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Noëls anciens de la Nouvelle-France/IX

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Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 63-76).
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IX.


Après Jean de Brébeuf, Martial de Brives, Surin, Joseph de La Colombière, Pellegrin apparaît sur l’affiche. Je voudrais l’y fixer en lettres d’or, rutilantes dans une belle lumière de soleil, car ce nom-là est bien celui du Père des Noëls anciens de la Nouvelle-France.

Simon-Joseph Pellegrin, littérateur français, naquit à Marseilles en 1663. Il entra fort jeune dans l’ordre des religieux servites. En 1703, il envoya au concours de l’Académie française une épitre et une ode où il célébrait le glorieux succès des armes de Sa Majesté ; on accorda le prix à la première de ces pièces qui avait quelque temps balancé les suffrages avec la seconde. Cette singularité ayant causé du bruit, Madame de Maintenon voulut connaître cet auteur, heureux rival de lui-même, et lui accorda, sur sa demande, un bref de translation dans l’ordre de Cluny ; puis il fut sécularisé. Fixé désormais à Paris et libre de s’abandonner à son goût pour les lettres, l’abbé Pellegrin, qui n’avait point de fortune, imagina, pour subsister, d’ouvrir chez lui une boutique de madrigaux, de compliments, et d’épigrammes pour toutes sortes d’occasions. Il les vendait plus ou moins cher, selon les gens, et aussi, suivant le nombre de vers et leur différente mesure. À cette ressource précaire il en ajouta une autre : celle de travailler pour les théâtres alors établis à Paris et, en particulier, pour celui de l’Opéra-Comique. Ce qui fit dire plaisamment au poète Rémi :


Le matin catholique et le soir idolâtre,
Il dînait de l’autel et soupait du théâtre.


L’archevêque de Paris l’ayant mis en demeure de choisir entre la messe et l’opéra, l’abbé Pellegrin opta pour ce dernier et fut interdit. Sans vouloir excuser, en cette circonstance grave, la conduite de Pellegrin, il convient, en toute justice, de rappeler qu’il embrassa l’état religieux très jeune, contre son gré, pour obéir à son père ; ce qui explique ce naufrage moral, conséquence inévitable de toutes les vocations forcées. Ses protecteurs le sortirent d’embarras en lui procurant une pension sur le Mercure où il rédigea la partie des spectacles. Ce qu’il retirait de ses travaux il le donnait à sa famille qui vivait dans la gêne, et il se refusait souvent à lui-même le plus nécessaire. Deux choses contribuèrent au discrédit dans lequel il tomba : son extérieur négligé, et sa difficulté à s’exprimer. Il affichait parfois une sorte de vanité naïve qui lui valut d’amères sarcasmes et le fit cribler de traits satiriques. On raconte, entre autres anecdotes, qu’après la première représentation de Mérope, un bel esprit, nommé Dumont, entra au café Procope en s’écriant : « En vérité, Voltaire est le roi des poètes ! » — « Eh ! que suis-je donc, moi ? » demanda Pellegrin d’un air piqué. — « Vous en êtes le doyen ! » répliqua Dumont.

Si la vanité de Pellegrin était excessive, sa probité littéraire était absolue. Il s’indignait quand on lui attribuait la paternité de poésies, remarquables d’ailleurs, mais dont il n’était pas l’auteur. Sur ce point-là le poète-abbé se montrait d’une susceptibilité extrême et il protestait hautement. Si fort même que l’on est tenté de confondre l’indignation de cet honnête écrivain avec la fausse modestie d’un orgueilleux. C’était peut-être aussi un habile moyen de se faire une réclame.

Pellegrin fut un auteur fécond ; il composa des tragédies, des opéras, des vaudevilles, des Poésies chrétiennes, des Noëls nouveaux, qui ont eu plusieurs éditions, des recueils où il ajusta sur des airs d’opéras et de vaudevilles l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament, les Psaumes, les Dogmes de la religion, les Proverbes de Salomon, l’Imitation de Jésus-Christ, etc. Il mourut à Paris, le 5 septembre 1745, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Je n’ai à m’occuper ici que d’une seule œuvre de Pellegrin : les Noëls nouveaux (nouveaux en 1701). Contenus dans six recueils[1] ils atteignent au nombre menaçant de 176 ! Horribile dictu !

Que mes lecteurs ne s’effraient point toutefois. Je ne suis pas en train de critiquer cette grosse de cantiques où la treizième douzaine est donnée par surcroît, avec une générosité de boulanger en liesse. Nos ancêtres canadiens-français chantèrent tous ces noëls et bien d’autres encore ; l’événement en est sûr ; encore la certitude la plus absolue ne constituerait pas une raison de les rééditer en bloc. Pour vingt très beaux cantiques que nous allons étudier, il en est cent autres d’une telle indigence que leur pauvreté réclame, comme une aumône urgente, les ténèbres et le silence d’un oubli éternel. Il se présente, en effet, pour dix-huit de ces compositions religieuses, un travail de comparaison du plus vif intérêt pour qui le veut poursuivre au triple point de vue historique, musical et littéraire. Cette étude m’a séduit, et je ne crois pas être présomptueux en soutenant qu’elle aura quelque attrait pour les curieux et les artistes.

Le titre du livre Pellegrin se lit comme suit : « Poésies Chrétiennes contenant Noëls Nouveaux, chansons et cantiques spirituels, composés sur les plus beaux chants de l’Église, des Noëls Anciens, des airs d’Opéras et de Vaudevilles choisis — notés pour en faciliter le chant ; — seconde édition, revue, corrigée et augmentée. À Paris, chez Nicolas Leclerc, rue S. Jacques, proche S. Yves, à l’image de S. Lambert. 1706. »[2].

Les airs des Noëls Anciens, notés à part, sont au nombre de dix-huit. Pellegrin écrivit sur leur musique 93 de ses Noëls Nouveaux. Ces Noëls Anciens étaient déjà deux fois centenaires au temps de Pellegrin. Ils datent indéniablement de la fin du quinzième et du commencement du seizième siècle. La simple lecture du vers initial de chacun d’eux suffirait à en convaincre le lecteur.

1. — À la venue de Noël
1. — Chacun se doibt bien réjouir.

2. — À minuit fut faict ung réveil
2. — Jamais n’en fut ouy ung pareil.

3. — Chantons, je vous prie,
3. — Noël haultement.

4. — Chrétiens qui suivez l’Église
4. — Bien apprise.

5. — Grâces soient rendues
5. — Au Dieu de là sus (là-haut).

6. — Je me suis levé par un matinet
6. — Que l’aube prenait son blanc mantelet.

7. — Joseph est bien marié
7. — À la Fille de Jessé.

8. — Laissez paître vos bêtes,
8. — Pastoureaux, par monts et par vaux.

9. — Tous les Bourgeois de Châtres[3]
9. — Et ceux de Montlhéry.


10. — Noël, pour l’amour de Marie,
10. — Nous chanterons joyeusement.

11. — Nous sommes en voye
11. — Tous qui sommes ici.

12. — Or, nous dites, Marie,
12. — Où étiez-vous alors ?

13. — Où s’en vont ces guays bergers,
13. — Ensemble coste à coste ?

14. — Saints prophètes, saints prophètes,
14. — Le deuil nous est défendu.

15. — En jour le Sauveur du monde.
15. — Œillettant (regardant) la terre et l’onde.

16. — Une jeune pucelle
16. — De noble cœur.

17. — Voici le jour solennel
17. — VoicDe Noël,
17. — Il faut que chacun s’apprête, etc.

18. — Vous qui désirez sans fin
18. — VouOuïr chanter
18. — Que notre Dieu est enclin, etc.


Les plus anciens noëls que l’on connaisse en France datent du onzième siècle. Ils n’ont jamais été publiés et il faudrait, nous disent les connaisseurs, un long travail de recherches pour arriver à les lire à la Bibliothèque Nationale de Paris où ils sont déposés. Ils semblent écrits dans une langue transitoire entre le roman et le plus ancien français, il est possible aussi qu’il s’y mêle les éléments d’un patois ou d’un jargon absolument disparu.

Toutes les provinces de France ont des noëls composés dans leur idiome. Il y en a de fort beaux, notamment en langue provençale. C’est en Bretagne surtout qu’il faut aller chercher les noëls les plus pittoresques et les plus émus, ceux-là qui n’ont pas d’autre objet que de chanter dignement la naissance du Rédempteur. L’habitude de chanter des noëls remonte à un passé très ancien. Déjà, au quatorzième siècle, on en faisait des recueils. Ils ne se distinguaient des autres chansons religieuses que par leur pieuse et touchante naïveté, au point de pouvoir passer pour de véritables cantiques. Le seizième siècle fut le plus riche en noëls français et patois ; c’est à lui que se rattachent les noëls que nous allons étudier.

Mais il est quelque chose de plus vieux, de plus centenaire, de plus immémorial encore que les noëls anciens du seizième siècle : leur musique !

Et, à ce propos, lisons ensemble une page délicieuse de M. Benjamin Sulte, écrite à la date du 25 décembre 1891. C’est, indéniablement, la meilleure de ses Causeries littéraires, parues au Monde Illustré, de Montréal, qui le compte avec orgueil pour le plus remarquable et le plus assidu de ses collaborateurs.

« À mesure que les années m’éloignent du temps de mon enfance je ressens une impression plus vive chaque fois que les vieux airs de Noël sont ramenés à mon oreille. La musique en est toute simple, les paroles des vers souvent naïves au possible, mais le naturel qui y règne rend poétiques ces morceaux mal dégrossis.

« Avoir entendu cela étant jeune et le retrouver longtemps après, rien de plus étrangement fascinateur.

« Je ne me ferai pas comprendre peut-être de ceux qui ont atteint la cinquantaine et qui, depuis quarante-trois ans, écoutent ces airs-là tous les douze mois. Nous n’avons pas tous eu l’avantage de demeurer chez nous toute notre vie. Pourquoi donc écrirais-je si je ne disais pas mes impressions ? Des milliers de lecteurs voient ces lignes avec plaisir et se disent : « il pense comme nous. »

« Mais sans doute je pense comme vous, parce que je suis exilé moi aussi. Ce que vous éprouvez ne m’est pas étranger. Il y a une moitié du peuple canadien-français qui n’habite plus la province de Québec et qui, nécessairement, a laissé en arrière bien des souvenirs. Les chants de Noël sont de ce nombre ; ils nous portent au cœur ; ils nous disent des choses qu’ils ne disaient pas autrefois.

Ah ! comme les vieux airs qu’on chantait à douze ans
Frappent droit dans le cœur aux heures de souffrance,
Comme on se sent ému, comme on se sent loin d’eux !

« Bien que la musique des cantiques de Noël semble plaire médiocrement à l’école moderne, elle attire les penseurs, parce qu’elle renferme en elle-même la marque d’une très ancienne facture. Ancienne assurément. Ces « notes » étaient déjà regardées comme d’un grand âge lorsque les Pères jésuites les faisaient chanter à Québec, il y a deux cent cinquante ans. Leur grâce facile, simple et inimitable s’était fait sentir à bord des navires qui avaient amené au Canada ses premiers explorateurs, puis ses premiers colons, car c’est de France que sont venues, avec nos pères, les strophes dont nos églises retentissent encore aujourd’hui. Et qui sait où nos ancêtres étaient allés les prendre ?

« À n’en pas douter c’est une musique du Moyen-Age. Direz-vous que, par un tour de passe-passe, nous avons ainsi conservé un reflet de la Grèce ou de l’Italie païennes ? Pour répondre, il faudrait expliquer ce que sont devenues les compositions des maîtres de l’Antiquité. Nous sommes dans le vague à cet égard. Affirmerez-vous que Ça, bergers, assemblons-nous a été joué sur la flûte, au théâtre d’Athènes, du temps de Périclès ? La preuve en est difficile à faire, mais la naïveté de cette musique est certainement des plus anciens jours des peuples civilisés.[4]

« Nous descendons des vieux Gaulois et des preux de la Germanie ; eh bien ! ces messieurs nos ancêtres ne se gênaient aucunement de piller les nations ; alors pourquoi n’auraient-ils pas enlevé la musique de ces gâteux de Latins, par exemple, qui ne savaient plus comment figurer nulle part ? Nos ancêtres parcouraient le monde pour entretenir la circulation du sang, et, lorsqu’ils apercevaient quelque chose de beau et de bon qui avait été laissé à la traîne, ils l’emportaient, en gens soigneux ! C’est ainsi qu’ils ont tiré de Rome, et d’ailleurs, une quantité d’objets utiles qui nous servent encore aujourd’hui, notamment un fonds de mots qui a constitué la langue française. Ils ont dû voler également la musique des peuples du midi qu’ils avaient, non pas domptés, comme ils s’en vantaient, mais subjugués en passant.

« Je les aime, ces airs tout ainsi ; je les trouve autrement pieux que nos compositions récentes ; ils ont la foi ardente des âges primitifs. Il me semble les entendre à travers les siècles qu’ils ont traversés ; et, en effet, ne sont-ils pas un écho de la voix de nos ancêtres ? Nous les chantons comme on les chantait jadis. Et, qui sait, dans une autre existence, peut-être les avons-nous chantés nous-mêmes, dirait Pythagore.

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Webre,
Un air ancien, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

« Ce sentiment de Gérard de Nerval, je l’ai éprouvé quelquefois d’une manière intense. Cette musique d’ancienneté dont on amusait ma première jeunesse et que j’avais oubliée, reparaissant tout à coup, de longues années plus tard, me bouleversait. Cela pénètre, envahit le cœur, réveille des souvenirs, nous jette dans des réminiscences sans fin. »

Bravo ! monsieur Benjamin Suite, bravissimo ! Je voudrais même lui crier avec la foule dont il traduit merveilleusement l’émotion : Encore ! encore ! comme au théâtre.

Je n’affirmerais pas cependant que


Ça, bergers, assemblons-nous


ait été joué sur la flûte, à Athènes, du temps de Périclès[5], pas plus que je ne voudrais répondre à l’insidieuse question de sir Thomas Browne : Quelles chansons chantaient les Sirènes ? Mais, par contre, ce que je jurerais bien, en toute sécurité de conscience historique, c’est que la musique du futur Ça, bergers, assemblons-nous, fut chantée à Stadaconé, le jour de Noël 1535, dans l’entrepont de la Grande Hermine, par les équipages réunis de Jacques Cartier. Seulement, au lieu du cantique de Pellegrin, qui ne devait être composé que deux siècles plus tard, les compagnons mariniers du Capitaine-Découvreur chantèrent le noël populaire du seizième siècle :

Où s’en vont ces gais bergers,
Ensemble côte à côte ?
— Nous allons voir Jésus-Christ
Né dedans une grotte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?


Un de mes amis, monsieur Louis LeDuc, lieutenant dans l’Artillerie Royale Canadienne, actuellement en Afrique, qui s’est passé, en 1897, l’intelligente fantaisie d’un voyage en Europe, a eu la complaisance de me copier[6] ce noël à la Bibliothèque Nationale, durant son séjour à Paris. C’est pour moi une douce obligation, un devoir aimable de le remercier ici de l’ennuyeux travail qu’il s’est imposé pour m’être à la fois agréable et utile.


NOËL POPULAIRE[7]
(16ième siècle)


Où s’en vont ces gais bergers,
Ensemble côte à côte ?
— Nous allons voir Jésus-Christ
Né dedans une grotte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Nous allons voir Jésus-Christ
Né dedans une grotte ;
Pour venir avecque nous
La Margot se fagote.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Jeanneton n’y veut venir ;
Elle fait de la sotte,
Disant qu’elle a mal au pied ;
Elle veut qu’on la porte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

NOËL DE PELLEGRIN
(1701)


Ça, bergers, assemblons-nous,
Allons voir le Messie,
Cherchons cet Enfant si doux
Dans les bras de Marie ;
Je l’entends, Il nous appelle tous ;
Ô sort digne d’envie !

Laissons là tout le troupeau
Qu’il erre à l’aventure,
Que sans nous sur ce coteau
Il cherche sa pâture.
Allons voir dans un petit berceau
L’Auteur de la nature.

Que l’hiver par ses frimas
Ait endurci la plaine,
S’il croit arrêter nos pas
Cette espérance est vaine.
Quand on cherche un bien rempli d’appas,
On ne craint point de peine.


Robin, en ayant pitié,
A apprêté sa hotte ;
Jeanneton n’y veut entrer,
Voyant bien qu’on se moque.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Aime mieux aller à pied
Que de courir la poste.
Tant ont fait les bons bergers
Qu’ils ont vu cette grotte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

En l’étable il n’y avait
Ni fenêtre ni porte.
Ils sont tous entrés dedans
D’une âme très dévote.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Là, ils ont vu le Sauveur
Dessus la chènevotte ; (paille)
Marie est auprès pleurant,
Joseph la réconforte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

L’âne et le bœuf aspirant,
Chacun d’eux le réchauffe
Contre le grand froid cuisant,
Lequel souffle de côte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Les pasteurs s’agenouillant,
Un chacun d’eux l’adore,
Puis s’en vont riant, dansant
La courante et la volte.
Où est-il, le petit Nouveau-Né ?
Le verrons-nous encore ?

Prions le doux Jésus-Christ
Qu’enfin Il nous conforte,
Et notre âme, au dernier jour,
Dans les cieux Il transporte.
Où est-il, le petit Nouveau-né ?[8]
Le verrons-nous encore ?


Sous la forme d’un mortel,
C’est un Dieu qui se cache ;
Du sein du Père Éternel
Son tendre amour l’arrache ;
En victime il se livre à l’autel,
C’est un Agneau sans tache.

Faisons retentir les airs
Du son de nos musettes ;
Accordons, dans nos concerts,
Timbales et trompettes ;
Célébrons le Roi de l’univers,
Il est dans nos retraites.

Sa naissance sur ces bords
Ramène l’allégresse ;
Répondons par nos transports
À l’ardeur qui le presse ;
Secondons par de nouveaux efforts
L’excès de sa tendresse.

Nous voici près du séjour
Qu’il a pris pour asile ;
C’est ici que son amour
Nous fait un sort tranquille ;
Ce village vaut, en ce grand jour,
La plus superbe ville.

Qu’il est beau ! qu’il est charmant !
De quel éclat il brille !
Joseph passe vainement
Pour le chef de famille ;
Le vrai Père est dans le firmament.
La Mère est une fille.

Dieu naissant exauce-nous,
Dissipe nos alarmes ;
Nous tombons à tes genoux,
Nous les baignons de larmes ;
Hâte-toi de nous donner à tous
La paix et tous ses charmes.

Quant à la musique de ce noël, elle s’est étonnamment bien conservée depuis deux siècles. Que mes lecteurs en jugent par eux-mêmes en comparant les versions de 1701 et de 1897 que j’emprunte, la première aux Poésies Chrétiennes de Pellegrin, la seconde aux Cantiques populaires du Canada Français de monsieur Ernest Gagnon, savant musicien, ancien organiste de la Basilique de Québec. — Les voici :

VERSION DE 1701

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    {
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    \autoBeamOff
    \partial 2 e4 e | f f e e | d d e c \break
    f f e2 | d2 \bar "." d4 e \break
    d c b \stemDown a | \stemNeutral g d' d e | f e d2 \break
    c2 d4 e | d c d8 c \stemUp b a \break
    g4 \stemNeutral g' g4. f8 | e4 f d2 | c \bar "|."
    }
\addlyrics {
Où s’en vont ces gais ber -- gers, En -- sem -- ble
côte à cô -- te? —_Nous al-
lons voir. Jé -- sus -- Christ, Né de -- dans u -- ne grot-
te. Où est -- il, le pe -- tit Nou -- veau-
Né_? Le ver -- rons -- nous en -- co -- re_?
} %lyrics
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  indent = 0\cm
  line-width = #120
  \set fontSize = #-2
  \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
} %layout
\midi { }
} %score
\header { tagline = ##f}




Bien que sous un voile épais
Il cache aux yeux son Être,
De la terre Il est la paix,
Des cieux Il est le maître ;
Allez tous, par de profonds respects,
Allez le reconnaître.
Il vous choisit en ce jour,
Sans biens et sans noblesse,
Pour les premiers de sa Cour
Malgré votre bassesse ;
Allez tous rendre à ce Dieu d’amour
Tendresse pour tendresse.


VERSION DE 1897.



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    {
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    \clef G
    \key a \major
    \tempo \markup \fontsize #-2 \italic "Allegro." 
    \autoBeamOff
    cis4 cis^\f | d d | cis cis | b r8. b16 | \break
    cis4 cis | d d | cis2 | b4 r4 | b4 cis | \break
    \stemUp b4 a | gis fis | e r8. \stemNeutral b'16 | b4. cis8 | \break
    d4 cis | \stemUp b2 | a4 r4 | \stemNeutral b4 cis | \break
    \stemUp b a | b8 a gis fis | e4 r8. \stemNeutral e'16 | \break
    e4. d8 | cis4 d | cis( b) | a2 \bar "|."
    }
\addlyrics {
Ça, ber -- gers, as -- sem -- blons- nous, Al-
lons voir le Mes -- si -- -- e. Cherchons _
cet En -- fant si doux, Dans les bras
de Ma -- ri -- -- e_; Je l’en-
tends, il nous ap -- pel -- le tous_; Ô
sort di -- gne d’en -- vi -- -- e_!
} %lyrics
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  \set fontSize = #-2
  \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
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} %score
\header { tagline = ##f}


À peine, en deux siècles, l’air a-t-il varié d’une note !

Comme M. Benjamin Sulte disait vrai quand il écrivait, à la date du 25 décembre 1891 : « je les aime, ces noëls tout ainsi ; je les trouve autrement pieux que nos compositions modernes ; ils ont la foi ardente des âges primitifs. Il me semble les entendre à travers les siècles qu’ils ont traversés ; en effet, ne sont-ils pas un écho de la voix de nos ancêtres ? Nous les chantons comme on les chantait jadis. »

En êtes-vous convaincus, lecteurs ?



  1. Premier Recueil — Paris, 1708, 4ième édition, — contient 18 noëls
    Second Recueil — Paris, 1708, 4ième édition, — contient 43 noëls
    Troisième Recueil — Paris, 1707, 2nde — contient 32 noëls
    Quatrième Recueil — Paris, 1710, 2nde — contient 30 noëls
    Cinquième Recueil — Paris, 1709, pas d’édit. mentionnée — contient 33 noëls
    Sixième Recueil — Paris, 1711, pas d’édit. mentionnée — contient 20 noëls
    — contient——
    — contient176

    Le volume des Poésies Chrétiennes, outre ces six recueils de Noëls nouveaux, contient encore cinq recueils de Cantiques spirituels, au nombre de 221, et trois recueils de Chansons spirituelles, au nombre de 46. Le tout forme un volume in-octavo de 1085 pages.

  2. La première édition parut en 1701. Les Lettres de Privilège, accordées pour huit ans, étaient datées du 16 mai 1701.
  3. Et non point Chartres, chef-lieu du département de l’Eure et Loire. Châtres est le nom ancien de la petite ville d’Arpajon, située à sept lieues de Paris.
  4. À la date du 1er janvier 1898, l’auteur célèbre du Voyage aux Pays Bibliques, M. le chanoine Le Camus, n’écrivait-il pas dans La Quinzaine de Paris (page 45) : « Dans tout pays, rien ne se perpétue avec une fidélité plus tenace que les chants du berceau. La petite fille qui s’est endormie tant de fois en les écoutant les répète sitôt que, dans ses jeux d’enfant, commence à se révéler sa vocation future aux sollicitudes de la maternité, et, les ayant répétés, elle les trouve tout vivants dans son cœur et sur ses lèvres le jour où elle devient réellement mère. La persistance de ces airs traditionnels ne saurait donc nous surprendre. Ils font, en général, partie d’un fonds musical et poétique tellement commun à toute l’humanité qu’on est à peu près sûr de les rencontrer chez tous les peuples, presque identiques quant aux images bizarres et enfantines qu’ils évoquent, et à l’harmonie essentiellement isochrone, comme la berceuse, qui les constitue. »
  5. Un contemporain de Nicou-Choron, Jean-François Le Sueur (1763-1837) maître de chapelle de Napoléon Ier, de Louis XVIII et de Charles X, l’émule de Cherubini et presque son égal dans la musique religieuse, prétendait sérieusement que les vieux noëls français remontaient tous au temps de la primitive Église. « C’est de l’Orient, disait-il, qu’ils ont passé dans les Gaules par les anciens troubadours provençaux, et les premières églises chrétiennes les avaient reçus des anciens Hébreux, » Toutefois, cette belle assurance me laisse un peu incrédule.
  6. C’est encore à monsieur LeDuc que mes lecteurs auront obligation pour la copie des deux autres noëls : Laissez paître vos bêtes qui a fourni sa musique au célèbre cantique Venez, divin Messie, et Tous les Bourgeois de Châtres sur l’air duquel nous chantons encore, dans toute la province de Québec, Le Fils du Roi de gloire est descendu des cieux, etc.
  7. Je me suis permis de moderniser l’orthographe de ce noël et d’écrire : Où s’en vont ces gais bergers, Ensemble côte à côte, au lieu de : Où s’en vont ces guays bergers, Ensemble coste à coste, etc., etc.
  8. Sur ce même air : Où est-il, le petit Nouveau-Né ? Garnier, dans son recueil de Nouveaux Cantiques Spirituels, publie le délicieux noël suivant :

    Dans le calme de la nuit
    Un Sauveur vient de naître,
    Devant Lui Satan s’enfuit
    Et n’ose plus paraître ;
    Allez tous, allez Bergers, sans bruit,
    Allez Le reconnaître.

    Contemplez ce Rédempteur
    Enveloppé de langes,
    Il vous fait une faveur
    Qu’Il n’a pas faite aux Anges ;
    Allez tous, allez, pleins de ferveur,
    Publier ses louanges.