés, de puits la mettent souvent au jour ; plus souvent encore on la trouve en arrachemens sur les pentes ; les couches sablonneuses l’annoncent aussi : presque toujours elles la recouvrent ou la supportent.

Si aucun de ces signes ne l’indique, on peut la rechercher par des sondages dans les parties inférieures du sol ; mais les grands sondages engageant dans de fortes dépenses, l’extraction de la marne ne se ferait qu’à grands frais, et le plus souvent on rencontre des cours d’eau souterrains qui s’opposent à toute exploitation économique. Toutefois, lorsque l’eau ne nuit pas, l’extraction à de grandes profondeurs est encore beaucoup moins dispendieuse que son transport de lieux éloignés. Les extractions de marne à de grandes profondeurs ne sont pas nouvelles en France. Pline parle de marne qu’on tirait dans les Gaules à plus de cent pieds de profondeur ; en Normandie, on en extrait encore de cette manière : dans ce cas un manège à bœuf ou à cheval peut beaucoup diminuer la main-d’œuvre.

Dans les sols où l’eau arrive à peu de profondeur, les grands sondages sont inutiles, une petite sonde (fig. 47) suffit : elle consiste en une barre de fer de 10 à 12 pieds de longueur qui se termine par une pointe aciérée surmontée d’une cuiller ; on la manœuvre avec un manche de tarière que traverse la barre, qui s’élève ou s’abaisse à volonté et se fixe par une vis de pression.

La marne est plus près de la surface dans les endroits où la terre paraît plus sèche, où le sol argilo-siliceux est rougeâtre plutôt que gris. Lorsqu’on l’a trouvée, si elle n’est pas profonde, il est préférable de la tirer à ciel ouvert ; dans ce cas quelques veines d’eau ne doivent pas empêcher l’extraction : on met à fond dans un jour tout ce qu’on a commencé ; l’eau pendant la nuit remplit le creux de la veille, et le lendemain on s’en débarrasse, ou l’on fait une extraction à côté en laissant un contrefort du côté de l’eau.

Lorsqu’on a trouvé la marne, ou ce qu’on croit en être, car rien ne simule mieux la marne terreuse que certaines argiles, on s’assure de sa nature en la touchant avec de l’acide nitrique, muriatique ou même de fort vinaigre ; un mouvement d’effervescence annonce de la marne, mais on n’a que de l’argile si l’acide s’étend sans boursoufflement. D’autre part, si on jette dans l’eau un morceau de marne sèche, il y a sur-le-champ une légère ébullition, ses molécules s’écartent l’une de l’autre comme repoussées à distance, et elles tombent en bouillie au fond du vase ; c’est là encore un des caractères spécifiques qu’elle communique au sol à un haut degré.

Tous ces caractères ne se rencontrent pas au même degré dans la marne pierreuse ou dans la marne argileuse : la marne pierreuse a souvent besoin sur le sol du secours des gelées pour se déliter.

Sols auxquels la marne convient. — La marne agit par le carbonate de chaux qu’elle porte au sol, car l’argile seule ne produit sur le sol qu’un effet mécanique ; la plus petite quantité du principe calcaire se fait sentir au sol qui n’en contient pas, mais dans les sols calcaires son emploi est le plus souvent nuisible. L’emploi sur le sol de quelques tombereaux de marne, avant la semaille d’hiver ou de printemps, décide mieux la question que tout autre essai.

[3:2:2:2]
§ ii. — Procédés de marnages dans divers pays.

Il y a encore plus de variations dans les marnages que dans les chaulages. Le plus souvent, dans un pays, les marnages sont dus au hasard : des terres de fouille, de fossés, de puits, ont été épanchies sur le sol, y ont produit une fécondité inattendue ; si le cultivateur est actif et entreprenant, il étend l’opération à ses autres fonds, et s’il inspire de la confiance à ses voisins, les marnages se propagent ; mais alors les procédés se règlent au hasard, et les doses sont presque toujours trop fortes, parce qu’on ne croit pas pouvoir trop donner au sol de cette substance fécondante.

Nous ne trouvons pas entre les marnages anglais et français les mêmes disparates que pour la chaux. Ce que nous devons surtout imiter des Anglais, c’est l’association du fumier à la marne ; souvent ils les réunissent en compost ; leurs doses de marne sont plus ou moins fortes, suivant qu’il s’agit de 1er  ou de 2e  marnages ; les 1ers sont de 4 à 5 lignes (9 à 12 mm.) d’épaisseur sur la surface, et les seconds du tiers au plus, et se succèdent tous les 15 ou 20 ans. Les doses varient ensuite suivant le plus ou moins de consistance des sols, la richesse ou la pauvreté de la marne. Dans quelques cantons on marne les pâturages et les prés non arrosés ; on emploie la marne pour accroître les fourrages et la chaux pour les grains. Le marnage a fait changer de face à plusieurs comtés ; le Norfolk, jadis couvert de bruyères et de landes, est devenu, par suite des marnages, la province modèle en agriculture. La marne pierreuse, sous le nom de graviers calcaires, féconde de grandes étendues. En Irlande, on en a mis sur le sol une quantité telle qu’on a tout-à-fait changé sa nature et qu’on ne sera plus dans le cas d’y revenir.

Les marnages en Flandre sont aussi anciens que les chaulages ; ils y sont devenus une opération régulière d’agriculture, et consistent en 22 voitures à deux chevaux par hectare, d’une marne pierreuse très-riche : cette dose équivaut à peu près à 500 pieds (17 m.,13) cubes par hectare, couvre à peine le sol de 2/3 de ligne (1 mm.5), et forme un centième de la couche labourable. Les arrondissemens de Bergues et de Hazebrouck l’emploient sur les deux tiers de leur surface, et les autres arrondissemens en usent en moins grande quantité parce qu’ils emploient plus de chaux. On tire la marne pierreuse des environs de St . Omer ; elle coûte de 4 à 6 fr. la voiture, parce qu’on va souvent la prendre à plus d’une lieue. On renouvelle les marnages tous les 20 à 30 ans : ce marnage coûte trois fois autant que le chaulage sur des fonds tout-à-fait analogues, c’est-à-dire de 4 à 6 fr. par hectare et par an en moyenne, tandis que le chaulage ne revient que de 1 fr. 50 c. à 2 fr.

Les marnages sur le plateau argilo-siliceux de la Puisaye (Yonne) sont faits avec une marne pierreuse et très-abondamment ; ils s’élèvent à 3,000 pieds (103 m.) cubes par hectare, forment une couche sur le sol de 4 lignes (9 mm.) d’épaisseur d’une marne qui contient 80 p. 100 de carbonate de chaux : cette abondance s’explique, parce que la marne se délite assez difficilement, et qu’un hiver et souvent même plusieurs années ne suffisent pas pour cela. Le marnage avait lieu sur quelques points de temps immémorial, aussi les doses n’y sont que du tiers ou du quart de cette quantité ; ils n’ont commencé à s’étendre que depuis 40 ou 50 ans : maintenant la surface est marnée presque tout entière, et le sol a triplé de valeur partout où il a reçu cette amélioration.

Les marnages des environs de Montreuil en Picardie couvrent le sol d’une ligne (2 mm.) d’épaisseur à peu près d’une marne précieuse qu’on extrait sous le sol même par des puits ; ce marnage, qu’on renouvelle tous les 20 ans, coûte 20 fr. par hectare.

Les marnages de la Normandie, ceux de la Haute-Garonne, ne nous apprendraient rien d’important ; ceux de l’Isère peuvent au contraire nous donner d’utiles leçons. Ils se font sur un sol de graviers siliceux avec une marne graveleuse qui appartient au sous-sol : ce sol fait partie de la grande alluvion de graviers siliceux rougeâtres qui couvre les 3/4 du fond du bassin du Rhône, et qui se compose de débris roulés des Alpes primitives liés entre eux par une terre rougeâtre. Ces marnages dus au hasard et faits avec une marne à portée, sont très-abondans ; ils couvrent le sol d’une couche de 4 à 5 lignes (10 mm.) d’une marne sablonneuse qui contient depuis 30 jusqu’à 60 p. 100 de carbonate de chaux. Cette quantité de marne jetée sur un sol aride double au moins ses produits : l’agriculteur avait presque sans fumier une récolte de seigle tous les deux ans qui triplait rarement la semence, maintenant il recueille, pendant 10 ou 12 ans après les marnages, 8 pour un en froment ; cependant la récolte a baissé successivement, et elle est maintenant, après 40 ans de marnage, réduite à quatre pour un ; ceux qui n’ont pas vu les récoltes avant le marnage se plaignent de l’épuisement de leur sol, mais le produit brut est encore triple de ce qu’il était auparavant. Au reste, on trouve ici réunies toutes les circonstances qui devaient conduire à l’épuisement : fortes doses de marne très-riche et sablonneuse sur un sol aride, graveleux et peu consistant ; une culture sans fourrages, une suite presque exclusive de récoltes épuisantes. Aussi il en est résulté que sur les parties les plus sèches et les plus arides de ce sol qui ne peut presque nourrir aucun arbre et à peine des taillis, le terrain est encore devenu plus sec, et qu’avec des récoltes de grains d’hiver d’une valeur double des anciennes, il est vrai, les récoltes de printemps et les trèfles surtout craignent encore davantage la sécheresse. L’opération du marnage, qui pourrait se répandre avec de si grands avantages sur une étendue décuple au moins du même sol depuis Genève jusqu’à la mer, sur le Bugey, la Valbonne, les plaines de Valence, les garrigues du Comtat, la plaine de la Crau, commence à peine à se répandre hors de quelques cantons de l’Isère : les essais suivis de succès dans l’Ain et la Drôme ont pris peu d’extension.

Les marnes du grand plateau argilo-siliceux qui couvrent une partie de l’Ain, de Saône-et-Loire et du Jura, sont argileuses et contiennent de 30 à 40 p. 0/0 de carbonate de chaux ; leur efficacité a été révélée par un cultivateur de l’Ain. Il y a 40 ans, l’habitude ancienne d’amender le sol avec de grandes masses de terres charriées sur la surface a provoqué à des marnages très-abondans ; ils ont commencé par être d’une couche de 15 à 18 lignes (3 à 4 c.m.) sur toute l’étendue, comme les terremens ordinaires. Cette dose a été réduite d’abord d’un tiers, puis de moitié, quantité encore énorme, puisque dans le pays, où les labours ne sont que de trois pouces au plus, le marnage forme un quart ou le tiers même de la couche labourable.

Les cultivateurs voisins de Saône-et-Loire ont imité ces marnages mais sans en prendre l’abus ; ils ne donnent à un sol analogue qu’un quart de cette quantité d’une marne qui n’a souvent que 30 p. 0/0 de carbonate de chaux, et les marnages sont moins durables sans doute, mais sont aussi productifs que dans l’Ain.

Les fortes doses de marne ont nui en quelques lieux ; dans le sol très-argileux, la ténacité du terrain a été accrue, et on a eu plus de peine à le travailler ; le blé noir et les pommes-de-terre y ont moins bien réussi ; et dans les sols légers et les sables, sans améliorer beaucoup la consistance, on a rendu le sol trop chaud et multiplié les coquelicots et les rhynanthus.

Nous trouvons en Sologne une leçon frappante de l’amélioration des terrains légers et sablonneux par la marne : la dose de marne argileuse, analogue dans sa composition et toutes ses apparences à celle de l’Ain, est de 240 à 300 pieds cubes par hectare, et cette dose, de 2/5es de ligne sur la surface, suffit pour féconder le sol pendant 10 ans.

[3:2:2:3]
§ iii. — De la dose de marne à donner au sol.

Au milieu de tant de procédés on peut toutefois arriver, pour les sols de consistance moyenne, à une dose rationnelle de marne qui se modifie ensuite suivant la nature du sol : c’est un grand service à rendre à la pratique qui manque sur ce point de direction précise.

Le but du marnage est d’amener le sol à avoir les qualités et les avantages des sols calcaires. Or, l’analyse des meilleurs sols calcaires, des meilleurs sols de Flandre entre autres ; la pratique des pays où le marnage est le plus ancien et le mieux raisonné ; les doses que conseille Thaër ; le résumé des marnages nombreux que donne Arthur Young, nous a mis dans le cas de conclure, dans l’Essai sur la marne[2], que la proportion de 3 p. 0/0 en moyenne de carbonate de chaux dans la couche labourable doit suffire : mais la marne plus ou moins riche, et les labours plus ou moins profonds donnent une couche labourable plus ou moins épaisse ; avec la proportion fixe de carbonate de chaux que nous avons admise, les doses de marne doivent donc varier suivant la richesse de la marne et les profondeurs du labour.

Pour faciliter l’application de cette donnée d’expérience et de raisonnement, nous donnons un tableau qui renferme tous les élémens du marnage, et dont il sera facile de faire usage ; il est fait pour toutes les compositions de marne depuis 10 p. 0/0 de carbonate de chaux jusqu’à 90, et pour toutes les couches labourables depuis trois pouces jusqu’à 8 ; en prenant des moyennes intermédiaires on aura pour toutes les profondeurs de labours et pour toutes les qualités de marne, le nombre de pieds cubes à charrier sur un hectare : les pieds cubes s’évalueront d’après la capacité des tombereaux, parce que la marne, en se délitant sur le sol, prend autant de volume qu’elle en occupe dans le tombereau au moment de l’extraction.

Nombre de pieds cubes de marne nécessaire à une couche labourée d’une épaisseur de

Lorsque 100 part. de marne contiennent en carbonate
de chaux :
3 po. 4 po. 5 pouc. 6 pouc. 7 pouc. 8 pouc.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Parties.
7,106 9,474 11,842 14,212 16,580 18,948 10
3,553 4,737 5,921 7,101 8,290 9,424 20
2,368 3,158 3,947 4,737 5,527 6,316 30
1,776 2,368 2,860 3,552 4,144 4,736 40
1,420 1,880 2,350 2,820 3,290 3,720 50
1,178 1,570 1,962 2,354 2,748 3,140 60
1,020 1,360 1,700 2,040 2,380 2,720 70
888 1,184 1,480 1,776 2,072 2,368 80
775 1,032 1,292 1,550 1,809 2,027 90

Mais cette dose moyenne doit encore varier dans beaucoup de cas : si la marne est argileuse dans un sol très-argileux, la dose doit être diminuée. Il en est de même surtout à mesure que le sol devient plus léger, et nous pensons que la dose doit alors s’abaisser presqu’à celle de la Sologne (250 pieds cubes par hectare), dose que nous regardons comme rationnelle, et comme le résultat de l’expérience autant que de l’économie dans les sols très-légers. La proportion doit au contraire s’élever avec l’humidité du sol ; dans un sol très-humide, une petite dose pourrait ne pas suffire ; mais il faut néanmoins se garder de rendre son sol trop argileux.

[3:2:2:4]
§ iv. — Soins à prendre dans le marnage.

La 1re  condition du succès de la marne dans un sol, c’est qu’il s’égoutte et se débarrasse des eaux de la surface ; la marne peut sans doute y aider beaucoup, mais elle ne suffit pas pour assainir le sol marécageux ; elle ne peut, comme la chaux, exercer son action sur le sol que quand, par la nature de sa position ou par suite du travail qu’on lui donne, il peut se débarrasser des eaux surabondantes.

Les charrois des marnages doivent être faits par un beau temps afin que les terres ne soient pas broyées et pétries sous les pas des animaux, des hommes et des voitures ; il faut un temps sec ou de la gelée ; cependant, si on a de bons chemins, on peut profiter par tous les temps des loisirs des attelages ; on dispose la marne sur un coin de la pièce à marner pour la répandre ensuite en temps convenable avec des tombereaux ou des brouettes : l’exposition de la marne à l’air, avant de la répandre, est toujours utile, sans être indispensable.

Dans un sol humide il est à propos de faire précéder le marnage par un labour profond, parce que la terre offre alors à l’eau une couche plus épaisse à pénétrer, qu’elle craindra alors moins l’humidité, et que la couche améliorée et ameublie par la marne sera plus épaisse.

La marne doit être disposée sur le sol en lignes parallèles, en petits tas égaux, placés à 20 pieds de distance au plus entre les tas et entre les lignes. (Voy fig. 45.) On profite des premiers loisirs de beau temps pour l’épancher aussi régulièrement que possible ; après quelques jours et des alternatives de soleil et de pluie, on repasse sur le sol pour égaliser la marne et pour qu’elle le couvre le mieux possible de ses débris en poussière : la bonté et la promptitude des résultats dépendent en grande partie de ce soin : on laisse ensuite essorer la couche de marne sur le sol aussi long-temps que possible ; il s’établit un travail réciproque à l’aide de l’air et des variations atmosphériques de la surface du sol sur la marne, qui prépare ses effets, les hâte et leur donne plus d’énergie.

La marne ne doit être enterrée que pendant un beau temps, lorsqu’elle est bien délitée et presque sèche ; en l’enterrant mouillée on lui fait reprendre son adhérence, et alors elle ne peut se distribuer dans le sol : il faut aussi que le labour soit peu profond, parce qu’elle se conserve plus aisément alors, pour les cultures qui suivent, dans l’épaisseur de la couche végétale.

Lorsque le marnage a été trop fort, on peut, par un labour profond, ramener à la surface de la terre non marnée qui diminue la masse proportionnelle de marne ; cette opération, en augmentant l’épaisseur de la couche ameublie, diminue pour le sol les inconvéniens des grandes pluies.

La marne s’emploie avec avantage sur les récoltes d’hiver comme sur celles de printemps : elle s’emploie très-utilement en composts, soit avec du fumier, soit avec du terreau ou des gazons ; toutefois ils sont un peu plus embarrassans à faire, à charrier et à mêler avec la marne argileuse qu’avec la marne pierreuse. Les Anglais emploient beaucoup de marne sous cette forme, surtout lorsqu’ils sont éloignés de la marnière, parce que, pour la marne comme pour la chaux, les composts sont le moyen de multiplier les effets avec une petite dose.

Les effets de la marne ne sont pas toujours très-sensibles sur les premières récoltes, et cela arrive lorsqu’elle a été épanchée avec peu de soin, lorsqu’elle n’a pas été bien mêlée au sol par les labours, qu’elle a été enterrée par la pluie ou par un labour trop profond, ou qu’enfin elle a éprouvé une suite non interrompue de pluies ou de sécheresse ; il faut une alternative de chaleur ou d’humidité pour que les combinaisons à l’aide desquelles la marne agit sur les végétaux se forment dans le sol.

Les effets de la marne sur le sol ressemblent beaucoup à ceux de la chaux. Le sol ameubli peut se travailler en tout temps, se délite à la première pluie, devient plus accessible, ainsi que les plantes qu’il porte, à toutes les influences atmosphériques ; les racines le traversent plus facilement ; dans ce sol rendu perméable, les sucs qui forment la sève peuvent circuler et par conséquent être plus facilement aspirés par les racines : on conçoit que toutes ces qualités rendent meilleurs le sol et ses produits.

[3:2:2:5]
§ v. — Des seconds marnages.

Les seconds marnages ne conviennent plus et doivent être long-temps différés là où le premier a été très-abondant. S’ils n’ont point réussi dans l’Ain, dans l’Isère, dans l’Yonne, c’est qu’on a employé dans les premiers marnages des doses qui ont fourni au sol 4, 5, 6, 8, 10 p. o/o de carbonate de chaux, proportion beaucoup au-dessus du besoin et souvent même de la convenance, et que le sol en a pour un temps indéfini ; mais, là où les marnages sont devenus une opération régulière d’agriculture, nous pouvons prendre des points de départ qui nous éclaireront. En analysant la plus grande partie des procédés réguliers de marnages cités par Arthur Young, on trouve que l’hectare de terre reçoit par an de 10 à 20 hectolitres de carbonate de chaux. Dans les marnages plus réguliers encore du départ. du Nord, le sol reçoit tous les 20 ans 166 hectolitres de marne pierreuse qui contient 3/4 au moins de carbonate de chaux ; c’est donc 8 hectolitres par an que demande le sol pour continuer ses produits avec la même énergie.

Une quantité qui suffirait aux sols argileux devient trop forte pour les sols légers ; nous avons vu qu’on donne en Sologne, tous les dix ans, de 240 à 300 pieds cubes par hectare d’une marne qui contient 40 p. 0/0 de carbonate de chaux, c’est 4 hectolitres par an du principe calcaire ; nos seconds marnages seraient donc donnés de manière à fournir au sol par an depuis 4 jusqu’à 8 hectolitres de carbonate de chaux suivant la consistance du sol.

[3:2:2:6]
§ vi. — Épuisement du sol par la marne.

Lorsque dans un sol léger ou très-sec on a mis une forte dose de marne, qu’on ne lui rend pas des engrais animaux en proportion des produits qu’on en tire, que les récoltes épuisantes s’y succèdent, on voit petit-à-petit les récoltes diminuer, le sol prendre les caractères de sol calcaire peu fécond ; il produit encore plus qu’avant le marnage, mais on le dit épuisé, et une nouvelle dose de marne ne le rappelle pas à sa fécondité première : nous avons vu ce cas arriver dans l’Isère, où se trouvent réunies toutes les circonstances défavorables. Dans le sol argileux, ce résultat se montrerait plus difficilement et après un plus long terme. La marne ne dispense donc pas de fumier, mais elle est loin d’épuiser le sol ; nous pensons, au contraire, que pour en soutenir les grands produits, une dose de fumier beaucoup moindre est nécessaire. La marne double donc l’action du fumier, et on a, dans les fonds marnés, ce grand avantage d’un bon sol, de pouvoir obtenir de grands produits avec une quantité modérée d’engrais.

Toutefois, nous devons dire que le premier marnage comme le premier chaulage produisent en quelque sorte un premier élan de fécondité dont le plus souvent on ne soutient pas toute la puissance. Pour que cela fût, il faudrait que l’année même du marnage, le fumier fût donné comme à l’ordinaire, ou que la marne fût livrée au sol en compost sans retrancher le fumier, comme dans beaucoup de seconds marnages en Angleterre. Mais cela a rarement lieu : partout on veut profiter de la faculté nouvelle donnée au sol de produire sans fumier, et on place son engrais dans les fonds qui n’ont pas encore reçu d’amendemens ; toutefois la Belgique, le département du Nord, la Normandie, la Sarthe, et une grande partie de l’Angleterre ont soutenu avec des soins la fécondité première donnée par la marne, et cela est dû, à la fois, à la quantité d’engrais et à la bonne culture qu’ils ont donnée à leur sol marné.

[3:2:2:7]
§ vii. — Culture du sol après les marnages.

Après tout ce que nous avons dit, on comprend que la culture du sol après les marnages doit être conduite avec discernement et mesure ; il ne faut profiter de la fécondité nouvelle du sol qu’en ménageant les forces artificielles qu’on lui a données ; il faut donc lui rendre des engrais en raison de ses produits, multiplier par conséquent les fourrages-feuillus et les fourrages-racines, profiter enfin de la fécondité de son sol autant en faveur des animaux producteurs du fumier qu’au profit du grenier : alors la marne est un immense moyen de fécondité présent et avenir. Nous ne conseillerons point cependant de changemens brusques dans l’assolement : dans tous les systèmes agricoles on peut faire produire au sol des récoltes productives de fumier.

[3:2:2:8]
§ viii. — Assainissement produit par la marne.

Une foule de faits et de raisonnemens ont établi que la chaux et ses composés portent dans le sol un principe d’assainissement en même temps que de fécondité. Les agens calcaires ôtent au sol l’humidité stagnante qui nuit à la végétation ; le sol devient poreux, perméable, les eaux peuvent mieux circuler dans l’intérieur, n’y stagnent plus et par conséquent ne s’y arrêtent pas.

Toutes les eaux qui séjournent ou qui coulent sur la marne ou sur la pierre calcaire restent claires et limpides, portent partout la fécondité, et assainissent le sol et les produits du sol. Dans le sol marné, tous les végétaux des sols assainis croissent et prospèrent, le sol lui-même est donc assaini aussi bien dans ses émanations, que dans ses eaux, que dans ses produits : la marne, en donnant au sol toutes les qualités des sols calcaires, leur donne donc aussi la salubrité qui les distingue partout, et la marne doit agir dans ce cas plus énergiquement encore que la chaux, parce qu’on la donne plus abondamment au sol, et qu’elle y développe à un plus haut point les qualités des sols calcaires ; la marne est donc comme la chaux, comme tous les agens calcaires, un principe de salubrité aussi bien que de fécondité.

[3:2:3]
Art. iii.Emploi des plâtras ou débris de démolition comme amendemens.

Les débris de démolition ont une grande influence sur la végétation ; leur effet sur le sol semble quelquefois plus avantageux que celui de la chaux. Ils contiennent, en outre du carbonate de chaux et d’un peu de chaux encore caustique, des sels déliquescens à base de chaux, des nitrates et des muriates de chaux, de potasse et de soude, qui ajoutent à l’effet du principe calcaire sur les végétaux. Leur effet fécondant s’exerce exclusivement sur les sols non calcaires ; ailleurs ils sont plutôt nuisibles qu’utiles et rendent les sols plus sensibles à la sécheresse.

Les débris de démolition ont un effet très durable ; ils sont très-avantageux sur les prés ou pâturages humides non calcaires, mais qui ne sont cependant ni marécageux ni inondés ; ils améliorent la récolte en quantité et en qualité. On les emploie avec avantage, avant et après l’hiver, sur les récoltes d’hiver comme sur celles de printemps, ils font produire plus de grains à proportion que de paille, et le grain est d’excellente qualité : on les emploie le plus souvent sans l’intermédiaire des composts parce qu’ils ont déjà formé dans les murs une partie des composés qui se forment dans les composts ; cependant, employés sous cette forme, leur effet s’accroîtrait encore en imprégnant de leurs forces fécondantes une masse de terre 7 à 8 fois plus considérable que la leur.

Les plâtras, comme les autres amendemens calcaires, demandent à être répandus sur la terre non mouillée, et veulent être enterrés peu profondément par un beau temps ; autrement leur effet est beaucoup moindre.

Il paraît qu’en Italie ils sont très-estimés comme amendement : on les emploie préférablement dans les sols argileux. Aux environs de Rimini, nous dit Philippe , on les emploie pour les oliviers : une charretée suffit pour 15 à 20 arbres ; en Toscane, on les emploie pour le même objet, mais en compost ; dans le Milanais, on les donne aux vignes et aux mûriers ; dans le pays Bressan et les environs de Reggio, on en saupoudre d’une couche légère les prairies naturelles.

Dans le département de l’Ain, on les employait sur le sol argilo-siliceux avant que la marne et la chaux fussent introduites ; mais, depuis cette époque, on les a beaucoup plus recherchés, depuis surtout que l’emploi de la chaux se popularise ; le tombereau de 12 pieds cubes qu’on avait pour 50 c. se vend 1 fr. pris à Bourg ; l’amendement devient beaucoup plus cher que celui de chaux lorsqu’on doit le conduire à grande distance.

La dose moyenne est de 600 pieds cubes (200 hectolitres) par hectare, qui équivaudraient à 40 hectolitres de chaux ; la dose, sans doute, pourrait être moindre, surtout dans les sols légers ; mais on veut absolument voir le sol couvert, et puis la durée est plus longue ; au bout de 20 ans, le sol est encore très-sensiblement amélioré. — Les plâtras paraissent bien aux 3/4 perdus pour l’agriculture française, car on en néglige généralement l’emploi ; cependant presque partout ils pourraient être utilisés, parce qu’on rencontre presque partout des sols non calcaires.

[3:2:4]
Art. iv.Du falunage ou emploi des coquilles comme amendemens.
On donne le nom de faluns à des bancs de coquilles fossiles qu’on trouve, soit sur les bords de la mer, soit dans l’intérieur des terres ; dans certains lieux, le falun est employé sous le nom de marne coquillière, mais c’est seulement le falun de Touraine dont l’emploi en agriculture est bien connu. La falunière y forme un banc de 3 lieues de longueur et d’une épaisseur et largeur variables ; on extrait le falun de plusieurs pieds de profondeur, et, comme les eaux y abondent, on ne l’obtient qu’à force de bras dont les uns puisent les eaux et les autres sortent le falun (fig. 48).

On met sur le sol à la quantité de 30 à 60 charretées par hectare suivant la nature du terrain ; son action paraît au moins aussi efficace que celle de la marne, et sa durée se prolonge long-temps.

On l’emploie en Angleterre à moindre dose qu’en France, à moitié de la plus faible dose de la Touraine ; les qualités particulières et les forces fécondantes peuvent être différentes, car les bancs sont composés de familles de coquilles très-diverses ; en sorte que chacun peut avoir raison dans sa pratique. La durée d’un falunage en Angleterre se prolonge plus que celle de la marne ; on en renouvelle l’énergie avec un compost de fumier et coquilles ; le sol en est grandement amélioré, plus, à ce qu’il semble, que par la chaux ou la marne ; ces coquillages peuvent en effet contenir quelques parties animales qui ajouteraient à l’effet du carbonate de chaux qui en forme la base principale.

On trouve en France des bancs de coquillages dans beaucoup de lieux. C’est une de nos richesses minérales dont nous sommes bien loin de tirer tout le parti convenable ; car, en employant le falun à la dose de 100 hectolitres par hectare comme en Angleterre, on pourrait le transporter à distance, soit par eau, soit par des voitures, et en faire ainsi une branche de commerce de quelque intérêt. M. A. Puvis.

Section iii.Des amendemens stimulans.

La théorie de l’action des substances qui paraissent jouer dans le sol le double rôle d’amendement et de stimulant, et l’explication de leurs effets, étant intimement liées aux mêmes notions relatives aux engrais, elles seront exposées au commencement du chapitre suivant, afin d’éviter des répétitions inutiles et d’en rendre l’intelligence plus parfaite. Ici nous devons nous borner à l’examen de l’emploi pratique de ces substances qu’on peut réunir sous les dénominations principales de plâtre, de cendres, et de substances salines. C. B. de M.

[3:3:1]
Art. ier.Du plâtre, sulfate de chaux, ou gypse.

Le sulfate de chaux est un composé calcaire qui se distingue de tous les autres par ses effets sur le sol : ses espèces, sa composition et sa théorie seront exposées dans le chapitre des engrais.

L’usage du plâtre n’est pas ancien en agriculture ; il n’a commencé à se répandre que depuis les expériences du pasteur Meyer, qui les publia en 1765 et années suivantes. Son emploi se répandit, à dater de cette époque, en Allemagne, pénétra en Suisse et en France.

Le plâtre paraît convenir particulièrement sur les légumineuses, son effet est contesté sur les graminées ; cependant en Amérique, on s’en loue sur le maïs ; entre les mains de quelques-uns, il a donné beaucoup d’activité à la végétation du chanvre. Ce sont là des faits particuliers que nous ne nions pas, mais il est à peu près certain qu’ils ne se reproduiraient pas partout : on l’emploie donc spécialement sur trèfle, la luzerne et l’esparcette. Il paraît que les légumineuses contiennent beaucoup de sulfate de chaux, et que ce serait au besoin qu’elles en ont dans leur composition intime que pourrait être dû en grande partie l’effet qu’il produit sur leur végétation. Cette explication paraît d’autant plus vraisemblable que l’expérience a constaté que le plâtre reste à peu près sans effet sur les sols qui le contiennent en certaine proportion : ainsi, les plaines du Comtat-Venaissin et des comtés entiers en Angleterre n’éprouvent aucun effet du plâtre, et leur sol, analysé par M. Gasparin en France et par Humphry Dawy en Angleterre, a donné une certaine proportion de sulfate de chaux.

Le plâtre s’emploie avec succès sur les fèves, les haricots et les pois, mais on l’accuse alors de rendre les graines produites d’une difficile cuisson. Nous venons de voir que ces graines contenaient déjà du plâtre ; il semble que la dose, en s’augmentant, tend à rendre la cuisson plus difficile : nous savons d’ailleurs que les eaux séléniteuses empêchent la cuisson des légumes ; un effet analogue se reproduit par le plâtre contenu en trop grande abondance dans leur substance elle-même.

Lorsque le sol et la saison sont favorables, le plâtre double souvent le produit des fourrages ; les plantes prennent alors un vert intense, une vigueur extraordinaire qui les font contraster avec celles des portions non plâtrées. Lorsque Franklin voulut faire connaître et répandre l’usage du plâtre en Amérique, pour convaincre ses compatriotes, il écrivit sur un champ de trèfle {fig. 49), aux portes de Washington, avec de la poussière de plâtre, cette phrase : Ceci a été plâtré ; l’effet du plâtre fit saillir en relief ces mots en tiges vigoureuses et plus vertes ; tout le monde fut convaincu, et le plâtre fut popularisé en Amérique. Les Américains ont été long-temps à tirer leur plâtre de Paris, mais ils en exploitent maintenant chez eux.

On recommande de semer le plâtre au printemps sur la végétation déjà commencée, lorsque les fourrages ont 5 à 6 pouces de hauteur : cependant semé au mois d’août, après la moisson, sur les trèfles de l’année, il en fait produire une bonne coupe au mois d’octobre, et les récoltes de l’année suivante en éprouvent encore tout l’effet.

On le répand à la main, le soir ou le matin, à la rosée, par un temps calme et couvert, avant ou après une petite pluie ; de grandes pluies nuisent beaucoup à son effet ; aussi, pour éviter les grandes pluies de printemps, dans les environs de Marseille, on préfère ne l’employer qu’après la première coupe.

Les expériences de M. Soquet semblaient avoir constaté que le plâtre répandu sur le sol, sans contact avec les plantes, ne produisait aucun effet ; cependant la pratique de pays entiers établit qu’il réussit très-bien sur le trèfle et la luzerne à peine sortis du sol, et les expériences de MM. Sageret et d’Harcourt ont constaté que le plâtre semé en même temps que la graine produisait encore beaucoup d’effet.

Sa dose ordinaire est égale en volume à la semence, soit de 5 à 6 quintaux par hectare ; à cette dose il ne fait sur le sol qu’une couche de moins de 1/100 de ligne ou un six-millième d’une couche labourable de 5 pouces d’épaisseur ; à dose moitié moindre, son effet est encore très-sensible ; il est donc de tous les amendemens celui dont l’effet se produit à plus petite dose.

Le plâtrage ne doit pas être répété trop souvent sur le même sol, surtout s’il est médiocre ; le sol aime à changer d’engrais comme de récolte, et le plâtre serait comme beaucoup de bonnes choses qui demandent à être employées avec mesure et modération, comme le trèfle lui-même qui, pour bien faire, ne doit reparaître sur le même sol que tous les six ans.

Le plâtre, employé dans des composts de terre ou de fumier, augmente beaucoup leur activité ; les essais sur ce sujet n’ont pas été poussés assez loin pour se résumer en directions précises de pratique : cela est fort à regretter, parce que les expériences faites promettaient les plus heureux résultats.

Le plâtre, en donnant aux feuillages et aux branches des plantes un grand développement, produit sur les racines un effet aussi très-sensible ; les expériences de M. Soquet ont établi que les racines du trèfle plâtré pèsent un tiers de plus que celles du trèfle non plâtré. On conçoit dès-lors que des racines plus longues, plus fortes et plus rameuses, doivent puiser davantage dans le sol. Cependant le froment qui succède au trèfle plâtré est ordinairement plus beau que celui qui remplace le trèfle non plâtré ; cet effet doit être attribué à la plus grande masse d’engrais végétal due au trèfle plus vigoureux qui a laissé plus de feuilles sur la surface et plus de racines dans le sol ; mais cet engrais végétal ne dure qu’une année, car la récolte sarclée qui suit le froment doit recevoir plus d’engrais après le trèfle plâtré que celle où le trèfle ne l’a point été.

Le plâtre est quelquefois employé sur les prairies sèches, et il augmente la quantité du produit ; il y fait prédominer les légumineuses, et par conséquent améliore le fourrage ; mais il faut alterner son emploi avec les engrais animaux, autrement la fécondité qu’il produit ne se soutient pas, et peu d’années après des plâtrages répétés, le produit du pré descendrait plus bas qu’auparavant.

On accroît, par le plâtrage, la qualité distinctive des légumineuses : les feuilles, qui sont leurs organes absorbans dans l’atmosphère, prennent plus de vigueur, sont doublées, triplées peut-être en surface, et par conséquent en puissance, tandis que les racines n’ont pris qu’un tiers d’accroissement, et par conséquent, pourrait-on dire, n’empruntent qu’un tiers de plus au sol. C’est ce vide néanmoins qu’il faut remplir dans les sols médiocres où il devient sensible.

Le plâtrage est donc une excellente méthode, mais dont il faut user avec réserve et circonspection ; par cette raison, dans des pays on a réduit les doses du plâtrage, dans d’autres on l’a divisé avec succès en deux saisons, moitié après la récolte de la céréale qui couvre le fourrage, et l’autre moitié au printemps suivant.

[3:3:2]
Art. ii.Des diverses sortes de cendres.
[3:3:2:1]
§ ier. — Des cendres de bois.

Ces cendres, qu’on néglige encore dans beaucoup de lieux, se vendent fort cher dans un grand nombre de localités, après qu’elles ont été lessivées, sous le nom de charrée.

Les effets des cendres sur la végétation et sur le sol sont très-remarquables ; elles ameublissent les sols argileux, et donnent de la consistance aux sols légers ; elles détruisent les mauvaises herbes ; elles conviennent plutôt aux sols humides qu’aux secs, mais il est nécessaire qu’ils soient bien égouttés ; la dose doit s’accroître avec l’humidité du sol.

Elles demandent à être répandues sèches par un temps non pluvieux et sur un sol non mouillé ; elles favorisent la végétation de toutes les récoltes, des récoltes d’hiver et de printemps, des céréales et des légumineuses.

Elles donnent une couleur vert-foncé aux végétaux qu’elles font croître ; elles favorisent plus encore la production du grain que celle de la paille : le grain produit ressemble à celui des fonds chaulés ; il est peut-être encore plus fin et à écorce plus mince, et comme tel il a plus de prix sur les marchés. On emploie les cendres avec grand avantage sur les prés et les pâturages, et leurs effets sont surtout remarquables sur le blé noir, la navette et le chanvre. Leur effet, à petite dose, est peu durable ; au bout de deux ans il est peu sensible, et cependant, dans les terres qu’on a cendrées à plusieurs reprises, dix ans après qu’on a cessé, l’amélioration s’aperçoit encore.

L’emploi des cendres est très-répandu sur le grand plateau de terrain argilo-siliceux qui appartient aux bassins du Rhône et de la Saône, et qui se prolonge depuis les portes de Lyon jusque dans les départ. de l’Ain, de Saône-et-Loire, du Jura et de la Haute-Saône.

Lyon, après avoir fourni des cendres lessivées à l’agriculture de ses environs, qui les emploie en grande abondance, les envoie par les rivières à une grande partie de leurs rives et des pays voisins, qui les paient de 1 fr. 50 c. à 3 fr. l’hectolitre. La dose ordinaire est moins forte que dans les environs de Lyon ; elle est cependant de 20 à 30 hectolitres par hectare. On les sème sur le sol avant le labour de semaille ; la terre et les cendres doivent être sèches, et on les laisse s’essorer 24 heures sur le sol si le temps est bien disposé ; on jette ensuite la semence, et on recouvre le tout d’un léger trait de charrue. On les emploie très-souvent aussi pour la semaille de blé noir sur jachère, au mois de juin ; elles en assurent le produit, ainsi que celui du froment ou du seigle qui succède. L’effet des cendres est peu sensible au bout de deux ans ; on les alterne alors avec du fumier, parce qu’elles sont encore plus profitables au sol si on ne les emploie que tous les quatre ans. Dans les environs de Lyon on les jette avec beaucoup d’avantage sur les prés sains, à la quantité de 50 hectolitres par hectare ; aussi leur effet se prolonge très-longtemps : leurs doses sur le sol labourable sont aussi assez fortes, et semblent plutôt en rapport avec leur prix peu élevé, qui, sur les lieux, est de 1 fr. à 1 fr. 50 c. l’hectolitre, qu’avec les besoins du sol.

Dans la Sarthe, elles sont très-chères et très-estimées ; on les emploie concurremment avec la chaux, à laquelle on les préfère beaucoup pour les terres légères ; leur dose est de 12 hectolitres par hectare, et leur effet est grand sur le blé noir et le froment qui lui succède.

Dans l’Indre, on les emploie, surtout pour la navette, à la quantité de 20 hectolitres par hectare ; avec ce seul engrais, on recueille 20 à 30 hectolitres de navette.

On emploie les cendres plus souvent seules et sans fumier ; cependant, dans les pays où l’on en connaît mieux le prix et l’usage, on est resté convaincu que, comme pour l’emploi de la marne et de la chaux, l’union du fumier avec les cendres double réciproquement leur action, et que ce mélange accroît beaucoup la fécondité naturelle du sol. Dans une commune des environs de Louhans (Saône-et-Loire), on emploie les cendres plus volontiers pour le froment ; ils joignent moitié de la dose ordinaire de fumier à 8 à 10 hectolitres de cendres par hectare, et cette demi-dose de l’une et de l’autre substance produit plus que leur dose entière séparée. Dans la commune de Saint-Etienne, près de Bourg, on joint aussi l’emploi du fumier à celui des cendres ; le fumier leur offre l’avantage de tenir un terrain froid et compacte un peu soulevé et plus accessible aux agens atmosphériques.

Dans les sols humides, la dose doit s’augmenter en raison de l’humidité du sol ; mais si les eaux y stagnent, leur effet est nul jusqu’à ce qu’on parvienne à l’égoutter complètement ; on conçoit alors que dans les années pluvieuses l’effet est peu sensible sur les sols humides.

Les cendres, comme nous l’avons dit, s‘emploient dans toutes les saisons, à l’exception de l’hiver : au printemps on les emploie de bonne heure sur les prés et pâturages, puis à la semaille des orges, des avoines, du maïs ; dans le cours de l’été elles fécondent les navettes et les blés noirs, et enfin, en automne, on les emploie pour la semaille des fromens et des seigles.

On enterre les cendres par un léger labour dans le sol, on les jette sans les couvrir sur les récoltes en végétation. Jetées, au printemps, sur les orges et les fromens, elles les améliorent sensiblement ; cependant cet emploi est assez rare. Des expériences faites sur les mêmes récoltes, dans un même sol, de cendres enterrées à la semaille, ou répandues à la surface sur les plantes en végétation, m’ont donné un produit plus utile dans le sol qu’à la surface, et ont démontré la justesse de la pratique qui préfère les enterrer.

La pratique préfère aussi les cendres lessivées aux cendres vives : le raisonnement n’appuie pas ces faits ; mais, en agriculture plus encore qu’ailleurs, « experientia rerum magistra » ; je m’en suis moi-même assuré par des essais comparés. Nous n’en conclurons pas néanmoins que ce résultat doit toujours avoir lieu : sur le sol que les substances salines féconderaient, je pense que les cendres vives produiraient plus d’effet ; mais sur ceux auxquels suffit le phosphate de chaux, on conçoit que les cendres lessivées, qui ont perdu leurs parties solubles, en contiennent davantage, et doivent par conséquent produire plus d’effet sous un même volume.

Prix de revient et produit net des cendres. L’emploi des cendres lessivées fait produire au sol 2 semences de plus en froment et moitié en sus du produit ordinaire en menus grains ; c’est un surplus de produit par hectare de 4 hectolitres en froment, soit 70 à 80 fr. la première année, et en menus grains, la seconde année, d’une valeur moyenne de 50 à 60 fr., en tout 130 fr. en deux années ; mais les dépenses, frais de transport compris, de cet engrais, à la dose, pour les sols humides, de 30 hectolitres, au prix de 3 fr., sont de 90 fr. ; ce qui donne 40 fr. de bénéfice, non compris les pailles et les fumiers qu’on a portés à d’autres fonds, qui, pour les deux années, valent au moins le double de cette somme, soit en argent, soit en surplus de denrées produites par ce surplus d’engrais. Les cendres, en les comptant à un prix élevé, sont donc un prêt usuraire fait au sol, et qui double son capital en deux années.

La production des cendres est bien considérable ; car, sur 8 millions de feux qu’entretient la population française, 7 millions au moins sont alimentés exclusivement par le bois ; les ¾ qui se perdent peut-être en très-grande partie, appelleraient la prospérité et la richesse sur de grandes étendues de sol médiocre, feraient croître de moitié en sus les produits sur plusieurs centaines de milliers d’hectares, et seraient un bienfait de plus qu’on devrait à nos six millions d’hectares de bois, qui se trouveraient ainsi féconder un 10e au moins de leur étendue en sol labourable.

[3:3:2:2]
§ ii. — Des cendres de tourbes et de houille.

Ces cendres sont regardées en Flandre, dans le dép. du Nord et en Belgique, comme l’un des grands agens de la végétation. On distingue les cendres de tourbe de celles de houille.

i. Cendres de Hollande. — On donne particulièrement le nom de cendres de Hollande aux cendres de mer, ou aux cendres de tourbe du pays ; les 1res sont beaucoup plus estimées que les secondes ; il en faut 4 fois moins pour produire autant d’effet : elles sont le produit de la combustion de la tourbe de Hollande. Cette tourbe, qui a été formée ou qui, du moins, a séjourné long-temps sous les eaux de la mer, est un meilleur combustible, et surtout donne des cendres blanches de meilleure qualité ; ces cendres contiennent sans doute une plus grande proportion de principes salins et de principes calcaires.

On les emploie, ainsi que les cendres de tourbe et de houille, sur les fourrages artificiels, sur les lins, sur les récoltes de printemps, et sur les prairies non arrosées. Elles sont devenues indispensables à la culture dans l’arrondissement de Lille, où l’on emploie peu les amendemens calcaires ; dans les autres arrondissemens et particulièrement dans celui d’Avesnes, on les mêle très-souvent à la chaux depuis moitié jusqu’à un quart du volume total.

Les composts de cendres et de chaux sont particulièrement employés sur les prairies et les grains de mars, à la même dose que si c’était de la chaux pure, c’est-à-dire 4 mètres cubes ou 40 hectolitres par hectare tous les 10 ou 12 ans.

Les cendres de mer s’emploient volontiers sur les trèfles ; on y en met de 5 à 10 hectolitres par hectare, et le trèfle donne un superbe produit qui ne manque presque jamais en Flandre ; le blé qui succède se ressent de la fécondité du fourrage.

Le haut prix auquel les Flamands étaient obligés d’acheter les cendres de mer, leur a fait chercher et trouver un amendement moins cher ; ils vont prendre en Picardie et sur leur propre sol un produit minéral extrait du sol, auquel on donne le nom de cendres noires, cendres rouges, qui suppléent les cendres de mer, vendues trop chèrement par leurs voisins les Hollandais ; nous en traiterons dans le § suivant.

ii. Cendres de houille. — Elles s’emploient au défaut de toutes les ressources qui précèdent ; cependant elles sont encore très-actives, et elles composent en partie les boues de rue qu’on achète chèrement dans toutes les villes et bourgs. Nous avons à regretter que ce produit soit généralement perdu en France : c’est presque à leur insu que ceux qui recueillent les boues à Lyon en ramassent une quantité considérable dont ils éprouvent les bons effets sans savoir qu’ils les leur doivent.

iii. Cendres de tourbe en général. — En Picardie, on les emploie en grande abondance ; les vallées de la Somme et de ses affluens renferment de grandes masses tourbeuses qu’on exploite avec grand profit pour faire des briques, de la tuile, et pour le chauffage domestique : en outre, on en brûle encore beaucoup pour se procurer de l’engrais. On y emploie les cendres de tourbe pour les prairies naturelles et artificielles et pour les blés d’automne ; on y en met 40 hectolitres par hectare ; leur prix est peu élevé, c’est-à-dire de 40 c. l’hect. pris sur les lieux.

En Angleterre on en emploie beaucoup aussi, mais les règles de leur emploi et leurs doses varient avec chaque pays. Leur composition est tellement variable, qu’on ne peut guère donner de directions précises ; cependant elles doivent être mises sèches sur des sols bien égouttés. On les emploie en engrais superficiels ou enterrés ; la dose doit être double quand on les enterre ; jointes au fumier, elles forment un compost d’excellente qualité.

12 tombereaux de tourbe fournissent en moyenne un tombereau de cendres ; pour produire 40 hectolitres, engrais nécessaire à un hectare, il faudrait donc 100 tombereaux de tourbe.

Pour brûler la tourbe, en Allemagne, on a une grille de fer (fig. 50), sous laquelle on place du bois ; sur la grille on met des tourbes sèches, et sur les dernières des tourbes humides ; on entretient la combustion de manière à la faire durer le plus long-temps possible, parce que l’expérience a démontré que les cendres de tourbes brûlées lentement sont meilleures.

Cependant, disons qu’il est toujours bien regrettable qu’un combustible propre à tant d’usages perde sa chaleur sans aucune utilité, quand de toutes parts les arts du tuilier, du chaufournier, du potier et l’économie domestique paient chèrement les combustibles. « Heureux le pays qui brûle sa mère ! » Ce proverbe, né dans les pays que l’exploitation de la tourbe a enrichis, devrait être une grande leçon pour les pays de France où elle se trouve en grande quantité, et ces pays sont nombreux. Partout donc où se trouve de la tourbe facilement exploitable, sans qu’on l’emploie ni dans l’agriculture ni dans les arts, on laisse enfoui un trésor d’où pourrait naître la prospérité et la richesse du pays.

[3:3:2:3]
§ iii. — Des cendres pyriteuses ou cendres noires, cendres rouges.
Ces cendres, qui servent à la fabrication de la couperose ou sulfate de fer, et de l’alun ou sulfate d’alumine, se trouvent dans un grand nombre de lieux du nord de la France, à plus ou moins de profondeur dans le sol ; dans le départ. de l’Aisne, elles sont souvent près de la surface ; celles de La Fère n’en sont pas à plus de six pieds. Le lignite y est en général recouvert (fig. 51) : 1o d’une couche d’argile : 2o d’un banc de coquillages fossiles ; 3o d’une formation de grès arénacé, tantôt en roches, tantôt friable. On extrait cette substance sous la forme d’une poudre noire, dans laquelle on rencontre souvent des coquillages, des débris végétaux de différente nature, des bois bitumineux plus ou moins décomposés. L’étude de ces diverses substances les fait regarder par les géologues comme une variété de lignites d’une formation postérieure à la craie, contemporaine de l’argile plastique, et antérieure à la formation du calcaire grossier des environs de Paris.

Lorsqu’on entasse ces cendres, au bout d’une quinzaine de jours elles s’échauffent, s’enflamment même, subissent une combustion lente ; la surface se couvre d’efflorescences en forme de petits cratères. La combustion dure de 15 jours à un mois ; le monceau exhale une forte odeur sulfureuse ; pendant le jour on voit à la surface une vapeur légère, mais la nuit on aperçoit une petite flamme. Après cette combustion les cendres se vendent sous le nom de cendres rouges, et leur effet est presque doublé : on les emploie à dose moitié moindre.

Depuis trente ans que je n’ai vu les extractions des environs de La Fère, l’usage de ces cendres s’est beaucoup multiplié. À cette époque, les cultivateurs du départ. du Nord venaient en grand nombre, quelquefois de 20 lieues, charger leurs immenses voitures de cendres pyriteuses dans leurs divers états ; ils avaient cependant déjà trouvé sur leur sol les cendres noires de Sarspoterie. Ces cendres sont à une assez grande profondeur sous terre ; elles sont employées particulièrement par l’arrondissement d’Avesnes dans lequel elles se trouvent ; l’arrondissement de Cambrai continue à s’approvisionner en grande partie de cendres de Picardie, dont il n’est pas beaucoup plus éloigné, et auxquelles on trouve plus d’énergie. Les Flamands ont, en grande partie, remplacé les cendres de Hollande, cendres de mer, par les cendres pyriteuses ; cependant quelques cultivateurs préfèrent encore l’emploi des premières, quoique plus chères. Les cendres pyriteuses leur reviennent en moyenne à 3 fr. l’hectolitre, et ils en emploient de quatre à six par hectare sur les prairies et pâtures : sur les prairies artificielles la dose est un peu plus forte. On ne les emploie sur les prairies et pâtures que dans les arrondissemens de Cambrai et d’Avesnes, mais dans tous on en amende les prairies artificielles ; c’est l’amendement pour lequel les Flamands font les plus fortes dépenses. Ils les emploient aussi pour les récoltes de printemps, et particulièrement pour les graines légumineuses ; mais alors la dose employée n’est guère que de moitié. Elles se mettent sur les récoltes de printemps au moment de la semaille, et sur les trèfles, prairies et pâtures, dès le mois de février ; plus tard dans la saison, on craindrait que leurs principes solubles ne vinssent à agir trop activement sur le sol, si avant les chaleurs elles n’avaient pas subi les pluies de printemps. L’usage de ces cendres donne le moyen d’avoir des prairies productives sans fumier et sans arrosemens ; il suffit de les y répandre tous les quatre ans.

Le départ. de l’Aisne[3] et les départ. environnans en font aussi un grand usage ; on les y a cherchées avec soin, et l’on en a trouvé dans un grand nombre de lieux. Sur presque tous les points d’un plateau de 50 lieues carrées au moins, coupé par des bassins de petites rivières, les cendres de ces diverses extractions présentent entre elles beaucoup d’analogie, en sorte qu’elles peuvent être considérées comme un seul et même dépôt fait à la même époque. Celles de La Fère sont dans les bois dont le sol, comme celui du reste du plateau, appartient à la formation argilo-siliceuse humide ; cette formation se rencontrant dans presque tous les départemens de France, il est à espérer que la France du nord ne sera pas seule à posséder ce puissant amendement, et on pourra toujours le reconnaître à sa couleur, à ses caractères extérieurs et à son inflammation spontanée ou déterminée par une petite quantité de combustible, après quelque temps d’exposition à l’air.

Dans les lieux où on avait les cendres pyriteuses à sa disposition, on en a souvent abusé ; il est des parties de sol sur lesquelles de nouvelles doses ne produisent plus aucun effet ; on dit le sol épuisé ; nous pensons plutôt qu’il n’a pas consommé tous les principes salins et calcaires qui lui ont été donnés, et que pour cette raison de nouvelles doses ne produisent aucun effet. Les cendres pyriteuses sont comme les amendemens calcaires ; la chaux ne produit aucun effet sur les sols qui la contiennent, et les cendres pyriteuses cessent d’en produire, lorsque le sol contient déjà les principes qu’elles renferment. Toutefois la fécondité qu’elles avaient apportée a disparu ; nous pensons que c’est parce qu’on n’a point donné au sol une quantité de fumier proportionnée au produit ; on a trop exigé de lui. Le cas enfin est le même qu’à la suite de l’abus des amendemens calcaires ; le remède serait donc le même : alterner l’emploi des cendres avec des engrais abondans, ou plutôt faire des composts avec le fumier, le terreau et les cendres ; donner, au besoin, au sol un labour profond qui, par le mélange d’une terre neuve avec la couche labourable, diminuera la proportion des cendres dans le sol.

Les Flamands qui emploient ces cendres sur les prairies artificielles sont loin de s’en plaindre ; pour leurs terres labourables, ils les mettent en compost avec la chaux et ne les emploient que tous les quatre ans sur leurs prairies et pâtures. La culture flamande peut donc encore, sur ce point, servir de modèle à celle de leurs voisins.

[3:3:2:4]
§ iv. — Engrais de mer, sable, vase ou limon de mer ; tangue, cendres de Varech.

Tous ces divers amendemens que la mer offre à ses riverains sont à la fois calcaires et salins ; leur effet est grand, mais ne se produit pas sur toutes les nuances de terrain. Ces amendemens stimulans n’agissent pas, selon nous, sur les laisses de mer, ni sur les sols qui lui doivent leur formation depuis les temps modernes, mais principalement sur les sols argilo-siliceux.

Lorsque l’engrais de mer est sablonneux, il est aussi actif, mais n’est point aussi profitable que lorsqu’il est vaseux, et qu’il contient des substances animales et végétales en décomposition ; dans ce dernier état, c’est une espèce de compost de sable calcaire, de coquillages, d’herbes marines et de sel ; c’est alors l’un des engrais les plus fécondans que l’agriculture connaisse.

L’engrais de mer est en usage en Angleterre comme en France ; dans beaucoup de pays, on comprend sous ce nom les Varechs ou Goémon (Fucus) et autres plantes marines. Ce n’est pas ici le lieu de traiter de cet engrais végétal, mais la vase de mer s’emploie presque aussi souvent que les plantes marines ; son emploi cependant ne peut pas s’étendre aussi loin dans les terres, parce qu’elle nécessite beaucoup plus de transport. Un meilleur état des chemins vicinaux faciliterait et étendrait beaucoup l’emploi de ce puissant moyen d’amélioration, d’autant mieux que, dans l’intérieur des terres, l’étendue du sol auquel il convient est relativement beaucoup plus grande.

En Angleterre, on l’emploie volontiers en top-dressing ou engrais sur la surface, pour les grains d’hiver et les herbages au printemps ; on remarque que le froment, l’avoine et l’orge, auxquels on a donné cet amendement, sont moins sujets à la carie. Dans le Cheshire, la vase marine qu’on tire des marais salans est regardée comme le meilleur de tous les engrais ; on lui trouve l’activité de la marne et la graisse du fumier ; on en fait ordinairement des composts au printemps avec du fumier qu’on mélange, à plusieurs reprises dans la saison, pour les employer au moment de la semaille du froment. Cet amendement est très-recherché du côté d’Avranches, dans la Manche ; on l’y préfère à la chaux et à la marne. Avec des composts faits avec douze à quinze voitures de tangue ou vase de mer par hectare, qu’on mêle avec un quart de plus de fumier ou une quantité proportionnée de terreau, on forme un excellent engrais qui se fait sentir au moins pendant toute la rotation de l’assolement. Dans tout ce pays, l’usage de la chaux est très-répandu, mais aussitôt qu’on approche assez des bords de la mer, et que les chemins permettent de se procurer la vase de mer, on n’emploie plus la chaux.

En Bretagne, l’usage du sable de mer, du côté de Saint-Brieuc et de Matignon, s’est aussi, depuis 30 ans, beaucoup répandu ; il n’était connu qu’à Hilion, où il s’était établi depuis moins de 50 ans ; mais depuis quelque temps, à l’exemple de M. Desmoland, tout le canton de Matignon l’emploie avec le plus grand profit, et son usage se serait encore beaucoup plus étendu si l’état des chemins vicinaux n’enchaînait cette importante amélioration. Le sable de mer convient à la culture du trèfle, de la luzerne, au lin, au chanvre, aux pommes-de-terre ; sur les prairies, il détruit le jonc, augmente la quantité et la qualité des fourrages, convient enfin beaucoup aux terres argileuses qu’il ameublit et rend beaucoup plus pénétrables aux eaux.

On prend plus volontiers la vase à l’embouchure des ruisseaux ou des rivières, parce qu’alors elle contient plus de débris tant marins que fluviatiles, qui y sont amenés de la mer et des terres par le flux et le reflux ; ailleurs le sable ne contient presque que des principes terreux, des débris de coquilles et du sol marin.

Dans les pays où le varech ou goémon ne convient pas au sol ou se recueille beaucoup au-delà du besoin, on le brûle pour avoir ses cendres ; elles peuvent se vendre alors comme contenant un peu de soude de mauvaise qualité, mais elles sont encore plus profitables comme engrais. Des essais en ont été faits en Écosse et ont très-bien réussi pour toutes sortes de cultures : cinq quintaux (250 kilog.) de kelp (nom des cendres de varech) par acre d’Écosse, ont donné une grande augmentation de produit. Elles sont employées depuis long-temps en Bretagne, et leur usage, depuis quelques années, s’est beaucoup étendu.

L’île de Noirmoutier et quelques points du littoral brûlent le varech qu’ils n’emploient point, le mélangent avec de la terre, du sable, des dessous de monceaux de sel, du goémon frais, du fumier d’étable, des coquillages, et toute espèce de débris végétaux et animaux ; on mouille, pendant l’année, le tas, de temps en temps, d’eau salée ; on le remanie à cinq ou six reprises différentes ; alors le mélange ressemble à des cendres. Il y a quelques années, cinq à six petits bâtimens suffisaient pour conduire cet engrais dans les lieux où on l’emploie ; en 1832, on a débarqué à Pornic 1236 charges presque toutes de cendres, chaque charge contenant dix charretées de dix hectolitres chacune.

On emploie dix charretées ou cent hectolitres de ces cendres par hectare ; elles s’appliquent à toute espèce de culture, mais particulièrement au blé noir ou aux légumes d’été ainsi qu’aux prés de hauteur ; on les répand au moment de l’ensemencement : en les mélangeant avec une petite quantité de fumier, on diminuerait d’un tiers la quantité nécessaire et on aurait un engrais au moins aussi profitable.

L’amélioration par l’engrais de mer ne devrait pas se borner aux lieux voisins de ses bords : les chemins vicinaux sont trop mauvais pour qu’on le transporte facilement à distance, mais la navigation des rivières, des ruisseaux même à leur embouchure, au moyen de la marée, permet sans doute qu’on le conduise à peu de frais à une assez grande distance dans l’intérieur des terres. La quantité nécessaire par hectare, 2 à 300 pieds cubes (6,m85 à 10,m28) au plus, est relativement peu considérable ; la durée de son effet sur le sol se prolonge donc beaucoup au-delà de celle du fumier auquel on l’allie ; le flux et le reflux de la mer faciliteraient beaucoup la main-d’œuvre ; le chargement se ferait à marée basse sur la vase découverte, et la marée haute emmènerait le navire et son chargement (fig. 52).
[3:3:3]
Art. iii.Des substances salines.
[3:3:3:1]
§ ier. — Du sel marin ou hydrochlorate de soude.

La grande question est ici le sel marin, les autres sels ne sont qu’accessoires. Le sel marin est l’une des substances qui pourra être fournie par le commerce au moindre prix, lorsque l’impôt qui pèse sur cet objet de première nécessité aura été aboli. Sur les bords de la mer et dans les mines de sel gemme, le quintal ne coûterait que 50 c. Les mines qui peuvent le fournir, dont les filons paraissent d’une épaisseur indéfinie, semblent presque inépuisables ; si donc le sel peut être d’une grande utilité en agriculture, avec la facilité des communications qui s’organisent en France, il y aurait plus de la moitié de la surface de notre pays où le prix du sel serait à peine à un franc le quintal ; et, comme ses effets sur le sol se produisent à petites doses et que néanmoins ils paraissent très-grands, les résultats seraient d’une bien grande importance.

Voyons les faits qui appuient sa grande influence sur la fécondité du sol. L’usage du sel en agriculture est bien ancien : les Hindous et les Chinois en fécondent, depuis la plus haute antiquité, leurs champs et leurs jardins ; les Assyriens, nous dit Pline, le mettaient à quelque distance autour de la tige de leurs palmiers : toutefois on savait qu’en quantité notable il stérilisait le sol ; ainsi, nous dit la Bible, Abimelech s’étant rendu maître de Sicem, détruisit cette ville de fond en comble et sema du sel sur l’emplacement qu’elle occupait.

Dans les temps modernes, les Anglais ont beaucoup plus étudié cette question que nous ; le chancelier Bacon a constaté, par ses expériences, l’emploi avantageux de l’eau salée en agriculture : plus tard Brownrigg, Watson et Cartwright ont confirmé par leurs expériences l’efficacité du sel sur la végétation ; les Sociétés d’agriculture ont ouvert des concours, et Davy, Sinclair, Johnson et Daore en ont vérifié, approuvé et conseillé l’emploi. — Dans le comté de Cornwall, les composts du sel impur des sécheries avec le sable de mer, la terre, le terreau ou des débris de poissons, sont fréquemment employés, et les fermiers du Cheshire, nous dit Davy, leur attribuent l’abondance de leurs récoltes. Dans l’île de Mann, l’emploi du sel sur le sol détruit la mousse des prairies. La composition ordinaire des composts pour les prairies est de 20 voitures de terre et 14 hectolitres de sel par hectare.

Dans plusieurs cantons de pays à cidre, on rend plus robustes et plus fertiles les pommiers en enfouissant autour et à quelque distance de la tige une petite dose de sel marin ; les greffes et boutures qu’on expédie au loin, trempées dans l’eau salée, reprennent plus facilement à leur arrivée.

Le gouvernement anglais, à la demande de l’agriculture, fait mêler avec de la suie et vend à plus bas prix les sels qu’on lui demande pour employer sur le sol. En Allemagne, où il y a moins de littoral, et où le sel est plus rare et plus cher, cette question a moins occupé ; cependant en Bavière, le roi a ordonné qu’on vendit à bas prix tout le sel employé en agriculture, soit pour les bestiaux, soit comme amendement.

En France, une foule de faits appuient aussi l’efficacité, sur certains sols, du sel comme amendement. La grande fécondité produite par les engrais de mer est sans doute souvent due aux sels qu’ils contiennent, et cela est encore plus évident pour les cendres de Pornic, dans la composition desquelles on fait entrer les dessus des monceaux de sel, et qu’on arrose soigneusement pendant tout l’été avec de l’eau salée. L’usage du Morbihan d’arroser le fumier avec l’eau de mer ne s’est sans doute établi que sur la preuve donnée par l’expérience de l’efficacité du sel allié au fumier. Enfin le grand effet du varech, du goémon et de leurs cendres qui contiennent peut-être moitié de leur poids de muriate de soude ou de soude, vient encore à l’appui. Dans quelques cantons du littoral, on sème à la fois la soude (Salsola soda) et le froment dans des terrains salés envahis quelquefois par les eaux de la mer. Lorsque des pluies viennent diminuer la quantité de sel, le froment devient très beau et la soude reste faible ; lorsque les pluies sont peu abondantes, la soude grandit alors aux dépens du froment.

Lorsque le sel n’est pas très-abondant, il favorise la végétation et donne des produits d’excellente qualité ; les prés salés sont en réputation pour la quantité, la qualité de leurs fourrages et l’engrais de leurs moutons. J’ai habité quelque temps en Picardie près des pâtures souvent envahies par les grandes marées : lorsque les pluies viennent laver la surface et entraîner la trop grande portion de sel, leur produit fournit un pâturage abondant et d’excellente qualité.

Expériences sur l’action des sels sur la végétation. — Aucun écrit ne démontre mieux cette action, ne précise mieux la quantité des doses nécessaires et la plupart des circonstances de leur emploi que les expériences de M. Lecoq de Clermont ; il a fait faire un grand pas à la question générale et particulière de l’emploi des diverses substances salines que la nature et l’industrie offrent à l’agriculture. Nous allons donc faire connaître les résultats de ces expériences, en nous bornant toutefois aux faits spéciaux et précis qui intéressent le plus la pratique agricole.

Sur un champ d’orge, en bonne terre franche, fumée l’année précédente, il a divisé un espace de 8 ares en huit lots égaux ; sur les six premiers il a répandu, à la fin d’avril, des doses progressives de sel marin, et il n’a rien mis sur les nos 7 et 8.

Tableau des opérations et des résultats.
Numéros Doses de sel Produits en grains
1 1 1/2 30
2 3 29 1/2
3 5 33
4 6 41
5 9 35
6 12 48
7 00 28
8 00 31

Le no 1er qui n’avait reçu qu’une livre et demie, a différé peu de ceux qui n’ont rien reçu ; le no 2 avait la paille plus longue, l’orge plus touffue ; le no 3 devenait encore meilleur ; no 4, végétation très-vigoureuse, paille surpassant de 10 pouces les nos non salés, et de 4 pouces ceux plus ou moins salés que lui : les épis étaient en outre plus gros, plus longs et plus fournis que lui ; no 5, inférieur au no 4, se rapprochant du no 2, mais plus élevé que lui ; no 6, la plus forte dose, semble malade malgré son produit en grains assez fort ; sa paille n’est pas plus grande que celle des nos non salés.

Il résulte de ces expériences que la dose la plus productive pour l’orge serait de 6 liv. (3 kil.) par are, ou de 6 quintaux (300 kil.) par hectare ; l’are qui a reçu 6 liv. a produit de plus que les nos 7 et 8, qui n’avaient rien reçu, 11 liv. de grains ou 11 quintaux par hectare, ou plus de trois fois et demie la semence, qui est en moyenne de trois quintaux par hectare.

Cette expérience, avec les mêmes données, a été faite en même temps sur un champ de froment en sol un peu maigre, léger et élevé ; les résultats se sont montrés presque les mêmes, malgré les différences de sol, de position et de plantes ; cependant il y avait peu de différence entre les no 3 et 4, dont le premier avait reçu 4 livres et demie, et le second 6 liv. de sel par are.

La dose la plus convenable pour le froment serait donc au-dessous de 6 liv. par are, ou de 5 quintaux par hectare.

Sur un champ de luzerne divisé, de même, avec les mêmes doses et la même étendue, on a eu les résultats suivans.

Numéros Doses de sel Luzerne sèche
1 1 ½ 87
2 3 131
3 5 102
4 6 75
5 9 62
6 12 48
7 00 85
8 00 85

On voit que l’effet, peu sensible sur le no 1er qui n’avait reçu qu’une livre et demie de sel, s’est élevé à son apogée sur le no 2, qui en a reçu 3 liv., pour aller en diminuant jusqu’au no 6, qui en a reçu 12 liv. dont la récolte s’est réduite à 48 liv. ou un peu plus du tiers du no 2. Sur la deuxième coupe l’effet a été à peu près le même ; cependant les pluies ont lavé les nos où le sel était en excès, qui ont alors un peu augmenté en produit.

La dose la plus convenable pour les fourrages légumineux serait donc de 3 liv. (1 kil. 50) par are, 3 quintaux par hectare, ou moitié de celle qui convient aux terres ensemencées en graminées céréales.

La proportion la plus productive pour les pommes-de-terre serait, comme pour les grains, de 6 liv. (3 kil.) par are : c’est la dose du moins qui a donné plus de vigueur aux tiges.

Pour le lin, 5 liv. (2 kil. 50) par are paraissent la dose la plus convenable. Cependant le produit en grains n’est pas plus considérable que celui du lin non salé ; une dose de 8 liv. a donné un produit sensiblement moindre que 5 liv.

Il en est de l’emploi du sel comme de l’emploi de la chaux ; à moins de très-fortes doses, il produit peu d’effet sur les sols humides ; 6 liv. de sel par are répandues sur un pré froid et un pré sec, ont doublé le produit du dernier, et n’ont fait que changer la couleur du pré humide. Sur une avoine en terrain frais, l’effet a été très-peu sensible, tandis que la vigueur s’est beaucoup accrue sur une avoine en sol sec. Enfin, des lots pris sur un sol humide et tourbeux ont reçu par are 6, 12, 24 liv. de sel ; les deux premiers nos avaient de l’avantage sur les parties non salées, et les deux derniers ont beaucoup plus produit que les autres.

3 quintaux sur les fourrages légumineux ont produit le même effet par hectare que 5 milliers de plâtre, d’où il résulte que le sel marin pourrait remplacer le plâtre dans les pays où ce dernier est rare et cher. Mais ce qu’il y a eu surtout de remarquable, comme pour les engrais calcaires, c’est l’amélioration de qualité dans le fourrage des prés humides ; les bestiaux l’ont consommé avec autant de plaisir qu’ils semblaient en avoir peu avant l’expérience.

L’effet général du sel sur les récoltes de toute espèce, est sans doute d’augmenter leur saveur, de les rendre plus agréables et probablement plus nourrissantes pour les bestiaux : nous pensons qu’il en est de même des produits destinés aux hommes. Il est à croire en outre que les produits qui conviennent mieux à l’instinct et à l’appétit des animaux donnent aussi à leur chair plus de qualité et de saveur, ce que semblerait d’ailleurs prouver le haut prix que les gourmets attachent au mouton de pré salé. L’effet général du sel sur les récoltes a été d’augmenter tous les produits, mais en plus grande proportion les produits foliacés. Aussi la dose pour les fourrages n’est-elle que moitié de celle des grains.

Les engrais salins réussissent à peu près aussi bien en poudre qu’en dissolution ; comme le premier moyen est beaucoup plus commode, il est par conséquent bien préférable, d’autant plus qu’en employant le sel en dissolution, pour que son effet ne soit pas nuisible et pour qu’il puisse couvrir toute l’étendue, il faut l’employer dissous dans beaucoup d’eau.

[3:3:3:2]
§ ii. — De l’hydrochlorate ou muriate de chaux (Chlorure de calcium).

Les effets du muriate de chaux sur la végétation avaient été jusqu’ici très-contestés ; il serait toutefois assez important que son action favorable sur le sol fut constatée, parce qu’il s’offre souvent en grands résidus dans les fabriques de produits chimiques. Dans les expériences de M. Lecoq, ses effets ont été presque égaux à ceux du muriate de soude ; toutefois il a semblé moins énergique sur les luzernes, et la dose la plus fécondante, au lieu d’être de 3 liv. par are, comme pour le sel marin, serait entre 3 et 6.

Son emploi est plus embarrassant que celui du sel marin à cause de sa déliquescence ; il est par la même raison d’un transport plus difficile et ne pourrait pas être répandu en poudre.

On s’est borné ici à des expériences en petit ; mais celles de M. Dubuc, de Rouen, lui sont très-favorables. Il pense que les cendres lessivées, le charbon, la sciure de bois, les plâtras, doivent lui servir d’excipient pour le répandre, et que 30 kilog. suffiraient pour l’amendement d’un hectare.

Son effet a été grand sur le maïs, les pommes-de-terre, sur des arbres et arbustes de différentes espèces. Il pense qu’il conviendrait beaucoup au chanvre, au lin, aux graines oléagineuses ; il a doublé le volume des ognons et des pavots auxquels il l’a appliqué.

[3:3:3:3]
§ iii. — Du sulfate de soude.

Le sulfate de soude a été employé sur un pré et une terre"" semée en froment, à la dose de 3, 6 et 12 liv.

Numéros Doses de sel Produit en grains Luzerne sèche
1 3 25 137
2 6 34 156
3 12 32 ½ 187
4 00 26 99
Il en résulte que dans les terres la dose la plus convenable serait de 6 liv. (3 kil.) par are, plutôt néanmoins au-dessus qu’au-dessous, et que dans les prés l’effet avantageux croîtrait jusqu’à 12 liv. et peut-être au-delà, — On peut se procurer ce sel à très-bas prix dans les fabriques de soude. [3:3:3:4]
§ iv. — Du nitrate de potasse ou salpêtre.

Son succès sur le sol, contesté par quelques-uns, a été fort grand dans de nombreuses expériences faites en Angleterre. Les essais comparatifs avec le sel marin paraissent lui avoir donné l’avantage. En Angleterre le prix du salpêtre qu’on extrait de l’Inde est assez peu considérable pour qu’il puisse encore être employé avec avantage par l’agriculture.

La dose la plus utile du salpêtre est à peu près la même que celle du sel marin ; elle varie de 3 à 5 quintaux par hectare. On l’a employé avec succès sur les diverses céréales ; cependant son effet a été plus remarquable sur les prairies naturelles et sur les trèfles.

Curling l’a mêlé avantageusement avec les cendres, ce qui lui a permis d’en diminuer la dose. M. John Lee, qui l’a employé pendant quinze ans, pense qu’il fait produire en proportion plus de paille que de grains, et que son effet se prolonge sur la 2e récolte ; mais d’autres agriculteurs ne partagent pas cette opinion. — On est peu d’accord sur la nature des terrains auxquels convient le mieux l’application du salpêtre ; son effet a été avantageux sur un grand nombre de variétés de sols, mais il semble avoir été plus satisfaisant sur les terrains calcaires.

[3:3:3:5]
§ v. — Remarques générales.

M. Lecoq a encore constaté plusieurs circonstances de l’emploi des substances salines. Ainsi, il les a répandues en poussière au printemps sur les plantes en végétation. Une partie de sol semée en froment sur laquelle, au mois d’octobre, il répandit une dose de sel, a été moins productive qu’un autre lot contigu salé au mois de mars.

Le moment le plus favorable pour donner le sel aux pommes-de-terre serait celui qui précède le buttage ; il en serait sans doute de même du maïs ; dans ce cas, c’est sur ce sol, et non sur les plantes en végétation que le sel est répandu.

L’effet produit par les substances salines est instantané, mais il est peu sensible pour les sols humides et de peu de durée. Elles agissent à petites doses, toutes circonstances qui lui donnent la plus grande analogie avec le plâtre : c’est donc comme stimulant que ces substances agissent, et l’on n’a point à craindre quelles épuisent le sol, à la condition qu’on y joindra une quantité de fumier proportionnée au produit, comme on le fait pour les sols amendés par les engrais de mer.

Après tous les développemens que nous venons de donner, nous sommes bien en droit de conclure que les substances salines aident puissamment la végétation ; mais leur effet malheureusement n’est pas uniforme, n’est pas général, et ce n’est que sur certains sols qu’il se produit. Depuis le mémoire de M. Lecoq, M. de Dombasle a essayé le sel sur son sol ; mais, comme la chaux, il ne lui a pas réussi. Nous avons fait nous-mêmes, à ce sujet, des essais assez nombreux : au printemps dernier, nous avons employé les doses les plus productives des expériences de M. Lecoq avec deux variétés de sel : le sel ordinaire du commerce et le sel de morue ; cette dernière variété moins chère nous semblait devoir être plus énergique à cause des parties animales qu’elle contient. Ce sel, répandu sur quatre portions de prés de position et de sol variés, n’a produit aucun effet sensible : employé sur des portions de champs de froment, en sol de gravier, en sol argilo-siliceux et en sol calcaire, il en a été de même ; enterré à la première façon des pommes-de-terre et au buttage du maïs, il n’a donné aucun résultat ; il a seulement semblé exciter un peu plus la vigueur des vesces d’hiver. A. Puvis.

Section iv.Des amendemens par le mélange des terres.

Si les amendemens stimulans, dont il a été question dans la section précédente, s’appliquent à des sols très-divers, ce qui doit être puisqu’ils agissent plutôt en excitant les forces végétatives qu’en modifiant les propriétés physiques du terrain, nous avons vu au contraire que les amendemens calcaires, dont il a été traité dans la 2e section, ne conviennent qu’aux terres de nature sableuse ou argileuse. Il nous reste à indiquer les amendemens qu’il convient d’employer sur les sols naturellement calcaires, et à citer quelques faits isolés fournis par la pratique de diverses localités, et qui n’ont pas encore trouvé place.

Les terres où domine la chaux sont les plus ingrates et les plus difficiles à amender convenablement. L’argile paraît l’amendement le plus favorable ; l’humus, surtout lorsqu’il est d’une couleur noire ou très-foncée, donne aussi de bons résultats. Mais on ne peut dissimuler que le transport et le mélange de l’argile ne soient souvent difficiles et dispendieux. Cependant, lorsqu’elle se trouve constituer le sous-sol des terrains calcaires ou sableux, on peut la ramènera la surface avec de grands avantages. Si la charrue à deux socs, ou deux charrues à versoir marchant l’une derrière l’autre, ne peuvent l’atteindre, on remplacera la seconde charrue par celle à deux socs, ou l’on aura recours au moyen pratiqué par M. Vilmorin pour approfondir la couche arable (voir page 50, article Sous-sol).

Lorsqu’on ne se trouve pas dans cette situation favorable, il faut le plus ordinairement se borner à l’emploi des engrais, qu’on doit choisir, pour les terrains calcaires, d’une nature grasse et d’une couleur noirâtre.

M. Puvis recommande aussi le brûlement de la terre argileuse, qu’il considère à peu près comme le seul amendement pour cette nature de sol, comme le seul moyen d’y produire un effet analogue aux amendemens calcaires sur les autres terres. Il regarde donc en quelque sorte l’argile brûlée, dont il sera parlé à l’article Écobuage, comme le complément du système général des amendemens et de leur application à tous les terrains.

Notre savant collaborateur cite encore les faits suivans, dont l’application, dans des circonstances analogues, pourra être tentée par les cultivateurs intelligens.

L’argile est très-employée dans l’agriculture anglaise : dans quelques cantons même du Norfolk, on la préfère à la marne ; il est cependant à croire que cette préférence a lieu pour des sols anciennement marnés et où une nouvelle addition de marne est inutile, comme il s’en rencontre beaucoup dans le Norfolk, où le marnage est ancien. D’ailleurs, fréquemment on prend l’une pour l’autre ; dans les pays surtout où l’on emploie la marne pierreuse, la marne terreuse grise est employée, comme dans le Holstein, sous le nom de glaise, ce qui peut donner lieu à d’assez graves erreurs. Cependant l’argile elle-même est fécondante lorsqu’on la met sur des terrains légers.

Thaër dit qu’on ne peut attendre une action véritablement améliorante de l’argile ou de la glaise qu’autant qu’elles ont été exposées pendant plusieurs années aux influences de l’atmosphère ; telles sont les argiles qui ont servi à construire des tranchées, des murs ou des digues, surtout dans le voisinage des habitations ou des cours rustiques ; la glaise se divise alors plus facilement, et se mêle mieux avec le sol. — Le même savant dit que lorsqu’on transporte du sable sur un terrain argileux, ou de la terre argileuse sur un sol léger ou calcaire, il faut, pour en opérer le mélange, labourer fréquemment, d’abord aussi superficiellement que cela est possible, et ensuite peu-à-peu plus profondément ; puis herser, passer le rouleau, et quelquefois briser les mottes avec des maillets. Toutes ces opérations, qui ne peuvent bien réussir qu’au moment où l’argile a atteint le degré de siccité pendant lequel les mottes peuvent être divisées et brisées par les instrumens, ne se font pas sans de grands frais.

M. le baron de Morogues recommande pour l’amendement des terres sableuses, outre le fumier gras et la marne argileuse, le limon des fossés et les décombres des bâtimens construits en torchis : ces amendemens conviendraient aussi sans doute très-bien aux terres calcaires.

Pour les terres argileuses, outre l’usage des amendemens calcaires, on a obtenu dans beaucoup de cas les meilleurs résultats de l’emploi des fumiers chauds et pailleux. Le savant que nous venons de citer recommande particulièrement les fumiers composés de joncs, de bruyères, de fougères ou de genêts, lorsque, ayant servi de litières, ils ne sont qu’à demi consommés. Il en sera question dans le chap. des Engrais.

M. Oscar Leclerc-Thouin nous a fait part de plusieurs faits intéressans relatifs au mélange des terres.

Le roc (schiste argileux) des environs de Chalonnes-sur-Loire est employé habituellement et en quantité considérable pour l’amendement des vignes. (Voir ci-dessus, page 27.) Ce schiste n’est pas toujours de même nature : tantôt, par sa dureté, il se rapproche un peu de la nature de l’ardoise, et prend dans le pays le nom de roc ardoisé ; alors sa décomposition est moins rapide. Dans l’Anjou, les personnes jalouses de faire de bon vin préfèrent de beaucoup l’usage du schiste argileux à celui du fumier. — Le schiste dont il s’agit se trouve presque partout en sous-sol à une faible profondeur ; une fois la première entaille faite, il se bêche assez facilement. On le transporte dans les vignes, au moyen de chevaux, au prix de 2 à 3 sous la charge, selon la distance, ou, lorsque cette dernière est peu considérable, dans des hottes portées par des enfans qu’on paie de 12 à 15 et 20 sous, selon leur âge, leur force et la capacité de leur hotte. Le roc a le double avantage de diviser les terres trop tenaces, et, comme on peut l’employer en fortes proportions, d’augmenter la profondeur de la couche végétale. Notre savant collaborateur s’est parfaitement trouvé de faire couvrir un sol peu profond, planté en arbres, de 8 à 10 po. de cette même roche argileuse. À la vérité, ce qui est possible dans la petite culture ne le serait pas dans la grande.

Dans les sols siliceux, les terres qui font la base des divers composts, celles qu’on mêle à la chaux, etc., doivent être argileuses. — Les boues argileuses qu’on retire des fossés, des mares, etc., sont à la fois de bons engrais et d’excellens amendemens pour ces mêmes terres.

L’utilité du sable, des graviers, des cailloux, dans certains sols, est si réelle, que A. Thouin cite ce singulier jugement qui condamna, à Rouen, un ingénieur du gouvernement à reporter sur un champ une grande quantité de cailloux de diverses grosseurs qu’il en avait extraits pour les employer à ferrer une route voisine. — En effet, dans les terres fortes, la présence en suffisante quantité de petits fragmens quartzeux est un indice certain de fécondité.

Pour améliorer le sol rude et tenace de certains jardins, on fait venir, à raison de 3 à 4 sous la charge de cheval, des sables d’alluvion qui servent à la fois d’engrais et d’amendement. Cette pratique est fort ordinaire sur divers points du littoral de la Loire, pour la petite culture.

Les métayers de l’ouest faisaient il y a une 15e d’années et font encore un emploi considérable des terres légères pour amender leurs champs. On a payé ces terres jusqu’à 6 et 7 fr. la charretée, et on venait les chercher à de fort grandes distances par des chemins difficiles. Maintenant l’usage en est moins général, on va les chercher moins loin ; mais le mélange des terres est toujours en faveur, et c’est sur la propriété même qu’on les prend pour en faire des composts dans lesquels entre la chaux.

« Dans certains endroits du Vicentin, dit Phippore, lorsque les terres sont trop fortes, on y mêle du sable pour les rendre plus légères ; dans les environs de Reggio, ceux qui soignent le mieux leurs plantations, et qui veulent en assurer le résultat, mettent du sable au pied des jeunes arbres plantés dans des terrains, forts, principalement au pied des vignes. Ces terrains, devenus ainsi plus légers, se crevassent moins en été, et les plantes se trouvent garanties de la sécheresse de la saison. »

L’utilité de cette sorte d’amendement a été constatée dans l’Agogna, par une expérience curieuse que le docteur Biroli, professeur d’agriculture à Novare, rapporte : « Dans cette partie de la vallée du Ticin, on trouve des rizières à fond marécageux et excessivement argileux. Les rives du Ticin sont formées de couches d’un gros gravier silico-calcaire tout-à-fait stérile. Un propriétaire fît jeter une certaine quantité de ce gravier passé à la claie, pour exhausser un petit enfoncement qui se trouvait sur une rizière voisine. Le riz végéta à cette place d’une manière si vigoureuse qu’il contracta la rouille (brusone), comme cela arrive dans les rizières trop fertiles. Cette maladie continua pendant trois années consécutives, et rendit pour ainsi dire témoignage de la fécondité excessive du terrain. Au bout de ce temps, et pendant le cours d’une vingtaine d’années, la récolte du petit espace qui avait été recouvert de gravier, surpassa de beaucoup celle du restant de la rizière. Ce propriétaire en fit dès-lors porter sur toutes ses terres, mais à une dose beaucoup moindre que la première fois ; le succès fut tel que ses voisins se déterminèrent tous à en faire usage. Ceux qui possédaient des terres extrêmement tenaces s’en sont constamment bien trouvés. Ils répandent ce sable en automne, et en règlent la quantité sur la nature du terrain.»

Pour améliorer les terrains riches, mais qui manquent de consistance et sont exposés à l’humidité, Thaër dit qu’on emploie le sable avec le plus grand avantage. Lorsqu’on le charrie sur ces terrains, il s’y enfonce peu-à-peu et pénètre dans le terreau, dont il raffermit le tissu spongieux : il faut donc, autant que possible, le maintenir à la superficie. Il n’est jamais plus efficace que quand, au lieu de l’enterrer, on le répand sur le sol pendant qu’il est en herbages ; ce sable donne de la vigueur à la végétation des plantes, et en améliore la nature comme le ferait un fumier très-actif.

Les faits suivans, rapportés par M. Puvis, indiquent encore plusieurs cas dans lesquels le sable améliore beaucoup le sol.

« M. Saunier d’Anchald, dans le Puy-de-Dôme, a fécondé ses champs avec du sable mis en litière sous ses bestiaux, beaucoup plus qu’ils ne l’eussent pu être avec la même quantité d’engrais animaux que celle mélangée au sable. — Dans les domaines de Chavannes, situés sur le grand plateau du bassin de la Saône, dont le sol est argileux, des veines de sable, placées dans des chemins creux, sont exploitées toutes les fois que les loisirs des fermiers le permettent ; le sable est charrié directement, ou sur le sol pour y être épanché, ou dans les cours pour séjourner dans l’eau de fumier. Dans l’été, quand la paille manque, on met le sable en litière sous les bestiaux. Dans ces trois circonstances différentes, l’effet du sable sur le sol a été très-grand.»

  1. Statistique du département du Nord.
  2. 1 vol. in-8o. Paris, chez Mme Huzard.
  3. Dans ce département, 70 cendrières en pleine exploitation ont produit, pendant le 4e trimestre de 1833, 800,000 hectolitres de cendres noires, qui ont été livres aux usines ou à l’agriculture, pour une somme de 400,000 francs.