Malherbe et ses sources (Counson)/7

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H. Vaillant-Carmanne (p. 197-227).


CHAPITRE VII

Sources françaises[1]


Les réformateurs ont généralement commencé par suivre les modes et le goût qu’ils devaient changer : Ronsard a admiré Marot et Saint-Gelais[2] ; et Victor Hugo, quand il débute, est plus près des « Grecs » que des « gothiques ». Malherbe aussi a commencé non seulement par pétrarquiser, mais aussi par ronsardiser, comme il disait ; et il a continué à le faire plus ou moins jusqu’à la fin. Il est si difficile de se dégager de ses premières habitudes et de ses vieux souvenirs que l’écrivain se ressent fatalement de sa jeunesse et de ses études pendant toute sa vie ; et la poésie à cet égard est un peu comme la langue elle-même, qui charrie les anciens mots avec les nouveaux et ne se transforme que par le lent travail du temps. Nous avons vu Malherbe imiter les anciens et les Italiens comme avait fait le XVIe siècle, parfois en y ajoutant une généralisation ou même une nationalisation des pensées et des images antiques. Les deux générations d’imitateurs se ressemblent assez pour que la première ait cru réaliser ce dont on fera plus tard le mérite de Malherbe seul. Du Bellay, dans la préface de son Olive, dit déjà : « Ceux qui ont lu Virgile, Ovide, Horace, Pétrarque, trouveront qu’en mes écrits il y a beaucoup plus de naturelle invention que d’artificielle et superstitieuse imitation » ; et Du Perron, dans son Oraison funèbre de Ronsard, fait du chef de la Pléiade exactement l’éloge que Balzac fera de Malherbe : « Il s’orna et embellit l’esprit de ce qu’il y avoit de rare et d’excellent dedans les anciens poètes tant grecs que latins, des dépouilles desquels nostre langue n’avoit pas encore triomphé ; et usa de leurs richesses si industrieusement qu’elles paroissoient sans comparaison plus belles, mises en œuvre dedans ses escrits, que dedans les livres de leurs premiers auteurs[3] ». Du Perron remarquait seulement qu’au début les courtisans furent étonnés des nouvelles manières de parler du grand poète ; le monde du Louvre et des ruelles, pour qui Malherbe écrit, n’est plus étonné des fictions de son poète : c’est qu’il s’est instruit depuis le XVIe siècle, et que ce poète est peut-être un peu moins pénétré d’antiquité que l’autre. Mais les anciens, ou ceux qui les ont imités, restent quand même les maîtres écoutés : « Je ne crains point, dit Godeau dans son Discours sur Malherbe, d’avouer pour mon auteur qu’il a toujours pris les anciens pour ses guides[4] ». Il prend parfois l’antiquité dans la poésie française du XVIe siècle, aussi bien que chez les Italiens, et il se ressent de la Pléiade et de ses prédécesseurs français aussi bien que de Virgile et d’Horace : il parle des dieux et des rois comme Ronsard, de l’amour comme Desportes et Bertaut, ou comme Régnier — qui tous en parlent du reste d’après les Italiens — et son poème le plus fameux, la Consolation à du Périer, se ressent, nous allons le voir, du souvenir d’une Elégie de Dasportes.

On sait le mépris que Malherbe affectait pour Ronsard, dans les œuvres duquel il trouvait tant de moellons[5]. « Il avoit, dit Racan, effacé plus de la moitié de son Ronsard et en cotoit à la marge les raisons. Un jour, Yvrande, Racan, Colomby et autres de ses amis le feuilletoient sur sa table, et Racan lui demanda s’il approuvoit ce qu’il n’avoit pas effacé : Pas plus que le reste, dit-il. Cela donna sujet à la compagnie, et entre autres à Colomby, de lui dire que, si l’on trouvoit ce livre après sa mort, on croiroit qu’il auroit trouvé bon ce qu’il n’auroit point effacé ; sur quoi, il lui dit qu’il disoit vrai, et tout à l’heure acheva d’effacer le reste[6]. » Un autre jour, il mettait une chanson populaire au-dessus de tout Ronsard, et Ménage se souvenait « d’avoir ouï dire à Gombaud que, quand Malherbe lisoit ses vers à ses amis, et qu’il y rencontroit quelque chose de dur ou d’impropre, il s’arrestoit tout court, et leur disoit ensuite : Ici je ronsardisois[7] », Il ne faudrait pas prendre à la lettre les boutades de Malherbe, qui adressera comme les autres son hommage à Ronsard à l’occasion de l’édition de 1623 des œuvres du chantre de Cassandre ; sous le portrait de Cassandre on lisait en effet ce quatrain de Malherbe :

L’art, la nature exprimant,
En ce portrait me fait belle ;
Mais si ne suis-je point telle
Qu’aux écrits de mon amant[8].


Malherbe ne pouvait dire moins sans ingratitude, car il avait trouvé dans Ronsard la matière de bien des vers[9]. D’abord Ronsard et tout le XVIe siècle pétrarquisaient au point que, pour le faire après eux, il était à peine besoin de remonter à la source. Ainsi, pour exprimer l’idée que Montaigne résumait par un vers de Pétrarque, et que Malherbe met dans la bouche d’Alcandre :

Jamais l’âme n’est bien atteinte
Quand on parle avecque raison[10],

il suffisait de se souvenir du vers de Ronsard que le

sévère commentateur de Desportes avait trouvé bon :

Un homme qui languit ne sauroit bien parler[11]


ou d’autres qu’on rencontre à tout instant chez Ronsard :

Non, celuy n’aime point, ou bien il aime peu,
Qui peut donner par signe à cognoistre son feu[12]


ou chez Desportes, ou surtout chez Bertaut :

Ceux-là souffrent bien peu qui se plaignent beaucoup[13].
Le mal n’est guère grand qui se peut bien dépeindre[14].


Malherbe, qui pensait et écrivait toujours « avecque raison », n’avait qu’à se rappeler ses prédécesseurs en poésie pour déraisonner en vers — de même que Boileau empruntera à Pindare une espèce de désordre lyrique. Malherbe s’est fréquemment souvenu de Ronsard. D’abord tous deux traitent souvent des sujets analogues, et Apollon, les filles de mémoire, la docte neuvaine, sont de rigueur des deux côtés. Ensuite les termes mêmes de Ronsard se retrouvent parfois dans les vers de Malherbe : le premier appelait en ces termes les Muses à la rescousse contre ses calomniateurs :

Muses qui habitez de Parnasse la crope,
Filles de Jupiter qui allez neuf en trope,
Venez et repoussez par vos belles chansons
L’injure faite à vous et à vos nourrissons[15].

C’est ainsi que Malherbe les appellera contre les « avortons de l’envie » qui en veulent à la reine régente[16], et c’est ainsi qu’elles se présentent déjà quand il commence à faire l’éloge de « la reine des fleurs de lys » :

Les Muses, les neuf belles fées,
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons[17].


La célèbre description du combat des Géants, dans l’« Ode pour le roi allant châtier les Rochelois », se ressent de celle de Ronsard, dont elle garde plusieurs détails, notamment le mot puer, que Ménage trouve de mauvaise odeur, sous sa forme archaïque pût (3e  personne) :

Si que le soufre, ami du foudre,
Qui tomba lors sur les Géans,
Jusqu’aujourd’huy noircit la poudre
Qui put par les chams Phlégréans[18].

Ces colosses d’orgueil furent tous mis en poudre.
Et tous couverts des monts qu’ils avoient arrachés ;
Phlègre qui les reçût, pût encore la foudre
Dont ils furent touchés[19].


C’était du reste un lieu commun que ces vestiges du combat des Géants, et de Bellay s’en servait déjà pour parler de Rome[20]. Mais là n’est pas le seul souvenir mythologique par où Malherbe rappelle Ronsard ; et Ménage[21] disait déjà d’un passage de la Consolation au président de Verdun : « Il n’y a personne qui puisse nier que tout cet endroit ne soit pris de l’ode V du IVe livre des Odes de Ronsard » :

Jupiter ne demande
Que des bœufs pour offrande :
Mais son frère Pluton
Nous demande, nous, hommes,
Qui la victime sommes
De son enfer glouton.

Jupiter, ami des mortel,
Ne rejette de ses autels
Ni requêtes ni sacrifices…
Pluton est seul entre les dieux
Dénué d’oreilles et d’yeux
À quiconque le sollicite.
Il dévore sa proie aussitôt qu’il la prend[22].


Mais c’est surtout en parlant des rois et des événements politiques que Malherbe ressemble à Ronsard. Ils ont la même façon de parler de « l’hymne de la victoire » de leur roi[23], de comparer le conquérant au torrent « qui ravage tout ce qu’il trouve » — la comparaison était d’ailleurs aussi dans Claudien, chez les Italiens, et dans la Bradamante de Garnier[24], que Malherbe avait vue — et, de même que la Charente chez Ronsard et la Seine chez Baïf s’animaient ou s’indignaient à l’occasion des guerres civiles, de même, chez Malherbe, non seulement le Pô « tient baissé le menton » et le Tessin « consulte de se cacher », mais surtout la Meuse interpelle vigoureusement les princes révoltés et, avec les mêmes paroles, la Seine injurie le maréchal d’Ancre quand il est tué[25]. Dans l’Ode sur la prise de Marseille, Malherbe avait repris au chef de la Pléiade, qu’il avait cultivé pendant sa retraite, le vers heptasyllabe et la strophe de dix vers, calquée sur la strophe de l’Ode à Henri II : « Comme un qui prend une coupe »[26]. Il lui prend parfois, pour vanter son roi, plus que des formes rythmiques. Il dit de Henri IV, comme Ronsard de Charles IX, que, même sans ses droits héréditaires, sa vertu devait lui faire donner la couronne[27], et quoiqu’il reproche à Desportes une « fable nouvelle », il fait lui-même allusion aux fleurs de lys tombées du ciel, à l’origine troyenne des Français, comme aux Scythes descendus d’Hercule.

Enfin et surtout, Malherbe construit son Récit d’un berger au ballet de Madame exactement comme Ronsard, suivant une tradition déjà vieille[28], construisait ses Églogues. Le roi, ou les gouvernants, sont des bergers, ou même le dieu Pan — Madame Deshoulières continuera la mode[29] ; — les sujets sont des troupeaux à conduire, et dans l’État tout marche à souhait comme dans une églogue ou même comme dans l’âge d’or. L’Églogue I de Ronsard présente ce trait que Scaliger reprochait à Ovide de n’avoir pas gardé dans sa description de l’âge d’or :

Les vieillards sans douleur sortoient de cette vie,
Comme en songe, et leurs ans doucement finissoient[30].


De même le Récit d’un berger de Malherbe promet qu’un âge va renaître

Où le nombre des ans sera la seule voie
D’arriver au trépas[31].


Dans l’Églogue I, le Navarrin (Henri de Navarre, le futur Henri IV) a appris

dès enfance à cognoistre
Le grand Pan des bergers, de toutes choses maistre[32].


Dans le Récit,

Notre grande Bergère a Pan qui la conseille[33].


Les Gérions, les glands qui nourrissaient les hommes primitifs, l’aconite[34], la myrrhe, l’encens, sont dans le discours du Navarrin et dans le Récit du berger. Ce dernier a aussi une formule d’affirmation que Ronsard avait employée ailleurs que dans l’Églogue I ; ces formules étaient fréquentes dans la poésie ancienne et moderne[35], mais celle de Malherbe ressemble particulièrement à celle du chef de la Pléiade :

Mais que chacun y donne aussi ferme crédit
Que si les chênes vieux d’Épire l’avoient dit[36].

Et les chênes d’Épire
Savent moins qu’il ne sait les choses à venir[37].


Les éloges que Malherbe écrit pour les fêtes royales sont souvent tracés dans les mêmes cadres que ceux des poètes de la génération précédente : il reprend les prophéties des Sibylles[38], et il y met ce qu’y mettaient ses prédécesseurs et ses contemporains[39].

Son style a gardé aussi les expressions du seizième siècle : il a la même façon de « soupirer les peines » de l’amant ; il appelle la mer « la plaine salée » et emploie des périphrases dans le goût de Ronsard ; il parle encore des hémérocalles, et même il le fait avec pléonasme, puisqu’il dit « hémérocalles d’un jour ». Il parle aussi, comme Ronsard et Régnier, du soleil et de ses douze maisons qui riment à saisons[40]. La plus fameuse de ses images surtout est une image du seizième siècle. Il n’y a peut-être pas dans la littérature française de tradition moins interrompue que la comparaison de la jeune fille à la rose[41] : elle fait les frais du Roman de la rose, la seule œuvre du moyen âge qui surnage complètement à travers toute la Renaissance, et dont on peut suivre l’influence jusqu’à Mademoiselle de Scudéry. Baïf, qui présente l’un des antécédents de la célèbre stance à du Périer, écrit encore des vers Au Roy sur le Roman de la Rose[42] ; et l’on sait l’estime qu’avaient pour l’œuvre de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, et Ronsard et du Bellay[43]. En outre, la brièveté des roses était un lieu commun dans toutes les littératures[44] : fusionner les deux images était une idée trop simple pour qu’elle ne vînt pas à l’esprit de tous, et le Corpus Inscriptionum latinarum contient déjà une inscription funéraire qui en dit autant que Malherbe : Rosa simul floruit et statim periit. Ces images, Malherbe les avait vues dans Claudien, dans Properce, dans l’Anthologie latine ; il avait retrouvé dans l’Arioste la comparaison de la jeune fille à la rose[45] ; il l’avait retrouvée surtout chez les poètes français du XVIe siècle, et il avait rencontré chez ces derniers aussi la pensée de la brièveté des roses et de la vie humaine. Baïf avait dit :

Cette Rose tant émée
Comme l’autre ne sera,
Qui de matin estimée
Au soir se destimera,
Car l’autre rose fanie
Pourra perdre sa vigueur[46]


Du Bellay, dans la Métamorphose d’une Rose, faisait ainsi parler la dame transformée en rose :

Les grâces dont le ciel m’avoit favorisée,
Or que Rose je suis, me servent de rosée
Et l’honneur qui en moi a fleuri si longtemps,
S’y arde encor’entier d’un éternel printemps.

La plus longue frescheur des roses est bornée
Par le cours naturel d’une seule journée[47].


Pour consoler Salmon Macrin qui avait perdu sa Gélonis, du Bellay lui dit bien des choses que Malherbe dira à du Périer, et notamment :

La roze journalière
Mesure son vermeil
À l’ardente carrière
Du renaissant soleil[48].


On dirait vraiment qu’en ce temps de poésie, comme dans la chanson de Malherbe inspirée du Tasse,

L’air est plein d’une haleine de roses[49].


Et les roses apparaissent aussi chez Ronsard, non seulement quand il parle à Cassandre ou à Marie dans les vers si connus où il rappelle à son amante la brièveté de la rose, mais aussi quand il parle d’une mort prématurée ; et s’adressant à l’âme de Charles IX, mort à vingt-quatre ans, il s’écrie :

Voyez au mois de May sur l’épine la rose ;
Au matin un bouton, à vespre elle est desclose ;
Sur le soir elle meurt ; ô belle fleur ! ainsy
Un jour est ta naissance et ton trépas aussi[50].


Montchrestien aussi dira plus d’une fois que l’homme est

semblable à la rose, et que

Les Roses des jardins ne durent qu’un matin[51].

Qu’est-ce que l’homme, hélas ? Une fleur passagère
Que la chaleur flétrit ou que le vent fait choir,
Une vaine fumée, ou une ombre légère
Que l’on voit au matin, qu’on ne voit plus au soir[52].


C’était donc une mode très répandue, et Desportes l’avait approuvée dans une Complainte :

L’humaine vie à bon droit se compare
Aux vaines fleurs dont le printemps se pare[53]


Lui-même, dans l’Élégie dont Malherbe s’est souvenu, nous allons le voir, en écrivant ses Stances à du Périer, montrait le jeune Damon succombant

Comme un bouton de rose en avril languissant[54],


et il lui faisait dire à ses derniers moments ces mots déjà cités :

la destinée
M’a fait dès mon aurore accomplir ma journée[55].


Enfin l’auteur du Bouquet des fleurs de Sénèque déjà

mentionné, avait écrit :

Si mes parents sont morts, ils ont payé la dette
Qu’on doit en ce séjour ;
L’homme vit tout ainsi qu’une fleur vermoillette
Qui vit le cours d’un jour[56],


stance construite exactement comme celle de Malherbe, et qui présente la rime de séjour et de jour comme la première rédaction des Stances à du Périer. Le même auteur console encore dans les termes suivants Chamgoubert qui a perdu son jeune frère :

Chamgoubert, ce n’est rien de cette pauvre vie,
Le matin nous l’avons, le soir elle est ravie…
À peine un blond cotton[57] faisoit homme ton frère,
Quand la mort se faschant de me voir sans misère
Vint racler tout à coup de ses ans la beauté.
Ainsi voit-on la rose au matin épanie
Sans plus d’honneur au soir en sa beauté flétrie[58].


Malherbe, s’y reprenant à deux fois, et arrangeant les mots mieux que personne, devait donner à la pensée traditionnelle son dernier lustre.

À la façon des poètes du XVIe siècle aussi, Malherbe interpelle son âme et ses pensers — on l’a vu plus haut[59] — ; il appelle les morts des ombres, soit qu’il écrive l’épitaphe de son premier fils[60], soit qu’il parle de la fille de du Périer[61] ou « aux ombres de Damon[62] ». Il conçoit la nation comme ayant un « génie » ou un « démon » : il dit « le démon de la France » comme du Bellay disait « le démon romain[63] » et Montchrestien « le démon anglais[64] » ; il faut entendre « démon » au sens grec ; les Stances pour Alcandre parlent même d’« un démon favorable ».

Malherbe ne dédaigne pas non plus de se servir de du Bellay. Si, comme nous l’apprend Régnier, il le trouve « trop facile », s’il lui reproche, dans son commentaire sur Desportes, la cheville or(e) « dont il s’escrimait[65] », il lui arrive de reprendre, pour l’appliquer au duc de Bellegarde, une strophe de l’Ode au prince de Melfe dont l’idée, du reste, remonte au moins à Politien[66], et fut chère aux latinistes du XVIIe siècle :

Mais comme errant par une prée
De diverses fleurs diaprée,
La vierge souvent n’a loisir,
Parmi tant de beautés nouvelles,
De reconnaître les plus belles,
Et ne sait lesquelles choisir,

Comme en cueillant une guirlande
L’homme est d’autant plus travaillé
Que le parterre est émaillé
D’une diversité plus grande ;
Tant de fleurs de tant de côtés
Faisant paraître en leurs beautés

 
 
 
 
Ainsi confus de merveilles,
Pour tant de vertus pareilles
Qu’en toi reluire je vois,
Je perds toute connoissance,
Et pauvre par l’abondance
Ne sais que choisir en toi.

L’artifice de la nature,
Qu’il tient suspendu son désir,
Et ne sait en cette peinture
Ni que laisser, ni que choisir :
Ainsi quand, pressé de la honte
Dont me fait rougir mon devoir,
Je veux mon œuvre concevoir
Qui pour toi les âges surmonte,
Tu me tiens les sens enchantés
De tant de rares qualités,
Où brille un excès de lumière,
Que plus je m’arrête à penser
Laquelle sera la première,
Moins je sais par où commencer[67].


Malherbe, on le voit, remplace « la vierge errant par une prée », qui fait songer à la bergère à laquelle Boileau comparera l’églogue, par « l’homme », et il ajoute à son modèle plus de raisonnement que de poésie.

Desportes aussi a laissé des traces dans les vers de son impitoyable commentateur. Comme tous deux pétrarquisent et connaissent également bien les poètes latins et italiens, il est naturel que le chantre de Diane et celui de Caliste se ressemblent souvent : ils ont la même habitude de parler de « ce qui les travaille », des « beaux yeux, chers soleils », de « Philis », des belles âmes qui meuvent les beaux corps[68], et de s’écrier : « Amour en soit loué ! », d’animer la nature par la présence de l’amante ; et tel vers de Desportes auquel

Malherbe n’a rien trouvé à redire[69] :

Les forêts ont repris leur vert accoustrement[70],


ressemble fort à ce que dira Alcandre au retour d’Oranthe :

Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle[71].


La Complainte pour Henri III exprime la douleur de l’amant comme les Stances d’Alcandre écrites pour Henri IV :

Quand j’approche de vous, belles fleurs printanières,
Vostre teint se flestrit[72]
Et l’herbe du rivage, où ses larmes touchèrent,
Perdit toutes ses fleurs[73].


Les excitations au suicide ont le même ton dans les vers amoureux de Desportes et de Malherbe, et parfois présentent jusqu’au même mélange du singulier et du pluriel appliqués à la même personne, tournure que le Commentaire[74] ne critique pas :

Mourons donc, et monstrons, en ce dernier outrage, Qu’il est toujours en nous d’échapper le malheur ; Si le coup de la mort me fait quelque douleur, Celuy de mon départ m’en fit bien davantage[75].

Ne délibérons plus, allons droit à la mort ;
La tristesse m’appelle à ce dernier effort
Et l’honneur m’y convie ;
Je n’ai que trop gémi[76].

Desportes et Malherbe ont aussi la même manière de

faire l’éloge d’une œuvre littéraire en l’attribuant à un dieu ou à Dieu — ce qui est d’ailleurs une formule assez répandue[77], et qu’on retrouve dans l’épigramme où Boileau attribue la composition de l’Iliade à Apollon. Le poète de Diane et d’Hippolyte avait composé sur la Bergerie de Rémy Belleau un sonnet qui commençait ainsi :

Quand je ly, tout ravy, ce discours qui soupire
Les ardeurs des bergers, je t’appelle menteur,
(Pardonne-moy) Belleau, de t’en dire l’autheur ;
Car un homme mortel ne sçauroit si bien dire[78].


Puis il suppose qu’Amour a contraint Phébus de redevenir berger et de dicter la Bergerie ; et cela l’amène à demander à ce Phébus ou le succès auprès de la belle Hippolyte, ou la force de déplorer son insuccès en aussi beaux vers que ceux de Belleau. Malherbe considère ce sonnet comme « un des bons qui soient dans Desportes[79] » ; aussi le refait-il pour vanter — toujours en un sonnet — le livre de La Ceppède sur la Passion :

J’estime la Ceppède, et l’honore, et l’admire,
Comme un des ornements des premiers de nos jours ;
Mais qu’à sa plume seule on doive ce discours,
Certes, sains le flatter, je ne l’oserois dire[80].


C’est l’Esprit du Tout-Puissant qui « l’a fait si bien écrire ». Et Malherbe s’adresse tout à coup à la reine, dont il fait emphatiquement l’éloge, et lui certifie que « devant cet ouvrage » elle n’en vit jamais qui fût digne d’elle. C’était vraiment forcer la note du badinage de Desportes ; et Malherbe accorde très facilement les honneurs de l’inspiration divine : de la Somme théologique du Père Garasse (le maître de rhétorique de Balzac) il dit encore :

Cette œuvre est une œuvre de Dieu :
Garasse n’a fait que l’écrire[81].


Mais il s’était souvenu de Desportes dans des vers plus célèbres. Quand il eut à consoler du Périer, il songea apparemment au poète qui était encore en vogue à cette époque, et à ses Élégies. Il y en avait une qui avait été faite pour consoler Henri III de la perte de deux de ses mignons : Henri III y était appelé Cléophon[82] (c’était le titre de l’Élégie) et le mignon préféré, Damon. Malherbe a repris ces noms : il appelle, un peu plus tard, Damon l’ami qu’il a perdu et qui est pleuré par l’amante Carinice[83] ; il donne le nom de Cléophon[84] à du Périer, et à la jeune fille (qui s’appelait Marguerite) il donne un nom de bucolique, Rosette, qui était notamment celui de l’héroïne d’une villanelle de Desportes :

Ta douleur, Cléophon, sera donc incurable…
Et ne pouvoit Rosette être mieux que les roses…
Non, non, mon Cléophoa[85].


Dans la rédaction définitive (qui parut en 1607), le nom de Cléophon est remplacé par celui de du Périer ; mais Malherbe, qui dans l’intervalle a relu et commenté Desportes, semble garder plus d’un trait de l’élégie ; et à l’aide du commentaire qu’il a donné de celle-ci on peut mesurer la distance qui sépare un écrivain de l’autre :

Tant peu l’amitié sainte en une âme bien née,


disait Desportes[86] ; et Malherbe :

Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle[87]


Desportes disait à Cléophon :

Quel rempart assez fort la raison te garda[88]
En ce torrent de deuil, qui sur toy déborda,
Valeureux Cléophon, quand la triste merveille
D’un tel bruit vint frapper ton âme et ton oreille ?


( « Quelque pédant trouvera ici d’une figure ὔστερον πρότερον pour moi, j’y trouve une sottise[89] » ; mais l’idée du premier vers est à conserver) :

Est-ce donc un dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?


Desportes revenait plusieurs fois sur les grâces et la beauté du mignon :

Jamais l’œil de Phébus ne vit telle jeunesse[90]
Quand sa jeune beauté tant d’appas recéloit[91].


(C’est bien assez de le dire une fois ; et puis recéler ne convient pas[92] ; mais on peut garder les appas) :

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine.


Desportes faisait dire à Damon :

Mais si l’aveugle sort, ou le ciel courroucé.
Rendent là de mes jours la carrière achevée[93]


( « Rendre achevé » ne se dit pas[94] ; mais on peut supposer que la fille de du Périer)

auroit obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière.


(Gloire et mémoire[95], mortel séjour et jour[96] sont des rimes sortables ; le ciel[97] doit être mentionné) :

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d’accueil[98] ?


(Tel ou tel trait peut être admis) :

Quand il voit que la Parque a sa trame coupée[99].


… aussitôt que la Parque
Ote l’âme du corps[100].


(Mais il y a des expressions impropres : ainsi)

Le preux fils de Thétis, seul rempart de la Grèce[101].


Achille n’est pas le rempart de la Grèce, puisque la Grèce n’est pas assaillie ; mais on peut parler de)

Priam, voyant ses fils abattus par Achille.


(Quant au Léthé et à son oubliance endormie[102], c’est une latinerie). Quand Damon va mourir,

Au moins humain de tous l’œil de larmes dégoutte[103].


(Soit, c’est la coutume ; et ce n’est que juste) :

C’est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé
Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d’être allégé[104].


(Mais quels larmoiements et quelles jérémiades dans cette Élégie ! Damon dit à son ami :

ta flamme est-elle estainte
Que tu n’es point touché de ma dure complainte ?[105]


Ils en font beaucoup trop, de complaintes, et il ne sert de rien de tant gémir) :

Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes ;
Mais sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
Éteins le souvenir[106].

Cléophon disait :

Si ce qui m’est plus cher se sépare de moi[107].

( « Plus cher » ne se dit pas pour « le plus cher[108] » ; « le plus » ferait une syllabe de trop ; mais on peut fort bien mettre « si » ) :

Non qu’il ne me soit grief que la terre possède
Ce qui me fut si cher[109].

Cléophon, dans l’histoire,

Importune le ciel de vœux et de prières,
Bref, pour fléchir la mort, tente mille manières
Mais cette fière Parque aux ravissantes mains,
Seule des déités est sourde aux cris humains[110].

(Il vaut mieux exprimer tout cela sous forme de vérité générale) :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
Et nous laisser crier[111].

Voilà au moins une pensée juste, et qui peut être encore utilisée à l’occasion. Et c’est un sage conseil aussi, et digne de Sénèque, qui est adressé à Cléophon) :

… que ton âme s’apaise…
Obeys sans murmure au vouloir du haut Dieu[112].

(Seulement cela peut se dire beaucoup mieux, et, encore une fois, sous forme de vérité générale, qui se rattachera à ce qui vient d’être dit de la mort) :

De murmurer contre elle et de perdre patience
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

(Desportes compare longuement le jeune guerrier à un bouton de rose, ou à un jeune lys, mais nous n’écrivons pas pour les jardiniers, et pour les roses on a dit trente-six fois mieux déjà[113].

Desportes cite aussi, en le mettant dans la bouche de Damon mourant, le proverbe :

« Tous ceux qu’aiment les dieux ne vivent pas longtemps »[114].

Mais, avec une pareille traduction, il dit justement le contraire de ce qu’il veut dire[115] ; il veut dire que les meilleurs, les plus méritants, les plus beaux, sont ceux qui vivent le moins. Il faudrait que cela rimât aux roses : avec « les plus belles choses », et avec l’autre rime de jour et séjour, nous ferons) :

Mais elle étoit du monde où les plus belles choses
Font le moins de séjour ;
Et ne pouvoit Rosette être mieux que les roses
Qui ne vivent qu’un jour.

(Seconde rédaction) (Rosette[116] ! Ici je desportisais. Nous dirons qu’elle était comme une rose, qu’elle était « rose » : en répétant le verbe vivre comme le mot « rose », ce sera du meilleur effet) :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses.

(Mais il ne faut pas trois fois « vivre »[117] ; nous changerons le dernier vers, et nous mettrons, d’après ce qu’ont dit plusieurs poètes :

L’espace d’un matin.

C’est encore plus court, et plus fort ; mais il faut

remplacer la rime ; destin rime à merveille. Nous dirons donc) :

Mais elle étoit du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.

(Voilà qui est parfait : car « il faut que les élégies aient un sens parfait de quatre vers en quatre vers, même de deux en deux, s’il se peut[118] ». J’y suis arrivé. Après ces stances, je puis me reposer dix ans).

Bertaut ressemble à Malherbe autant que peuvent se ressembler deux hommes élevés dans la même ville, à la même époque, instruits à peu près de la même façon, ayant lu les mêmes poètes et traitant souvent les mêmes sujets. On sait déjà, qu’ils parlent d’amour l’un comme l’autre ; quand ils paraphrasent les Psaumes, Bertaut est plus onctueux que Malherbe, et on a même vu en lui un des lointains précurseurs de Lamartine (qui du reste ne s’en est sans doute pas servi). Malherbe[119] connaissait fort bien les vers de Bertaut ; il les estimait même un peu, à ce que dit Racan, — quoiqu’il trouvât parfois ses pièces « nichil-au-dos ». Il est donc possible qu’il s’en souvienne un peu aussi. « Les cieux inexorables » qui sont rigoureux à l’amant, étaient de tous les climats, de même « ceux qui souffrent peu et se plaignent beaucoup »; mais Bertaut avait donné à tout cela des formes que tout le monde avait présentes à la mémoire, et Voltaire met encore dans la bouche d’une de ses héroïnes les vers fameux du doux poète :

Félicité passée…[120]

Malherbe a dû les prononcer parfois, et bien d’autres vers du même auteur : Bertaut somme « sa belle âme » de dire oui ou non de la même façon que Malherbe écrit, « à une dame qui le payait de promesses » ; il dit comme disent et comme diront tous les poètes d’alors que « sa folie est belle »; il parle « des esprits abusés d’une vaine espérance[121] » comme Malherbe.

Les mêmes situations se présentent des deux côtés parfois avec les mêmes rimes :

… presque évanoui je tombai sur la place,
En pâleur une pierre, en froideur de la glace[122].
À ces mots tombant sur la place,
Transi d’une mortelle glace,
Alcandre cessa de parler[123].

Beaucoup d’expressions de Bertaut sont aussi dans Malherbe, et des vers plus retentissants que d’habitude font songer à tel vers de la Prière pour le roi allant en Limousin :

Icy ce bruit tonnant dont on oit nos tambours
Changer le guet des nuits à la garde des jours[124].

Mais Bertaut était surtout « retenu », comme dit Boileau ; il importait d’avoir le ton soutenu : c’est ce qu’allait faire Malherbe, en attendant Corneille.

Régnier se rapproche de Malherbe par l’un des côtés principaux de l’œuvre du réformateur : la forme du vers, la concision, l’habileté à enfermer la pensée la plus complète dans le cadre le plus ferme et le plus limité.

On sait que Malherbe « l’estimoit en son genre à l’égal des Latins[125] ». Dans les vers du satirique, « soutenus, nombreux, détachés les uns des autres[126] » — ce sont les qualités que Brossette reconnaît à Régnier, et ce sont exactement celles de Malherbe — il y avait aussi à glaner, et le neveu de Desportes parle comme parlera l’ennemi de son oncle, des vieux contes d’honneur :

Ces vieux contes d’honneur dont on repaist les dames
Ne sont que des appas pour les débiles ames
Qui sans choix de raison ont le cerveau perclus[127].

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères,
Etoient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair[128] ?

Toutes ces tirades dont Régnier trouva la formule lapidaire[129] remontaient aux mêmes sources italiennes, et on ne peut guère dire quelle part revient, dans les vers de Malherbe, aux poètes français plutôt qu’aux Italiens.

Il serait trop facile de relever encore de nombreuses analogies entre Malherbe et son compatriote Montchrestien (qu’il a peut-être mieux connu qu’il ne voudrait le faire croire[130]), non seulement dans les idées, qu’ils prennent souvent aux mêmes sources, mais aussi dans la forme. Le poète tragique ressemble souvent « à s’y méprendre », comme l’a dit M. Brunot, à Malherbe. Il avait notamment fait avant Malherbe son « N’espérons plus, mon âme » :

Cessons, pauvres humains,
De concevoir tant d’espérances vaines,
Puisqu’ainsi tost les grandeurs plus certaines
Tombent hors de nos mains[131].

Tout avait été dit par Montchrestien, par Ronsard, par du Bellay, par Desportes et vingt autres : tout était dit, et si Malherbe ne venait pas trop tard, c’est sans doute que l’essentiel était non de dire autre chose, mais de parler en termes plus soignés : il fallait « arranger les mots et les syllabes ».

Ronsard était trop enthousiaste, du Bellay « trop facile », Desportes trop faible, Bertaut un peu trop facile et trop faible aussi, Régnier trop « à la diable », pour s’employer uniquement à « mettre le mot en sa place », et cette dernière besogne fut celle de Malherbe. Comment il l’a comprise et réalisée, c’est ce qu’a établi M. Brunot. Quant au « mot » lui-même, il le prenait n’importe où, même chez ses prédécesseurs français.

M. Chamard à propos de du Bellay, M. Vianey à propos de Mathurin Régnier, M. Chenevière et d’autres à propos de Bertaut, ont tous dit que leur auteur devançait Malherbe ; il est peut-être encore moins paradoxal de dire que Malherbe continue la Pléiade et les écrivains de la fin du XVIe siècle, et nous espérons avoir montré qu’il ne se fait pas faute de leur reprendre des idées, des images et des expressions, parfois sans en garder la grâce enjouée, souvent en les généralisant, en les clarifiant, et surtout en se montrant plus sobre de « faculté verbale ». C’était un poète fort sec, comme dit le cavalier Marin, et c’est sans doute ce qu’il fallait. De même que dans l’Élégie de Desportes

Le malheureux Damon tout en pleurs s’écoulait[132],


la poésie française aurait peut-être risqué de s’écouler toute en vers faciles et bavards, si on ne lui avait mis des digues étanches et étroites.

  1. Ce chapitre a déjà paru, sauf un détail ou deux, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, oct.-déc. 1903.
  2. Il a d’ailleurs utilisé jusqu’à la fin les œuvres de ses prédécesseurs français (voy. H. Guy, Les sources françaises de Ronsard, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1902).
  3. Ronsard, éd. Blanchemain, t. VIII, p. 188.
  4. Malh., éd. Lalanne, t. I, p. 382.
  5. Il voulait dire : vers de remplissage (voy. Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe).
  6. Malh., I, p. LXXVII-LXXVIII.
  7. Ménage, o. c., 527. Régnier reproche à Malherbe de prétendre que

    Ronsard en son mestier n’estoit qu’un apprentif.

  8. Malh., I, 251. C’est sans doute ce qui a fait croire à un panégyriste de Ronsard (Ronsard, éd. Blanchemain, t. VIII), que Malherbe avait « tendu la main » à Ronsard, se montraint plus juste que Boileau. — Malherbe connaissait assez la langue de Ronsard pour rappeler à propos de Desportes qu’il emploie fère (Malh., IV, 266) et qu’il tient la forme nic du Vendomois (IV, 469).
  9. M. Allais (Malherbe et la poésie française) a rappelé tout ce que Malherbe devait, au point de vue de la versification, à Ronsard, et on a dit avec raison que l’ode de Malherbe était l’ode de Ronsard avec de légères modifications. M. E. Dreyfus-Brisac, Les classiques imitateurs de Ronsard, Malherbe — Corneille — Racine — Boileau (Paris, Calmann-Lévy) dans les pp. 16-80 consacrées à « Ronsard et Malherbe », et où du reste les rapprochements ne sont pas absolument tous oiseux, a montré le danger qu’il y a à vouloir trouver un auteur dans un autre. M. Dreyfus, qui, comme Boileau, critique en vers, s’est écrié (p. 3), non sans force injures à l’adresse de Malherbe :

    Quand Malherbe biffait tout Ronsard d’un seul trait,
    Il s’effaçait lui-même et brisait son portrait.

  10. Malh., I, 152.
  11. Sonnet de Ronsard en faveur de la Cléonice de Desportes (Desp., éd. Michiels, p. 231) ; cf. Malh., IV, 353.

    Cf. Pétrarque, I, Son. 188 :

    Chi puo dir com’egli arde, e’n picciol foco.

  12. Ronsard, t. I, p. 401.
  13. Cf. Bertaut, éd. Chenevière, p. X.
  14. Bertaut, Élégie I.
  15. Ronsard, t. VII, p. 110.
  16. Malh., I, 209.
  17. Malh., I, 187.
  18. Ménage, o. c., p. 337.
  19. Malh., I, 280 et 281. Taine est encore frappé de la familiarité du passage de Malherbe : « pue encore la foudre » (H. Taine), sa vie et sa correspondance, t. II, p. 26); ce qui est plus surprenant, c’est que Taine ajoute : « Tout cela fait revoir le vieux soldat des guerres de la Ligue, qui écrit sans modèles français… »
  20. Sonnet XII.
  21. O. c., p. 516.
  22. Malh., I, 269.
  23. Malh., I, 317. Ronsard, II, 53.
  24. Bradamante, I, I. Cf. aussi : « Comme un torrent d’Esté qui s’enfle de ruisseaux » de Montchrestien, chœur final d’Aman pris du Psaume CXXIIII (Tragédies, éd. elzév., p. 277).
  25. Malh., I, 219, 239.
  26. Ronsard, t. VII, p. 41. Allais, Malherbe, et la poésie française, p. 297.
  27. Malh., I, 77.
  28. Voy. Guy, dans Revue d’histoire littéraire de la France (1902) p. 250 et sv.
  29. On pourrait même suivre la trace de cette allégorie jusque dans la scène de l’Aiglon de M. Rostand, où le berger « c’est le duc de Reichstadt et le champ c’est la France ».
  30. Ronsard, t. IV, p. 23.
  31. Malh., I, 232.
  32. Ronsard, IV, 25.
  33. Malh., I, 231. Pan désigne probablement le maréchal d’Ancre, auquel Malherbe paraît déjà faire allusion dans le discours d’une des « Sibyles » (I, 200). — Pan=Richelieu dans une lettre de Malherbe (IV, 19, 20).
  34. Ce terme a été remplacé dans la rédaction définitive ; il figure dans l’une des variantes.
  35. Cf. Ovide, Ars amandi, III, 789 et 790 ; voy. aussi Martha, Le poème de Lucrèce, p. 16, à propos du passage du De Natura Rerum, V, 110-112.
  36. Ronsard, III, 266.
  37. Malh., I, 232.
  38. Malh., I, 197 sv.
  39. Voy. par exemple Fréd. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publics de 1597 à 1700, t. I, p. 403. Sur les ballets à cette époque, voy. G. Grente, Jean Bertaut, p. 138-143
  40. Je dy ce grand Soleil qui nous fait les saisons
    Selon qu’il entre ou sort de ses douzes maisons.

    Ronsard, VII, 56.

    Vive source de feu qui nous fait les saisons
    Selon qu’il entre ou sort de ses douze maisons

    id., V, 16.

    Selon que le Soleil se loge en ses maisons,
    Se tournent nos humeurs ainsi que nos saisons.

    Régnier, Sat. IV, 113.

    Certes l’autre soleil, d’une erreur vagabonde,
    Court inutilement par ses douze maisons ;
    C’est elle et non pas lui, qui fait sentir au monde
    Le change des saisons.

    Malh., I, 157

    Voy. J. Vianey, Mathurin Regnier (1896).

  41. Cf. Sully Prudhomme, Stances et Poèmes, I, p. 8 :

    Nous n’osons plus parler des roses :
    Quand nous les chantons, on en rit.

  42. Baïf, éd. Becq de Fouquières, p. 255
  43. Voy. Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 218 (Les sources françaises de Ronsard, par H. Guy).
  44. Voy. Ch. Joret, La rose dans l’antiquité et au moyen âge, p. 56-59. — Cf. encore Wace, Roman de Rou, v. 65 et sv. :

    Tute rien se turne en declin
    .........
    ....rose flaitrist.

  45. Orlando Furioso, I, str. 42 :

    La verginella é simile alla rosa,
    Ch’in bel giardin su la nativa spina
    Mentre sola e sicura si riposa…

    Le passage de l’Arioste se trouve traduit dans la pièce mise par des Yvetaux en tête des œuvres de Desportes. Voy. sur ces images H. Guy, « Mignonne, allons voir si la rose… », réflexions sur un lieu commun (Bordeaux, Gounouilhon, 1902).

  46. Baïf, éd. Becq de Fouquières, p. 255. Villon emploie déjà le thème de la brièveté de la rose dans sa Ballade à s’amie, str. III (cf. G. Paris, François Villon, p. 110, n. 1).
  47. Du Bellay, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 398.
  48. Du Bellay, t. I, p. 153. Cf. Chamard, Joachim du Bellay.
  49. Malh., I, 226.
  50. Ronsard, t. III, p. 129, et aussi VII, 175, VIII, 120 ; voy. H. Guy, « Mignonne, allons voir si la rose… », réflexions sur un lien commun (Bordeaux, 1902).
  51. L’Escossoise ou le Désastre, tragédie (1601 à Rouen), acte V. — [J’avais terminé mon article de la Revue d’histoire littéraire de la France, 1903, quand j’ai lu la note de M. Schultz-Gora faisant le même rapprochement entre le passage de Montchrestien et le vers de Malherbe Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur, 1903, p. 92-94)].
  52. Ibid., acte II, chœur.
  53. Desportes, p. 488.
  54. Desportes, p. 318.
  55. id., p. 321.
  56. Ode III (De la Rue, Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères normands et anglo-normands, Caen, 1834, t. III, p. 369). Malherbe emploie aussi la rime séjour-jour dans une imitation de Martial (I, 24).
  57. Ce « coton » pour : la barba naissante, terme familier à Ronsard et aux poètes du XVIe siècle, se retrouve encore chez Malherbe, dans l’Ode sur la bienvenue de Marie de Médicis (I, 50). Elle a vécu autant que le classicisme, et Lamartine l’emploie encore dans ses tout premiers vers (E. Deschanel, Lamartine, I, p. 51, cite des vers de 1808 où le poète de dix-huit ans parle du « coton » de son frais visage).
  58. Bouquet, Ode V.
  59. Voy. au chap. des Italiens.
  60. Malh., I, 360.
  61. « Aime une ombre comme ombre » (I, 41).
  62. Malh., I, 58.
  63. Antiquités de Rome, Sonnet 27.
  64. Montchrestien, Tragédies (éd. elzév.), p. 85.
  65. Malh., IV, 463.
  66. Politien l’avait sans doute prise lui-même aux anciens.
  67. Malh., I, 109.
  68. Desportes, p. 442. Malh., I, 126 et 127.
  69. Voy. Commentaire sur Desportes, Malh., t.  IV, p. 250.
  70. Desportes, Diane, sonnet V (éd. Michiels, p. 15).
  71. Malh., I, 157.
  72. Desportes, p. 489.
  73. Malh., I, 161.
  74. Malh., IV, 433.
  75. Desportes, p. 391.
  76. Malh., I. 254. L’Agamemnon d’Iphigénie, qui, lui aussi, délibère tout le temps, répète l’hémistiche de Malherbe :

    Ne délibérons plus (Racine, Iphigénie, IV, sc. 7).

  77. Ménage (p. 431) ne cite pas Desportes à ce sujet, mais les vers que du Périer composa en 1578 pour le panégyrique du livre de Laurans : Malherbe, alors en Provence, a sans doute connu les vers de son ami ; mais il avait relu Desportes quand il écrivit son sonnet à La Ceppède.
  78. Desportes, p. 431. Voy. plus haut chapitre II.
  79. Malh., t. IV, p. 451.
  80. Malh., I, 204.
  81. Malh., I, 266.
  82. Cléophon est encore le titre d’une tragédie de l’Hôtel de Bourgogne, imprimée à Paris en 1600, « tragédie conforme et semblable à celles que la France a vues durant les guerres civiles » (voy. E. Rigal, Le théâtre français avant la période classique, p. 141, n. 2).
  83. Aux ombres de Damon (Malh., I, 58). Ce nom d’ami regretté est encore repris par La Fontaine, Fables, livre VI, Épilogue. Il remonte évidemment à la tradition antique de Damon et Pythias.
  84. Malherbe connaissait bien les noms des héros de Desportes, car les titres des élégies « Eurylas » et « Cléophon » étant intervertis dans son édition de Desportes, il a fait lui-même la correction (voy. Desportes avec commentaire de Malherbe à la Bibl. nat., p. 210, 216).
  85. Première rédaction, v. 1, 15, 25. Cf. la villanelle Rozette dans Desportes, p. 450.
  86. Desportes, éd. Michiels, p. 319.
  87. Malh., I, p. 39.
  88. Desportes, p. 319. Au torrent de deuil, cf. « la nue dont la sombre épaisseur aveugle la raison » de Marie de Médicis à la mort de Henri IV (Malh., I, 179).
  89. Malh., IV, 396.
  90. Desp., p. 316.
  91. id., p. 321.
  92. Malh., IV, 397.
  93. Desportes, p. 316.
  94. Malh., IV, 393.
  95. Desp., p. 316.
  96. id., p. p. 320. Dans la deuxième rédaction, Malherbe a remplacé la rime de séjour-jour par celle de destin-matin (peut-être pour ne plus faire rimer le simple et le composé).
  97. Desp., p. 320.
  98. Malh., I, p. 40.
  99. Desp., p. 318.
  100. Malh., I, 40.
  101. Desp., p. 320. Cf. le commentaire de Malh., IV, p. 396.
  102. Desp., p. 321.
  103. Desp., p. 319.
  104. Malh., I, 41.
  105. Desp., p. 319.
  106. Malh., I, 40-41.
  107. Desp., p. 316.
  108. Malh., IV, 393.
  109. Malh., I, 43.
  110. Desp., p. 320.
  111. Malh., I, 43. Voiture renchérit sur cette idée en la développant en des vers cités par Ménage (o. c., p. 564). Malherbe répète à peu près la même chose dans la Consolation au président de Verdun.
  112. Desp., p. 322.
  113. Voir plus haut. Puis il ne faut pas deux comparaisons l’une sur l’autre (Brunot, l. l., p. 215).
  114. Desp., p. 321. C’est le mot de Ménandre (Ὄν οί θεοὶ φιλοῦσιν, ἀποθνήσκει νέος) que Leopardi (Canti, XXVII) met comme épigraphe à son Amore e Morte. — M. Allais (o. c., p. 365) regrette que Malherbe n’ait pas songé à « la croyance antique traduite par un de nos grands poètes contemporains

    Que quand on meurt si jeune on est aimé des dieux » :

    on voit qu’il avait eu l’occasion d’y penser.

  115. Malh., IV, 397.
  116. Peut-être aussi Malherbe, devenu plus sévère, n’aurait-il plus accepté la rime trop facile de jour-séjour.
  117. Voyez comment Victor Hugo, remaniant ses vers, évitait une triple répétition, et savait utiliser une répétition énergique. (P. et V. Glachant, Essai critique sur le théâtre de V. Hugo, I, p. 227, 173, 197.)
  118. Racan, Vie de Malherbe, p. LXXXV.
  119. Voy. G. Grente, Jean Bertaut, p. 97 et passim.
  120. Entretien de Ninon de l’Enclos et de Madame de Maintenon.
  121. Bertaut (éd. elz.), p. 97.
  122. Bertaut, cf. Introduction, p. XXIX.
  123. Malh., I, 154.
  124. Bertaut, p. 97. Cf. Malh., I, 72, v. 63 et 66.
  125. Racan, l. c., p. LXIX.
  126. Voy. l’édition de Macette par les élèves de M. Brunot, Introd., p. LII et XLIII.
  127. Satire XIII (Macette), v. 81-83.
  128. Malh., I, 29-30.
  129. L’honneur est un vieux saint que l’on ne chomme plus.

    (Satire XIII, v. 84).

  130. Malherbe, III, 556 (lettre du 14 octobre 1621) : « Il a fait un livre de tragédies en vers françois ; je crois que c’étoit ce qui lui avoit donné sujet de me venir voir deux ou trois fois. Il étoit homme d’esprit et de courage. Je me trompe ou il donna en ce même temps-là un livre in-4o de sa façon, assez gros, à Monsieur le garde des sceaux, et me semble que le sujet de son livre étoit du commerce, ou de quelque chose pareille. » — Ailleurs Malherbe (IV, 41, 2 août 1618) dit que Montchrestien lui a parlé « non une fois ou deux, mais une douzaine ». — Voy. la note de M. Schultz-Gora, déjà citée, dans la Zeitschrift für franzosische Sprache und Litteratur, 1903. — Cf. Brunot, p. 49.
  131. Montchrestien, Tragédies, éd. elzév., p. 126.
  132. Desportes, p. 319.