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Noëls anciens de la Nouvelle-France/I

La bibliothèque libre.
Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 15-18).
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I.


Si je consulte le Journal des Jésuites, à la date du 25 décembre 1645[1], je lis ce qui suit :

« Le premier coup de la messe de minuit sonna à onze heures, le deuxième un peu avant la demie, et pour lors on commença à chanter deux airs : — Venez, mon Dieu, etc, et Chantons Noé, etc. Monsieur de la Ferté[2] faisait la basse, Saint-Martin[3] jouait du violon. Il y avait encore une flûte d’Allemagne qui ne se trouva pas d’accord quand se vint à l’Église. Nous eûmes fait un peu devant minuit ; on ne laissa pas de chanter le Te Deum, et un peu après on tira un coup de canon pour signal de minuit, où commença la messe. »

J’avoue humblement qu’il m’a été jusqu’à présent impossible de retrouver le premier de ces deux airs, — Venez, mon Dieu., — mentionné dans cet extrait. D’autres vaillants archéologues plus heureux que moi, c’est-à-dire mieux fournis de livres, y parviendront sans doute. Quant au second, Chantons Noé, on me l’a signalé dans un Recueil de Cantiques à l’usage du Diocèse de Belley. Le voici :


Chantons tous à la naissance
Du Rédempteur incarné :
Noé, Noé, Noé, Noé ![4]
Puisque c’est notre croyance,
Entonnons-Lui : Kyrie.


Tout te chœur reprend et continue le chant du Kyrie eleison.


Adorons dans cette crèche
Sa profonde humilité.
Noé, Noé, Noé, Noé !
C’est de là qu’Il nous la prêche ;
Redisons-lui : Kyrie.

En implorant sa clémence,
Demandons à sa bonté,
Noé, Noé, Noé, Noé !
Qu’Il nous donne la constance
D’achever le Kyrie.

Et pour conserver l’usage
Dans l’Église respecté,
Noé, Noé, Noé, Noé !
Poursuivons d’un grand courage
En disant aussi : Christe.

Il vient pour mettre en sa gloire
Ceux qui l’auront mérité.
Noé, Noé, Noé, Noé !
Ayons bien dans la mémoire
De chanter toujours : Christe.


Saluons aussi la Mère
Qui dans son sein l’a porté :
Noé, Noé, Noé, Noé !
Prions-la d’un cœur sincère
De dire pour nous : Christe.

Il est né dans une étable,
Pauvre, faible, et tout glacé.
Noé, Noé, Noé, Noé !
Il aura pour agréable
Qu’on répète : Kyrie.

Tâchons que cette naissance
Nous mène à la sainteté.
Noé, Noé, Noé, Noé !
Pour en avoir l’assurance,
Disons souvent : Kyrie.

Tous les saints se réjouissent,
Le ciel même a répété :
Noé, Noé, Noé, Noé !
Qu’à l’envi nos voix unissent
Au Gloria : Kyrie.[5].


Tel fut le noël que l’on chanta à Québec, à la messe de minuit, le 25 décembre 1645, célébrée dans la maison de la Compagnie des Cent Associés, l’église paroissiale — Notre-Dame de Recouvrance — ayant été incendiée cinq ans auparavant, le 14 juin 1640. Ce cantique aura donc deux cent cinquante-quatre ans à la Noël prochaine, 1899. Un bel âge, n’est-ce pas ? C’est le doyen vénérable, l’aïeul, le grand ancêtre des Noëls Anciens de La Nouvelle-France — des noëls identifiés, bien entendu.


______
  1. C’est en 1645 que fut commencé, par le Père Jérôme Lalemant, le Journal des Jésuites. Conséquemment, il parle, pour la première fois, de la célébration du jour de Noël dans la colonie.
  2. Jean Juchereau, sieur de la Ferté, marié à Marie-Françoise Giffard, fille du seigneur de Beauport.
  3. Martin Boutet, sieur de Saint-Martin, clerc de l’église paroissiale de Québec, arpenteur et professeur de mathématiques.
  4. Noei, Noë, Noe, pour Noël ! — Au seizième siècle on disait encore Nau pour Noël, comme le prouve le refrain du Noël de Rabelais, l’un des plus vieux noëls connus. En voici le premier couplet :

    Au saint Nau
    Chanterai sans point m’y feindre ;
    Je n’en daignerais rien craindre.
    Car le jour est fériau
    Nau, Nau, Nau,
    Car le jour est fériau.

  5. Cf : Cantiques à l’usage du Diocèse de Belley, 3ième partie, 3ième noël, air N° 10, page 72 — Lyon — J. B. Pélagaud et Cie, 1848.

    Ce cantique se chante, ou plutôt se chantait encore en 1848, à la messe de minuit, par tout le diocèse de Belley. L’éditeur du recueil prend même le soin d’indiquer que le Kyrie Eleison, chanté comme refrain, est celui de la Messe Royale d’Henri Dumont, célèbre musicien-compositeur du dix-septième siècle.

    Ce vieil usage de chanter un air de plain-chant comme refrain de cantiques et de noëls me rappelle un amusant anachronisme du fameux peintre italien Domenico Currado del Ghirlandajo. À Florence, à l’Hôpital des Enfants Trouvés (Spedale degli Innocenti), dans l’église, le tableau du maître-autel représente l’Adoration des Mages. Sur le toit de l’étable on voit des anges déroulant une banderole sur laquelle on lit : Gloria in excelsis Deo écrit… sous une portée de plain-chant ! Les anges chantant le Gloria in excelsis en plain-chant à la naissance de Notre-Seigneur, voilà qui s’appelle une primeur. La belle réclame pour saint Grégoire-le-Grand !