Molière, Shakspeare, la Comédie et le Rire/Molière/Notes sur George Dandin

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 69-102).

NOTES
SUR GEORGE DANDIN[1]




Je croyais hier de 2 à 7, en ayant les larmes aux yeux, que je n’aurais pas le courage de commenter des comédies à Milan. Le soir, au théâtre de Sainte-Radegonde, ma sensibilité m’a empêché d’être aimable. Jamais au contraire je n’ai vu Gina aussi gaie. Aujourd’hui ma sensibilité d’hier commence à me paraître une duperie en ce qui concerne publi. exisf. Quant au départ ce n’est pas encore le moment de pleurer, puisque nous nous verrons encore plusieurs fois.

Il n’eût rien manqué à mon bonheur depuis deux mois, si, dès le 10 ou le 15 septembre, je me fusse mis à lire Molière la plume à la main. Mes occupations d’Auditeur ont si souvent interrompu ce genre de travail que je n’en ai plus l’habitude ; il faut que l’ennui que m’inspire la société et les livres me jette dans le travail.

Cela posé.

Quel est le but de Molière dans George Dandin ? Sans doute d’abord de faire rire, mais quelle est la vérité morale qui, dans l’esprit des spectateurs, sert de lien et d’exposition à ses situations comiques et à ses plaisanteries ? La voici :


Ah ! qu’une femme demoiselle est une étrange affaire !


Quels sont les désavantages possibles d’une telle alliance ?

1o Être ruiné par la famille noble et pauvre à laquelle on s’allie.

2o En éprouver des mépris qui empoisonnent le cours habituel de la vie.

3o 1o Être cocufié d’une manière scandaleuse et telle qu’une fille, votre égale, n’aurait pas osé se le permettre.
2o Bien plus, par la circonstance que la fille est noble.

Qu’est-ce qui peut porter à une telle action ? la vanité. Le ridicule[2] viendra donc de la déroute de cette passion. Molière ayant choisi de nous la montrer tout à fait vaincue a évité beaucoup de positions comiques.

Les trois désavantages énoncés ci-dessus, donnent :

1o Combat de la vanité et de l’avarice.

2o La vanité de George Dandin désappointée par les mépris de sa nouvelle société, mépris qui seraient intolérables même à une vanité ordinaire, et George Dandin n’en a pas encore fait le sacrifice, il joue encore le digne et l’heureux auprès du bedeau et du notaire de son village, s’il reste riche paysan ; auprès d’un provincial et d’un marchand de la rue Saint-Denis, si on le fait monter au rang de financier.

Cette vanité, battue dans tous les sens, donne une foule de positions comiques.

George Dandin, dans les chasses, dans les dîners, dans les soirées de nobles, s’attend à des honneurs qu’il ne reçoit pas. Il a une altercation ridicule avec un valet qui l’annonce mal en estropiant son titre. Il a cette susceptibilité, cette inquiétude continuelle que Marmontel nous peint dans M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour, et que Mme la comtesse S[imonetta] me disait hier que T… avait, parce qu’il s’était élevé dans la bonne société, n’étant rien originairement.

Ainsi sauver de désappointement de vanité G. Dandin s’attendant à des honneurs qu’il ne reçoit point.

3o Troisième inconvénient d’un tel mariage :

A. Être plus cocu qu’à l’ordinaire, c’est-à-dire être cocufié d’une manière scandaleuse et telle qu’une fille votre égale, n’aurait pas osé se le permettre.

B. Être cocufié par la circonstance que la fille est noble.

Je n’ai qu’à me figurer Mme Petiet donnant sa fille à un homme qu’elle aurait méprisé.


Première situation :


Une Mme Petiet dévote sachant que sa fille cocufie son gendre et la soutenant malgré ses principes religieux, par fierté, comme si la bourgeoisie du mari ôtait le péché de l’adultère.


Deuxième situation :


La mère, femme de la cour avec les principes de la maréchale de Luxembourg (quand Boufflers parut à la cour), et portant sa fille qui est vertueuse et qui hésite à prendre un amant en lui demandant si elle a pris ses manières de penser là dans la noble famille de son mari, en se moquant de ses petits scrupules bourgeois.


Troisième situation :


Le père, vieux courtisan, portant sa fille à écouter l’amour d’un prince (on voit bien que j’écris toutes les situations dont j’ai l’idée, sans choisir).

En un mot le pauvre diable de mari étant attaqué par ses propres réserves, par ses secours naturels qui auraient été tels, s’il eût épousé une bourgeoise.

Il n’est pas besoin de dire que pour ces situations il eût fallu élever la condition de George Dandin. En faire par exemple un homme de finance, fermier général ayant hérité de 60.000 francs de rente de son père, ce qui permettrait de lui donner une âme sensible.

Ajouter à cela tout l’extérieur grossier de Louis XVI, jurant avec son état dans le monde.

Molière ne nous montre pas la vanité désappointée de G. Dandin. En commençant par le repentir, il se prive de cette excellente source de comique : Combat de la vanité et du chagrin d’être cocu.


Quatrième situation :


G. Dandin se voyant cocufier à un grand dîner avec des nobles, et par vanité, pour ne pas se faire plaisanter par eux, plaisantant lui-même, sur ce qui lui perce le cœur[3].


Cinquième situation :


Combat de la vanité et du chagrin d’être cocu. Dans un moment où la vanité a le dessus, Dandin a engagé sa femme à aller à une superbe partie de chasse à Saverne chez le Prince Louis (de Rohan, 1780). Là, il se voit faire cocu, et ce chagrin l’emporte sur la vanité.

Si c’est le prince lui-même qui lui fait cet honneur, il veut se plaindre, il s’avance fièrement vers lui, et, en approchant, le respect le saisit à la gorge (comme Sganarelle armé de pied en cap dans le Malade imaginaire, Grandmesnil), il ne peut plus que balbutier.

Sur quoi j’observe qu’il me semble que G. Dandin doit être allemand.

C’est chez cette nation que j’ai trouvé les caractères (collections des manières habituelles de chercher le bonheur) les plus approchants de ce que je viens de dire, chez cette nation née pour respecter, et où la noblesse a une si grande influence sur le bourgeois, même dans les signes extérieurs de la vie civile.

Me rappeler Brunswick, M. Empérius, etc., etc.


G. Dandin rougissant de ses parents :


Développement du premier désavantage, page 2.

Être ruiné par la famille noble.

C’est un ridicule triste à faire voir (cependant G. Dandin très riche, n’a dans ce moment que 150 louis de disponibles, on le force à donner toute cette somme, c’est-à-dire non pas 149 louis, mais les 150. « Et moi je resterai sans le sou », dit-il à sa belle-mère impérieuse).

Si George Dandin perd de grosses sommes, on le voit malheureux par la pauvreté, malheur qui est trop voisin de tous les spectateurs, même du prince, pour être une source de plaisir. C’est peut-être la chose la plus attristante au théâtre.

Tout au plus une scène ; combat de l’avarice et de la vanité.

Ou le porter en le flattant à boucher d’assez bons trous. Il s’aperçoit bientôt qu’on s’est fiché de lui as my friend in V. the sp. on game with Wakefield, et a deux chagrins :

Le premier d’avoir perdu 30.000 francs as my friend ;

Le deuxième qu’on s’est moqué de lui, sans qu’il lui reste la possibilité de se venger.

G. Dandin avare eût bien pris ses précautions.

Un avare ne fait pas un mariage comme celui-là avec une fille qui n’a que sa noblesse.

Il y a quelques nuances de ce G. Dandin agrandi dans le M. Recard de Collé (l’Amour d’autrefois et l’Amour actuel. Tome 2).

En un mot, Molière, pour des raisons à lui connues et que je ne puis discuter, nous montre :

1o Georges Dandin déjà repentant

2o Il le montre les trous bouchés et se prive ainsi d’une foule de situations comiques[4].


La Reconnaissance du comique.


Je ne dois pas entièrement me fier au sentiment présent, il faut un peu que cela soit science chez moi. Il faut porter un exemplaire des Femmes savantes aux Français et noter les endroits où l’on rit, me rappeler ensuite le résultat de ces observations. Il est reconnu que le comique glisse sur tout homme passionné. Il est trop occupé à la recherche du bonheur pour songer à se comparer au personnage ridicule que vous faites passer sous ses yeux. Je suis passionné, ou du moins fortement occupé en étudiant Molière. Donc je puis laisser passer sans rire des choses très comiques qui ont d’ailleurs cet autre inconvénient que je les sais par cœur. Jusqu’ici (page 11) je n’ai pas ri, je me suis seulement rappelé qu’on rit à cette plaisanterie :


Quelque petit savant qui veut venir au monde.


Il me semble que Collé, le fond de la Scène donné, aurait pu placer (dans cette Scène) cinq ou six plaisanteries du plus grand monde, qui auraient fait rire davantage. Cette idée est peut-être téméraire (Voir les notes sur les Femmes savantes, page 150)[5].

Comédies classiques, par la facilité avec laquelle, les commençants peuvent découvrir le nœud : l’École des femmes et la Mandragore.

Bannir le mot excellent de mon commentaire sur Molière et en général le plus possible les louanges vagues ; il n’y a rien de si bête que de dire directement, ou avec finesse, que Molière, Corneille, etc., sont de grands hommes. Mon commentaire est une collection de choses communes, mais vraies. Je les écris pour m’éviter la peine de les réinventer, ce que j’ai fait au moins deux ou trois fois.


ACTE PREMIER


Scène II

GEORGE DANDIN, LUBIN
LUBIN

Paix !

GEORGE DANDIN

Quoi donc ?


On rit de la figure de Dandin ; après deux pages, l’exposition est déjà faite, l’action a marché.


LUBIN

C’est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d’un certain monsieur qui lui fait les doux yeux et il ne faut pas que l’on sache cela. Entendez-vous ?


On rit de la bêtise de Lubin qui a des prétentions à la finesse, on rit du malheur de G. Dandin ; c’est singulier ; un autre malheur serait triste a voir, à apprendre au malheureux ; exemple : une banqueroute, la mort d’un ami, la perte d’une place, etc. Il faut qu’il y ait un ridicule particulier attaché au malheur d’être cocu, qui est un grand malheur, car il y a des Meinau (Misantropie et Repentir) dans le monde[6].

Pourquoi donc rit-on ? Ne serait-ce pas parce qu’un mari est un ennemi du public, qui retient un trésor qui devrait circuler. Ex[poser]ce malheur.


LUBIN

Le mari, à ce qu’ils disent, est un jaloux qui veut pas qu’on fasse l’amour à sa femme ; et il feroit le diable à quatre, si cela venoit à ses oreilles. Vous comprenez bien ?


Supériorité d’esprit de Lubin, qui en lui-même, se rend justice et s’efforce de se rendre intelligible à ce pauvre homme qu’il rencontre. Si G. Dandin n’emportait pas toute l’attention, on rirait davantage de ce sot de Lubin.


LUBIN

Voyez s’il y a là une grande fatigue, pour me payer si bien et ce qu’est, au prix de cela, une journée de travail, où je ne gagne que dix sous !


Trait de vérité qui fait un grand plaisir en donnant beaucoup de vraisemblance à la chose. Éloge indirect de la richesse. Un poète commun est le plus grand admirateur de la comédie. Il sent vingt fois plus de plaisir à lire ses pièces que le meilleur amateur.


GEORGE DANDIN

Mais quelle réponse a faite la maîtresse à ce monsieur le courtisan ?


On rit de la figure de Dandin.



Scène III

GEORGE DANDIN (seul).

Il me faut, de ce pas, aller faire mes plaintes au père et à la mère, et les rendre témoins, à telle fin que de raison, des sujets de chagrin et de ressentiments que leur fille me donne.

Mais les voici l’un et l’autre fort à propos.


Fin de la 1re phrase comique (terme de musique). Avant de sortir de Paris j’ai distingué dans le Tartuffe les phrases ou sujets d’attention qui renferment une moitié d’acte, un acte, etc.



Scène IV

MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, GEORGE DANDIN
MADAME DE SOTENVILLE

Mon Dieu ! notre gendre, que vous avez peu de civilité…


Peinture extrêmement forte, et[7] cependant point odieuse, de la gêne que donne une famille noble. On sent le ridicule de M. et Mme de Sotenville. On rit des impatiences retenues de G. Dandin ; est-ce que le spectateur se dit : « Je n’aurais pas eu la bêtise moi d’épouser une fille noble ? »


GEORGE DANDIN

J’enrage ! Comment ! ma femme n’est pas femme ?


Je ne comprends pas le grand comique que l’on trouve à ce trait.


GEORGE DANDIN

Oui, voilà qui est bien, mes enfants seront gentilshommes ; mais je serai cocu, moi, si l’on n’y met ordre.


Style frappant.



Scène V

MONSIEUR DE SOTENVILLE, CLITANDRE, GEORGE DANDIN
MONSIEUR DE SOTENVILLE

Mon nom est connu à la cour et j’eus l’honneur, dans ma jeunesse, de me signaler des premiers à l’arrière-ban de Nancy.


Cela était du bien bon comique pour les courtisans de Louis XIV. Outre l’avantage imaginaire que le rieur se donne sur celui dont il rit, il y avait ici avantage réel, et avantage reconnu et envié par celui qui aurait pu l’attaquer (voir la noblesse de province). Différence de rang dans l’aristocratie très réelle, quoique non officiellement marquée.


MONSIEUR DE SOTENVILLE (montrant G. Dandin).

… et pour l’homme que vous voyez, qui a l’honneur d’être mon gendre.


Ridicule des nobles de province qui ne savent pas qu’on ne montre en France la supériorité que par l’excès de la politesse. Voici le texte de la loi :

« La politesse marque l’homme de naissance ; les plus grands sont les plus polis… Cette politesse est le premier signe de la hauteur… la politesse prouve une éducation soignée et qu’on a vécu dans un monde choisi. (Duclos, Procès-verbal des mœurs françaises, 1750, ou Considérations, 31.)


CLITANDRE

Me croyez-vous capable, monsieur, d’une action aussi lâche que celle-là ? Moi, aimer une jeune et belle personne qui a l’honneur d’être la fille de M. le baron de Sotenville !


Jeune et belle, bonne plaisanterie faite en parlant à l’homme même qu’on tourne en ridicule.


MONSIEUR DE SOTENVILLE (à G. Dandin).

Soutenez donc la chose.

GEORGE DANDIN

Elle est toute soutenue. Cela est vrai.


Peinture du paysan qui ignore l’honneur et qui ne sent pas son ignorance, parce que la raison ne le conduit pas à cette connaissance. Car il ne faut pas se dissimuler que l’honneur est une chose apprise, qui ne dérive point directement de la nature, et que Cicéron et Brutus qui n’étaient pas des George Dandin auraient peut-être eu bien de la peine à comprendre.



Scène VI

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, ANGÉLIQUE, CLITANDRE, GEORGE DANDIN, CLAUDINE
ANGÉLIQUE

Essayez un peu, par plaisir, à m’envoyer des ambassades, à m’écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon mari n’y sera pas, ou le temps que je sortirai, pour me parler de votre amour ; vous n’avez qu’à y venir, je vous promets que vous serez reçu comme il faut.


Piquant d’un commentaire à double entente, mais le piège est si grossier, qu’il n’aurait plus convenu, pour peu que l’auteur eut élevé l’esprit des trois autres.


GEORGE DANDIN

Taisez-vous, vous dis-je ; vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres ; et vous n’avez pas de père gentilhomme.


Trait d’esprit (mais déraisonnable) qui illumine la situation.



Scène VIII

MONSIEUR DE SOTENVILLE, CLITANDRE GEORGE DANDIN
MONSIEUR DE SOTENVILLE

Allons, vous dis-je, il n’y a rien à balancer ; et vous n’avez que faire d’avoir peur d’en trop faire, puisque c’est moi qui vous conduis.

GEORGE DANDIN

Je ne saurais…


G. Dandin, qui ignore l’honneur, trouve ce qu’on lui fait faire, bien plus absurde que nous.


MONSIEUR DE SOTENVILLE

Que je suis votre serviteur.

GEORGE DANDIN

Voulez-vous que je sois serviteur d’un homme qui me veut faire cocu ?


Scène qui a cette excellence d’offrir le comble de l’absurdité morale avec la plus grande vérité des caractères. C’est les battus payant l’amende.


MONSIEUR DE SOTENVILLE

Sachez que vous êtes entré dans une famille qui vous donnera de l’appui, et ne souffrira point que l’on vous fasse aucun affront.


Voilà de quoi faire devenir fou G. Dandin, ou bien il doit croire que son beau-père le mystifie.



Scène IX

GEORGE DANDIN (seul).

Allons, il s’agit seulement de désabuser le père et la mère ; et je pourrai trouver peut-être quelque moyen d’y réussir.


Cette dernière phrase montre la corde. C’est le poète qui parle et qui met une liaison pour l’acte suivant. La phrase précédente nous montre toujours G. Dandin contrit et humilié et prêt à tout souffrir. Il serait ridicule de dire à un auteur : Pourquoi n’avez-vous pas fait mon ouvrage au lieu du vôtre ? Mais je ne puis pas m’empêcher de dire que Molière en ôtant toute élasticité, toute espérance à ce pauvre Dandin, se prive d’une foule de situations comiques et diminue le comique de celles qu’il présentera par la suite, en nous ôtant cette question que nous nous ferions : « Que va faire G. Dandin après cela ? » Un homme qui verrait aussi nettement sa position, qui se dirait si souvent : Vous l’avez voulu G. Dandin et qui aurait la dose de bon sens naturel de ce personnage, quitterait sa femme, s’absenterait en prenant soin qu’elle ne pût toucher aucun revenu. Il la prendrait par famine, ainsi que sa fière famille.


ACTE II


Scène première

CLAUDINE, LUBIN
LUBIN

Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les toucher, et nous ne les épargnons point.


Morale de la pièce. À quoi bon la morale ?


CLAUDINE

Eh ! que nenni ! j’y ai déjà été attrapée. Adieu. Va-t’en, et dis à M. le vicomte que l’aurai soin de rendre son billet.


Frise un peu le style de pamphlet, c’est-à-dire que quoique cela soit plaisant, c’est une maladresse au personnage de le dire.



Scène III

CLITANDRE, GEORGE DANDIN, ANGÉLIQUE
GEORGE DANDIN (sans voir Clitandre).

Mon Dieu ! laissez là votre révérence ; ce n’est pas de ces sortes de respects dont je vous parle, et vous n’avez que faire de vous moquer.


L’attention redouble en voyant Clitandre attaquer dans le moment le plus difficile. Jeu de scène piquant pour faire avaler.


GEORGE DANDIN

Je vous dis, encore une fois, que le mariage est une chaîne à laquelle on doit porter toute sorte de respect ; et que c’est fort mal fait à vous d’en user comme vous faites. (Angélique fait signe de la tête à Clitandre.) Oui, oui, mal fait à vous.


On voit Dandin à la fois trompé et mécontent. On doit rire de son erreur.


GEORGE DANDIN

Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d’une race où il n’y a point de reproche ; et la famille des Dandins…


Avis à ceux qui parlent d’eux et encore avec des tournures imposantes, la famille des Dandins. G. Dandin, par bêtise, se fait une plaisanterie à lui-même, on rit. Comme « il venait me trouver dans mon lit », « qui aurait dit que Mme [George Dandin] vint trouver un jeune homme dans son lit ! » On rit.



Scène IV

GEORGE DANDIN, ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE

Oh ! les Dandins s’y accoutumeront s’ils veulent.


Ridicule très bien relevé par Angélique.



Scène VII

GEORGE DANDIN, LUBIN
LUBIN

Si vous n’aviez pas babillé, je vous aurais conté ce qui se passe à cette heure ;…


On rit de la mine de Dandin.


LUBIN

Rien, rien. Voilà ce que c’est d’avoir causé ; vous n’en tâterez plus et je vous laisse sur la bonne bouche.


Sottise de Lubin qui se croit bien fin, et dont on rirait si ce rôle était bien joué.



Scène VIII

GEORGE DANDIN (seul).

Si je rentre chez moi, je ferai évader le drôle ; et, quelque chose que je puisse voir moi-même de mon déshonneur, je n’en serai point cru à mon serment, et l’on me dira que je rêve. Si, d’autre part, je vais quérir beau-père et belle-mère,…


Manque de tactique chez Dandin qui sans rien dire devait faire signe à M. de Sotenville et le faire regarder par le trou de la serrure. Faute de tactique de ce pauvre mari dont le Général ennemi profite sur le champ.



Scène X

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE ; MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, (avec) GEORGE DANDIN (dans le fond)
ANGÉLIQUE

Mais une honnête femme n’aime point les éclats, je n’ai garde de lui en rien dire (après avoir fait signe à Claudine d’apporter un bâton), et je veux vous montrer que toute femme que je suis, j’ai assez de courage pour me venger moi-même des offenses que l’on me fait.


Mot prouvant l’existence de l’honneur dans l’esprit d’Angélique.



Scène XIII

GEORGE DANDIN (seul).

J’aurai du dessous avec elle.


Indécence aux yeux de la canaille qui rit toujours à ce mot ; mais elle rit, et pour elle ce morceau est plus chaud que pour moi.


Ô ciel ! seconde mes desseins, et m’accorde la grâce de faire voir aux gens que l’on me déshonore.


La dernière phrase n’est qu’une liaison : d’ailleurs faire voir aux gens au lieu de convaincre mon beau-père approche un peu du style du pamphlet. J’ai d’abord trouvé le commencement de ce monologue un peu froid. J’ai pensé ensuite qu’il peint bien le génie de G. Dandin qui est raisonnable, mais un peu lourd, un peu paysan.


ACTE III


Scène première

CLITANDRE, LUBIN
LUBIN

… Pourquoi il ne fait jour la nuit.

CLITANDRE

C’est une grande question, et qui est difficile. Tu es curieux, Lubin.


Peint bien l’homme d’esprit, qui ne met point aux choses un sérieux bête, qui s’amuse de tout, qui est plein de sang-froid, qui ne traite point une galanterie du style d’une passion. Peint le courtisan.


LUBIN

Oui ; si j’avois étudié, j’aurois été songer à des choses où on a jamais songé.


Peint la suffisance sotte de Lubin.


LUBIN

Par ma foi, c’est une jeune fille qui vaut de l’argent et je l’aime de tout mon cœur.

CLITANDRE

Aussi t’ai-je amené avec mol pour l’entretenir.


Peint plus particulièrement le courtisan.



Scène II

ANGÉLIQUE, CLAUDINE, CLITANDRE, LUBIN

Les acteurs se cherchent les uns les autres dans l’obscurité.


Le style du temps de Molière était lourd, trop expliqué. On voit que les intelligences sont devenues plus vives par 150 ans d’exercice.



Scène III

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE (assis au fond) ; GEORGE DANDIN (à moitié déshabillé) ; LUBIN
LUBIN (cherchant Claudine, prenant G. Dandin pour Claudine).

Ah ! que cela est doux ! il me semble que je mange des confitures.


Tout ce long morceau est motivé par la suffisance de Lubin, qui par vanité cherche à être plaisant.


GEORGE DANDIN

Qui va là ?

LUBIN

Personne.


C’est dans ces détails qui seraient morts qu’il est permis à l’auteur d’avoir de l’esprit, aux dépens de la vraisemblance.



Scène IV

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE, LUBIN (assis au fond) ; GEORGE DANDIN, COLIN
GEORGE DANDIN

Où est-ce que tu es ? Approche, que je te donne mille coups. Je pense qu’il me fuit.


La première partie de la phrase est un peu pamphlet, mais la seconde est bien gaie.



Scène V

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE, LUBIN, GEORGE DANDIN
ANGÉLIQUE

Serez-vous aussi foible pour avoir cette inquiétude, et pensez-vous qu’on soit capable d’aimer certains maris qu’il y a ?


Angélique, femme d’esprit et de caractère. Un plat moderne n’eût pas manqué de faire faire son portrait brillanté par la soubrette. Molière, à son ordinaire, fait conclure de ce qu’on voit. Ce serez-vous au lieu de seriez-vous montre une résolution plaisante. Il fait voir à Clitandre la victoire sûre. Il est peut-être contre l’esprit d’Angélique, de dire cela ; mais elle est dans un de ces moments trop rares pour les mauvais poètes, où l’homme se trahit.


CLITANDRE

Et, que c’est une étrange chose que l’assemblage qu’on a fait d’une personne comme vous avec un homme comme lui !

GEORGE DANDIN (à part).

Pauvres maris ! voilà comme on vous traite.


La couleur générale du rôle de Dandin est de s’entendre tourner en ridicule, on lui fait mâcher le ridicule à ce pauvre diable. Mais j’en reviens toujours là : il n’est pas assez élastique.



Scène VI

ANGÉLIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE, LUBIN
CLAUDINE

Madame, si vous avez à dire du mal de votre mari, dépêchez vite, car il est tard.


Comme cela est plus joli que Madame, il se fait tard.

Esprit proprement dit.



Scène VIII

ANGÉLIQUE, CLAUDINE, GEORGE DANDIN
ANGÉLIQUE

Mais enfin ce sont des actions que vous devez pardonnez à mon âge, des emportements de jeune personne qui n’a encore rien vu et ne fait que d’entrer au monde.


Style : au au lieu de dans le, différences du style ancien au style moderne qui nuisent beaucoup et sont faciles à corriger. Il est absolument nécessaire de le faire. Aujourd’hui, au lieu de tourner cette excuse en maxime et d’employer la tournure au, on mettrait le je et on la tournerait en sentiment. Elle est mal écrite.


ANGÉLIQUE

Mon cœur se portera jusqu’aux extrêmes résolutions ; et, de ce couteau que voici, je me tuerai sur la place.

GEORGE DANDIN

Ah ! ah ! À la bonne heure…


Un homme du monde aurait eu la générosité de se rendre aux prières d’Angélique, ou n’eût été nullement effrayé du suicide qui la délivre.


GEORGE DANDIN
Ouais ! seroit-elle bien si malicieuse que de s’être tuée pour me faire pendre ? Prenons un bout de chandelle pour aller voir.


Il manque ici la grosse pierre jetée dans le puits comme dans Giamina el Bernardone. Cela vaut mieux en ce que le bruit de la chute fait preuve, tandis que la nuit G. Dandin ne peut voir le coup de poignard.



Scène XII

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, COLIN, ANGÉLIQUE, CLAUDINE, GEORGE DANDIN
CLAUDINE

Il a tant bu, que je ne pense pas qu’on puisse durer contre lui.


Style. Mettre : rester un moment auprès de lui.


MONSIEUR DE SOTENVILLE

Retirez-vous : vous puez le vin à pleine bouche.


C’est comme un beau final de Cimarosa, tout se réunit pour redoubler le comique.



Scène XIII

GEORGE DANDIN

Ah ! George Dandin !


Cette exclamation serait admirable si elle était la première. Ici George Dandin a raison de se soumettre, les apparences sont terribles contre lui.



Scène XIV

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, ANGÉLIQUE, GEORGE DANDIN, CLAUDINE, COLIN
ANGÉLIQUE

C’est à moi de vous obéir.

MONSIEUR DE SOTENVILLE

Pauvre mouton !


Cette basse continue de Claudine redouble le rire.

(Je pensais un peu à autre chose en faisant ce commentaire, c’est pourquoi il n’y a point ici de réflexions générales. J’ai cependant fort bien fait de travailler et my happiness eût été parfaite ce voyage, si je me fusse avisé le 15 septembre, que bonheur sans travail est impossible. Je ne suis pas comme Archimède.)

  1. Ces notes, écrites à Milan du 6 au 8 novembre 1813, se trouvent aux tomes 10 et 18 de R. 5896 des manuscrits de Grenoble, et dans le Molière de Chantilly.

    On trouve encore sur un feuillet de R. 302, cette réflexion :

    « Il me semble que George Dandin est la pièce la plus propre possible à guérir de la manie des alliances. Jean-Jacques la blâme de ce qu’elle nous fait applaudir le vice dans Angélique et rire d’un sot qui est un bon homme cependant. »

    N. D. L. É.

  2. Il y a une petite différence entre les désavantages et les ridicules. Par exemple le 1er désavantage noté ci-dessus. « Être ruiné par une famille noble et pauvre à laquelle on s’allie » n’offre pas dans l’énoncé le moyen de faire rire. Il faut y ajouter : « Combat de la vanité et de l’avarice », qui sont ici les deux passions naturelles. Pourquoi a-t-on l’idée singulière d’épouser une fille noble ? Par vanité.

    Le premier travail : énoncer les désavantages, est celui du philosophe. Le deuxième : trouver le moyen de les exposer d’une manière claire et qui fasse rire, celui du comiqueur.

    (Cette petite réflexion avec son appareil d’ordre est assez commune et assez plate.)

  3. Si je n’eusse travaillé la plume à la main, je n’eusse rien trouvé de tout cela. L’attention que je donne à me souvenir m’empêche de considérer les circonstances avec assez de force, et d’inventer par conséquent. Je ne vais jamais plus loin, en travaillant sans plume, que la première idée, que le premier chaînon.
  4. Vie convenable, in Lutezia for a Mocenigo the morning, travailler ; the evening, after dinner, à observer.
  5. Tout ce passage en effet se retrouve pages 13 et 14 dans l’étude sur les Femmes savantes. N. D. L. É.
  6. Du cocuage. Pourquoi ce malheur qui en est un très réel (voyez Meinau, Misanthropie et Repentir) fait-il rire quand nous voyons qu’un homme acquiert de grandes probabilités qu’il va l’être ? Comme G. Dandin, dans sa conversation avec Lucas (acte 1er) sommes-nous assez philosophes pour sentir que si quelque chose est fait pour tuer l’amour, c’est le mariage ? Est-ce par haine contre les maris qui retiennent un effet qui doit circuler et s’opposent seuls au bonheur de tous ? Le fait est que nous ne sympathisons jamais avec le cocu.

    Est-ce que ce malheur n’a rien d’odieux parce qu’on sent qu’au fond, ce n’est pas un grand malheur ? Ou sent-on qu’on y gagne rien de bon à gêner les femmes et que celà les fait songer à mal ? Ou enfin ne sympathisons-nous pas, par l’habitude de voir ce malheur ridiculisé ? Un allemand, M. Empérius, est très capable de sympathiser à ce malheur.

    Ce malheur jette par terre la vanité d’un homme qui avait une prétention à notre égard : celle que nous n’aurions pas sa femme. L’homme qui craint passionnément d’être cocu n’a qu’à perdre dans le monde.

  7. Principe. Que les peintures soient très fortes, sans toutefois être odieuses ; défaut de la force, tomber dans l’odieux ou l’extravagant.