Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 4

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Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 82-112).
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CHAPITRE IV. — des engrais.

Définition : — On désigne sous le nom d’engrais les divers débris des animaux et des végétaux dont la décomposition peut fournir des produits liquides ou gazeux propres à la nutrition des plantes.

Ainsi, on doit se garder de confondre ces substances organiques ou résidus de l’organisation, susceptibles de se décomposer spontanément à l’air, jusqu’à se réduire en terreau de plus en plus consomme et moins actif, soit avec les amendemens terreux ou inorganiques qui ne se décomposent pas d’eux-mêmes par une simple fermentation, dont la fonction principale est d’améliorer le fonds ou les qualités physiques du sol, en le rendant ou plus léger ou plus compact ; soit avec les stimulans que forment différens sels, composés également non organisés, non décomposables spontanément, et dont les fonctions utiles paraissent être, en général, d’exciter les forces végétatives.

Ajoutons que certains sels insolubles ou solubles, compris dans les amendemens ou dans les stimulans, et qui remplissent les fonctions que nous venons de rappeler, peuvent être décomposés sous l’influence de certains agens, comme les acides ou sels acides qui seuls nuiraient, et alors laisser dégager un gaz, de l’acide carbonique par exemple, comme cela arrive pour le carbonate de chaux ; ils peuvent ainsi indirectement servir d’aliment ou d’engrais ; mais cette fonction, indirectement remplie, ne doit changer ni la distinction ci-dessus établie, ni la définition que nous donnons des engrais.

Les divers détritus organiques, ou débris des végétaux et des animaux dans leur décomposition, élèvent la température, déterminent des courans électriques, laissent dégager ou dissoudre plusieurs composés nouveaux de leurs élémens, et surtout l’acide carbonique, dont les plantes assimilent le carbone et le carbonate d’ammoniaque qui parait assurer aux engrais azotés des débris animaux une incontestable supériorité sur les engrais végétaux, surtout dans la reproduction des graines et des autres parties azotées des plantes.

Si l’action intime de tous les produits solubles ou gazeux que fournissent les engrais n’a pas été encore suffisamment étudiée, il est toutefois certain que la plupart de leurs effets, récemment bien précisés, se reproduisent partout où les conditions favorables sont remplies.

Nous commencerons donc par l’exposé de ces conditions et des moyens de les réunir.

Sect. Ire. Des circonstances favorables à leur action. 
 ib.
§ Ier. De l’humidité. 
 ib.
§ 2. De la chaleur et de la porosité. 
 83
§ 3. Des stimulans et leurs effets généraux. 
 84
Sect. II. Action des divers engrais. 
 86
Sect. III. Des différens engrais. 
 87
Art. Ier. Des engrais tirés du règne végétal. 
 ib.
§ Ier. Des plantes terrestres. 
 ib.
§ 2. Des plantes aquatiques. 
 91
Art. II. Des engrais animaux. 
 92
§ Ier. De quelques substances peu employées. Sabots, cornes. — Plumes, crins, poils. — Viande. 
 ib.
§ 2. Du sang désséché. 
 ib.
§ 3. Issues, vidanges et déchets des boyaux. 
 94
§ 4. Os : explication de leurs effets. 
 ib.
§ 5. Engrais liquides. 
 96
§ 6. Fabrication et emploi de la poudrette. 
 98
§ 7. Inconvéniens des engrais infects. 
 99
§ 8. Du noir animal et du noir animalisé. 
 ib.
§ 9. Fabrication et emploi des engrais désinfectés. 
 100
§ 10. Imitations et falsifications du noir animalisé. 
 102
Art. III. Des engrais mixtes, ou fumiers. 
 103
§ Ier. Mode général d’emploi. 
 104
§ 2. Des fumiers d’étable ou litières. 
 ib.
§ 3. Engrais produit par le parcage. 
 106
§ 4. Excrémens des oiseaux. 
 ib.
§ 5. Vase des mares et étangs, et boues. 
 107
§ 6. Suie des cheminées. 
 108
§ 7. Des composts, ou mélanges des terres et fumiers. 
 ib.
Joncs employés comme engrais. 
 109
Sect. IV. Prix et effets comparés des divers engrais. 
 ib.
§ Ier. Fixation du prix du revient des engrais. 
 ib.
§ 2. Détermination des effets des engrais. 
 110
§ 3. Proportion d’engrais contenue dans divers mélanges. 
 111
§ 4. Comparaison des prix et des effets des divers engrais, avec les doses nécessaires. 
 112


Section 1re. — Des circonstances favorables à l’action des engrais.

§ 1er. — De l’humidité.

Au premier rang parmi les agens extérieurs qui favorisent l’action des engrais, se place l’humidité : en effet, sans une certaine proportion d’eau, la décomposition des engrais n’a pas lieu ou se trouve trop retardée, et d’un autre côté la végétation des plantes, trop ralentie par suite de la même cause, ne peut même profiter des émanations gazeuses, dont le défaut d’humidité rend encore le contact moindre et l’absorption plus difficile.

Ainsi, durant les sécheresses, on a souvent remarqué, et notamment l’an dernier (1833), que les engrais n’avaient produit aucun effet sensible ; mais que ceux dans lesquels un agent de désinfection avait suspendu la décomposition spontanée produisaient enfin des résultats très-avantageux sous l’influence d’une première pluie. Cette dernière circonstance s’est encore réalisée en 1833 : dans beaucoup de localités elle a produit une récolte inattendue, et amplement dédommagé d’une fumure que l’on croyait désormais inerte. Nous verrons que l’on peut artificiellement obtenir cette humidité si favorable, à l’aide d’arrosages, d’engrais verts, de marcs de fruits ou de substances hygrométriques qui peuvent être considérées comme de puissans auxiliaires des engrais.

Un excès d’humidité dans le sol, empêchant l’accès de l’air et des gaz, asphyxiant en quelque sorte les racines, ou rendant leur tissu trop lâche, trop lymphatique, est très-nuisible à l’action des engrais comme au développement ou à la force des plantes ; toutes les fois donc que l’eau est persistante à la superficie du sol ou à quelques centimètres de profondeur, on doit chercher à s’en débarrasser. L’un des moyens les plus économiques consiste à creuser des rigoles d’écoulement, les unes parallèles entre elles, les autres perpendiculaires aux premières, et d’autant plus rapprochées que la terre, moins poreuse, est moins facile à égoutter. On choisit les lignes des plus grandes pentes naturelles, afin d’avoir moins à creuser, et, lorsque la pente est assez rapide pour charrier les terres, ou creuse transversalement quelques fossés plus profonds dans lesquels on reprend chaque année l’espèce de terre d’alluvion entraînée, puis on la répand à la superficie du sol.

Si l’excès d’eau n’est pas susceptible d’être écoulé ainsi, parce que le terrain est généralement horizontal et près d’une nappe d’eau, on laboure en sillons très-profonds à des distances de 1 à 2 mètres, en sorte que le champ est divisé en ados, dont le sommet est suffisamment sec quand même le fond des sillons serait rempli d’eau, fig. 53 où ce champ est vu en coupe, et fig. 54 où on l’a montré en perspective.
[4 :1 :2]
§ ii. — De la chaleur et de la porosité.
Une certaine température n’est pas moins indispensable à la décomposition des engrais qu’aux progrès de la végétation.

La porosité du sol, que nous avons donné les moyens de reconnaître et d’obtenir, offre aux gaz émanés des engrais un puissant et utile réservoir. Aussi trouve-t-on du profit à recouvrir de terre ou mélanger avec elle les engrais, mais surtout ceux qui sont trop rapidement altérables.

On rend facilement évidente cette propriété du sol : que l’on enferme dans un terrain meuble le cadavre d’un animal, qu’on le recouvre seulement de 8 à 10 pouces de terre, et à peine pourra-t-on sentir au dehors des traces de l’odeur de sa putréfaction, tandis que, laissé découvert ou même enfermé dans une caisse assemblée sans précaution, il eût répandu l’infection aux alentours. La terre au-dessus de lui sera d’ailleurs fertilisée pour plusieurs années sans que les racines viennent toucher l’animal en putréfaction.

La cohésion plus ou moins forte des engrais insolubles, la solubilité également variable de plusieurs autres, ont une grande influence sur la durée de leur décomposition, et de cette durée dépend surtout l’effet utile des engrais : voici à cet égard la donnée générale que nous avons déduite d’une foule d’essais, et qui s’accorde avec toutes les observations pratiques : Les engrais agissent d’autant plus utilement que leur décomposition est le mieux proportionnée aux développemens des plantes.

Nous verrons, en traitant de chacun des engrais en particulier, qu’il est toujours possible de les modifier de manière à se rapprocher de cette condition, soit en ralentissant la décomposition des engrais trop actifs, soit en l’accélérant pour les autres ; qu’il est généralement avantageux de le faire, et qu’enfin une foule d’anomalies apparentes dépendent des variations de la durée de leur altération spontanée, dont on n’avait pas assez tenu compte dans les précédentes recherches sur les engrais. Nous pouvons encore indiquer comme une des conditions les plus essentielles du succès de presque toutes les fumures, la présence dans le sol d’une base qui puisse saturer les acides ; c’est là un des effets constans et les plus utiles de la chaux, de la marne calcaire, des cendres de végétaux, etc.

Voyons comment cela se peut prouver : déjà nous avons démontré qu’un excès d’acide est généralement nuisible aux plantes cultivées ; or, l’un des produits de la germination est un acide excrété par les racines de plusieurs espèces de plantes, notamment des céréales, et rejeté dans le sol ; presque tous les débris végétaux, en se décomposant, donnent des solutions acides ; enfin plusieurs résidus de débris animaux ont une réaction acide, bien que les gaz qui s’en sont exhalés aient eu un caractère alcalin : on voit donc que l’acidité nuisible tend sans cesse à dominer. Il n’est pas moins évident que le carbonate de chaux des marnes et des cendres, les carbonates de soude et de potasse des cendres non épuisées, peuvent saturer des acides même faibles ; qu’enfin la chaux éteinte ou hydratée sature avec plus d’énergie des acides plus faibles encore, et peut quelque temps maintenir une légère réaction alcaline favorable à la végétation.

En saturant les acides, soit excrétés pendant la végétation, soit produits par l’altération de divers engrais, les substances précitées (carbonate de chaux, de soude et de potasse) déterminent encore un résultat fort avantageux. Elles laissent dégager lentement de l’acide carbonique, et celui-ci, comme on le démontrera en parlant de la respiration des plantes, est le principal agent de leur nutrition ; il laisse assimiler son carbone et exhaler dans l’air l’oxygène.

Ces dernières réactions, qui contribuent à fournir du carbone aux plantes et de l’oxygène à l’air atmosphérique, sont reproduites même par la chaux lorsque celle-ci s’est peu-à-peu unie avec l’acide carbonique ambiant ; alors elle offre un carbonate calcaire d’autant plus favorable qu’il est en général beaucoup plus divisé, plus pur, plus facilement attaquable que le calcaire des marnes et de diverses roches.

Nous verrons, en parlant des engrais végétaux, que la chaux est encore fort utile comme un excellent moyen de désagréger et d’utiliser comme engrais les débris ligneux trop consistants qui pourraient être nuisibles dans le sol par leur volume et leur dureté.

[4:1:3]
§ iii. — Des stimulants et de leurs effets généraux.
Enfin, l’efficacité des engrais dépend encore de la présence et des proportions de divers sels stimulants : la plupart des sels neutres ou alcalins, en petite proportion, paraissent utiles à toutes les plantes, et cela peut tenir à la conductibilité et aux courants électro-chimiques qu’ils favorisent.

Il importe d’autant plus de ne pas confondre l’action de ces substances avec celle des engrais, que, loin de servir eux-mêmes d’aliments aux plantes, ils les rendent plus actives dans leur végétation et capables d’assimiler une plus forte dose des produits des engrais ; que par conséquent on doit augmenter la proportion de ceux-ci lorsque l’on ajoute les stimulants convenables. C’est sous cette condition, et toutes autres circonstances étant favorables d’ailleurs, que l’on obtient de ces deux sortes d’agents un plus grand effet utile.

Quant à la nature et aux proportions des stimulants qu’il convient d’employer pour favoriser l’action des engrais, elles varient suivant les diverses plantes et la nature du sol.

Plâtre. — Nous avons vu dans le chap. précédent, que le sulfate de chaux ou plâtre que l’on emploie en poudre fine, produit ses effets les plus remarquables sur les terres argilo-siliceuses qui en exigent plus que les terrains calcaires ; les luzernes, le trèfle, les fèves, haricots, pois, vesces, et toutes les légumineuses en profitent le plus. On l’emploie avec succès au pied des oliviers, des mûriers, des orangers et de la vigne. Les doses usitées aux environs de Philadelphie, où l’on s’en sert depuis 1772 sans interruption, sont annuellement de 75 à 500 kil. par hectare. Dans un grand nombre de localités, la quantité la plus faible de plâtre employé en poudre fine est à peu près égale à celle de la graine ensemencée.

L’époque qui paraît le plus convenable pour déterminer le maximum d’effet, est celle où les feuilles de la plante sont assez développées pour qu’une grande partie du plâtre soit retenu par elles. On conçoit que, dans cette circonstance, ce sel peu soluble, offrant une plus grande surface à l’action de la rosée, des brouillards et de l’humidité extraite du sol par la plante, doit être dissous en plus grande proportion.

Il est d’ailleurs très-probable que le plâtre n’agit qu’autant qu’il est dissous ; que par conséquent le sulfate de chaux anhydre (plâtre natif), qui, ne contenant pas d’eau de cristallisation, ne peut être cuit ni gâché), de même que le plâtre trop calciné, dit brûlé, ne seraient doués que d’une très-faible énergie. Or, pour que le plâtre soit trop calciné, il suffit qu’il ait été chauffé jusqu’au rouge brun ; alors il ne peut plus se gonfler et se prendre en absorbant l’eau ; mélangé en bouillie avec ce liquide, il reste sans gonflement, sans agrégation, comme le serait de la poudre grossière d’argile calcinée, qu’il pourrait même remplacer s’il n’était trop cher. Le plâtre cru mis en poudre ne se gonfle pas non plus dans l’eau ; il reste sableux. On voit donc que, dans les trois états précédents, le plâtre offre à l’eau moins de prise, moins de surface que lorsqu’il a été cuit au point convenable ou plutôt desséché à une température inférieure au rouge naissant, c’est-à-dire entre 150 et 300 degrés centésimaux[1].

Cuit entre ces limites, le bon plâtre, celui de Montmartre ou de Belleville par exemple, gâché avec son volume d’eau, commencera à prendre de la solidité au bout de 7 à 10 minutes ; si alors on le délaie avec une 2e fois la même dose d’eau, et, dès que le mélange recommence à faire prise, on ajoute encore une 3e dose égale d’eau, et on continue ainsi jusqu’à six fois, le mélange peut encore acquérir une faible consistance. Si on le laisse sécher divisé en mottes à l’air, on peut le réduire très-aisément en poudre fine. En cet état le plâtre agit d’autant mieux qu’il offre une très-grande surface à l’action de l’eau.

On conçoit en effet qu’à chaque addition d’eau le plâtre se gonflant, augmente graduellement de volume, que par conséquent les parties se divisent de plus en plus jusques à occuper 6 fois plus de volume par l’interposition de l’eau.

Lorsqu’au contraire on emploie le plâtre trop cuit, il n’absorbe pas même un volume d’eau égal au sien, ne se gonfle pas et n’éprouve aucune division ultérieure ; par cette cause, retenant donc à peine la sixième partie de l’eau interposée que peut renfermer le plâtre bien cuit, il offre d’autant moins de prise à l’action dissolvante.

Ces phénomènes, que chacun peut à volonté reproduire, expliquent les anomalies apparentes observées dans les effets du plâtre cuit ; anomalies qui ont porté quelques agronomes à penser que le plâtre cru agit aussi efficacement que le plâtre cuit. Cela est vrai si ce dernier a été mal divisé, soit par suite d’une trop forte calcination, soit par toute autre cause. En effet, le plâtre cru mis en poudre cède au moins autant à l’action dissolvante de l’eau, que le plâtre trop calciné.

Ainsi, la seule utilité de la cuisson du plâtre pour l’agriculture étant dans la grande et facile division qui peut en résulter, on doit comprendre combien il importe d’éviter l’excès de température qui produirait l’effet contraire.

Si la meilleure pierre à plâtre pour les constructions est celle qui, calcinée à point, nécessite le moins d’eau pour se fâcher, et peut en absorber le plus par des prises successives[2], il n’en est pas de même pour l’agriculture ; et cela se conçoit, puisque la divisibilité est la principale condition de son meilleur effet.

Il résulte évidemment de cette considération que les gypses lamelleux, fibreux ou à grains très-fins qui, calcinés à la température convenable, exigent beaucoup d’eau pour se gâcher et peuvent à peine faire une 2e prise avec un volume d’eau égal au premier, sont susceptibles de peu de solidité dans les constructions ; mais que, se gonflant beaucoup immédiatement, et très-faciles à diviser, ils offrent les propriétés convenables pour l’agriculture.

En réunissant les conditions précitées dans l’emploi des pierres gypseuses dont on pourrait disposer, on obtiendra le maximum d’effet du plâtre ; et une dose de 250 par hectare répandue chaque année, pourra quelquefois produire plus d’effet qu’une quantité double ou triple de plâtre mal divisé.

Les plâtras de démolitions peuvent souvent être d’un emploi très-avantageux : non seulement leur forme spongieuse les rend faciles à diviser, mais encore les matières organiques et les nitrates qui s’y sont peu-à-peu introduits ajoutent aux engrais et aux stimulans du sol.

On peut encore obtenir économiquement des effets analogues de certains résidus composés de sulfate de chaux, et notamment du produit de la saturation de l’acide sulfurique par le carbonate de chaux, en excès dans la fabrication du sirop de fécule.

Nous avons cru devoir entrer dans beaucoup de détails sur cet important sujet, parce que nous pouvions donner des notions précises qui, récemment démontrées, ne se trouvent dans aucun ouvrage relatif à l’agriculture publié jusqu’aujourd’hui.

On a reproché au plâtrage des luzernes d’avoir donné lieu, en quelques endroits, à la météorisation des bestiaux. Cet effet, rarement observé, nous paraît tenir à une végétation rapide sous les influences favorables réunies d’humidité, de température, d’engrais et de stimulans : dans ce cas en effet la laxité du tissu des végétaux admettant une surabondance d’eau, doit produire les effets bien constatés des nourritures trop aqueuses. Un moyen de parer à cet inconvénient consiste à mélanger un peu de sel commun aux alimens.

Plusieurs agronomes ont observé le peu d’effet du plâtre dans les sols qui déjà contiennent du sulfate de chaux en proportion notable ; il est évident que ce sel étant assez abondant pour que l’eau puisse s’en saturer, un nouvel excès qu’on ajouterait serait inutile.

Nous traiterons dans un même article de la Division des Arts agricoles, des fours à cuire le plâtre, à calciner la pierre à chaux et l’argile.

Cendres noires, terres noires de Picardie, cendres pyriteuses. — On peut encore regarder comme un puissant auxiliaire des engrais ce stimulant, dont, l’usage se répand de plus en plus.

Son efficacité nous paraît tenir à trois causes principales : 1o la couleur noire terne dont nous avons démontré l’heureuse influence comme moyen d’échauffer le sol (Voy. chap. ii, p. 46) ; 2o le sulfure de fer, dont la combustion lente augmente l’échauffement de la terre et l’excitation électrique ; 3o les sulfates acides de fer et d’alumine. L’action de ces deux sels solubles sur le carbonate de chaux que renferme le sol donne lieu à la formation du sulfate de chaux, qui agit sur les plantes comme nous venons de le dire, et au dégagement d’acide carbonique, qui offre un aliment aux parties vertes des végétaux. Ainsi donc la présence du carbonate de chaux dans le sol est ici fort utile, et on doit en remplacer la déperdition par des marnages ou des chaulages bien entendus.

Sans doute l’addition d’un engrais azoté est indispensable, après cette réaction, pour assurer la récolte des graines, tandis qu’il est moins nécessaire pour obtenir le produit des prairies, surtout dans les terres en bon état de culture.

Quant aux mêmes matières qu’on a lessivées pour en extraire les sulfates solubles dans la fabrication des magmas (sulfates d’alumine et de fer) et préparer l’alun, elles agissent de même, mais plus faiblement ; car elles retiennent toujours des mêmes sels, mais en moindres proportions.

Enfin les mêmes terres calcinées en tas, à l’aide d’une petite quantité de combustible, peuvent être tellement brûlées par suite du charbon ou du sulfate de fer qu’elles renferment, qu’alors elles prennent une couleur rougeâtre due au peroxide de fer, et qu’elles ne contiennent presque plus rien de soluble. Les sulfates de fer et d’alumine décomposés n’ayant laissé que de l’oxide de fer et de l’alumine, en cet état elles n’offrent plus qu’un amendement sableux, analogue à l’argile calcinée propre à l’amélioration des sols trop compacts.

L’argile calcinée, mise en poudre, est en effet un excellent amendement des sols argileux, froids, ou terres trop fortes ; elle les rend plus perméables à l’eau et aux solutions nutritives ou stimulantes. Son mélange augmentant la porosité du sol, le rend capable d’absorber et de retenir beaucoup mieux les gaz utiles à la nutrition des plantes.

C’est encore par la même influence que la cendre de houille est très-utilement employée pour diviser les terres fortes humides, en Belgique, tandis que, essayée sur les terrains légers et secs, elle n’a produit que de mauvais résultats.

Nous avons vu que les cendres de bois ont, en outre, l’avantage d’introduire des bases alcalines, des sels stimulans, et une grande proportion de carbonate de chaux, si utile dans les sols privés ou peu pourvus de calcaire.

Les cendres de mer, ou résidus de la combustion des plantes marines, contiennent, en outre, une plus forte proportion de chlorure de sodium (sel marin), et de sulfate de soude et de potasse, que toutes les autres ; aussi leur action stimulante est-elle bien plus énergique.

L’action stimulante des sels, si spéciale à certaines plantes, et si bien constatée pour le sulfate de chaux (plâtre) sur toutes les légumineuses, peut être nuisible sur d’autres plantes, du moins à égales proportions. C’est ainsi qu’un terrain trop salé, par suite de l’évaporation de l’eau de mer, pour donner d’abondantes récoltes en céréales, produit un développement très-remarquable sur les Salsola, au point que, passé en grande partie dans ces plantes, le sol peut être par suite assez dessalé pour que les blés y viennent bien.

Les coquilles d’huître, les bancs coquillers dits faluns, exploités notamment en Touraine, et les varechs, ramassés sur les côtes de la Bretagne, contiennent, outre les sels stimulans et le carbonate de chaux, des substances animales qui constituent les engrais azotés. Nous y reviendrons plus loin en traitant de ces derniers.

Les nitrates de chaux, de potasse et de soude, qui forment une partie active des matériaux salpêtres, des plâtras tirés des murs de caves, des écuries, etc., sont aussi très-favorables au développement de diverses plantes ; quelques-unes en peuvent absorber d’énormes quantités : c’est ainsi que des betteraves cultivées dans un sol fumé avec des boues de Paris mêlées de plâtras salpêtres, m’ont donné, en les analysant, une quantité de nitrates presque égale à la quantité de sucre qu’elles contenaient pour un même poids. Ces racines, ayant d’ailleurs rencontré dans le sol une proportion convenable d’humidité et d’engrais, avaient acquis un très-grand développement.

La culture d’une année en betteraves offrirait donc un des bons moyens de dessaler un sol trop salpêtre.

Section ii. — Action des divers engrais.

Les différens débris de végétaux et d’animaux qui ont été doués de la vie sont destinés à servir d’alimens aux plantes ; c’est en se désorganisant de plus en plus qu’ils fournissent les produits solubles ou volatils assimilables. Ainsi, lorsque des plantes arrachées sont mises en tas, une fermentation s’établit, échauffe la masse, dégage de la vapeur d’eau et des gaz que décèle leur odeur plus ou moins forte ; des sucs altérés, n’étant plus contenus par les tissus organisés qui se déchirent peu-à-peu, s’écoulent ou se dissolvent dans les eaux pluviales : ce sont ces gaz dégagés avec la vapeur d’eau, et ces substances dissoutes, qui peuvent servir d’engrais.

Les débris des animaux morts présentent des phénomènes analogues : les produits de leur décomposition, solubles ou gazeux, développent une odeur plus forte ; ils diffèrent notamment par la présence d’une beaucoup plus abondante production d’ammoniaque et par une action plus vive et plus grande, qui doit en faire réduire la quantité relativement à d’égales superficies de terres en culture.

Enfin, les déjections animales donnent directement des produits liquides et gazeux assimilables par les plantes, et qui constituent la partie la plus active de tous les fumiers.

Ces décompositions spontanées, que favorisent l’oxigène de l’air et sa température plus élevée, exhalent notamment l’acide carbonique libre ou combiné dont les plantes peuvent extraire le carbone qui accroît leurs parties solides.

Plusieurs savans avaient dit, sans toutefois être d’accord avec tous leurs confrères, que dans la fermentation des engrais le dégagement d’une grande partie des produits volatils constituait une importante déperdition des principes utiles à la végétation. Cependant presque tous les agriculteurs avaient observé une influence défavorable plus ou moins fortement marquée de la part des fumiers non consommés, et surtout de diverses matières animales, telles que la chair, le sang, les viscères, etc. Ainsi donc la science indiquait tous les principes utiles, et la pratique semblait avoir appris combien il en fallait perdre pour assurer au résidu une incontestable efficacité.

La question en était à ce point lorsque, dans un concours ouvert par la Société centrale d’agriculture, le mémoire qui obtint le ler prix démontra que l’on pouvait appliquer sans aucune déperdition toutes les matières organiques, même les plus putrescibles, à fertiliser les terres, et doubler, tripler, quelquefois même décupler ainsi leur effet utile. Depuis je reconnus encore que dans les sols fertiles une faible réaction alcaline, due, soit à la chaux, soit au carbonate de soude ou de potasse qui se trouvent dans les cendres, etc., soit au carbonate d’ammoniaque dégagé par les matières animales, peut activer beaucoup la végétation ; Que la plupart des acides ou des sels acides sont, en général, nuisibles à la germination et au développement des plantes, mais qu’ils peuvent, au contraire, indirectement les favoriser lorsque, sans être en contact avec les extrémités des racines, ils réagissent sur le carbonate de chaux, le décomposent lentement, et dégagent l’acide carbonique, véritable aliment de la végétation.

Voici d’autres déductions non moins importantes de la pratique mise d’accord avec la théorie par une discussion grave de tous les faits naguère souvent contradictoires, et que nous nous sommes empressés de soumettre aux savans comme aux praticiens éclairés.

Déjà nous avons dit que les engrais de matières organiques agissent d’autant plus utilement que leur décomposition spontanée est lente et mieux proportionnée au développement des végétaux ; les résultats suivans ne sont pas moins constans.

Les engrais les plus actifs, de même que ceux qu’une forte résistance à la décomposition rend trop lents à réagir et presque inertes, peuvent être mis dans les conditions favorables précitées.

En rapprochant de l’état le plus convenable les engrais dont la dissolution et la décomposition spontanée sont le plus rapides, on parvient à quadrupler et même à sextupler l’effet réalisable[3].

La chair musculaire, le sang, divers détritus des animaux, ainsi que les fumiers, qu’on laissait autrefois s’altérer au point de perdre des 0,5 aux 0,9 de leurs produits, pourront être utilisés aujourd’hui sans éprouver aucune déperdition préalablement.

L’action énergique desséchante et désinfectante des substances charbonneuses ou des charbons ternes très-poreux, peut être appliquée à la conservation des engrais très-altérables et à la solution de problèmes du plus haut intérêt pour la salubrité publique.

Diverses matières organiques, dissoutes ou en suspension, en très-faibles proportions, dans l’eau, employées en irrigations abondantes, peuvent assurer les plus remarquables effets d’une belle végétation.

Les engrais dont les émanations putrides ne sont pas convenablement modérées peuvent passer en partie sans assimilation dans les plantes, au point d’y maintenir l’odeur forte qui les caractérise. Par la désinfection préalable, on peut prévenir cet inconvénient grave. Une expérience directe démontre, en outre, que certains principes odorans peuvent être sécrétés de même dans la chair des animaux, et notamment des poissons.

Les anomalies les plus frappantes dans l’action des os employés comme engrais sont rationnellement expliquées, rentrent dans la théorie générale, et peuvent être évitées dans la pratique ou reproduites à volonté.

Les charbons ternes, en poudre très-poreuse, imprégnés de substances organiques très-divisées ou solubles, agissent utilement : 1o par la faculté spéciale de ralentir la décomposition spontanée, de mieux proportionner ainsi les émanations assimilables au pouvoir absorbant des plantes (car le charbon seul ne cède sensiblement rien de sa propre substance à l’action des extrémités spongieuses des racines) ; 2o et encore comme agent intermédiaire capable de condenser les gaz et de les céder aux plantes, sous les influences de température, de pression et d’humidité qui font varier ce pouvoir de condensation ; 3o enfin en absorbant la chaleur des rayons solaires et la transmettant au sol, et durant la nuit aux parties des plantes hors de terre, compensant ainsi les causes d’un trop subit et trop grand refroidissement momentané. A. Payen.

Section iii. — Des différens engrais.

Après avoir résumé les principes généraux relatifs aux engrais organiques sous différens états, nous allons les appliquer aux traitemens et à l’emploi des substances spécialement destinées à servir d’engrais en agriculture.

[4:3:1]
Art. ier.Engrais tirés du règne végétal.
[4:3:1:1]
§ ier. — Des plantes terrestres.
I. Engrais produits par les parties vertes.

Dans tous les temps sans doute on a su utiliser les végétaux comme engrais. Les Grecs, au dire de Théophraste ; les Romains, d’après Pline, Columelle et presque tous les auteurs qui nous restent de l’antiquité, recouraient fréquemment à ce moyen pour leur grande culture, « Quelquefois, dit Varron, on sème diverses plantes non pour elles-mêmes, mais pour améliorer la récolte suivante en procurant par leurs fanes aux terres maigres une fertilité plus grande. C’est ainsi qu’on est dans l’habitude d’enfouir, au lieu d’engrais, des lupins avant que leur gousse commence à se former, et d’autres fois, des fèves dont la maturité n’est point assez avancée pour qu’on puisse les récolter. » — Columelle recommande d’une manière plus explicite encore d’employer le même moyen. Il veut que dans les terrains sablonneux on enterre ces végétaux lorsqu’ils sont tendres encore, afin qu’ils pourrissent promptement, et dans les sols plus tenaces, qu’on les laisse devenir durs et roides pour qu’ils puissent soutenir plus long-temps les mottes dans un état de division.

La pratique des engrais verts est encore générale en Italie ; Philippo Re et son excellent traducteur M. Dupont nous en offrent des preuves nombreuses. — Dans toute la Toscane on sème du maïs au mois d’août pour l’enterrer à la charrue vers le commencement d’octobre. — Les Bressans emploient une méthode analogue sur les terrains légers qu’ils se proposent de cultiver en froment. Ils sèment les lupins sur un second labour, à l’époque précitée, dans la proportion d’un hectolitre environ par hectare. — Dans le Bolonais et le territoire de Cesène, dès que la moisson est faite, on profite de la première pluie pour semer des fèves sur les ados de chaque sillon dans la proportion de près de 2 hectolitres par hectare ; à l’automne, lorsqu’elles sont en fleur, on les enterre à la bêche pour préparer le sol à recevoir, en mars suivant, une récolte de chanvre. — Dans le Vicentin, on coupe les fèves en janvier et on les enfouit peu de temps avant de semer la plante qu’elles sont destinées à alimenter. — Les Toscans les coupent à la fin d’août ou au commencement de septembre, et les font servir à l’amélioration des fonds légers dans lesquels ils les enterrent au moment des semailles. — La roquette (Sisymbrium), quoique les cultivateurs éclairés ne la regardent pas comme une des plantes qui présentent le plus d’avantages pour ce genre d’amélioration du sol, est cependant employée assez en grand dans la campagne Bolonaise et dans quelques parties de l’ancienne Romagne. Semée à la fin d’août à raison de 4 à 5 kilogrammes par hectare, elle est en état d’être enfouie de la mi-novembre à la fin de ce mois. — Aux alentours de Côme ce sont les haricots qu’on préfère. — Sur quelques points du Milanais, depuis un temps immémorial on enfouit le navet en vert, malgré les utiles produits qu’on pourrait en tirer pour la nourriture des bestiaux. — Enfin, dans le val d’Arno, le pays de Reggio, la Calabre, etc., etc., on sème encore, selon les localités, pour le même usage, le galega ou rue-chèvre, l’ers, la vesce, le sainfoin commun et celui d’Espagne, le millet et le maïs.

La pratique des récoltes enfouies est aussi assez générale dans quelques-uns de nos départemens méridionaux. Le lupin et le sarrasin y sont cultivés communément dans l’unique but de suppléer à l’insuffisance des engrais. Ces deux plantes, d’une croissance rapide, peu difficiles sur le choix du terrain, riches en parties foliacées et d’une végétation à l’épreuve des sécheresses, peuvent être semées à l’aide d’un seul labour, sur un chaume retourné immédiatement après la moisson, et enfouies au moment de l’épanouissement de leurs fleurs, de manière à ne retarder aucunement les semailles d’automne. — Le sarrasin, dont on peut partout se procurer les graines à bas prix et dont un hectolitre environ suffit pour ensemencer un hectare dans le cas dont il s’agit, offre particulièrement de grandes ressources pour les pays pauvres : mieux que le lupin, il réussit dans nos contrées septentrionales, ainsi que le trèfle, la spergule et les raves qu’on y cultive dans le même but sur les terrains secs et légers. — Les fèves, les pois et les vesces sont préférés pour les terres argileuses.

C’est une coutume déjà fort ancienne sur divers points des bords du Rhône, et notamment aux environs de Bescenay, de semer des vesces ou du sarrasin aussitôt après la récolte du froment et de les enterrer à la fin de septembre pour semer du seigle. — Après la récolte du seigle, la même culture recommence pour préparer la terre à recevoir du froment en octobre.

Suivant M. Sutières, la fève est le meilleur des engrais verts pour le froment et les prés. Cette plante peut, avec le temps, fertiliser les terrains les plus médiocres. On la fauche pendant le cours de la floraison ou peu de temps après, puis on l’enterre à la charrue au fond des sillons.

Les beaux chanvres du Bolonais sont dus à l’enfouissement du seigle en fleur, et les habitans de Turin utilisent la même céréale comme engrais, entre la culture du maïs et celle du froment.

Je ne chercherai pas à citer un plus grand nombre d’exemples, parce que nous aurons nécessairement à nous occuper encore de la pratique des récoltes enfouies, en traitant avec détail des assolemens.

À mesure qu’on remonte du midi vers le nord, les avantages des engrais verts sont moins grands ; aussi, malgré quelques expériences heureuses faites en Angleterre et en Irlande, les cultivateurs de ce pays ont-ils pour la plupart renoncé à ce mode de fumure, regardant comme beaucoup plus avantageux de convertir les récoltes vertes en fumier, en les faisant consommer par les bestiaux, que de les enterrer.

On ne trouve pas toujours et partout assez de temps, ou un temps assez favorable entre la moisson et les semailles, pour obtenir une récolte propre à être enfouie aux approches de cette seconde époque. En pareil cas, les cultures-engrais ne peuvent être utilisées que sur jachère. Elles tiennent lieu d’une semence de printemps, mais elles préparent infiniment mieux le sol appauvri pour celle d’automne qu’une jachère d’été, lorsque celle-ci eût été nécessaire, puisqu’elles équivalent à une fumure, et cela sans surcroît bien sensible de travail et de dépense, attendu que les labours ne sont guère plus et souvent pas plus nombreux, et qu’avec un peu de soin, il est toujours facile de se procurer, sur la propriété même, les graines nécessaires.

Il est des circonstances dans lesquelles l’enfouissement des plantes vertes précède les semis de mars. Cela arrive, assez rarement, lorsque dans des terrains de mauvaise qualité on enterre successivement plusieurs récoltes différentes dont la dernière ne peut se commencer qu’aux approches des froids, et lorsqu’on a intérêt à ne retourner qu’au printemps un vieux trèfle ou toute autre prairie artificielle. — D’autres fois, après une ou plusieurs coupes pendant le cours de la belle saison, on en réserve une dernière pour être enterrée en automne. — Plus communément, on n’enterre que les racines ; mais une pareille pratique sort du sujet qui nous occupe en ce moment.

Les végétaux herbacés ne sont pas les seuls qu’on utilise comme engrais verts. On emploie au même usage des arbustes et même des arbrisseaux. Lors du défoncement des friches couvertes de genêts, d’ajoncs ou de bruyères, au lieu de brûler, ou tout en brûlant une partie de ces végétaux sur le sol, on enfouit quelquefois les rameaux au fond de la jauge de labour pour en obtenir un engrais durable et un excellent amendement des terres fortes.

Il arrive aussi qu’on les réunit par bottes et qu’on les transporte dans les vignes épuisées par une longue production, pour leur rendre la fécondité sans nuire à la qualité de leurs produits. En pareil cas, entre chaque rang de ceps, ou creuse une rigole de 8 à 10 po. (0 m. 217 à 0 m. 270) de large, sans trop craindre de couper quelques chevelus, et, après l’avoir remplie de branchages, on recouvre au moyen de la terre enlevée de la rigole suivante. L’effet de cette opération, applicable surtout aux terres un peu fortes, se fait sentir pendant un grand nombre d’années.

Les engrais tirés du règne végétal ayant moins que ceux qui proviennent du règne animal l’inconvénient de changer la saveur des fruits, les rameaux d’if, les tontures de buis, etc., etc., sont recherchés presque partout pour ajouter à la vigueur des arbres fruitiers. — Divers cistes, des guaphalium et autres plantes qui abondent dans les lieux les plus arides des contrées méridionales de l’Europe, sont soigneusement réunis en Toscane sous le nom de tignamiche, et placés au pied des oliviers après avoir séjourné en tas assez long-temps pour éprouver un commencement de fermentation. J’ai vu cette méthode reproduite sur quelques points de garrigues du département de l’Hérault. — Du reste, toutes les tiges herbacées ou sous-ligneuses et toutes les parties vertes des végétaux, lorsqu’on ne leur trouve pas un meilleur emploi, peuvent être transformées immédiatement en engrais. — Elles fermentent d’autant plus promptement qu’elles contiennent davantage de substance parenchymateuse et moins de parties ligneuses, et que la décomposition de leur fibre est rendue plus facile par l’abondance des matières saccharines et mucilagineuses.

J’ai dit que les plantes enfouies comme engrais conviennent mieux aux climats chauds qu’aux autres. Par la même raison elles conviennent mieux aussi aux terres sèches qu’aux terres humides. — L’eau qu’elles abandonnent progressivement en se décomposant produit une humidité égale et constante on ne peut plus favorable au développement de toute végétation, lorsqu’elle est accompagnée de chaleur et qu’elle se trouve, comme dans le cas dont il s’agit, en contact avec des matières solubles. — Plus une plante sera riche en parties herbacées et charnues, mieux elle remplira donc son but comme engrais vert, non seulement par la raison que je viens de donner, mais parce qu’on peut induire du nombre et de l’épaisseur de ses feuilles qu’elle aura puisé dans l’atmosphère une plus grande quantité de principes nutritifs.

Pour les localités argileuses et humides, il faudrait au contraire choisir des tiges rameuses, coriaces et d’une lente décomposition, afin d’obtenir aussi un amendement. Cette vérité n’est pas neuve ; on a vu qu’elle était parfaitement connue des Romains.

Le meilleur moment d’enfouir les récoltes vertes est celui de la floraison. Alors, surtout, elles sont gonflées de sucs sans avoir presque rien enlevé à la terre, car il a été démontré qu’elles ne commencent généralement à épuiser, ou, pour me servir de l’expression consacrée, à effriter celle-ci, que depuis le moment où les graines se forment jusqu’à celui de la maturation.

Les engrais verts sont loin d’être suffisamment appréciés partout où ils pourraient être employés avec avantage.

ii. Engrais produits par les parties mortes ou desséchées.

Les plantes, en séchant, ont perdu de leur qualité nutritive. Aussi ne les emploie-t-on guère en cet état à l’amélioration des terres, qu’après les avoir transformées en litière. Elles font alors le plus souvent partie des engrais mixtes dont il sera parlé ci après. Les tiges de maïs, de seigle, les chaumes des céréales, les pailles, les foins avariés sont particulièrement dans ce cas.

Les feuilles qui puisent une grande partie de leur nourriture dans l’atmosphère, fertilisent à la longue de leurs dépouilles les fonds les plus ingrats S’il est impossible d’imiter avec avantage dans la pratique de la grande culture, en couvrant de feuilles des champs entiers, les procédés que la nature emploie dans les bois, il est au moins fort ordinaire d’utiliser, dans les jardins, ces précieux produits des arbres. — On les transforme de diverses manières en terreaux légers favorables à la végétation de plantes délicates. — On les mêle aussi aux autres fumiers pour en augmenter et en améliorer la masse, et je connais telles localités voisines de vastes plantations de conifères, où cet usage n’est pas un des moindres avantages de pareilles cultures.

Les fougères dans les terrains où elles abondent ; — les fanes de toutes les mauvaises herbes détruites dans les champs ou sur les bords des chemins avant la maturité de leurs graines qui saliraient le sol en se développant ; — les mousses ; — les feuilles qu’on peut se procurer en abondance et à si peu de frais en employant des enfans à les ramasser dans les taillis ou les futaies, procurent dans quelques lieux et pourraient fournir dans beaucoup d’autres, par les mêmes moyens, d’importantes ressources.

Malgré la fécondité du terreau végétal qu’on trouve dans les vieux troncs pourris, je ne ferai que l’indiquer ici parce que son emploi ne se rattache pas à l’agriculture. — Il en est de même de la sciure de bois que sa lente décomposition rend très-propre à entrer dans la formation des terres de bruyères artificielles.

Quant aux écorces extraites des fosses des tanneurs où elles ont perdu, en grande partie du moins, leurs principes astringens, il est reconnu qu’elles sont néanmoins, par elles-mêmes dans cet état, peu favorables à la végétation. Parfois on les mêle à la poudrette, mais c’est une fraude doublement condamnable ; car en augmentant la masse elles diminuent la qualité. — Comme la tannée est presque entièrement composée de fibre ligneuse, pour la faire entrer plus facilement en fermentation, Davy a recommandé l’usage de la chaux.

Les balles qui se détachent des épis pendant le battage, les chenevottes, résidus de la préparation des chanvres ou du lin, peuvent aussi, quoiqu’elles contiennent peu de substances nutritives, être converties en engrais. Dans presque toutes nos campagnes on les jette sans précaution sur les fumiers. Il parait qu’on n’est pas partout aussi insouciant. — Dans le Frioul on les fait ramollir quelque temps dans l’eau avant de les réunir en tas. Elles fermentent ainsi beaucoup plus promptement. — Dans le Bressan on les répand sur les prairies naturelles dans la proportion de 15 à 30 charretées par hectare. — Ailleurs on s’en sert pour fumer les vignes et les arbres fruitiers.

III. Engrais produits spécialement par les graines et les fruits.

Philippo Ré rapporte qu’il a vu mettre dans des fours des graines de lupin pour leur faire perdre leur propriété germinative et les employer ensuite comme engrais au pied des orangers et des oliviers. L’effet de cette substance devient très-promptement sensible, et l’on doit d’autant moins s’en étonner, qu’après les matières animales, les graines sont probablement de toutes les parties végétales celles qui jouissent, sous un moindre volume, de la plus grande faculté engraissante. — Dépouillées même de plusieurs de leurs principes, elles conservent cette faculté à un haut degré.

Tous les marcs de fruits, lorsqu’on ne leur trouve pas un emploi plus avantageux, peuvent donc devenir des engrais. — Celui de raisin, après avoir fermenté quelque temps en masse et à couvert, sert à féconder les vignes, les vergers, les prairies et même les cultures de céréales dans le midi de l’Europe. On l’utilise presque partout en jardinage.

Le marc de pommes et de poires, quoique moins actif, peut être employé en partie aux mêmes usages. Mis à pourrir, mêlé ensuite par moitié à de la terre et porté sur les champs secs et arides, il y produit un bon effet. En Normandie on lui reconnaît surtout la propriété d’améliorer les prairies et les jeunes plantations de pommiers.

Le marc de drèche, que son emploi à l’engraissement des bestiaux et son peu d’abondance en France ne permet guère de classer parmi les substances végétales fécondantes du sol dans nos contrées, aux environs de Londres où sa production est immense, est recherché presqu’à l’égal des meilleurs fumiers, puisque la quantité qu’on en répand par arpent n’est que de 26 à 39 décalitres. On peut expliquer cet effet par la proportion de matière azotée qu’il retient.

Enfin les marcs de graines ou de fruits oléagineux font surtout d’excellens engrais. Ceux-là méritent ici une attention particulière.

Dans le département du Nord, les tourteaux sont devenus pour ainsi dire une des conditions de la bonne culture du pays. On les emploie sur les terres légères et franches, principalement pour les cultures de céréales et pour celles des colzas et du lin. Là il n’est pas rare de voir les fermiers répandre sur moins de 20 hectares, indépendamment de tout autre fumier, au-delà de 8,000 tourteaux de colza et de cameline qui leur coûtent, année commune, de 14 à 1500 francs. En Angleterre, où l’usage des tourteaux de navette s’est étendu de plus en plus et où leur prix s’est élevé, au lieu d’en employer comme autrefois jusqu’à un demi ton par acre (1,400 kilog. par hectare), on n’en met plus maintenant qu’un millier de kilogrammes et même moins sur une semblable surface, et il paraît que les résultats sont encore très-avantageux. — D’après Taylor, cette dernière quantité est suffisante pour féconder un champ de 3 acres (121 ares) semé en turneps, à la volée, et de 5 acres (un peu plus de 2 hectares) lorsque le semis a été fait en rayons.

Dans le midi de la France on emploie les tourteaux de colza en proportions fort variables selon la fertilité des terres. Sur de très-bons fonds on a réussi avec une quantité qui ne dépassait pas de beaucoup la plus faible que je viens d’indiquer. Ailleurs on l’a portée de 6 à 700 kilogrammes ; ailleurs encore, pour des sols de moindre qualité, jusqu’à 8 et 900 et même au-delà de 1000 kilogrammes. Enfin, dans le Bolonais, pour la culture exigeante du chanvre, on a été jusqu’à 16 et 1700 en employant de préférence, après le marc de colza, ceux de lin et de noix.

On n’utilise pas toujours les marcs oléagineux de la même manière. Dans le Bolonais dont je viens de parler, presque dans toute l’Angleterre et une partie de nos départemens, après les avoir plus ou moins finement pulvérisés, on les répand à la main quelques jours avant les semences et on les recouvre en même temps qu’elles. Sur les autres points de l’Italie, aux environs de Lille, de Valenciennes, etc., etc., on en saupoudre au printemps les jeunes plantes déjà développées, comme on le fait dans d’autres circonstances au moyen des fumiers et des stimulans les plus puissans.

Quelques expériences concluantes ont démontré que la macération des tourteaux dans l’eau produit un engrais liquide d’une grande énergie. Dans la Flandre on les mêle aussi aux urines des étables ou à d’autres substances animales.

Le marc des olives qui offre la peau, le parenchyme et les noyaux, quelque bien pressé qu’il soit, même dans les moulins de recense, contient encore de l’huile qu’on en retire en le faisant pourrir dans des citernes ; la boue qu’il laisse au fond de ces citernes est un excellent engrais, dont Bosc assure cependant qu’on ne tire guère parti dans les cantons de la France où l’on cultive l’olivier. Je l’ai vu çà et là employé dans les pépinières, et au pied de chaque arbre dans les oliveraies.

Il y a un petit nombre d’années, on a cherché à substituer l’usage de l’huile même à celui des gâteaux oléagineux. Je ne crois pas qu’une telle pratique puisse être recommandée ; car, si les tourteaux produisent de si bons effets sur les terres, cela tient sans doute bien plus à ce qu’ils contiennent beaucoup de substance azotée albumineuse, qu’à ce qu’ils conservent une certaine quantité d’huile. D’ailleurs on ne peut pas douter que la question d’économie ne fasse proscrire entièrement l’emploi de l’huile comme engrais.

D’après tout ce que j’ai lu et ce que j’ai vu, particulièrement dans le Nord, je regarde les tourteaux oléagineux comme un excellent engrais. Toutefois, la note suivante de notre collègue Vilmorin, dont la riche expérience a été déjà tant de fois utile à l’agriculture française, engagera le lecteur à ne pas les employer, dans tous les cas, sans quelques essais préalables.

Oscar Leclerc-Thoüin.

Quoique l’efficacité, comme engrais, des tourteaux de graines oléagineuses, soit tellement prouvée par une longue expérience, en Flandre, en Belgique et en Angleterre, qu’on ne puisse la révoquer en doute, il est cependant certain que leur emploi, en poudre et à sec, présente quelquefois des exceptions fort étranges, jusqu’au point de produire des effets destructifs de la végétation. Voici ce que j’ai éprouvé à cet égard :

En septembre 1824, voulant faire, sur une terre très-calcaire et maigre, l’essai comparatif de divers engrais et amendemens pulvérulens, je fis diviser en cinq bandes égales une pièce d’un demi-hectare qui allait être semée en trèfle incarnat, et chacune d’elles reçut, immédiatement après la semence, l’engrais qui lui était destiné : 1o poudrette ; 2o marc de colza ; 3o urate ; 4o chrysolin (engrais que fabriquait alors mon ami le docteur Ranque, d’Orléans) ; 5o cendres de tourbe. La semence et les amendemens furent enterrés par le même hersage. Les bandes 1, 3, 4 et 5 levèrent parfaitement ; mais la deuxième, qui avait reçu la poudre de colza, resta absolument nue : rien n’y parut, qu’une faible plante çà et là ; enfin c’était comme une allée entre deux pelouses bien vertes. Le tourteau avait été employé sur le pied de 1,000 kilogrammes à l’hectare, quantité indiquée par tous les ouvrages que j’avais consultés et que des cultivateurs flamands m’avaient également donnée comme convenable.

Une autre pièce de 75 ares, semée en vesces d’hiver et en pois gris d’hiver, et traitée de la même manière, présenta absolument les mêmes résultats ; ces deux graines levèrent très-bien sur toute la pièce, excepté sur les deux bandes amendées avec la poudre de tourteau. Les pois et les vesces, examinés peu de temps après, avaient, en général, leur germe sorti ; mais il était noirci, retrait, et les graines semblaient brûlées comme si elles eussent passé par le feu. La quantité avait été la même que dans l’essai précédent, et je ne pense pas qu’il ait pu y avoir d’erreur : j’avais fait peser et ensacher devant moi les doses destinées pour chaque bande, chaque sac était étiqueté et la semaille avait été faite par un homme intelligent, sachant lire, et accoutumé à des expériences minutieuses.

Dans les années subséquentes, j’ai plusieurs fois essayé le marc de colza, au printemps, sur des céréales fatiguées et dans des terrains silico-argileux tout-à-fait différens du précédent ; je l’ai vu, dans toutes ces épreuves, produire des effets plus ou moins nuisibles : sur les portions de champ ainsi traitées, les plantes ont, en général, dépéri au lieu de se remettre ; là où le hersage avait laissé une traînée ou quelques parcelles de colza à découvert, on trouvait celles-ci couvertes de moisissure. Une dernière tentative que j’ai faite en 1833, à moitié dose, c’est-à-dire à raison de 500 kil. seulement, avec du tourteau de graine de radis, sur un hectare d’avoine en herbe, a également produit de mauvais effets assez marqués. — Quoique je ne puisse me rendre compte de résultats si opposés à ceux que l’on dit avoir lieu partout ailleurs, il m’a paru cependant essentiel de les faire connaître, pour appeler l’attention des observateurs et des praticiens sur les effets de la poudre de tourteaux employée à sec et sans mélange. Cela peut être d’autant plus utile, qu’aucun des ouvrages modernes que j’ai consultés ne fait mention de rien de semblable. C’est dans Duhamel seulement, qu’à force de chercher, j’ai trouvé une indication confirmative de mes observations et un moyen de prévenir des accidens tels que ceux que j’ai éprouvés (du moins pour l’emploi au moment de la semaille). Dans les Élémens d’agriculture de cet auteur, t. 1, p. 193, il est dit que « le marc des graines oléagineuses doit être répandu 10 à 12 jours avant de semer le grain » sans cela, ajoute M. Van Eslande, de qui Duhamel tenait ces notes, « les graines qui s’envelopperaient de cette poudre, avant qu’elle eût éprouvé l’action du soleil, ne germeraient point. » Depuis, j’ai su de M. M. A. Puvis, de Bourg, savant aussi distingué que bon agronome, que dans le département de l’Ain, où les cultivateurs emploient habituellement les marcs de graines grasses pour l’amendement des chenevières, ils ont soin de répandre et herser cet engrais environ 15 jours avant de semer le chanvre. Vilmorin.

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§ ii. — Des plantes aquatiques.
i. Engrais produits par les herbes d’eau douce.

Parmi les herbes qui croissent dans les eaux douces, il faut distinguer, eu égard à leur emploi comme engrais, celles qui, en se décomposant sous l’eau, ont donné naissance à de la tourbe, et celles qu’on arrache encore vertes pour les utiliser dans cet état à la fertilisation du sol.

La tourbe, dont il a déjà été parlé en traitant des terrains tourbeux, semblable en cela à toutes les substances organiques et inorganiques qui ont été long-temps soustraites au contact immédiat des gaz atmosphériques, est d’abord complètement impropre à la végétation. À mesure qu’elle éprouve une seconde décomposition sous l’influence de l’oxigène de l’air, elle devient un bon engrais ; mais cet effet est d’une lenteur excessive ; aussi préfère-t-on généralement la faire brûler pour en répandre les cendres (V. [[ Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/88 |Chap. Amendemens, p. 74]]) que de l’utiliser directement. Dans maintes circonstances, cependant, il peut être désirable de s’en servir pour augmenter la masse des fumiers. — On y parvient de différentes manières.

En Irlande, après l’avoir simplement desséchée et pulvérisée, on l’emploie plus tard avec l’addition d’un peu de chaux, pour toutes les cultures économiques et plus spécialement pour celle des pommes-de-terre.

Comme cette substance, par suite de sa formation chimique, est infiniment peu soluble, afin de provoquer sa fermentation, lord Meadowbank a judicieusement recommandé de la mêler à d’autres substances moins fixes, telles que des engrais facilement putrescibles et déjà dans un état de décomposition, et cet avis a été généralement suivi de succès. — L’emploi de la chaux magnésienne, de la chaux ordinaire, des marnes calcaires et des cendres alcalines a produit des effets analogues toutes les fois qu’on a cherché par leur moyen, soit à rendre des tourbières cultivables, soit à transformer des masses de tourbe en engrais. — On peut donc arriver de deux manières aux mêmes résultats. — L’agronome anglais que je viens de citer établit en fait qu’une seule partie de fumier chaud suffit pour amener 3 ou 4 parties de tourbe à un état suffisant de fermentation. — D’un autre côté, l’Allemand Kasteler s’est convaincu, à la suite d’expériences directes, que la chaux nouvellement éteinte et à l’état d’hydrate, c’est-à-dire réduite en poussière au moyen de l’eau, au sortir du fourneau, agit sur la tourbe de manière à transformer peu-à-peu les parties fibreuses et résineuses qu’elle contient en acide humique, lequel forme aussitôt un humate de chaux, engrais très-durable, qu’on pourrait ainsi préparer pour les besoins de la culture avec une grande facilité. — La pratique la plus fréquente, qui consiste à stratifier le fumier d’étable et la tourbe desséchée et pulvérisée, et à mêler un peu plus tard le tout, résume donc tous les avantages de l’une et de l’autre théories.

La plupart des cultivateurs anglais emploient souvent le terreau de tourbe comme top-dressing, c’est-à-dire en la semant au printemps sur les plantes déjà développées. Ils trouvent qu’en suivant cette méthode il y a autant à gagner pour l’effet produit, l’économie de main-d’œuvre et celle de l’engrais.

Il est bien peu de contrées où l’on ne recueille pas les plantes aquatiques des marais et des étangs pour suppléer aux fumiers ou en accroître la masse. — Tantôt on laisse ces plantes étendues sur le sol pendant quelques jours, après les avoir arrachées, puis on les enterre simplement à la charrue ; — tantôt on les réunit par tas pour qu’elles se décomposent, et on les transforme en composts, en les mélangeant en diverses proportions avec de la terre.

ii. Engrais produits par les plantes marines.

Ces plantes, telles que le fucus, les algues, les conferves, etc., sont encore plus recherchées que les autres, partout où l’on peut se les procurer sans trop de frais. — Elles contiennent en abondance une substance mucilagineuse facilement séparable, et une quantité de sel marin qui augmente sans nul doute leurs propriétés fécondantes.

Dans beaucoup de cantons, c’est une source très-importante de fertilité ; et lorsqu’on les emploie judicieusement, elles ne manquent jamais d’enrichir les districts situés sur les côtes de la mer, soit qu’on aille couper ces herbes sur les rochers, soit que la mer les jette sur le rivage. Cependant les effets qu’elles produisent sont loin d’être aussi durables que ceux du fumier, car ils ne se font sentir que sur une ou deux récoltes.

Les herbes marines, appliquées aux terres arables, ne peuvent pas être répandues et enterrées trop tôt après qu’elles ont été recueillies. Si on ne peut pas le faire immédiatement, à cause de la saison ou pour toute autre cause, on doit en faire des composts avec de la terre et du fumier long ou de la chaux.

En répandant ces herbes sur d’anciens pâturages, non seulement on augmente la quantité, mais on améliore la qualité de l’herbe. Le bétail à cornes ainsi que les bêtes à laine la mangent avec plus d’avidité, prospèrent mieux et s’engraissent plus promptement. — Cette substance ne convient pas autant que le fumier pour l’avoine ou pour une récolte de turneps ; mais elle réussit parfaitement bien pour l’orge. Lorsqu’on l’applique sur les jeunes pousses du trèfle, après la moisson, elle les détruit. On peut la mêler avantageusement avec le fumier de cour de ferme. On emploie par acre un tiers en plus, en poids, d’herbes marines que de fumier.

Cet engrais présente divers avantages particuliers : — il ne contient pas de semences de mauvaises herbes ; — il se décompose rapidement ; — il est immédiatement utile aux plantes, sans exiger un long procédé de préparation. Avec son secours, le cultivateur peut semer plus fréquemment des céréales ou des récoltes vertes, et augmenter ainsi la quantité de ses fumiers. On ne peut révoquer en doute ses bons effets, et on ne peut rien objecter à son emploi, si ce n’est qu’on prétend que les grains qu’il produit sont de qualité inférieure. (Agriculture pratique et raisonnée, par sir John Sinclair. )

Dans la Normandie et la Bretagne, on fait usage des plantes marines depuis un temps immémorial ; on préfère les varecs de rochers, c’est-à-dire ceux qu’on va arracher à marée basse, aux varecs d’échouage, qui cependant contiennent évidemment beaucoup plus de matières animales. — Les premiers, enterrés sur place au sortir même de la mer, se décomposent plus rapidement que les autres. On les emploie seuls, tandis que les fucus ramassés sur la plage ne sont ordinairement utilisés que comme litières.

Assez souvent on mêle les débris de plantes marines aux autres fumiers ; parfois on les laisse pourrir isolément ou on les stratifie avec de la terre, pour les transformer en compost. — Ces méthodes paraissent être préférées, en Italie, à l’enfouissement immédiat qui est au contraire préféré, je crois avec raison, dans d’autres lieux. Aux environs d’Ancône, on ne connaît presque pas d’autres engrais que les algues et la zostera réduites en terreau par une fermentation naturelle dans un lieu couvert. — Sur d’autres points de la rive adriatique, on les étend sur les chemins, et, lorsqu’elles y ont été en partie triturées, mêlées aux urines, aux excrémens des animaux et à la poussière du sol, on les réunit à la masse commune des autres fumiers.

L’emploi des varecs ou fucus, sur les côtes de France, a été considéré comme assez important pour qu’une ordonnance ait fixé l’époque de leur récolte entre la pleine lune de mars et celle d’avril, parce qu’à cette époque ils ont répandu leurs granules reproducteurs et ne sont point encore couverts du frai des poissons. Oscar Leclerc-Thoüin.

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Art. ii.Des engrais animaux.

Ce sont les animaux qui fournissent les engrais les plus puissans : la chair musculaire, le sang, la corne, les débris des peaux, des tendons, la laine, la soie, la matière fécale, les os et quelques préparations de ces substances, objets de grandes exploitations industrielles, telles que le noir animalisé, tiennent à cet égard le 1er rang ; ils peuvent être expédiés à des distances considérables et offrir un complément indispensable aux engrais végétaux et aux fumiers des écuries. Ainsi, l’on peut dire que les débris des animaux et les déjections animales offrent les plus riches agens de la fertilisation des sols. — Nous croirons donc devoir exposer avec quelque étendue cette large base sur laquelle repose l’agriculture, la prospérité des peuples, et même, nous le verrons bientôt, la salubrité des grandes villes.

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§ ier. — De quelques substances peu employées.

Aucune expérience certaine n’autorise à considérer les matières grasses comme susceptibles de servir d’engrais directement.

Les tendons sont en général trop difficiles à diviser pour former des engrais pulvérulens ; il faudrait se borner à les trancher en menus morceaux.

Sabots, ergots, onglons, cornes. — Ces débris d’animaux constituent un des plus riches engrais azotés ; mais leur forte cohésion et la difficulté de les diviser, autant souvent que leurs prix élevés, précisément en raison de leur volume et de leur moindre coloration, en font réserver la plus grande partie pour les usages de la tabletterie. Ceux qui sont défectueux ou d’un petit volume, se vendent aux fabricans de bleu de Prusse ; enfin les râpures de corne, déchets des tabletiers, se présentent comme engrais dans les conditions les plus favorables. Il convient de les couvrir de terre près des plantes, afin d’éviter que le vent ne les déplace. Cet engrais, d’un prix élevé, a été employé avec succès, de même que ceux indiqués ci-après, pour les oliviers, les mûriers et les vignes.

Plumes, crins, poils, bourres de laine et de soie. — Les plumes défectueuses et toutes celles qui ne peuvent servir ni pour les lits, ni pour écrire, ni pour les tubes des pinceaux, ainsi que les crins, poils, bourres de laine et de soie, qui ne peuvent être employés plus avantageusement dans divers ouvrages de sellerie, bourrelerie, tissus, etc., seront aisément utilisés aussi comme un excellent engrais, en les mettant dans des sillons creusés près des plantes et les recouvrant de terre. Toutes ces substances, de même que celles comprises dans le paragraphe précédent, quelque divisées mécaniquement qu’elles soient, offrent encore une trop grande résistance à la décomposition pour suivre les progrès de la végétation et réaliser leur maximum d’effet ; nous verrons plus loin qu’il en est généralement de même pour une autre substance résistante, les os, tandis que la chair, le sang et la matière fécale, qui sont peut-être trop vite décomposables, peuvent être mises dans les conditions le plus favorables et réaliser la plus grande proportion de leur effet utile.

La viande des animaux morts, cuite et divisée comme il est dit dans le livre des Arts agricoles, et que l’on ne se déciderait pas à donner aux bestiaux, formerait l’un des meilleurs engrais (et même le meilleur de tous préparée comme nous le dirons plus bas). Pour en faire usage, on la mélange le plus intimement possible avec environ six fois son poids de terre du champ, afin de la répandre en petite quantité et bien également sur les terres emblavées. Cet engrais, mis à la main près du pied de la plupart des plantes potagères et de grande culture, des vignes, pommes-de-terre, betteraves, etc., sans être en contact immédiat avec la tige, active la végétation d’une manière remarquable. On peut encore la semer comme du grain, à la volée, pour l’engrais des terres qu’elle fertilise extraordinairement. Mélangée avec deux fois son volume de terre pulvérulente, son dosage devient extrêmement facile, et 1500 kil. de ce mélange suffisent à la fumure d’un hectare de terre. Nous nous sommes assurés, par des essais comparatifs, que cette substance est sensiblement préférable comme engrais au sang sec en poudre.

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§ ii. — Du sang desséché.

Sang. — Ce liquide, cependant (surtout lorsqu’il a été soumis à la coction qui, le coagulant, retarde sa décomposition dans la terre), est reconnu si utile à la végétation des cannes à sucre, que depuis peu, on l’expédie de Paris, avec une valeur de 20 fr. les 100 kilogrammes, aux colonies, où il arrive coûtant 40 fr. Le sang, en quelque état qu’il se trouve et de quelque animal qu’il provienne, offre donc aux habitans des campagnes une précieuse ressource comme engrais, et déjà, sous ce rapport, il a formé la base d’une spéculation importante à Paris.

Voici un des procédés les plus simples pour l’utiliser : On fait dessécher au four, immédiatement après la cuisson du pain, de la terre exempte de mottes, que l’on a soin de remuer de temps à autre au moyen du rable ; il en faut environ quatre à cinq fois plus que l’on n’a de sang liquide ; on tire sur le devant du four cette terre chaude, et on l’arrose, en la retournant à la pelle, avec le sang à conserver ; on renfourne de nouveau le mélange, et on l’agite avec le rable, jusqu’à ce que la dessiccation soit complète. On peut alors remettre le tout dans de vieux barils ou caisses, à l’abri de la pluie pour s’en servir au besoin. La terre, dans cette préparation, est utile surtout pour présenter le sang dans un état de division convenable, et rendre sa décomposition dans les champs plus régulière et plus lente. On saura d’ailleurs quelle surface ces mélanges pourront couvrir comme engrais, se rappelant que 3,000 kil. de sang liquide donnent 750 kil. de sang coagulé et séché qui suffit à la fumure d’un hectare. 100 kilogr. de sang en cet état équivalent, comme engrais, à 300 kilogr. d’os concassés, ou six voies de bon fumier de cheval, pesant ensemble 7,200 kil. C’est un engrais de beaucoup supérieur à tous ceux connus et désignés sous les noms de poudrette, tourteaux, etc. ; il ne le cède qu’à la viande séchée mise en poudre.

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§ iii. — Issues, vidanges et déchets des boyaux.

Toutes les parties internes des animaux, telles que le foie, les poumons, la cervelle, le cœur, ainsi que les déchets de boyaux, doivent être hachées le plus menu possible, puis mélangées, ainsi que la vidange des intestins, avec de la terre fortement séchée, celle-ci dans la proportion de six fois le volume des matières animales. Lorsque cette composition est bien malaxée à la pelle, on la répand sur les sols à fumer, dans la proportion d’un kilogramme par mètre de superficie ou 10,000 kilogr. par hectare. Cet engrais donne de très-bons résultats : il est notamment très-favorable à la végétation du blé. Si l’on ne pouvait pas le répandre immédiatement après la préparation, il faudrait le conserver dans une fosse ou tout autre endroit frais, et, dans tous les cas, à l’abri ou recouvert de terre.

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§ iv. — Os : explication des divers résultats de leur emploi dans l’agriculture.

Aucune des substances dures, débris de l’organisation animale, n’offre de plus remarquables exemples d’effets variés dans son action comme engrais que les os sous différens états. On trouve dans les nombreux mémoires agricoles y relatifs les plus singulières questions que la pratique puisse laisser à résoudre.

Les os, qui se trouvent en masses assez importantes à la disposition des agronomes et des spéculateurs, se présentent sous les différentes formes suivantes : Frais, tels qu’ils ont été extraits des animaux récemment abattus, plus ou moins divisés, et entiers : sous chacun de ces trois états, leur décomposition est presque toujours trop lente, activée d’ailleurs par les influences bien connues de l’air, de la température et de l’humidité ; mais, toutes choses égales d’ailleurs, on avait observé des différences énormes et qui semblaient inexplicables dans la durée de la décomposition, et par conséquent dans l’effet utile produit en un temps donné.

Des expériences spéciales m’ont conduit à démontrer la cause de ces anomalies apparentes. Les os contiennent, dans leurs parties celluleuses et dans diverses cavités, une substance grasse, sécrétée à part, plus ou moins consistante. Cette substance est libre dans le tissu adipeux de toutes les anfractuosités qui la recèlent, car il suffit de lui ouvrir un passage, en les tranchant, et de plonger les os ainsi coupés dans l’eau bouillante, pour la faire sortir et la voir aussitôt nager à la superficie du liquide. La proportion moyenne que l’on peut obtenir des divers os de boucherie est d’environ 0,1, bien que les parties très-spongieuses, qui en renferment le plus, en contiennent jusqu’à 0,5.

La proportion de la matière grasse extraite par ce procédé diminue graduellement au fur et à mesure que les os se dessèchent. Elle devient presque nulle lorsque la dessiccation a lieu sous une température élevée, soit au soleil, soit à l’étuve. On conçoit, en effet, qu’au fur et à mesure de l’évaporation de l’eau qui remplissait les interstices de la substance des os, la graisse liquéfiée par la chaleur a pu graduellement prendre sa place. Un des effets de cette pénétration a été d’imprégner le réseau organique qui renferme le phosphate et le carbonate de chaux. Ce réseau, déjà difficilement attaquable par suite de sa cohésion et de son insolubilité, défendu, d’ailleurs, par les substances inorganiques interposées, est devenu bien moins altérable encore lorsque la matière grasse, non seulement l’imprègne et le défend de la pénétration de l’eau, mais encore lorsque, peu-à-peu acidifiée, elle forme avec la chaux un savon calcaire, dont M. d’Arcet a démontré l’inaltérabilité sous les influences atmosphériques. Les os, dans cet état si difficilement altérables, ne doivent donc exercer qu’une action insensible comme engrais, à moins qu’ils ne soient excessivement divisés. Ce qui confirme et explique encore l’observation pratique qui semblait anomale, c’est que, mis pendant quatre années dans la terre, ces os ont à peine perdu 0,08 de leur poids, tandis que tout récemment extraits des animaux et privés par l’eau bouillante de la presque totalité de la graisse, ils laissent facilement altérer leur réseau organique et perdent dans le même temps de 25 à 30 centièmes de leur poids. Voici trois autres résultats curieux et singuliers en apparence, de l’emploi des os traités à la vapeur.

Les os concassés dont on a obtenu de la gélatine par l’action de l’eau et de la température dans divers appareils, forment un résidu dont l’application comme engrais a été maintes fois essayée. Dans quelques expériences, plusieurs agriculteurs ont obtenu de ces résidus, la première année, plus d’effet utile que des os eux-mêmes. Dans d’autres, une action à peu près égale à celle des os, mais peu durable, fut observée. Enfin, plus généralement on obtint très-peu ou point d’influence favorable sur la végétation. Des analyses multipliées et leur discussion attentive m’ont permis d’apercevoir l’état différent sous lequel ce résidu, en apparence le même, produisait trois sortes de phénomènes si tranchés.

Les os, traités par le procédé en question, laissent un résidu variable ; je l’ai rencontré tantôt contenant de 80 à 95 centièmes de la matière organique azotée altérable des os, tantôt en renfermant seulement 25 à 33, plus ordinairement 1 à 2 p. % ; enfin, quelquefois à peine quelques millièmes. Voici les causes et les effets de ces proportions variées : La température est presque toujours élevée dans ces opérations, au point de rendre la plus grande partie du réseau soluble, et, par conséquent, les os sont désagrégés et faciles à rompre. Mais, bien que soluble, la substance organique altérable peut être encore engagée dans les interstices, soit que les lavages propres à l’entrainer aient été opérés en proportions insuffisantes ou dirigés par de fausses voies, ou encore que la vapeur ait à peine saturé l’espace ou se soit presque exclusivement condensée sur les parois des digesteurs. Cette matière, soluble dans la proportion de 0,8 à 0,9 de celles que renferment les os, agira plus rapidement comme engrais, puisque sa dissolution et son altération seront plus rapides sous les mêmes influences ; mais, au lieu de se prolonger 4 à 5 années, son action sera presque épuisée en une saison ; la pratique a toujours confirmé cette déduction rationnelle. Un lavage mieux opéré, mais incomplet, rend facilement compte de la présence et de la solubilité de 0,25 à 0,33 de matière gélatineuse dans le résidu : on en déduit de même la démonstration de l’action prompte, mais moindre et moins durable encore que dans l’exemple précédent. Quant à la réduction à 0,01 ou à 0,02 au plus dans la proportion de la substance azotée altérable[4], elle amène évidemment à l’inefficacité comme engrais organique d’un tel résidu. Mais cet état résulte, je l’ai constaté, de l’une des deux circonstances principales suivantes ou de leurs concours :

Lorsque l’on traite en grand les os dont on a tranché les parties celluleuses seulement et extrait la matière grasse, la division n’étant pas poussée assez loin, les lavages sont insuffisans et on n’obtient que 13 à 15 centièmes de gélatine sèche ; il devrait donc rester environ 15 centièmes de tissu fibreux, ou des produits de son altération ; mais à peine ces marcs sont-ils mis en tas, qu’une vive fermentation s’y développe et dégage d’abondantes vapeurs ammoniacales ; la plus grande partie de la matière organique disparait ainsi graduellement.

La deuxième circonstance qui produit également un résidu fort pauvre résulte d’un traitement bien dirigé s’appliquant à des os suffisamment divisés, et enfin épuisés par des lavages méthodiques, comme cela se pratique habituellement dans les appareils des hôpitaux.

On doit donc généralement s’attendre à ne trouver dans les fabriques de colle d’os que des résidus très-appauvris et sans valeur comme engrais. Aussi l’usage en a-t-il été abandonné par les agriculteurs même qui d’abord en avaient obtenu des résultats avantageux ; ces différences sont donc maintenant très-facilement expliquées, et une simple analyse consistant dans l’épuisement à l’eau bouillante d’une partie de ces résidus séchés et mis en poudre, suffirait pour les indiquer, à priori, puisqu’en desséchant et pesant de nouveau la substance pulvérulente épuisée, on constaterait la quantité dont l’eau bouillante aurait diminué le poids total, et, par conséquent, la proportion de matière organique soluble, tout le reste étant presque entièrement inerte comme engrais et ne pouvant agir que comme amendement calcaire.

Application des os à l’agriculture. — Dans leur état naturel, les os réduits en poudre forment un excellent engrais que l’on répand dans la proportion moyenne de 1500 kilogrammes par hectare, et dont l’influence remarquable se fait sentir en décroissant pendant trois à cinq années successives, suivant le sol et les saisons ; tous les os sont, au reste, propres à cette application, lorsque l’éloignement ou le manque de communications ne permet pas d’en tirer un meilleur parti pour les industries que nous ferons connaître dans la Div. des Arts agricoles[5], et lorsque d’ailleurs on peut se procurer la machine assez dispendieuse de premier établissement, et coûteuse de force motrice, pour les broyer.

Au reste, à défaut de cette machine, on emploiera souvent avec avantage, surtout dans les intervalles que laissent les travaux des champs, les procédés d’écrasement à la main, en coupant d’abord les os avec une hachette, et les écrasant ensuite à l’aide d’un gros marteau.

J’ai remarqué qu’il est beaucoup plus facile de concasser les os fortement desséchés et chauffés qu’à l’état frais ; il conviendrait donc de les enfermer dans un four aussitôt après la cuisson du pain, et de les écraser ensuite tout chauds. En France, dans le département du Puy-de-Dôme, on emploie les os concassés comme engrais ; en Allemagne, cette pratique est plus répandue : 10 hectolitres y remplacent 80 voitures de fumier pour un hectare. Mais ce sont les Anglais qui ont le plus en grand appliqué ce mode de fumure ; ils tirent de Russie et des Indes des chargemens considérables d’os, outre une grande partie de ceux qui résultent de leur forte consommation en viandes. L’hectolitre de poudre grossière d’os coûte aux agriculteurs environ 15 francs ; ils en emploient de 15 à 40 hectolitres pour un hectare ; cette fumure produit des effets durant 10 à 25 ans et accroît énormément toutes les récoltes, notamment celles des prairies et des turneps. On a remarqué qu’un mélange de cendres de bois à volume égal ou de 2 à 3 p. % de salpêtre, rendait plus efficace encore cet engrais.

Les os en poudre peuvent être déposés dans les fossettes avec les pommes-de-terre, ou semés sur les graines avant de passer la herse ou le rouleau qui les recouvrent de terre.

On préfère quelquefois les mélanger avec la terre préalablement labourée et hersée en repassant la herse et le rouleau à deux reprises.

Si les os étaient en poudre fine, on pourrait avec avantage les déposer sur les plants repiqués et les recouvrir en refermant le trou du plantoir.

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§ v. — Des engrais liquides.

Le sang et l’urine des divers animaux, la gélatine en solution visqueuse, les oléates, stéarates et autres sels gras dissous et accompagnés de matières organiques en solution ou suspension émulsive, les matières plus ou moins fluides extraites des intestins, et en général tous les liquides chargés de substances organiques, mis dans les circonstances atmosphériques où leur décomposition s’opère rapidement et en contact avec les jeunes plantes, fatiguent d’abord ou altèrent leurs faibles organes, puis bientôt, presque complètement dissipés, ne sauraient plus contribuer au développement ultérieur des végétaux échappés à l’énergie trop forte de leur première action.

Cependant, tous ces liquides, sans exception, ceux mêmes qui sont le plus chargés des substances le plus rapidement altérables, peuvent, dans des circonstances données, constituer d’excellens engrais ; nous allons en citer quelques exemples frappans.

Étendus d’eau au point de contenir seulement 4 à 5 millièmes du poids total de substances organiques sèches, puis employés en abondantes irrigations, tous peuvent déterminer des effets extraordinaires sur la rapidité des progrès de la végétation ; mais, à défaut d’irrigations économiquement pratiquables, ils exigeraient souvent des arrosages trop dispendieux.

C’est ainsi que les eaux savonneuses et ménagères, mêlées aux liquides écoulés de plusieurs boucheries, des étables très-nombreuses et des lessives d’une foule de buanderies dans deux villages populeux près de Paris, entraînées d’abord par une faible source dans les rigoles d’un vaste jardin maraîcher, y produisent des récoltes plus que doubles de celles obtenues ordinairement dans cette petite culture ; dirigées ensuite dans une prairie naturelle, dont elles recouvrent à volonté successivement toutes les parties, elles donnent lieu à 5 coupes des plus abondantes, dans un sol qui n’en permettait qu’une autrefois.

J’ajouterai que la plupart des eaux naturelles contenant des proportions notables de matière organique, comme celles que j’ai rencontrées en analysant l’eau d’un puits foré rue de la Roquette, et comme le démontre encore la composition reconnue par M. Chevreul de l’eau des puits forés à Tours ; ces eaux, dis-je, employées en irrigations, offriraient elles-mêmes un aliment à l’accroissement des plantes.

Si l’on se rappelle, en effet, que diverses plantes peuvent exhaler chaque jour dans l’atmosphère plusieurs fois leur poids de vapeur d’eau, retenant dans leurs tissus, soit assimilées, soit interposées, presque toutes les matières non volatiles qui y étaient dissoutes, on concevra l’influence notable de quelques 10 millièmes de ces substances solubles sur leur poids après une végétation de plusieurs mois.

Les riches cultures des Flamands et des Belges démontrent le parti avantageux que l’on peut tirer des engrais azotés fluides plus ou moins étendus d’eau[6]. Voici comment on les obtient et on les emploie dans cette contrée :

Des réservoirs en maçonnerie citernés (fig.55), sont construits le plus à portée possible pour recueillir les urines des étables, les vidanges des latrines, et, d’un autre côté, près des chemins qui conduisent aux champs en culture. Ces matières mélangées ainsi et conservées dans ces sortes de vases clos, enterrés sous le sol, sont à l’abri des plus fortes causes de leur fermentation, c’est-à-dire de l’accès de l’air et de l’élévation de la température. Lorsque l’on veut s’en servir en arrosages, on en tire une portion que l’on étend de 5 à 6 fois son volume d’eau, puis on emplit des tonneaux avec ce mélange que l’on répand sur les terres en le laissant couler, soit par un tube percé de trous, si le liquide est déposé, soit sur une planche lorsqu’il est très-trouble (fig. 56 et 57).

On arrose ainsi les champs ensemencés et les prairies récemment fauchées. La force végétative imprimée par cet engrais aqueux, bien que de peu de durée, peut avoir une grande influence ; car la terre, une fois recouverte de jeunes plantes vertes, est défendue d’une dessiccation accidentelle ; et, d’ailleurs, les plantes elles-mêmes acquièrent rapidement ainsi la force nécessaire pour résister à diverses influences, et pour puiser dans l’atmosphère et le sol leur alimentation ultérieure.

Le deuxième mode pour répandre l’engrais flamand consiste à le prendre dans la citerne sans l’étendre d’eau, puis à le porter dans des tonneaux (fig. 58), et à le verser dans des baquets. On peut encore employer à cet usage la petite charrette (fig. 59), en usage dans l’Allemagne. — Comme cet engrais est alors trop actif ou trop rapidement altérable pour être mis en contact avec les plantes ou leurs racines, on en dépose, sans toucher les tiges, une cuillerée au pied de chaque touffe, ou encore on le fait couler dans les sillons entre les rangées de plantes alignées.

L’arrosage, soit avec des urines ou eaux surnageant les vidanges, soit avec les matières pâteuses mélangées avec ces liquides, soit enfin en ajoutant encore des tourteaux (marcs de graines oléagineuses) divisés, exige les précautions suivantes :

Si l’on répand ces engrais sur la terre déjà labourée et hersée avant la semence, on doit choisir un temps humide ou légèrement pluvieux, et herser avant l’ensemencement, afin de mélanger l’engrais avec le plus de terre possible, et éviter son contact immédiat avec les graines.

Dans le même but, lorsque l’on veut arroser après avoir hersé et répandu la semence, il faut encore préalablement recouvrir la graine et entasser légèrement, à deux reprises, la terre au rouleau : le plus grand nombre des graines sont ainsi défendues, par une couche de terre comprimée, du contact de l’engrais trop actif qui ferait périr les radicules et les plumules, ou même empêcherait la germination.

Pour les plants espacés, on isole encore l’engrais flamand des tiges, feuilles et racines, en versant celui-ci dans des trous de plantoirs pratiqués entre les pieds de colza, œillettes, tabacs, et sur la même ligne. Cette méthode permet de herser ou biner entre les rangées sans déranger la fumure ; on choisit, d’ailleurs, les soirées et les temps humides, afin d’éviter que la décomposition trop rapide par la chaleur du jour, ne brûle les feuilles.

Aux environs de Lille, 1 tonneau d’engrais flamand coûte environ 30 c. d’achat, plus 30 c. de transport et 60 c. d’emploi ; il contient 125 kil. de matière et couvre (répandu à l’écope ou au tonneau d’arrosement) un cercle de 7 mètres de rayon. Une cave ordinaire de ce pays coûte à emplir 154 fr. et contient 32 mètres cubes ou 256 tonneaux.

Lorsque l’engrais flamand vient d’être répandu à l’aide de l’un des moyens précédens, une forte odeur putride s’en exhale aux alentours. Ce phénomène indique un dégagement rapide, hors de proportion avec la faculté d’absorption des plantes ; il donne lieu à un goût désagréable dans les produits comestibles de la culture, et nuit quelquefois momentanément au développement de la végétation.

En Suisse, on prépare avec beaucoup de soin un engrais liquide connu sous le nom de lizier. Voici la description relative à cet engrais, donnée par M. De Candolle, dans sa notice sur les engrais en usage dans ce pays : on établit dans les écuries, derrière la place occupée par les bestiaux, une rigole profonde qui reçoit leurs urines ; on y mélange leurs excrémens, et cette rigole peut aussi recevoir l’eau d’un réservoir ; plusieurs fois par jour, après avoir opéré ce mélange avec soin, on vide la rigole dans le creux à lizier,fosse avec laquelle elle communique, et qui doit avoir assez de capacité pour contenir l’engrais produit en une semaine. Cet engrais doit alors rester tranquille dans la fosse pendant un mois, ce qui oblige par conséquent à avoir 5 de ces trous à lizier, que l’on emplit ainsi successivement chaque semaine, jusqu’à ce que le premier ait été vidé, puis le second, et ainsi de suite. M. Bella a fait établir, à la ferme modèle de Grignon, des fosses à engrais d’une disposition analogue.

Mais les engrais liquides ou très-étendus d’eau ne peuvent pas être dans toutes les localités employés économiquement en arrosages assez fréquens ou en irrigation ; ils ont, d’ailleurs, quelques inconvéniens réels que des améliorations récentes permettent d’éviter, comme nous le verrons plus loin.

Au lieu de les étendre d’eau, on peut quelquefois avec profit réduire par l’évaporation les engrais à un poids moins considérable. Ainsi, pour le sang des animaux, plusieurs procédés de dessiccation peuvent être employés et offrir sous des poids égaux des différences remarquables dans les propriétés des produits obtenus.

La cohésion, l’insolubilité acquises aux produits, ont alors évidemment pour effet de retarder la décomposition du sang sec ainsi obtenu, et de l’assimiler presque, sous ce rapport, à la chair musculaire traitée de même à 100°, puis desséchée et mise en poudre.

Le sang et la chair musculaire ainsi obtenus à l’état sec suivent donc mieux et plus graduellement, dans leur altération spontanée, les progrès de la végétation, et sont bien préférables, comme engrais, au sang qui, desséché à une température plus basse, a conservé sa dissolubilité dans l’eau. Ce dernier mode de dessiccation doit donc être rejeté, quoique plus économique quelquefois, à moins que l’on ne destine le sang sec à la clarification des sirops de betteraves, de cannes, de fécule, etc.

L’expérience, en effet, a démontré que pour fumer un hectare de terre en culture, si l’on emploie 850 kilog. de sang sec soluble, c’est-à-dire desséché à l’air ou à basse température, 750 de sang coagulé insoluble, ou seulement 650 kilog. de chair musculaire suffiront encore ; ces deux derniers agens fourniront plus aux derniers développemens des plantes qu’il importe le plus de favoriser, c’est-à-dire aux époques de la floraison et de la fructification, et permettront d’obtenir la plus forte proportion des produits qui ont le plus de valeur.

Une autre circonstance propre à retarder la décomposition des substances animales, molles ou liquides, et à augmenter considérablement ainsi leur effet réalisable comme engrais, résulte de leur mélange avec des charbons poreux en poudre. Nous donnerons dans le § VIII quelques détails sur cet important phénomène.

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§ vi. — Fabrication et emploi de la poudrette.

Parmi les substances liquides ou molles que l’on peut réduire par l’évaporation à un volume et un poids moindres, on doit compter la matière fécale, base de l’engrais flamand dont nous avons parlé. Voici comment on opère sa dessiccation depuis un temps fort reculé près des grandes villes : on construit dans un local voisin de la ville, et assez distant toutefois des habitations pour éviter d’y porter une trop forte odeur, des bassins d’une grande étendue et de peu de profondeur, soit en maçonnerie, soit en terre glaisée. Leur capacité totale doit pouvoir contenir la vidange de 6 mois au moins ; ils doivent être au nombre de 4 ou 5 et disposés par étage, de manière à pouvoir être vidés les uns dans les autres sans frais de main-d’œuvre. Le bassin le plus élevé reçoit chaque nuit toutes les vidanges opérées, et lorsqu’il est rempli jusque près des bords, on lève une vanne qui fait écouler dans le deuxième bassin la partie la plus liquide surnageante. Plusieurs décantations ont lieu de même successivement, et le liquide écoulé laisse déposer dans ce deuxième bassin une partie de la matière solide très-divisée qu’il tenait en suspension. Lorsque ce bassin est rempli, on décante de même le liquide surnageant à l’aide d’une vanne, dans le troisième bassin, où un nouveau dépôt et une nouvelle décantation s’opèrent encore de la même manière. Enfin, à l’issue du quatrième ou du cinquième bassin, le liquide surnageant s’écoule au fur et à mesure que les nouvelles matières arrivent, et va se perdre, soit dans un cours d’eau, soit dans des puisards, ou, comme on l’a pratiqué dernièrement, dans des puits artésiens.

Lorsque le dépôt est assez abondant dans le bassin supérieur, on le laisse égoutter le plus possible en abaissant la vanne, et pendant ce temps les vidanges journalières sont versées dans une série de bassins disposés comme nous venons de le dire et latéralement aux premiers. La matière égouttée garde fort long-temps une consistance pâteuse ; on l’extrait en cet état, à l’aide de dragues, de louchets ou d’écopes en fer, et on l’étend sur un terrain battu, disposé en pente comme une chaussée bombée, de manière à ce que les eaux pluviales ne puissent s’y accumuler. De temps à autre, on retourne cette matière, à l’aide de pelles, afin de changer la surface en contact avec l’air et de hâter la dessiccation. On continue cette manœuvre jusqu’au moment où la matière fécale a perdu assez d’eau par cette évaporation spontanée pour être devenue pulvérulente : c’est en cet état qu’on l’expédie sous le nom de poudrette.

On la conserve autant que possible sous des hangars à l’abri de la pluie, ou du moins on la relève en tas d’une forme pyramidale et bien battue, en sorte que les eaux pluviales pénètrent peu et s’écoulent rapidement.

L’opération que nous venons de décrire est fort simple, mais elle entraîne de graves inconvéniens : la dessiccation, irrégulièrement opérée, dure de 4 à 6 années, suivant que les circonstances atmosphériques sont plus ou moins favorables ; pendant un temps aussi long, le contact de l’air et l’humidité entretiennent une fermentation constante qui développe les émanations les plus infectes jusqu’à près d’une lieue de distance. Outre le dégoût profond que de telles émanations répandent aux alentours, elles ont encore le mauvais effet d’entraîner, en pure perte pour l’agriculture, la plus grande partie des gaz qui auraient dû concourir à la nutrition des plantes.

L’emploi de la poudrette en agriculture ne présente d’ailleurs aucune difficulté ; elle est répandue sur les terres au moment des labours, dans la proportion de 20 à 30 hectolitres par hectare : cette fumure active puissamment les premiers progrès de la végétation et développe beaucoup les parties vertes des plantes ; mais, trop rapidement épuisée, on lui reproche de manquer au moment de la floraison et de la fructification des céréales.

Répandue sur les prairies, dans la proportion de 18 à 24 hectolitres par hectare, elle ranime souvent d’une manière remarquable leur végétation, mais occasione un goût désavantageux à la vente des produits de la récolte, ainsi que plusieurs autres engrais infects dont nous allons parler.

Urate. — On a donné ce nom à des mélanges d’urine avec du plâtre en poudre ou quelque-fois de la craie, de la marne séchées. L’engrais pulvérulent qui en résultait pouvait offrir une certaine activité, mais tellement passagère, que l’effet produit ne pouvait indemniser des moindres frais de transport. Il ne pouvait en être autrement, car l’urine employée ne contenait guère plus de 3 à 4 centièmes de matière sèche réellement active, les 96 à 97 centièmes restant n’étant que de l’eau ; or, cette urine mêlée à la substance en poudre ne constituait que 40 à 50 centièmes au plus du mélange dit urate ; ainsi donc, le produit ne contenait que 1,5 à 2 p. % de matière utile, et quelquefois même moins lorsque l’action de l’air et de l’eau pluviale l’avaient encore appauvri. On explique clairement ainsi le discrédit dans lequel est bientôt tombé l’urate chez les agriculteurs ; toutefois, la démonstration précédente aurait pu prévenir même l’essai en grand d’un engrais aussi peu chargé de principes organiques.

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§ vii. — Inconvéniens des engrais infects.
(Sang putréfié, urine, poudrette, marcs de colle, larves de ver-à-soie, boues des villes.)

Dans les engrais liquides usités, la matière utile agit en sens inverse des progrès de la végétation, puisque, rapidement décomposée, ses émanations diminuent au fur et à mesure que les surfaces absorbantes des végétaux s’étendent de plus en plus. La forme, le poids et l’inaltérabilité de ces engrais liquides rendant leur transport pénible, ils restent généralement en excès inutile au point même de leur production.

Enfin, l’abondance de leurs produits gazeux ou solubles en contact à la fois avec toutes les surfaces absorbantes des végétaux, peut être telle que ces produits y restent en partie interposés, sans décomposition, avec leurs propriétés et notamment leur odeur spéciale repoussante. Parmi les faits nombreux qui depuis long-temps ont démontré ces phénomènes, nous choisirons trois exemples :

Si l’on dépose trois ou quatre fois pendant la végétation, près de diverses plantes sarclées, de la matière fécale délayée dans de l’eau ou de l’urine (engrais flamand), le suc de ces plantes sera fortement imprégné de l’odeur infecte particulière à cet engrais.

La saveur dégoûtante due à la fumure en question, est encore transmise par les boues des villes, le sang putréfié, et elle est d’autant plus sensible que les parties vertes des diverses plantes comestibles sont plus développées.

Si l’on essaie de soutenir la végétation d’une prairie à l’aide de la poudrette, le fourrage obtenu pourra contracter une odeur désagréable, et par suite être déprécié, comparativement avec le produit des prairies voisines.

On observerait sans doute des effets analogues dans l’emploi des marcs de colle-forte et des larves de vers-à-soie, dont la putréfaction rapide développe l’odeur la plus repoussante. Toutefois, chacun de ces engrais donne lieu à une végétation active, en les divisant, par leur mélange avec leur volume de terre du champ, et les répandant avant les premiers labours.

Nous verrons dans le paragraphe suivant combien il est facile aujourd’hui d’éviter les graves inconvéniens précités, en employant même les matières le plus fortement putrides.

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§ viii. — Du noir animal et du noir animalisé.

J’avais observé depuis 1820 et fait connaître en 1822, dans un Mémoire sur les charbons, qui fut couronné par la Société de pharmacie de Paris, les effets remarquables d’un mélange (résidu des raffineries) dans lequel le sang coagulé formait au plus 0,10 à 0,15 du poids total. Cependant la putréfaction n’avait préalablement rien enlevé à ce produit dont j’avais essayé l’emploi comme engrais : la présence même de 0,85 à 0,90 de produits inorganiques carbonisés retardait encore avec énergie la décomposition de la substance azotée.

Par suite de la publication de ce fait nouveau, tous les résidus des raffineries, qui étaient alors jetés aux décharges publiques, furent peu-à-peu entièrement utilisés ; bientôt après, tirés de toutes nos usines, importés même de diverses contrées européennes, ils ont ajouté annuellement la masse énorme de 20 millions de kilogrammes du nouvel engrais aux moyens de fertilisation de nos terres. Il constitue aujourd’hui avec le noir animalisé la plus grande masse des engrais transportables.

Ce sont surtout les départemens de l’Ouest, approvisionnés de Nantes par mer et en suivant le cours de la Loire, qui, manquant d’ailleurs le plus d’engrais, ont consommé la plus forte quantité de charbon ou noir animal. Des sols naguère en jachère une année sur deux et même deux années sur trois, par suite de son emploi, sont emblavés tous les ans, et ont doublé et triplé la valeur de leurs produits nets.

La mesure de l’énergie acquise à ce mélange offre ce résultat étonnant au 1er abord, mais constaté expérimentalement dans de grandes cultures : les 15 parties de sang sec qu’il renferme agissent comme engrais d’une manière plus utile que 400 parties liquides, représentant environ 100 parties de sang à l’état sec.

Ainsi, la matière organique réunie au charbon agit six fois plus qu’employée seule ; ce fait explique la consommation énorme des résidus de raffineries, et leur prix bien plus élevé que celui de leur équivalent en sang desséché. On le répand d’ailleurs avec la plus grande facilité et une économie de main-d’œuvre très-remarquable ; car il suffit de le semer après la graine, et de le recouvrir avec elle par la herse.

Son action fertilisante est constante sous les conditions favorables ordinaires.

Cependant j’ai reconnu directement que le charbon ne perd rien de son poids, soumis pendant 3 mois aux mêmes influences atmosphériques, à l’action de l’eau distillée et des racines des plantes, lors même que le développement de ces dernières était a dessein favorisé par des émanations gazeuses de substances azotées en putréfaction.

Une autre anomalie apparente curieuse s’est bientôt offerte à nos méditations ; on verra qu’elle présente une preuve nouvelle à l’appui de la théorie générale que nous avons exposée. Des résidus de raffineries contenant des proportions variables entre 5 et 15 centièmes de sang sec ont eu plusieurs fois une influence défavorable sur la végétation, et cependant ils augmentèrent sans addition d’engrais les produits d’une récolte suivante. Ces observations ont déterminé quelques agriculteurs à laisser une 1re fermentation s’établir dans ces résidus avant de les répandre sur leurs terres. En cherchant quels pouvaient être les effets de cette 1re réaction spontanée pour ceux de ces résidus que l’on disait être trop chauds, j’y reconnus la présence de 5 à 10 centièmes de sucre altéré, qui donnait lieu à une abondante production d’alcool et d’acide carbonique, puis d’acide acétique et hydro-sulfurique ; à ces 1ers produits succédèrent, bien plus lentement dégagés, du carbonate, de l’acétate d’ammoniaque, et tous les résultats de la décomposition des substances azotées : à dater de cette époque, l’influence de l’engrais dans diverses expériences a constamment été évidemment très-favorable sur la végétation. Dès-lors il me parut probable que les altérations du sucre pouvaient seules exercer l’influence défavorable observée. En effet, dans une série de faits spéciaux, tous les mélanges, en diverses proportions, d’alcool et d’acide acétique avec le charbon, ont toujours été nuisibles aux progrès de la végétation, et d’autant plus que la proportion d’acide fut plus forte. Voulant savoir si ces phénomènes étaient indépendans de l’influence du charbon, et s’ils auraient lieu en présence des produits liquides azotés comme des débris solides des animaux, j’abandonnai en vase clos et en vases ouverts des mélanges de sucre : 1o jusqu’à saturation dans de l’albumine battue ; 2o dans l’albumine étendue de parties égales d’eau ; 3o dans des œufs divisés, sans en rien séparer, tels qu’on les emploie dans les clarifications ; 4o dans du suc exprimé de la chair musculaire, et enfin dans le même liquide contenant des lambeaux de chair. — Tous ces mélanges, pendant 2 ans, éprouvèrent plus ou moins lentement des réactions qui produisirent de l’alcool, de l’acide carbonique, puis de l’acide acétique et des traces d’hydrogène sulfuré. Les morceaux de chair bien lavés n’avaient sensiblement rien perdu de leurs principes constituans ni de leurs propriétés. Il était donc évident que la présence du sucre dans les résidus employés avait occasioné les réactions défavorables ; que celles-ci devaient avoir lieu en quelque état que fût la substance azotée, et qu’il était utile d’éliminer le sucre, soit par des lavages, soit par une légère fermentation, en ne laissant ainsi au sang coagulé interposé dans la matière charbonneuse que son action utile ; qu’enfin un essai préliminaire très-facile, consistant dans un simple lavage du noir sur un petit filtre, permettrait de reconnaître la présence du sucre, et en conséquence l’utilité des précautions précitées, ou enfin l’inopportunité de celles-ci lorsque les lavages ont été convenablement opérés dans les raffineries[7].

D’autres essais démontrent que le charbon peut être utile non seulement pour faire durer plus long-temps et augmenter ainsi l’effet du sang, mais encore qu’il peut servir d’agent intermédiaire en absorbant les gaz et la chaleur, et les transmettant ensuite aux plantes. En effet, si l’on fait germer et végéter plusieurs plantes, comparativement, dans deux vases contenant du charbon en poudre épuré, arrosé chaque jour avec de l’eau pure, que l’on ajoute à l’un tous les jours 1/100 de ce charbon, et à l’autre autant du même charbon imprégné des gaz qui se dégagent par la fermentation spontanée des matières animales ; dans ce dernier vase la végétation sera très-belle, tandis que dans l’autre elle restera faible et languissante.

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§ ix. — Fabrication des engrais désinfectés.

Une des découvertes les plus importantes dans les annales industrielles offrit alors à l’agriculture, à la salubrité publique, de nouveaux faits à enregistrer, vint affermir le système des engrais non altérés, et ajouter une démonstration directe de l’utilité de la désinfection, au lieu de la putréfaction préalable.

Le résidu charbonneux, sorti des raffineries, ne suffisait déjà plus aux besoins de l’agriculture, lorsque M. Salmon imagina de fabriquer de toutes pièces un engrais analogue plus efficace encore, et surtout plus constant dans ses effets. Il y parvint en mélangeant divers détritus organiques azotés, dans un grand état de division, avec une terre rendue éminemment poreuse, charbonneuse et absorbante, par une calcination en vase clos.

Pour faire bien apprécier l’immense avantage de conserver ainsi, par ce moyen breveté, aux détritus organiques employés comme engrais, toutes leurs parties altérables, loin d’en laisser préalablement dissiper la plus grande partie dans l’atmosphère, il suffira de faire remarquer que le nouvel engrais, connu sous le nom de noir animalisé, représente un effet utile au moins décuple de celui que l’on obtiendrait d’une masse égale de matière fécale, par exemple, lentement desséchée selon les procédés usuels. Les résultats discutés d’une fabrication journalière d’environ 300 hectolitres près de Paris, et les données recueillies par nos agronomes les plus distingués sur de vastes étendues de terres en culture, ne peuvent laisser aucun doute à cet égard ; déjà des traités conclus dans des villes populeuses assurent l’extension de cette production d’engrais non consommés.

Nous avons vu que la dessiccation de la matière fécale donne lieu depuis des temps reculés à de grandes exploitations près des villes ; que cette dessiccation s’effectue par intervalles irréguliers entre les saisons pluvieuses ou humides. La poudrette obtenue en définitive est donc le résidu d’une altération de plusieurs années, durant lesquelles la plus grande partie des principes assimilables exhalés dans l’atmosphère, ont laissé en excès toutes les matières terreuses inertes et celles qui sont le moins altérables.

À ce procédé généralement usité encore aujourd’hui, et qui répand au loin l’infection, succède déjà peu-à-peu le mode bien plus rationnel que nous avons indiqué ci-dessus. Cette application importante promet d’assainir par degrés tous les centres de fortes populations ; applicable d’ailleurs à convertir immédiatement en engrais tous les fluides suffisamment chargés de matière organique azotée et tous les débris des animaux convenablement divisés, il constitue le procédé le plus général de la fertilisation des terres, et doit graduellement suppléer partout à l’insuffisance des fumiers.

Ce procédé consiste à mélanger le plus intimement possible les parties molles, divisées ou fluides des animaux, fraîches ou même déjà putréfiées, avec environ la moitié de leur poids d’une substance poreuse, charbonnée, réduite en poudre fine absorbante, et présentant à peu près sous ce rapport les propriétés du charbon d’os fin.

À l’instant où le mélange est opéré, la décomposition spontanée est dès-lors pour toujours ralentie, presque au même degré que dans les substances dures, les os, la corne, mises en poudre. L’acide hydro-sulfurique qui se dégageait, uni avec l’ammoniaque avant l’opération, est si rapidement absorbé, qu’une lame d’argent plongée dans le produit, même encore très-humide, conserve sa couleur et son éclat métallique, tandis que, dans la matière organique employée, elle serait en quelques secondes irisée ou noircie sur toute sa surface.

Effets et modes d’emploi du noir animalisé. — La fabrication de l’engrais nouveau, le noir animalisé, est alors finie ; il réunit toutes les conditions utiles de la division et d’une décomposition lente. On peut immédiatement en faire usage, le mettre en contact avec les graines ensemencées, les radicules, les plumules, les tiges et les feuilles les plus délicates ; il ne cède que très-lentement, aux influences atmosphériques et à l’action des extrémités spongieuses des racines, les produits gazeux ou solubles assimilables qu’il renferme. Il fournit graduellement ainsi, sans être même complètement épuisé, à tous les développemens des plantes annuelles.

L’un des effets les plus utiles et les plus remarquables de cette décomposition lente et progressive, que l’accroissement de la température et de l’humidité accélère comme la végétation, est signalé dans un développement plus soutenu des céréales à l’époque de la floraison, et dans une production de grain plus abondante que sous l’influence d’engrais contenant une proportion double de matière organique, mais qui, trop rapidement décomposée, exhale en pure perte des gaz dont l’excès, nuisible d’ailleurs, est décelé par une odeur plus ou moins forte et repoussante.

L’engrais nouveau, employé même en grand excès, ne change en rien la saveur agréable la plus légère des racines, des feuilles ni des fruits comestibles, et contribue, au contraire, par une assimilation complète, au développement de tous les principes aromatiques.

Les prairies naturelles ou artificielles dont on a ranimé la végétation en y semant (autant que possible, par un temps humide ou lors d’une 1re pluie du printemps) 12 à 15 hectolitres de cet engrais bien émotté, donnent des produits plus abondans et d’un goût plus agréable. Ces faits sont constans aujourd’hui pour les nombreux agriculteurs qui continuent l’usage de cet engrais.

Quoique 15 hect. suffisent à la fumure d’un hectare de terre, on en a quelquefois employé des proportions décuples dans les jardins, et toujours avec succès, notamment pour aider à la reprise des jeunes arbres à fruits, ranimer les orangers transplantés, remplacer le terreau sur tous les massifs, activer la végétation des pelouses ensemencées vers l’arrière-saison.

On doit émotter à la pelle le noir animalisé au moment de l’employer ; quelquefois même, afin de le mieux diviser et de le répartir plus également, on le mêle avec son volume de terre du champ.

On le sème sur la terre après la graine et avant le hersage pour les blés, orges, avoines, betteraves, rabettes, navets, colzas, maïs, le chanvre, le lin, etc.

On le dépose par petites poignées dans les fossettes ou les sillons avec les pommes-de-terre, les haricots, les pois, les fèves.

Pour les divers plants repiqués, un enfant, suivant le planteur, le dépose dans le trou du plantoir sur la racine, que l’on recouvre immédiatement de terre. On opère de même pour les boutures, les marcottes et les plants provignés.

Un ou deux hectolitres sur les plates-bandes d’un jardin remplacent un tombereau de terreau ordinaire. Mélangé avec dix fois son volume d’un terreau épuisé, il ranime son action d’une manière très-remarquable. Ce mélange est très-utile pour alléger et fumer à la fois les terres des jardins.

Le noir mélangé avec la terre des trous, dans la proportion d’un à deux litres pour chaque arbre transplanté, assure la reprise et soutient la végétation de la manière la plus graduée ; ½ à ¼ de litre employés de même pour les ceps de vigne, les touffes de dahlias, les rosiers, les mûriers, et diverses autres plantes, activent constamment la végétation sans altérer le goût des fruits, ni des feuilles, ni la coloration des fleurs.

On en répand une couche de 4 à 6 lignes d’épaisseur à la surface des fosses d’asperges : il hâte la pousse en échauffant le sol, et augmente le volume en alimentant la plante.

Dans toutes ces applications, on n’a jamais éprouvé ces accidens que déterminent tous les engrais trop actifs, ceux-là même qui renferment à peine 0,1 des principes utiles contenus dans le noir animalisé.

Il est d’ailleurs évident : 1o qu’on ne pourrait craindre dans l’emploi de cet agent les inconvéniens de ces myriades d’insectes parasites importés avec les fumiers, les engrais végétaux et le terreau ordinaire ; et 2o que la présence et le mélange intime du charbon offrent, en outre, un obstacle aux attaques des petits animaux qui, parfois, ont dévasté les champs fumés avec le sang et la chair musculaire.

Entre autres exemples curieux de ce dernier genre de danger, dans l’usage des débris animaux purs, nous citerons ce qui est arrivé lors d’un 1er essai du sang sec aux colonies : un champ de cannes à sucre venait de recevoir, au pied de chacune des touffes, une petite poignée de l’engrais pulvérulent déposé à la surface du sol ; des milliers de rats arrivèrent de toutes parts, et fouillant entre les racines, afin d’y rechercher le sang sec, ils détruisirent toute espérance de récolte pour cette fois.

L’un des moyens de multiplier les bons effets de la poudre charbonneuse, base du noir animalisé, consisterait à l’expédier pour être employée partout où se rencontrent abondamment des détritus riches en matières animales, et dont on perd la plus grande partie de l’action trop vive, en même temps que l’on altère le goût des produits de la culture et que l’on infecte l’air des alentours. C’est ainsi qu’un simple mélange, en proportion suffisante pour désinfecter ces matières (et qui varierait entre un dixième et un quart de leur volume), pourrait tripler au moins et souvent sextupler leur effet utile, en faisant disparaître tous les inconvéniens inséparables de la putridité. Enfin, ne fût-ce que pour éviter que les engrais de chair musculaire et de sang desséchés ne fussent enlevés par les rats et divers petits animaux, il conviendrait même, pour ces derniers engrais riches, d’avoir recours au mélange avec 10 à 15 p. 0/0 de poudre charbonneuse.

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§ x. — Imitations diverses et falsifications du noir animalisé ; moyens de les reconnaître.
(Cendres animalisées, tourbe animalisée, cendres noires, poussiers de charbon et de houille, fraziers de forge, résidus de bleus de Prusse, noir en grains.)

Depuis que l’usage du noir animalisé s’est tellement répandu en France que l’on s’occupe d’en établir des centres de fabrication dans les principales villes du royaume, on a cherché les moyens d’imiter ce produit par des mélanges moins coûteux, qui eussent une action analogue ; nous dirons un mot des résultats auxquels on est ainsi parvenu en animalisant les cendres et la tourbe.

Cendres animalisées. — En substituant des cendres, résidus de la combustion des bois, houille, tourbe, à la substance charbonneuse calcinée exprès en vases clos, on conçoit qu’il a été facile de réaliser une économie notable, mais qu’aussi l’on a perdu les avantages qui permettent de faire supporter au noir animalisé, comme aux autres engrais riches, des frais de transport à une assez grande distance.

En effet, la propriété désinfectante des cendres étant considérablement moindre que celle de la substance charbonneuse dont nous avons parlé, on n’y peut mélanger qu’une proportion bien moindre de matière animale putrescible ; et encore, celle-ci, trop rapidement décomposée, agit-elle moins long-temps et, moins utilement, puisqu’elle devance, dans sa décomposition, le développement des plantes. Elle peut même nuire par le goût désagréable qu’elle leur communique.

Un autre motif d’infériorité résulte encore des variations inévitables dans la nature des diverses cendres qu’on peut se procurer : ainsi, les cendres des divers bois diffèrent entre elles suivant que ceux-ci ont été brûlés neufs ou flottés, et suivant encore que l’incinération a été poussée plus ou moins loin. Les mêmes causes produisent des effets plus marqués encore dans les résidus de la combustion des tourbes plus ou moins terreuses, et des houilles dont la composition est extrêmement variable. Ces dernières présentent toujours d’ailleurs une multitude de petits grains en scories, en partie vitrifiés, très-rudes et peu propres à être mis en contact avec les racines des plantes.

Il arrivera donc rarement que ces diverses cendres, plus ou moins chargées des matières animales, pourront améliorer le fond du sol, et surtout offrir assez d’avantage aux agriculteurs pour être transportées à de grandes distances. Cependant, dans certaines terres fortes que la plupart des cendres peuvent amender, on trouvera presque toujours du profit à les mélanger avec des déjections animales qu’elles rendront plus faciles à répandre.

La dose de cendres le plus animalisées, employée comme engrais, pourra être de 25 à 30 hectolitres par hectare : il conviendra d’éviter de les mettre en contact immédiat avec les graines ou les racines des plantes repiquées. On devra en conséquence les répandre à la surface du champ, après avoir recouvert la semence par le rouleau ou la herse, ou encore enterrer préalablement cet engrais à l’aide d’un hersage avant de semer, ou enfin les répandre entre les rangées des jeunes plantes sarclées, ou près des touffes, sans être en contact avec les tiges.

Tourbe animalisée. — La tourbe non incinérée, mêlée avec un tiers ou un quart de son poids de matière fécale, a été essayée comme engrais. Il est probable que dans les localités où on l’obtiendrait à très-bas prix et presque sans frais de transport, elle serait utilement employée, répandue sur les terres, comme les fumiers d’étable (Voy. plus loin) ; elle pourrait cependant trop alléger certains sols : pour éviter cet inconvénient, on devrait la mélanger avec un engrais plus riche qui permit de diminuer le volume total employé : nous ne pouvons d’ailleurs avoir de certitude à cet égard avant que l’expérience en grand soit venue vérifier ces conjectures.

Cendres noires, poussiers de charbon, fraziers de forge. — Plusieurs autres imitations des résidus de raffineries ou du noir animalisé peuvent être considérées comme de véritables falsifications. C’est ainsi que des spéculateurs se sont proposé d’augmenter la quantité de ces engrais, par des mélanges de matières semblables en apparence, mais d’une bien moindre valeur, et ne contenant ni le sang ni les autres matières animales qui font la base de la principale action de ces deux engrais à l’état de pureté.

Il importe beaucoup aux agriculteurs de reconnaitre ces mélanges frauduleux, et rien n’est plus facile, surtout relativement à la terre noire de Picardie[8], qui est le plus généralement employée dans ces falsifications, et que l’on transporte à cet effet par forts chargemens dans la Bretagne.

Pour constater cette fraude, il suffit d’étendre une pincée de l’engrais à essayer sur une pelle, et de le chauffer au rouge pendant quelques minutes, puis de le laisser refroidir.

Alors, si l’engrais était pur, la cendre restée sur la pelle formerait une poudre fine offrant une couleur grisâtre uniforme. S’il contenait de la terre noire, la cendre serait graveleuse et présenterait des parties rougeâtres ou couleur de rouille d’autant plus nombreuses que la quantité de terre noire mélangée aurait été plus grande. Nous ne saurions trop engager les agriculteurs à faire cet essai si facile, ou à le confier à un pharmacien de la localité.

On falsifie encore les mêmes engrais, en y mélangeant du frazier de forge et des poussiers terreux qu’on trouve au fond des magasins de charbon de bois et de houille : en général, ces divers mélanges se décèlent à la simple inspection ; ils présentent des parties inégalement nuancées de couleur brune, jaunâtre ou blanchâtre, surtout dans la plupart des grains les plus volumineux que l’on écrase. Enfin, serrés entre les doigts, ils sont plus ou moins graveleux ou rudes au toucher, et grenus, tandis que les résidus de raffineries et le noir animalisé exempts de ces mélanges, sont d’une nuance brune, foncée, très-régulière et d’une grande finesse ; pressés entre les doigts, ils ne présentent aucune partie grossièrement pulvérisée, à moins qu’il ne s’en soit joint quelques-unes accidentellement ; mais alors elles doivent être en très-petit nombre.

Résidus de bleu de Prusse. — On nomme ainsi le résidu épuisé, grisâtre, pulvérulent, de la fabrication du bleu de Prusse ; il ne contient aucune trace de matière organique, et ne pourrait être utilement employé que comme amendement capable d’alléger la terre et de stimuler les forces végétatives par suite de la faible proportion de carbonate et de sels de potasse qu’il retient. Sous ce rapport, l’emploi des résidus précités serait utile, si leur transport était peu dispendieux et leur prix d’achat presque nul.

Il n’en a pas été souvent ainsi : cette substance, évidemment inerte comme engrais, a été mélangée frauduleusement avec les charbons de raffineries et le noir animalisé.

Voici les moyens de reconnaître cette fraude : d’abord une ténuité en général moindre, et une moindre proportion de substances organiques rendent le mélange plus rude au toucher ; quelquefois même on y aperçoit des grumeaux charbonneux, durs, qui ne se rencontrent pas dans les deux engrais non altérés.

Si l’on fait brûler, sur une pelle rouge, ce mélange, la cendre obtenue, délayée dans l’eau et jetée sur un filtre (Voy. ci-devant, p. 42, fig. 32), donne un liquide salé, assez fortement alcalin. Enfin, en calcinant dans une cornue (page 59, fig. 44) le même mélange, et recevant, dans l’acide sulfurique étendu, les gaz dégagés, on obtient moins d’ammoniaque dans la proportion de 30 à 50 et même 80 pour cent. Ce dernier moyen, que nous avons indiqué ci-devant plus en détail, serait applicable à déceler tous les genres de fraude qui précèdent ; mais les procédés plus simples décrits ci-dessus suffisent pour ceux-ci.

Noir en grains. — Depuis quelques années seulement on emploie dans les raffineries une sorte de charbon animal grenu comme de la poudre de guerre, et sur lequel le sirop clarifié filtre aisément sans addition de sang ; on le nomme noir en grains : il ne retient pas de sang ni d’autres matières organiques azotées, mais seulement des traces de sucre. Ce n’est donc point un engrais, et son mélange avec les résidus de raffineries ordinaires est une véritable sophistication ; heureusement il est très-facile de le reconnaître à la grosseur de ses grains : il suffit de le faire glisser entre les doigts.

Nous dirons en terminant que le plus sûr moyen de se mettre à l’abri de toute fraude, consiste à recevoir directement des fabriques ou entrepôts garantis le noir animalisé comme les résidus de raffineries.

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Art. iii. — Des engrais mixtes, plus particulièrement désignés sous la dénomination de fumiers.

Nous avons vu combien est préjudiciable la méthode ancienne des engrais consommés, relativement aux débris des animaux et à la matière fécale, si l’on compare cette méthode avec l’emploi des mêmes débris sans déperdition. Nous allons voir que les mêmes données s’appliquent aux divers fumiers, et nous montrerons que l’on confond à tort, pour ceux-ci, une fermentation préalable toujours nuisible par le dégagement de gaz qui eussent été assimilables, avec une macération quelquefois utile.

C’est généralement à une désagrégation des parties solides que se borne l’utilité des réactions préalables dans les fumiers et composts mis en tas et abandonnés à dessein pendant un temps plus ou moins long.

Ici, la macération spontanée produit un des effets précités de la chaux, en favorisant la dissolution des matières organiques ; mais presque toujours la déperdition des substances les plus altérables, dans ces mélanges, est loin d’être compensée par l’effet obtenu ainsi des parties résistantes.

Nous allons démontrer encore cette assertion par des faits dans l’application la plus générale. Si l’on opère un mélange aussi régulier que possible des fumiers frais d’écuries et d’étables, réunis en une masse de 10 voitures, ou environ 12,000 kil. ; que l’on répande et qu’on recouvre immédiatement par un léger labour et le rouleau, la ½ ; du tas ou 6,000 kil. sur 10 ares (1,000 mèt.) de terre meuble, le plus possible épuisée d’engrais et de débris organiques ; que, d’un autre côté, on laisse en tas à l’air les 6,000 kil. restans pendant 4 mois, puis qu’on les répande sur une surface moitié moindre (600 mèt. ou 5 ares) d’un même sol ; qu’enfin, on cultive comparativement par bandes des céréales et diverses plantes sarclées et repiquées sur les deux terrains ainsi fumés, en rendant le plus possible toutes les circonstances égales d’ailleurs ; d’après les faits nombreux, recueillis en opérant de cette manière, les récoltes mesurées, puis estimées par leur équivalent en poids de la substance sèche contenue, seront à peu près égales. L’effet utile du fumier frais aura donc évidemment été double.

Elle pourra être plus que triple de celle du fumier mis en tas, si les alternatives d’une haute température et d’une humidité suffisante ont, pour ce dernier, favorisé l’action de l’air, la fermentation et le dégagement des produits gazeux.

Sur certaines cultures dont l’allégement de la terre favorise le développement des produits, comme cela se remarque surtout dans la production des tubercules de la pomme-de-terre, l’effet réel pourra être quadruplé.

Il paraîtra peut-être également bien démontré qu’en faisant le plus promptement possible usage des fumiers, on aura souvent l’occasion de mieux distribuer le travail des champs ; de réserver aux fumiers des étables toute leur utilité, non seulement comme engrais, mais encore comme agens physiques de division ; de ménager ainsi aux engrais pulvérulens leur maximum d’effets complémentaires ; enfin de permettre leurs transports à de plus grandes distances, par suite des produits mieux assurés et plus économiques de leur application[9].

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§ ier. — Mode général d’emploi de tous les fumiers frais et de tous les engrais infects ou rapidement décomposables.

Les engrais les plus actifs, qui par un contact immédiat nuiraient aux graines et aux racines des plantes, peuvent tous, sans exception, être directement appliqués à l’agriculture, pourvu qu’une masse suffisante de terre les sépare des graines et des extrémités spongieuses des racines, pendant les premiers temps de la végétation ; les gaz produits rapidement peuvent alors être disséminés et en grande partie retenus dans les interstices du sol, puis fournis plus lentement ensuite à la végétation.

Un exemple remarquable de cette méthode a été donné dans les environs d’une grande boyauderie à Grenelle, il y a près de 20 ans. On ouvrit une tranchée de 18 pouces de profondeur, dans toute la largeur d’une pièce de terre, puis on y déposa sur toute la surface du sol une couche de 3 pouces d’épaisseur d’intestins en putréfaction ; ceux-ci furent immédiatement recouverts de 6 à 8 pouces de terre ; le lendemain on acheva de creuser en avant une 2e tranchée égale et parallèle, dont on rejeta la terre sur la 1re, puis on déposa, comme la veille, des intestins surtout le fond de la tranchée ouverte. En continuant chaque jour de la même manière, on obtint en définitive une fumure sous-jacente au fond de toutes les tranchées et sous toute la surface du champ (fig. 60),
Fig. 60
où les parties ombrées indiquent la place de l’engrais putride, et les lignes ponctuées la terre relevée chaque jour par-dessus. Des blés, semés sur cette terre, y prirent un développement énorme, et donnèrent une quantité de grain quadruple de celle récoltée, à surface égale, sur la même terre contenant les proportions usuelles de fumiers d’étable. La même fumure prolongea, à l’aide de labours superficiels, son action durant 8 années pour des cultures en blé, seigle, choux, etc ; les deux dernières, en racines pivotantes et tuberculeuses (betteraves et pommes-de-terre), offrirent des résultats non moins remarquables, et profitèrent encore de la couche inférieure de l’engrais consommé.

Les labours en ados ou billons[10], qui se pratiquent avec tant d’avantage aux États-Unis et en Angleterre, pour les navets, rutabagas, choux, maïs, betteraves et toutes les plantes sarclées, permettent de donner aux racines le double de profondeur en terre meuble, et de maintenir sous cette couche épaisse la totalité de la fumure. On ne saurait douter qu’à l’aide de cette méthode il ne fût très-avantageux d’employer directement les engrais les plus actifs, et cela sans leur faire éprouver aucune déperdition préalable.

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§ ii. — Des fumiers d’étable ou litières.

On peut diviser en deux classes tous les fumiers : 1o les fumiers chauds ; 2o les fumiers frais. Ces derniers résultent surtout de la nourriture aqueuse, consommée abondamment par les vaches. En effet, même après la saison des herbages, on donne à ces animaux des betteraves ou leur pulpe provenant des fabriques de sucre indigène, des pommes-de-terre ou les marcs de ces tubercules dans les féculeries. Les excrémens contiennent par suite une grande proportion d’eau qui les distend et les rend plus spongieux, plus capables de retenir l’humidité ambiante et d’entretenir ainsi la fraîcheur près des racines.

La plupart des autres fumiers résultant d’une alimentation en fourrages ou grains secs, et notamment ceux des chevaux, poules, dindons, etc, sont considérés comme fumiers chauds : ils se dessèchent plus rapidement et absorbent moins d’eau sous les mêmes influences atmosphériques que les fumiers frais.

Il est facile de comprendre que les fumiers chauds conviennent mieux aux terres humides et froides, et que les fumiers frais sont préférables pour les sols secs, sableux et chauds.

Comme engrais, ils peuvent d’ailleurs, les uns et les autres, être utilisés dans tous les sols, sauf l’addition préalable des amendemens spéciaux. Ils se trouvent souvent mélangés en proportions variables, et les moyens de les conserver et d’en faire usage sont les mêmes.

On peut encore diviser les fumiers en deux espèces très-distinctes et dont les usages ne sont pas les mêmes : les fumiers longs, qui n’ont éprouvé qu’un léger commencement de fermentation, qui occupent beaucoup d’espace, font beaucoup de volume et durent long-temps ; les fumiers courts ou gras, dont la décomposition est très-avancée, qui sont très-lourds, se coupent souvent à la bêche, et dont l’action est instantanée, mais de peu de durée. Les premiers conviennent particulièrement aux terres grasses, tenaces, argileuses et froides ; les seconds, aux sols maigres, légers, sablonneux, chauds ; pour obtenir ceux-ci, il a fallu que les pailles éprouvassent dans la fosse une décomposition presque complète, et en arrivant à cet état, l’engrais a perdu une grande partie de ses gaz nourriciers ; afin d’en tirer des résultats prompts et plus grands, on renonce à des effets durables, et on sacrifie une grande partie des sucs que la lente décomposition des fumiers longs dans le sol lui-même, y dépose successivement au profit de plusieurs récoltes. En résumé, et c’est l’avis des plus savans auteurs de chimie agricole, l’emploi des fumiers longs est en général préférable ; mais, pour qu’il soit adopté dans tous les cas où le fumier est acheté, il faudrait que la fourniture en fût faite au poids et non à la mesure.

Récolte et conservation des fumiers des étables. — En général, les fumiers d’étable sont réunis au milieu de la cour de la ferme, enceinte par les bâtimens d’habitation, les granges et les écuries, et quelquefois ombragée par des ormes élevés ou des mûriers qui maintiennent une température uniforme, et retardent la dessiccation et l’évaporation du fumier.

Cette cour est creuse, l’eau des toits s’y réunit, et le fumier est constamment mouillé. Il est bien que l’eau qui le baigne ne puisse s’en échapper, le fumier étant dans un fond de terre alumineuse ou garni d’une couche de glaise qui empêche les infiltrations et la perte des substances organiques solubles.

Le fumier est ainsi tenu à l’ombre la plus grande partie de la journée, toujours humide, sans être lavé dans les temps de pluie, mais, du reste, il est jeté sans soin : les bestiaux qui le piétinent, les poules et les pigeons qui le grattent, occasionent une plus forte déperdition en multipliant les surfaces en contact avec l’air et suspendant la macération.

Sous le point de vue de la salubrité, cette pratique paraît essentiellement vicieuse. L’eau du fumier arrive souvent jusqu’aux portes de l’habitation et des écuries ; elle attire, en été, un grand nombre d’insectes qui tourmentent les bestiaux ; l’atmosphère est humide et remplie de gaz malfaisans ou du moins fort incommodes, qui s’en dégagent, quelque lente que soit la putréfaction.

Afin d’éviter les inconvéniens précités, il faudrait creuser derrière les écuries de chaque ferme de larges fosses, à l’ombre et au nord, où ils seraient rangés avec soin et tenus en contact avec les liquides écoulés des étables et même les urines des habitans.

Alors on pourrait même séparer en des cases particulières les fumiers frais et les fumiers chauds, ou même ceux de porc, de vache ou de bœuf, de cheval, de moutons, etc., et ne plus les confondre, comme la plupart des cultivateurs en ont à tort l’habitude.

Cette séparation des fumiers est au reste moins nécessaire dans certaines localités où, comme en Flandre, les chevaux et les vaches ont la même nourriture la plus grande partie de l’année, c’est-à-dire du trèfle et de l’orge en vert en été, et en hiver de la paille hachée, de la drêche ou résidu lavé de l’orge et autres céréales germées des brasseries. Il résulte de ce système de nourriture des bestiaux, que le fumier de vache est moins frais, et celui des chevaux moins chaud que dans les pays où la nourriture des vaches et des chevaux est très-différente.

Cependant, en général les déjections animales, mêlées aux litières et aux débris de la nourriture des bestiaux, ou les fumiers de basse-cour, ont des propriétés différentes : le fumier de porc est le moins chaud et le moins concentré ; vient ensuite celui des vaches et des bœufs : il convient donc de les employer spécialement dans les sols maigres, légers et secs. Le degré de force des fumiers place ensuite celui composé des déjections des chevaux, puis celui des moutons, et enfin des volailles et colombiers, dont nous parlerons tout-à-l’heure.

Le mode le plus général d’emploi des fumiers consiste à les porter sur les champs à l’aide de voitures. Celles-ci sont vidées en 4 ou 6 tas, que des hommes étalent ensuite à la fourche en une couche continue et régulière ; un labour sert ensuite à recouvrir le fumier de terre, puis le rouleau et la herse à diviser celle-ci convenablement.

En Flandre, les fumiers ne sont conduits sur les champs que le jour même où la terre est labourée ; ainsi, en un jour, on transporte le fumier, on le répand sur la terre et on le recouvre par le labourage. Quand la pièce est grande, on la divise en plusieurs parties, et on exécute en un jour sur chacune un travail complet. Les cultivateurs de ce pays pensent, avec raison, que le fumier perd la plus grande partie de sa valeur lorsqu’il est exposé quelque temps à la pluie et surtout au soleil, et lorsqu’il est employé long-temps avant les semailles. Aussi ensemencent-ils la terre le jour même qu’elle est fumée.

On pourrait, au reste, différer l’ensemencement de quelques jours, pourvu toutefois que l’engrais fût, immédiatement après qu’il est répandu, recouvert de terre, qu’on doit même tasser plus ou moins à l’aide du rouleau : en opérant ainsi, on retiendrait dans le sol la plus grande partie des gaz et des liquides utiles, dont la végétation profiterait ultérieurement ; enfin on retarderait la décomposition par l’interposition des substances terreuses.A. Payen.

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§ iii. — De l’engrais produit par le parcage.

Le fumier des bestiaux est employé de deux manières : d’abord mêlé avec la litière de l’étable, puis par le moyen du parcage des animaux sur le sol, dans les pays et les saisons où cette pratique a lieu. Elle est principalement usitée pour les moutons, et quoique combattue par de fort habiles agronomes, notamment par M. le vicomte de Morel Vindé, les fermiers d’un grand nombre de contrées y attachent une haute importance. Ce mode d’engrais, évitant des transports, convient d’abord aux champs éloignés ou d’un abord difficile. Ensuite, s’il est moins abondant que le fumier qu’on pourrait obtenir à l’étable d’un nombre égal de bêtes, il ménage les fourrages et litières, et fait profiter le terrain, non seulement de toutes les déjections solides et liquides, mais encore du suint de la toison dont les molécules terreuses s’imprègnent.

Dans la division des Animaux domestiques on fera connaître les modes, les saisons et les diverses particularités du parcage des moutons : ici nous devons seulement noter ses effets comme engrais sur les terres et les récoltes.

Avant de commencer à parquer une pièce de terre, on doit la labourer deux fois, afin de la mettre en état de recevoir les urines et la fiente des animaux. — On proportionne l’étendue du parc, d’abord au nombre des bêtes, mais aussi en raison de leur taille, de leur nourriture plus ou moins aqueuse, de l’état plus ou moins amendé du sol. — Après le parcage, on donne un labour qui ne doit pas renverser la terre entièrement, mais la remuer seulement (Voy. Labours). — Le parcage a été employé avec avantage sur les prairies naturelles et artificielles ; mais il faut qu’elles soient sèches, afin de ne pas exposer les bêtes à laine à la pourriture (cachexie aqueuse). — Bosc dit que c’est une assez bonne méthode que de faire parquer sur des champs de froment ensemencés et levés, mais dans les terres légères, auxquelles on ne saurait donner trop de compacité ; les moutons mangent les feuilles du froment, et tassent le terrain en l’imprégnant de leur fiente et de leur urine.

L’engrais du parcage est sensible pendant 2 années ; et le froment qu’on met d’abord, puis la récolte qui lui succède, viennent mieux que s’ils avaient été engraissés par tout autre fumier. Dans les pays de grandes exploitations, comme on ne peut parquer qu’une petite portion des terres chaque année, afin que toutes puissent en profiter successivement, les cultivateurs se gardent bien de mettre le parc 2 fois de suite sur le même champ. — Des observations répétées établissent, en moyenne, que 200 moutons ne peuvent fumer, par le parcage d’un été, plus de 10 arpens de terre de moyenne qualité.

Dans certaines contrées de l’Angleterre, d’après Home, les cultivateurs font des parcs permanens ou bergeries temporaires pour l’été, en élevant des murs de 3 pieds de haut ; ces murs sont détruits à la fin de l’automne, et on les répand, ainsi que la terre du sol de ces parcs, sur les champs voisins. On pourrait adopter ce mode pour l’hiver, où le parcage à l’air libre aurait des inconvéniens pour la plupart des races de moutons.

Dans le même pays, on tient, en automne, sur les chaumes, les bœufs à l’engrais dans des parcs où on leur donne chaque jour l’excédant de leur nourriture, comme turneps, betteraves, pommes-de-terre, etc., qu’on répand sur le sol. Lorsqu’ils ont consommé l’herbe du parc, on les conduit dans un autre, et on les remplace dans le premier, d’abord par des vaches, ensuite par des brebis, et enfin par des cochons ; de sorte que rien de mangeable n’est perdu et que le terrain est engraissé autant que possible. L’avantage de cette pratique économique est très-grand sur les sols légers, et devrait déterminer à l’employer plus généralement en France.

Dans une partie de l’Auvergne, on fait parquer pêle-mêle les chevaux, les ânes, les bœufs, les cochons, les moutons, et on se trouve fort bien de cet usage qu’on pourrait imiter dans beaucoup d’autres localités, principalement celles où les champs sont clos.C. B. de M.

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§ iv. — Excrémens des oiseaux.

Fiente des Pigeons. — Cette sorte de fumier, exempt presque entièrement de paille, offre la déjection presque pure ou mêlée de débris de plumes, très-riches eux-mêmes en substance azotée, dans l’état de division le plus convenable. Conservé et desséché d’ailleurs à l’abri, cet engrais est sans contredit le plus riche parmi ceux qu’on nomme fumiers ; mais il a beaucoup moins d’action que les engrais pulvérulens obtenus des débris d’animaux.

Les agriculteurs intelligens connaissent les excellens effets de la fiente des pigeons ; ils vont au loin en chercher. Dans les grandes fermes du Pas-de-Calais, les pigeonniers sont nombreux et très-peuplés : ils se louent pour un an, ou par bail de plusieurs années, à raison de 100 francs pour la fiente à récolter annuellement de 600 à 650 pigeons. Un colombier de cette importance donne une forte voiture de fiente, qui coûte ainsi 100 francs.

Une voiture de ce fumier peut servir pour féconder 80 ares ; par conséquent la fumure d’un hectare revient à 125 fr., non compris les frais de transport qui la portent à environ 200 fr. pour les localités où cet engrais parvient.

On emploie principalement cet engrais dans les cultures industrielles, notamment celles du lin, du tabac et des colzas.

Fiente des oiseaux aquatiques. — On a découvert, dans les îles de l’océan Pacifique, des bancs énormes de fiente accumulée depuis des siècles par les oiseaux aquatiques qui se tiennent dans ces parages. Ces résidus, riches en matières organiques azotées putréfiables, contiennent aussi beaucoup d’acide urique. Il se fait un commerce important de cet engrais, entre l’Amérique méridionale et le Pérou, vers lequel on le dirige.

Il est probable que cet engrais, exploité sous le nom de guano, a beaucoup d’analogie, quant à ses effets et son usage, avec celui des colombiers dont nous venons de parler. Voici ce qu’en ont rapporté MM. de Humboldt et Bonpland :

« Le guano se trouve très-abondamment dans la mer du Sud, aux îles de Chinche, près de Pisco ; mais il existe aussi sur les côtes et les ilôts plus méridionaux, à Ilo, Iza et Arica. Les habitans de Chançay, qui font le commerce du guano, vont et viennent des îles de Chinche en 20 jours ; chaque bateau en charge 1,500 à 2,000 pieds cubes. Une vanega vaut à Chançay 14 livres, à Arica 15 livres tournois. Il forme des couches de 50 à 60 pi. d’épaisseur, que l’on travaille comme des mines de fer ocracé. Ces mêmes îlots sont habités par une multitude d’oiseaux, surtout d’ardéa, de phénicoptères, qui y couchent la nuit ; mais leurs excrémens n’ont pu former, depuis trois siècles, que des couches de 4 à 5 lignes d’épaisseur. La fertilité des côtes stériles du Pérou est fondée sur le guano, qui est un grand objet de commerce. Une cinquantaine de petits bâtimens, qu’on nomme guaneros, vont sans cesse chercher cet engrais et le porter sur les côtes : on le sent à un quart de lieue de distance. Les matelots, accoutumés à cette odeur d’ammoniaque, n’en souffrent pas : nous éternuions sans cesse en nous en approchant. C’est le maïs surtout pour lequel le guano est un excellent engrais. Les Indiens ont enseigné cette méthode aux Espagnols. Si l’on jette trop de guano sur le maïs, la racine en est brûlée et détruite. » M. de Humboldt remit une certaine quantité de guano à MM. Fourcroy et Vauquelin, pour en faire l’analyse et y chercher l’acide urique. On peut conclure de leur examen que cet engrais n’est, pour ainsi dire, autre chose que des excrémens d’oiseaux.

On rencontre dans plusieurs grottes des dépôts semblables de fiente, formés par des chauves-souris. Nous citerons pour exemple les grottes d’Arcis-sur-la-Cure, près d’Auxerre.

Tous ces dépôts forment sans aucun doute des engrais plus ou moins chauds et qui peuvent être assimilés, quant à la valeur approximative, aux quantités à employer et aux effets, à la fiente de pigeons dont nous venons de parler.

Dans les pays où l’on élève en grand les vers-à-soie, leurs excrémens et la larve elle-même qui reste après le dévidage des cocons, forment encore un excellent engrais.

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§ v. — Vases des mares, étangs, fossés, pièces d’eau, ports de mer, et boues des villes.

Vases des mares, étangs et fossés. — Au fond de toutes les eaux stagnantes, ou très-lentement renouvelées, se dépose une foule de substances, notamment des débris organiques de végétaux et d’animaux, des feuilles de diverses plantes, des insectes, des graines, des plumes, la poussière des routes ou terres voisines, et toutes les particules légères emportées par les vents. Des solutions d’eaux ménagères ou savonneuses se joignent assez ordinairement à ces matières ; enfin les oiseaux aquatiques et quelquefois les poissons y déposent encore des déjections qui entrent dans la composition des vases précitées.

Au premier abord, il parait difficile d’assigner des propriétés communes à cette réunion si variable de corps divers mêlés en toutes proportions. Toutefois, on observe généralement que, du fond de ces vases boueuses, s’opère un dégagement d’hydrogène sulfuré (acide hydro-sulfurique), et il est évident d’ailleurs qu’une grande partie de ces dépôts, et notamment tous les débris animaux et végétaux, peuvent servir d’engrais à l’agriculture.

On peut conclure de ces deux observations que l’addition d’une certaine quantité de chaux, capable de saturer l’acide hydro-sulfurique et tout autre acide dont l’excès pourrait nuire, offrirait le moyen d’éviter les inconvéniens des vases récentes, et de rompre la cohésion de certains détritus trop résistans. Quant à la proportion de chaux la plus convenable, il serait impossible de la déterminer a priori ; mais l’excès de cet agent, dans de certaines limites, ne peut être nuisible, puisque, employé seul ainsi, il communique une légère réaction alcaline favorable à la végétation, et que dans les sols très-peu calcaires, il est même une des premières conditions de fertilité.

On pourra donc ajouter aux vases récemment extraites 0,005 (environ un vingtième de leur volume) de chaux vive ; cette addition servira en outre à hâter la dessiccation, et dès que le mélange sera assez sec pour être émetté à la pelle, passé au crible, et ainsi rendu pulvérulent, on les répandra sur la terre avant le 1er labour et dans la proportion de 50 à 100 hectolitres par hectare.

Vases mêlées aux débris de poissons. — Les négocians de Dunkerque arment, pour la pêche, un grand nombre de navires qui reviennent chargés de morues ou de harengs. Les habitans en consomment et en salent une grande quantité ; les débris et les poissons mal conservés sont jetés dans les boues qui, remplies de parties animalisées, fermentent rapidement.

Les fermiers des environs de Bergues, très-industrieux, paient le droit d’enlever les boues et de balayer la ville de Dunkerque. Ils recueillent ces vases dans des bateaux, les transportent à une ou deux lieues, en font de gros tas qu’ils mélangent par des lits successifs avec de la marne, de la craie et de la terre, et n’emploient ces composts qu’après une année ou deux de repos.

Il ne manque à cette pratique utile que d’ajouter de la chaux, dans la proportion de 8 à 10 pour 100 des boues animalisées, et d’opérer plus rapidement, par cet agent actif, les effets qu’on n’obtient que plus incomplètement et plus lentement avec de la marne. La chaux coûte peu à Bergues, et les cultivateurs de ces cantons ont l’habitude de l’employer en la semant sur leurs terres en octobre et en novembre. Le mélange de la chaux, en hâtant la désagrégation des substances organiques, permettrait d’employer cet engrais au bout d’un mois de macération, suivant qu’il contiendrait de 6 à 18 pour 100 (approximativement évalués) de matières organiques et de débris de poissons. On en pourrait employer de 36 à 100 hectolitres par hectare. On observerait d’ailleurs la méthode indiquée ci-dessus.

Poissons morts, animaux marins. — Ces substances, déposées sur les côtes par les marées ou jetées par les tempêtes, sont de très-puissans engrais pour les localités qui se trouvent à portée de les recueillir. — Les coquillages, et notamment les écailles d’huîtres, contenant une forte proportion de substance calcaire, ne conviennent pas dans les sols où ce principe domine déjà, mais sont fort avantageux dans les terres argileuses, humides et froides qu’ils divisent et amendent.

Boues des villes. — Dans les villes populeuses, et surtout aux alentours des marchés aux volailles, poissons, légumes, et dans les rues étroites, on enlève chaque jour des matières boueuses contenant une foule de détritus organiques.

Cette sorte d’engrais mixte, amoncelé en tas souvent énormes, est abandonné ordinairement un ou même deux ans. Alors il s’est réduit d’un tiers ou de moitié du volume primitif, et, durant tout cet espace de temps, il a répandu une odeur infecte, cause de perte et de grave incommodité pour le voisinage.

On étend alors dans les champs, avant les premiers labours, puis on enterre, en labourant, ces boues consommées, comme les fumiers ordinaires. On emploie jusqu’à 36 voies de 2 mètres ou 86,400 kilog. de boues pour un hectare. Cette fumure a d’ailleurs les inconvéniens des engrais infects, dont nous avons parlé d’une manière générale plus haut.

Il serait bien préférable de mélanger les boues récentes avec de la chaux, en les amoncelant. À cet effet, on immerge la chaux dans l’eau à l’aide d’un panier pendant 5 minutes, puis on la tire de l’eau et on la laisse en tas sur le sol battu ou dans des baquets ; là elle se réduit peu-à-peu en poudre, en se combinant à l’eau ; on l’arrose avec ménagement pendant l’extinction, afin qu’elle reste pulvérulente et conserve l’apparence sèche. Cette poudre fine est facile à répandre et diviser sur les couches de boues que l’on superpose successivement après avoir ajouté environ un vingtième de cette chaux sur chacune d’elles. L’addition de la chaux, qui hâte la macération et sature les acides, permet d’employer l’engrais au bout d’un mois.

Il serait mieux encore d’employer, au lieu de chaux, la poudre charbonneuse absorbante qui retiendrait la plus grande partie des gaz utiles, retarderait la décomposition et triplerait l’effet réalisé. Des expériences que nous avons faites avec M. Salmon, ont eu ce résultat, relativement aux boues de Paris, qui seront sans doute un jour traitées ainsi.

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§ vi. — Suie des cheminées.

La suie des cheminées et des poêles où l’on brûle du bois est composée d’un grand nombre de corps. M. Braconnot, en l’analysant, y a trouvé 20 pour 100 d’une matière azotée, de l’alumine, du carbonate, phosphate, sulfate et acétate de chaux, divers autres sels à base de chaux, potasse, magnésie et ammoniaque, une matière charbonneuse ; il faut y ajouter une huile essentielle empyreumatique, et quelquefois un léger excès d’acide acétique, d’autres fois une petite proportion de carbonate de potasse.

On augmenterait l’action stimulante de la suie, en la mélangeant avec son volume de cendres de bois.

On se sert, près de Lille, de la suie de cheminée comme engrais, et surtout dans le but de garantir les jeunes pousses de colza des insectes qui les dévorent. On en répand 5 hectolitres pour 10 ares ; quelquefois on jette aussi de la suie sur les feuilles de colza repiqué dans le mois de mars et d’avril.

Si l’on délaie la suie dans 2 ou 3 fois son volume d’eau, puisque l’on filtre sur une toile ou sur un tampon de paille, on obtient une solution capable de conserver la chair des animaux, en lui donnant un goût analogue à celui des viandes fumées.

Le mélange de la suie, à volume égal, avec les matières animales pures, telles que le sang coagulé et la chair musculaire divisée, est très-convenable pour ralentir la putréfaction, diminuer l’odeur infecte, garantir l’engrais et les plantes des petits animaux et des insectes.A. Payen.

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§ vii. — Des composts, ou du mélange des terres et des fumiers.

La masse principale des engrais est fournie par les litières mêlées aux excrémens des bestiaux ; lorsque leur rareté oblige de les ménager ou de s’en servir pour la nourriture des animaux, on peut y suppléer en couvrant le sol des écuries et bergeries de terre bien meuble et à moitié sèche, laquelle servira d’excipient pour les déjections animales, se chargera en outre des substances exhalées par leur transpiration, et formera un fort bon engrais. Cette méthode offre encore l’avantage d’amender le sol en même temps qu’on le fumera : à cet effet, il suffit de déposer dans les étables une terre qui ait des qualités opposées à celle où l’on doit transporter l’engrais.

On compose dans le même but les composts, mélanges d’engrais formés de substances de diverses natures, placées par couches les unes sur les autres. Destine-t-on le compost à l’engrais et à l’amendement d’une terre argileuse et compacte, on peut emprunter à M. Chaptal la préparation suivante : on fait une première couche de plâtras, de gravois ou de débris de démolition ; on la recouvre de fumier de litière de mouton ou de cheval ; on en compose une 3e de balayures des cours, des chemins, des granges, de marne maigre, sèche et calcaire, de matières fécales, de débris de foin et de paille, et on la recouvre du même fumier que la 1re. La fermentation s’établit d’abord dans les couches de fumier dont le jus se mêle bientôt avec les autres substances : quand on reconnaît que la décomposition est suffisamment avancée, on démonte le tas, on mêle les couches et on les transporte dans les champs. — Pour les sols légers, poreux et calcaires, le compost doit être composé de substances argileuses, telles que les glaises à demi cuites et broyées, les marnes grasses, de matières compactes, de fumiers froids, de limon des mares et des étangs, et la fermentation doit être poussée jusqu’à ce que la masse forme une pâte liante et glutineuse.

On a récemment annoncé pouvoir préparer un excellent engrais en 21 heures, en établissant un lit, épais d’un pied, d’herbes parasites vertes, sur lequel on étendra une couche mince de chaux vive pulvérisée ; l’on continuera de superposer alternativement ces différentes couches : il est essentiel d’empêcher l’inflammation spontanée qui pourrait résulter de réchauffement de la masse, en la recouvrant de terre et de gazons.

Le procédé suivant de préparation et de conservation des engrais, a été indiqué d’après la méthode de M. Da-Olmi[11]. On construit, dans l’endroit le plus convenable et à proximité de la ferme, une citerne formant un carré assez spacieux pour contenir les quantités de fumier qu’on veut conserver. Sur l’une des faces on ménage un abord facile et une ouverture suffisante pour laisser passer une charrette ; on tient habituellement cette ouverture fermée au moyen d’une écluse ou porte en bois. Dans le voisinage de la citerne, on construit un puits profond de 8 pieds et large de 3 ; c’est dans ce puits qu’on prépare une lessive d’engrais, en jetant dans ce réservoir rempli d’eau, de la chaux éteinte à l’air, des cendres neuves, et ayant soin d’agiter chaque jour ce mélange avec une perche. Dès que le liquide est assez chargé des principes salins, ce que l’on connaît à sa couleur d’un blanc de lait grisâtre, et à la diminution de sa fluidité, on porte le fumier dans la citerne, on en fait un amas de l’épaisseur de 5 à 6 pieds, qu’on arrose sur toute la surface, à l’aide d’un arrosoir ordinaire, avec le liquide puisé dans le réservoir ; cela fait, on recouvre le tout avec une couche de terre assez épaisse. Les amas successifs de fumier qu’on ajoutera, seront placés, assaisonnés et couverts de terre de la même manière jusqu’au dernier, sur lequel on mettra la terre la plus compacte qu’on pourra trouver, en lui donnant une épaisseur de 5 à 6 pouces au moins. Quand on tirera le fumier de la citerne, on mettra des planches sur la charge de chaque charrette, afin d’empêcher, autant que possible, l’évaporation des principes gazeux ; et arrivé au champ, le laboureur l’enfouira sans délai. C. B. de M.

Joncs employés comme engrais. — Les joncs que l’on récolte dans les marais du département du Gard sont considérés à la fois comme une importante production agricole et un des principaux agens de la fertilisation des terres de cette localité. En effet, lorsque la saison est favorable, la coupe d’un hectare de joncs suffit à la fumure de trois hectares de vignes ; aussi le dessèchement de ces marais, long-temps réclamé avec de vives et publiques instances, et même commencé, est-il maintenant abandonné. Ce qui contribue le plus au développement de ces joncs est, sans contredit, l’immersion des marais par les eaux du Rhône. Sans cette addition d’eau douce, l’excès de sel arrêterait la végétation ; les joncs acquerraient seulement quelques pouces de hauteur, tandis qu’ils s’élèvent de 6 à 8 pieds lorsqu’ils ont été baignés.

On coupe les joncs dans le mois de juillet, et on les met en bottes ; achetés dans cet état, ils sont transportés et étendus sur la terre ; quelquefois on les fait préalablement tremper dans l’eau douce. Les pieds de vigne, espacés de 5 pieds 3 po. entre eux, permettent l’accès des hommes chargés d’une aussi volumineuse fumure.

Cet engrais agit utilement, surtout en s’opposant à la dessiccation des terres et fournissant même peu-à-peu son humidité au sol, ce qui fait comprendre l’avantage de son immersion préalable dans l’eau ; plusieurs agronomes ont donc blâmé à tort cette pratique. C’est encore ainsi que, dans les terrains sableux, et surtout pour la culture des racines tuberculeuses ou abondantes en sucs, les pommes-de-terre, les betteraves, j’ai obtenu des produits considérables par l’addition de marcs de pommes-de-terre, n’agissant presque qu’en raison de leur forme spongieuse, et retenant fortement l’humidité. M. de Rainneville est parvenu même à quadrupler une récolte de pommes-de-terre en enterrant un engrais vert semé à dessein entre les lignes. D’ailleurs, les joncs trépignes par les hommes et les moutons, après les récoltes, se rompent et se désagrègent de plus en plus, et fournissent par leur décomposition un léger engrais.

La fumure au moyen des joncs est très-dispendieuse, surtout en raison des frais de transport et de main-d’œuvre pour être répandue ; elle revient, suivant les distances, de 200 et 400 fr. l’arpent de 30 ares, qui contient 1200 souches, ce qui porterait à plus de 600 ou de 1200 fr. la fumure d’un hectare.

Section iv. — Prix et effets comparés des divers engrais.

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§ ier. — Fixation du prix de revient des divers engrais.

Etablir une comparaison rigoureusement exacte entre les divers engrais, sous les rapports combinés de leur prix coûtant et de leurs effets, serait sans doute chose impossible ; car les nombreux élémens de ce calcul sont tous très-variables. Ainsi, le prix coûtant des engrais varie avec ceux des transports, qui dépendent des distances, des relations commerciales, des saisons, de l’état des chemins, de la proportion d’eau qu’ils recèlent.

Les fumiers des écuries sont, dans les grandes villes surtout, un produit très-secondaire. Ainsi, le lait des vaches et la force motrice des chevaux y laissent un bénéfice suffisant pour que leurs fumiers y soient de peu d’importance ; mais, en compensation, les terres en culture étant éloignées, les frais de transport sont plus considérables.

La question change dans les exploitations agricoles : là, le prix moins élevé du lait ou de ses produits, une plus grande proximité des terres arables, peut faire considérer les bestiaux comme un moyen d’obtenir des engrais qui multiplient les produits des diverses cultures ; et, considérant le fumier comme l’objet important de la production des bestiaux, il convient de résumer sur lui la balance des dépenses et recettes.

La fixation de la valeur des fumiers est difficile. On peut dire toutefois que celui qui contient le moins de litière est le meilleur. On a donc un double intérêt à faire passer le plus possible de paille en nourriture.

Quant à l’estimation des quantités, elle devrait être faite au poids, qui varie bien moins que le volume. En effet, un hectolitre de fumier contenant beaucoup de paille ne pèse, même tassé, que 50 à 60 kilos ; tandis que, quand la proportion de litière a été très-faible, le même volume peut représenter un poids de 110 à 115 kilogrammes.

On obtiendrait une approximation plus exacte encore en comptant seulement l’équivalent à l’état sec. Ainsi, après avoir reconnu que l’hectolitre pèse 100 kilos, on en ferait dessécher, en l’étalant au soleil ou sur un poêle, un kilogramme, et, s’il perdait 400 grammes ou 40 p. 0/0, on ne compterait l’hectolitre que pour 60 kilogrammes. Il conviendrait d’ailleurs ensuite de cuber les tas équarris ou les voitures, et de multiplier par 60 le nombre d’hectolitres, ou par 600 le nombre de mètres cubes.

Nous croyons devoir citer ici, comme exemple d’une comptabilité de ce genre (établie, à la vérité, sur le fumier humide), celle que vient de publier, dans le dernier numéro du Cultivateur, M. le comte d’Angeville, propriétaire à Lompnès, dans les montagnes du département de l’Ain.

Produit annuel d’une vache, sur une moyenne de 35 têtes à l’étable.
1° 915 lit. de lait donnant.
89 kil. fromage Gruyère 
85 44
22 kil. idem, 2e qualité 
6 60
2o Valeur de la cuite 
1 »
3o Veau (vendu à 8 jours parce qu’il consommerait trop de lait) 
5 »
4o Travail : 6,136 heures à 10 c. Pour 35 vaches
        — 613,60 : par tête — 
17 53
Produit d’une vache, moins le fumier 
115 57


Dépense annuelle pour une vache.
1o Fourrage, 2300 kil. à 4 fr. 
92 fr. »
2o Paille, 50 kil. (pour litière) 
2 »
3o Intérêts de la valeur à 5 pour % par chaque tête, à 100 fr 
5 »
— à 10 pour % pour menus frais des écuries, dépérissemens, maladies 
10 »
4o Taureau à 150 f. pour 50 vaches ; pour une 
3 »
5o Vachers, 2 pour 35 vaches ; gages 200 fr. ou par tête 
5 71
— nourriture, 394 fr. 20 c., ou par tête 
10 »
6o Frais de fabrication du fromage, 10 f. par 100 kil. ou pour 89 kil. 
11 26
7o Loyers : vacherie et grange contenant les approvisionnemens,
        200 fr. ou par tête 
5 71
8o Intérêts du capital pour les ustensiles de la fruitière, constructions
        de caves à fromage, rayons, laiterie, chaudières
                560 fr. à 5 p. %
560 fr. à 10 p. %
84 fr. pour 65 vaches,
ou par chaque tête. 
1 29
Total de la dépense annuelle 
144 87
Total de la recette 
115 57
Différence ou prix coûtant du fumier 
29 30


La moyenne du fumier produit par toutes les vaches étant à la quantité de fourrage consommé comme 216 est à 100, les 2,350 kilos de foin que consomme chaque vache donnent 5,070 kilos de fumier, qui coûtent 20 fr. 30 c. — D’où l’on voit que 100 kilos du fumier produit par les vaches mises en fruitière, coûtent 58 centimes.

Mais les vaches n’étant pas ordinairement attelées, il convient de retrancher, pour ce cas plus général, le prix du travail, porté ci-dessus à 17 fr. 53 c, et de le remplacer par la valeur du lait, que de nombreux essais font estimer au quart de la valeur du travail, c’est-à-dire à 4 fr. 38 c. Il en résulte que la somme du produit ne sera plus que 102 f. 42 c., la dépense étant la même, ou 144 fr. 87 c ; la différence sera 42 fr. 45 c. pour le prix coûtant des 5,070 kilos de fumier. D’où l’on tire, pour le prix coûtant de 100 kilos de fumier, 84 centimes.

Si les agriculteurs calculent exactement tous les frais de leurs exploitations, ils verront que le fumier leur revient au moins à ce prix ; et cela explique l’empressement que beaucoup d’entre eux mettent à rechercher les fumiers qu’on se procure de la moitié au tiers de ce prix dans les villes, lorsqu’ils y portent leurs denrées et peuvent compter pour peu de chose les transports opérés en retour.

On pourrait augmenter la quantité de paille employée à faire la litière, afin d’augmenter le poids du fumier ; mais elle donnerait au plus le double de son poids de fumier, qui couterait alors plus de 84 cent, les 100 kilos, et serait de moins bonne qualité.

Il serait à désirer que l’on fit le compte du prix de revient des fumiers, comparé à l’effet, pour les divers animaux qui consomment le fourrage, dans chaque localité : c’est un travail utile à tous les propriétaires, dont nous avons voulu seulement citer un exemple.

[4:4:2]
§ ii. — Détermination des effets des engrais.

Quant à la comparaison entre les effets des différens engrais, elle n’est pas moins indispensable à la solution définitive du problème suivant : Quels sont pour chaque localité les modes de fumure le plus économiques ? en prenant toutefois en considération les effets secondaires comme amendemens. Nous ne pouvons citer à cet égard de meilleur exemple à suivre que le mode d’expérimentation publié tout récemment par l’un de nos meilleurs agronomes. (Annales de Grignon, 5e liv.)

En 1832, M. Bella avait déjà fait des expériences comparatives sur le noir animalisé et la poudrette appliqués à des semis d’avoine avec lupuline, et reconnu que l’avantage restait au noir animalisé, bien qu’il eût choisi la meilleure qualité de poudrette. Toutefois, les résultats n’ayant pas été traduits en chiffres, des expériences plus variées furent reprises en 1833.

La pièce fut divisée en sept parties, comme le montre la figure 60.

Toutes les sections furent ensemencées en froment ; pour chacune d’elles, les quantités suivantes d’engrais y avaient été employées par arpent :

Le No 1, après un colza, fumé avec 18,000 kil. fumier.

No 2, déjà amélioré par un engrais vert avorté, reçut 6 hect. poudrette.

No 3 ne reçut que 5 hect. 37 noir animalisé.

No 4 reçut 6 hect. de poudrette ; il avait été parqué en 1829 à raison d’un mouton par 64 décim. carrés, tandis que le reste de la pièce n’avait eu ni fumier ni parcage depuis 1826.

No 5, fumé avec 6 hect. noir animalisé.

No 6, fumé avec 5 hect. 27 poudrette.

No 7 reçut 4 hect. 44 de noir animalisé.

La poudrette employée dans ces expériences avait été choisie de 1re qualité ; le noir animalisé sortait de la fabrique de MM. Salmon, Payen et Lupé.

Tableau des quantités d’engrais employés, nombre des gerbes, poids de la paille et des grains récoltés, par arpent :

Numéros. engrais. gerbes. paille. grains
hectol. kilog.
1. Fumiers 
228 1662 10,45
812
2. Poudrette 
5 37 288 2240 10,80
912
3. Noir 
5 37 312 2192
13,
1040
4. Poudrette 
6 » 252 2284 12,27
903
5. Noir 
6 » 252 2284 12,91
1008
6. Poudrette 
5 27 324 2416 12,54
1053
7. Noir 
4 44 252 1837 9,55
787

M. Bella ajoute les observations suivantes : « On voit que le noir animalisé produit, à quantités égales, plus de grain et moins de paille que la poudrette. Il paraîtrait en résulter que le noir serait d’une plus longue durée que la poudrette ; car les engrais moins durables produisent toujours un plus grand développement herbacé.»

Prenant la moyenne des produits, on trouve : 1 hect. de grain exige 40 lit. de noir et 48 lit. 5 de poudrette ; 100 kil. de paille exigent 26 lit. de noir et 24,75 de poudrette.

Si l’on porte le noir et la poudrette à 5 fr. l’hect., le froment à 16 fr. l’hect. et la paille à 2 fr. les 100 kil., on trouve : 1 hect. noir à 6 fr. produit 2 hect. 24 lit.de froment ou 35 fr. 84 c, plus 400 kil. de paille ou 8 f. ; total, 43 f. 84 c. : 1 hect. poudrette à 5 fr. donne 2 hect. 6 lit. de froment ou 32 f. 96 c, plus 402 kil. de paille ou 8 fr. 2 c ; total, 41 fr. Il reste donc en faveur du noir animalisé 2 fr. 84 c. par hectolitre[12].

On peut remarquer encore que, si l’on déduit la valeur de l’excédant de produit, 2 fr. 84 c, du prix coûtant du noir, 5 fr., il restera 2 fr. 16 c. pour prix de revient de cet engrais, tandis que, à produit égal, l’engrais en poudrette coûtant 5 fr. reviendrait à un prix plus que double. La durée du noir étant d’ailleurs plus longue, puisque sa décomposition est moins rapide, il reste plus de cette fumure dans le sol pour la culture suivante. Enfin, le fonds doit être plus amélioré par le résidu charbonneux en poudre fine et absorbante non décomposée.

[4:4:3]
§ iii. — Détermination de la proportion d’engrais contenue dans divers mélanges.

Il est souvent utile aux agronomes, pour fixer les prix d’achat ou de transport qu’ils y peuvent mettre, de connaître approximativement la proportion d’engrais que représentent divers mélanges de détritus végétaux et animaux, tels qu’ils se rencontrent dans les boues des villes, la vase des étangs, mares, fossés, etc.

La valeur relative de ces sortes de composts est proportionnée à la quantité de matière organique y contenue, et celle-ci peut être déterminée par la calcination ou l’incinération d’un échantillon bien desséché : la perte en poids indiquerait approximativement cette quantité, qui aurait d’autant plus d’effet utile qu’elle serait plus azotée. Le procédé pour déterminer l’azote ne serait pas à la portée de la plupart des agriculteurs ; mais on peut considérer généralement la perte en poids par l’incinération comme représentant une égale quantité du meilleur fumier supposé sec ; on obtiendrait donc ainsi une approximation suffisante. Supposons, par exemple, qu’après avoir fait dessécher fortement la vase, on en prenne 100 grammes ; qu’alors on fasse brûler ceux-ci dans une capsule en platine, en fer ou en fonte chauffés au rouge, et en remuant, à l’aide d’une tige métallique, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de particules charbonneuses ; qu’on laisse refroidir, et que le poids du résidu se trouve être de 70 grammes, la perte de 30 grammes ou 30 p. 0/0 représentera la quantité de matière organique ou la proportion de fumier très-sec que pouvait représenter la vase. Si la matière essayée contenait une proportion notable de carbonate de chaux, il faudrait tenir compte de l’acide carbonique dégagé par la calcination ; on constaterait sa quantité en saturant par l’acide sulfurique étendu de 0,9 d’eau, et constatant la perte. (Voy. les détails sur l’analyse des terres donnés page 57.)

Enfin, si une proportion importante de débris d’animaux se trouvait dans ces vases boueuses, comme nous avons vu que cela se rencontre quelquefois près des bords de la mer, on l’apprécierait en faisant calciner dans une cornue l’échantillon desséché, en recueillant les gaz dégagés dans de l’acide sulfurique étendu d’eau, tenant note, soit de l’acide saturé, soit du sulfate d’ammoniaque produit[13]. Nous avons indiqué plus haut ce mode d’essai en parlant des débris d’animaux. La proportion de matière animale ainsi représentée augmenterait de beaucoup l’influence et la valeur comme engrais de la matière organique, puisqu’elle pourrait au moins être assimilée au sang soluble, dont 850 kil. produisent comme engrais un effet à peu près égal à celui de 54,000 kil. (ou 63 fois plus) de fumier d’étable.

§ IV. — Comparaison des prix et des effets des divers engrais, avec les doses nécessaires.

Les recherches faites jusqu’à ce jour nous permettent d’estimer approximativement les effets et prix comparés des divers engrais en usage. Sans doute, un plus grand nombre d’essais, et dans des circonstances de sols, saisons, cultures plus diverses, seraient utiles pour fixer ces données ; mais encore seraient-elles sujettes à des variations entre certaines limites pour les différentes localités ; telles que nous les présentons, elles serviront du moins de 1re base à chaque agriculteur pour de nouvelles observations spécialement applicables à son exploitation.

Les prix des transports devront aussi être rectifiés suivant les distances et l’état des voies de communication. Nous avons d’ailleurs supposé les engrais qu’on achète dans les villes transportés à 2 lieues, et ceux produits par les exploitations rurales rendus sur le champ ; enfin, dans une 2e colonne, nous avons ajouté 50 c. pour frais de transport. On verra que les engrais riches seuls peuvent supporter jusqu’à 5 fr. de frais de transport, tandis que les fumiers et les divers composts supporteraient à peine quelques centimes.

Tableau des frais de fumure d’un hectare de terre (ou 3 arpens de Paris), avec divers engrais.
Quantités,
espèces et prix par mesure,
des divers engrais.
PRIX
coutant.
50 cent.
de
transport
en plus.
1,500
kil. 15 hectol. noir animalisé à 5 f. 
75 82 50
2,000
id. 20 id. noir résidu des raffineries, à 5 fr. 
100 110
550
kil. chair musculaire en poudre, à 20 fr. le 100 de kil. 
110 112 75
1,750
kil. ou 25 hect. poudrette, à 5 fr. 
125 133 75
750 id.
sang coagulé sec, en poudre, à 20 f. le 100. 
150 153 75
850 id.
sang soluble sec, en poudre, à 30 fr. 
170 174 25
2,500 id.
fiente de pigeons (rendue, en Flandre) 
200 200
2,000 id.
os concassés, à 12 fr. le 100 
240 250
1,125 id.
cornes en rapures, à 25 f. 
280 52 285 62
33,750 id.
engrais flamand rendu à 1 f. 20 c. les 125 kil. 
304 304
90,000 id.
engrais vert, plus chaud, à 35 c. le 100 
315
54,000
fumiers,
à 40 c. tiré des villes 
216 486
à 58 c. dans les fermes 
297 565
à 84 c. id. le 100. 
459 729
86,400
boues des villes, à 50 c.[14] 
432 864

Nous n’avons pas mentionné dans ce tableau divers autres engrais, tels que les marcs de colle, les cendres animalisées, les terreaux, plusieurs composts et détritus, soit parce que leur composition est trop variable, soit parce que leurs effets n’ont pas été constatés.

Rappelons, en terminant, que l’on ne devra jamais se baser sur le prix de revient seulement des engrais pour fixer son choix, mais qu’il faut encore prendre en considération leur influence spéciale sur le développement de la partie herbacée ou la production de la graine, le goût des fourrages ou des plantes comestibles, leur action plus ou moins régulière, l’effet secondaire comme amendement ou stimulant, enfin la main-d’œuvre pour les répandre, et les soins particuliers à ceux qui sont rapidement actifs pour éviter de les mettre en contact avec les graines, les jeunes tiges ou les extrémités spongieuses des racines. A. Payen.


  1. J’ai démontré que même un peu au-dessous de 100 degrés le plâtre chauffé avec le contact de l’air peut perdre son eau de cristallisation, et se gâcher ensuite de manière à faire une prise solide, ou se gonfler par l’eau au point de présenter une division convenable ; mais on ne doit pas conseiller, dans la pratique, de cuire le plâtre à une aussi basse température, parce qu’il faudrait trop de temps ou une couche trop mince pour que cela fût économique.
  2. De cette propriété, et de plusieurs autres que j’ai observées, j’ai déduit cette théorie de la solidification du plâtre : les premières parties unies avec l’eau dans le gâchage se solidifiant les premières, forment une sorte de scellement qui retient celles hydratées plus tard, s’opposent à leur écartement, donnent une masse plus serrée, plus solide ; les meilleurs plâtres sont donc ceux dont les particules s’hydratent le plus lentement.
  3. Ainsi le charbon animal, contenant 0,15 de sang sec soluble, agit mieux à poids égal que le sang soluble ; c’est à-dire que la putréfaction ralentie sextuple l’effet utilisé.
  4. Il reste en outre toujours une proportion variable entre 0,03 et 0,08 d’un savon calcaire, mais qui est sans influence sur la végétation.
  5. Les os employés à la fabrication du noir animal ne sont pas perdus pour l’agriculture, car nous verrons qu’après avoir à l’état du charbon en poudre, servi à raffiner le sucre, ils recèlent du sang coagulé dont ils concourent à rendre l’effet comme engrais très-remarquable.
  6. On trouve dans l’excellent ouvrage : l’Agriculture de la Flandre, par M. Cordier, tous les détails de ces pratiques agricoles perfectionnées.
  7. M. Dutrochet a observé que le sucre même dissous dans l’eau, mis en contact avec les spongioles des racines, fait périr les plantes très-promptement.
  8. Cette matière, désignée aussi sous les noms de cendres noires ou de cendres pyriteuses, se rencontre très-abondamment en plusieurs localités, notamment dans le département de l’Aisne ; elle se compose d’argile, de sulfure de fer, de sulfate de fer et d’alumine, de substances organiques charbonnées et bitumineuses : délayée dans l’eau, elle donne une solution acide rougissant fortement le papier de tournesol.

    Nous avons indiqué plus haut l’application qu’on en peut faire en agriculture, non comme engrais, mais bien comme stimulant propre à utiliser le carbonate de chaux et les restes des fumures anciennes. (V. ci-devant, page 75.)

  9. Diverses communications accueillies et vérifiées par les Sociétés d’agriculture de Paris et des départemens, ainsi que les récentes publications dues à plusieurs de nos notabilités agricoles, et notamment à MM. Bella, de Grignon, Dailly, le général Bugeaud, le comte de Raineville ; enfin, les faits nombreux constatés par MM. de Silvestre, Biot, Becquerel, Dumas, Dutrochet, membres de l’Institut, et par MM. Briaune, le colonel Burgraff, le vicomte Emmanuel d’Harcourt, Montgolfier, Delaville-Leroux, Camille Beauvais, le comte d’Angeville, le comte de Montlosier, Huzard fils, Delamarre, de la Chauvinière, Dutfoy, Deby, etc, ne laissent plus aucun doute à cet égard.
  10. On trouve dans le dernier numéro (avril 1834) du Cultivateur, un excellent article de M. de Valcourt sur les moyens les plus économiques de pratiquer ces labours.
  11. Journal des propriétaires ruraux du midi de la France.
  12. M. Bella termine en annonçant de nouvelles expériences pour l’année prochaine ; car l’influence atmosphérique est si grande que l’on ne saurait trop multiplier les essais avant d’avancer des résultats comme incontestables.
  13. On obtient ainsi environ 9 de sulfate d’ammoniaque pour cent des os calcinés, et 18 à 20 du sang sec, des chiffons de laine, de la chair musculaire, des cornes, etc.
  14. Ce prix est composé presque en entier des frais de ramassage et de transport à une distance d’une à deux lieues.