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Noëls anciens de la Nouvelle-France/X

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Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 77-88).
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X.


L’identité des versions musicales du noël religieux Ça, bergers, assemblons-nous, et du noël populaire Où s’en vont ces gais bergers, n’est point un fait isolé, un cas accidentel, une preuve d’exception ; d’autres exemples confirment avec éclat l’assertion, absolument exacte, de M. Benjamin Sulte, à savoir : que nous chantons comme on les chantait jadis les airs des vieux noëls français ; que leurs mélodies inaltérées, invariables, ont réellement traversé les quatre siècles de l’âge moderne comme un fidèle écho de la voix de nos ancêtres. La musique populaire de notre célèbre cantique Venez, divin Messie, est, elle seule, une démonstration victorieuse de cette vérité critique. Je l’établis en publiant en regard les versions de 1701 et de 1897. Le lecteur n’aura que le soin, ou plutôt le plaisir artistique, de comparer.


VERSION MODERNE (1897) D’ERNEST GAGNON



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    d4 cis8 b[( a)] gis | a4.~ a8 r8     \bar "|."

    }
\addlyrics {
Ve -- nez, di -- vin Mes -- si -- e, Sau-
ver nos jours in -- for -- tu- nés, Ve-
nez, sour -- ce de vi -- e, Ve-
nez, ve -- nez, ve -- nez_!
Ah_! des -- cen -- dez, hâ -- tez vos
pas, Sauvez _ les hommes _ du tré -- pas_; Se -- cou -- rez-
nous, ne tar -- dez pas. Ve -- nez, di -- vin Mes-
si -- e, Sau -- ver nos jours in -- for -- tu -- nés_; Ve-
nez, sour -- ce de vi -- e, Ve-
nez, ve -- nez, ve -- nez_!
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VERSION DE 1701.

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    \stemUp b a g g \stemNeutral c d e[ d16] e | \break
    f4 f8 g e f d8. c16 | c4.( s2 s8 \bar "||" c2) d4 c8 b | \break
    c2 d4 c8 b | c c f e d g f e | \break
    d g f e d c b c | d4. g,8 c d e[ d16] e | \break
    f4 d8 d c b a c | \stemUp b a g g \stemNeutral c d e8. e16 | \break
    f4 f8 g e f d8. c16 | c2 \bar "|."
    }
\addlyrics {
Lais -- sez paître _ vos bê -- tes, Pastoureaux, _ _ par monts
et par vaux, Lais -- sez paî -- tre vos
bê -- tes, Et ve -- nez chanter _ Nau. __ J’ai ouï chan-
ter le ros -- si -- gnol Qui chantait _ un chant si nou-
veau, si haut, si beau, Si ré -- sonneau_; _ Il me rompait _ la
tê -- te, Tant il prêchait _ et ca -- quetait_; _ A -- donc pris ma hou-
let -- te Pour al -- ler voir No -- let.
} %lyrics
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L’orthographe musicale de cette dernière version ne laisse-t-elle pas à désirer ? Aux musiciens de répondre, de me dire, en particulier, si la mesure y est construite de manière à placer les temps forts et les temps faibles comme il convient. « Dans les chants populaires, » écrit M. Ernest Gagnon, « il existe autant de variantes que de gosiers. » Des notes essentielles et caractéristiques de la mélodie, surtout le rythme, voilà ce qu’il faut bien saisir. Que l’on chante la version ancienne de Pellegrin à deux temps (deux-quatre) c’est-à-dire que l’on fasse deux mesures de chaque mesure, en ne changeant rien du reste aux notes de la mélodie, on obtiendra aussitôt un rythme régulier qui se rapprochera beaucoup de celui de la version moderne.

En tout cas, et pour en revenir à la comparaison essentielle dont l’intérêt prime ici, l’air de ce cantique de noël me paraît s’être étonnamment bien conservé. Ce fait extraordinaire déjà à constater pour la mélodie du Ça, bergers, assemblons-nous, l’est encore davantage pour celle du Venez, divin Messie, laquelle est, de beaucoup, plus développée.

À l’Avent de l’an de grâce 1901, le Venez, divin Messie, de Pellegrin aura été chanté pendant deux siècles consécutifs dans toutes les églises de l’ancienne et de la nouvelle France.

Deux fois centenaire ! ô le vénérable noël, l’auguste cantique ! Et cependant, la mélodie qui chante ses strophes religieuses, qui les rajeunit de sa joie, qui les divinise de sa musique immortelle comme l’art, et comme lui belle éternellement, porte deux fois cet âge ! Quatre cents ans ! Oui, cette mélodie a quatre cents ans. Contemporaine de Rabelais, elle gazouille allègrement, avec la vivacité d’un oiseau ivre d’azur et de soleil, les mots de cette langue épaisse du quinzième siècle, qui ne se comprend bien aujourd’hui qu’à l’aide de glossaires formidables[1] dont le seul aspect épouvante.

En effet, le noël populaire, Où s’en vont ces gais bergers, dont la disposition rythmique servit de moule au Ça, bergers, assemblons-nous, se lit couramment, tant les mots en sont encore usuels, connus et peu vieillis. Personne n’a dû recourir au dictionnaire pour les comprendre.

Mais la lecture du noël-type qui servit de décalque au Venez, divin Messie, est autrement ardue. Chacune de ses strophes renferme pour le moins un mot barbare. Un oiseau s’appelle une mauvis, un lourdaud un loriquart, une trompette une buccine, un galant un muguet, un bâton un billard. On y gringotte au lieu de fredonner, on estraque au lieu d’arracher, on mène un grand soulas pour dire que l’on s’amuse, etc. Bref, la moitié du noël se lit dans le glossaire. Le voici, d’ailleurs, au grand complet, en regard du cantique de Pellegrin.


NOËL POPULAIRE


Laissez paître vos bêtes,
Pastoureaux, par monts et par vaux ;
Laissez paître vos bêtes,
Et venez chanter Nau !

J’ai ouï chanter le rossignol
Qui chantait un chant si nouveau,
Si haut, si beau,
Si résonneau ;
Il me rompait la tête,
Tant il prêchait et caquetait ;
Adonc pris ma houlette
Pour aller voir Nolet.
Laissez paître vos bêtes, etc.

Je m’enquis au berger Nolet :
— As-tu ouï le rossignolet ?
Tant joliet
Qui gringottait[2]
Là-haut sur une épine ?
— Ah ! oui, dit-il, je l’ai ouï ;
J’en ai pris ma buccine[3]
Et m’en suis réjoui.

Nous dîmes tous, une chanson ;
Vinrent les autres tous au son.
Or, sus, dansons ;
Prends Alison,
Je prendrai Guillemette,
Margot, tu prendras gros Guillot.
Qui prendra Pêronnette ?
Ce sera Talebot.

NOËL DE PELLEGRIN


Venez, divin Messie,
Sauvez nos jours infortunés ;
Venez, source de vie,
Venez, venez, venez !

Ah ! descendez, hâtez vos pas,
Sauvez les hommes du trépas ;
Secourez-nous,
Ne tardez pas.
Venez, divin Messie,
Sauver nos jours infortunés ;
Venez, source de vie,
Venez, venez, venez !
Venez, divin Messie, etc.

Ah ! désarmez votre courroux ;
Nous soupirons à vos genoux,
Seigneur, nous n’es-
pérons qu’en vous.
Pour nous livrer la guerre.
Tous les enfers sont déchaînés ;
Descendez sur la terre,
Venez, venez, venez !

Que nous souffrons de maux divers !
L’affreux démon nous tient aux fers ;
Nous gémissons
dans les enfers ;
Vous voyez l’esclavage
Où vos enfants sont condamnés ;
Conservez votre ouvrage,
Venez, venez, venez !

Ne dansons plus, nous tardons trop
Pensons d’aller, tretous[4] le trot.
— Viens-tu, Margot ?
— Attends, Guillot,
J’ai rompu ma courette ;[5]
Il faut renouer mon sabot.
Or, tiens cette aiguillette,
Elle servira trop.

— Comment, Guillot, ne viens-tu pas ?
— Oui-dà, j’y vais tout l’entrepas ;[6]
Tu n’entends pas
Trop bien mon cas :
J’ai aux talons la mule,
Pourquoi je ne puis pas trotter ;
Je l’ai prise en froidure
En allant estraquer[7]

Marche devant, pauvre mulard,
En t’appuyant sur ton billard[8]
Et toi, Coquart,
Vieux loriquart, (lourdaud)
Tu dois avoir grand’honte
De rechigner ainsi des dents,
Dûsses m’en tenir compte
Au moins devant les gens.

Courûmes de telle raideur
Pour voir notre doux Rédempteur.
Et créateur
Et formateur.
Il avait (Dieu le saiche)
De linceux assez grand besoin.
Il gisait dans la crèche
Sur un bouteau (botte) de foin.

Or, nous avions un grand paquet
De vivres, pour faire un banquet ;
Mais le muguet (galant )
De Jeanne Huguet
Avait sa lévrière,
Qui mit le pot à découvert,
Ce fut la chambrière
Qui laissa l’huis ouvert.

Éclairez-nous, divin flambeau
Parmi les ombres du tombeau
Faites briller
un jour nouveau.
Au plus affreux supplice
Nous auriez-vous abandonnés ?
Venez, Sauveur propice
Venez, venez, venez !

Que nos soupirs soient entendus !
Les biens que nous avons perdus
Ne nous seront-
ils pas rendus ?
Voyez couler nos larmes
Grand Dieu ! si vous nous pardonnez,
Nous n’aurons plus d’alarmes ;
Venez, venez, venez !

Si vous venez en ces bas lieux,
Nous vous verrons, victorieux,
Fermer l’enfer,
ouvrir les cieux.
Nous l’espérons sans cesse :
Les cieux nous furent destinés ;
Tenez votre promesse,
Venez, venez, venez !

Ah ! puissions nous chanter un jour.
Dans votre bienheureuse cour,
Et votre gloire,
et votre amour.
C’est là l’heureux partage.
De ceux que vous prédestinez ;
Donnez-nous en un gage,
Venez, venez, venez !

Pas ne laissâmes de gaudir ;
Je lui donnai une brebis
Au petit Fils ;
Une mauvis (oiseau)
Lui donna Péronnette ;
Margot lui a donné du lait
Tout plein une écuellette
Couverte d’un voilet.


Or, prions tous le Roi des rois
Qu’il nous donne à tous bon Noël,
Et bonne paix ;
De nos méfaits
Ne veuille avoir mémoire.
Ains nos péchés nous pardonner ;
À ceux du Purgatoire
Leurs péchés effacer.

La musique du noël d’Arpajon sur laquelle est écrit l’un des cantiques les plus remarquables de Pellegrin, tant il pétille de verve satirique, nous offre le troisième exemple d’une mélodie quatre fois centenaire demeurée vivace dans la mémoire attentive du peuple. Il serait faux d’écrire qu’elle s’est miraculeusement conservée par un prodigieux effort ; deux causes rendent facile à expliquer comme à reproduire ce phénomène aussi naturel qu’étonnant.

La première, Victor de Laprade nous la donne en style excellent dans son beau livre : Questions d’Art et de Morale.

« Une qualité, dit-il, que personne ne refusera au langage poétique, c’est l’action du vers sur la mémoire. Les vers se retiennent mieux que la prose ; c’est là un fait que tout le monde reconnaît. L’histoire abonde en merveilleux exemples du secours donné à la mémoire par le rythme. On n’a jamais raconté qu’une composition en prose de trois pages se soit transmise oralement d’une génération à une autre ; et nous voyons des poèmes de plusieurs mille vers traverser des siècles avant d’avoir été écrits. Depuis combien de générations les chants homériques ne circulaient-ils pas dans la bouche des Grecs avant que Pisistrate les fit recueillir ? Il a existé des littératures entières qui ne se sont jamais servi de l’écriture et qui ont duré ainsi pendant toute la vie d’une nation, conservées qu’elles étaient par le rythme et l’harmonie. »

L’action de la prosodie sur la mémoire se complète par l’influence prépondérante de la musique sur cette même faculté[9]. Combinez les forces d’appui du rythme, de la rime et de la mélodie, faites-leur prêter un mutuel secours, et vous comprendrez, sans peine, comment il est advenu que des illettrés, des ignares, d’obscures générations d’ouvriers et de paysans, nous aient transmis, à trois ou quatre siècles de distance, les chants de leurs noëls anciens avec une précision qui stupéfie à première lecture.

Celui-ci en est un des plus remarquables au point de vue de la conservation du rythme et des notes essentielles de sa mélodie.

VERSION DE 1701.

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\addlyrics {
Al -- lons tous à la crè -- che En-
tendre _ beau sermon. _ C’est le Sauveur _ qui prêche _ Pour
no -- tre gué -- ri -- son_; Nous a -- vons tous besoin _ D’un
mé -- decin _ si sa -- ge_; Mais le remède _ _ n’est pas loin, Pour-
vu que nous prenions _ le soin D’en faire un bon _ usage. _ _
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Je réfère à la page 1060 du Dictionnaire de Noëls et Cantiques, tome 63, de l’Encyclopédie Théologique de l’abbé Migne, édition de 1867, les musiciens désireux de comparer sur cette version ancienne la version moderne de cette mélodie.


NOËL D’ARPAJON


Tous les bourgeois de Châtres
Et ceux de Monthléry
Menèrent grande joie
Cette journée ici.
Que naquit Jésus Christ
De la Vierge Marie,
Près le bœuf et l’ânon, don, don.
Entre lesquels coucha, la, la.
En une bergerie.


Les anges ont chanté
Une belle chanson
Aux pasteurs et bergers
De cette région,
Qui gardaient leurs moutons
Paissant sur la prairie,
Disaient que le Mignon, don, don,
Était né près de là, la, la,
Jésus, le fruit de Vie.


Laissèrent leurs troupeaux
paissant parmi les champs,
Prirent leurs chalumeaux.
Et droit à Saint-Clément
Vinrent dansant, chantant,
Menant joyeuse vie,
Pour visiter l’Enfant si gent,
Lui donner des joyaux si beaux.
Jésus les remercie.


Puis ceux de Saint-Germain,
Tous en procession,
Partirent bien matin
Pour trouver l’Enfançon ;
Et ouïrent le son,
Puis la douce harmonie
Que faisaient les pasteurs joyeux,
Lesquels n’étaient pas las, la la,
De mener bonne vie.


Les pasteurs des bruyères
N’étaient pas endormis,
Sortirent des lanières
Quasi tout étourdis ;
Les rêveurs de Boissy
Passèrent la chaussée
Croyant avoir ouï le bruit
Et aussi les débats, la, la,
D’une très grosse armée.

CANTIQUE DE PELLEGRIN


Allons tous à la crèche
Entendre un beau sermon.
C’est le Sauveur qui prêche
Pour notre guérison.
Nous avons tous besoin
D’un médecin si sage ;
Mais le remède n’est pas loin,
Pourvu que nous prenions le soin
D’en faire bon usage.

AUX ROIS

Puissances de la terre.
Tombez à ses genoux ;
Il lance le tonnerre,
Il peut vous perdre tous.
De votre autorité
L’éclat va disparaître,
Vous apprendrez l’humilité,
Vous laisserez votre fierté
Aux pieds de votre Maître.

AUX PRÉLATS

Puissances de l’Église,
Venez, à votre tour,
D’une âme plus soumise
Faites-lui votre cour.
Auprès de son berceau
Vous devez vous instruire.
Pour bien veiller sur un troupeau,
Il faut, de ce Pasteur nouveau,
Apprendre à le conduire.

AUX GENS DE QUALITÉ

Vous de qui la naissance
Fait le mérite entier,
Voyant son indigence,
N’ayez pas l’air si fier ;
Cherchez en ce recoin
Vu Dieu dans la bassesse ;
Quoique le ciel en soit témoin,
Il cache sous un peu de foin
Son titre de noblesse.

AUX GENS DE JUSTICE

Pour vous, gens de justice.
Apprenez, par sa voix
Qu’il faut que tout fléchisse
Sous ses suprêmes lois.
Ne soyez pas si vains ;
C’est le dernier refuge.
Le sort du monde est dans ses mains ;
Si vous jugez tous les humains,
Il sera votre juge.



Puis eussiez vu venir
Tous ceux de Saint-Yon,
Et ceux de Brétigny
Apportant du poisson.
Les barbeaux et gardons.
Anguilles et carpettes
Etaient à bon marché, voyez,
À cette journée-là, la, la,
Et aussi les perchettes.


Lors ceux de Saint-Clément
Firent bien leur devoir
De faire asseoir les gens
Qui venaient le Roi voir.
Joseph les remercie,
Et aussi fait la Mère.
Là eussiez vu chanter, danser,
Et mener grand soulas,[10] la, la,
Faisant tous grande chère.


Bas des hymnes a joué
Sur son beau tambourin,
Lequel on avait loué
À ceux de Saint-Germain ;
La grand’bouteille au vin
Ne fut pas oubliée :
Notisson du rebec jouait,
Car avec elle alla, la la,
Cette digne journée.

Lors, un nommé Goton
Faisait du bon brouet
Et la soupe à l’oignon
Cependant qu’on dansait ;
Des lapins et perdreaux,
Alouettes rôties,
Canards et cormorans très grands,
Gilles Bardot porta, la, la,
À Joseph et Marie.

Avec eux on voyait
Un du pays d’amont,
Qui d’un luth résonnait
De très belles chansons ;
De Châtres les mignons
Menaient grand rusterie[11]
Les échevins menaient, portaient
Trompettes et clairons, don, don
En belle compagnie.


AUX RICHES

Vous qui dans l’opulence
Passez des jours si beaux,
Qui tenez l’indigence
Pour le plus grand des maux,
Vous faites trop de cas
D’un vain éclat qui passe.
Ce pauvre Enfant vous dit tout bas
Que l’âme ne s’enrichit pas,
À moins d’avoir la grâce.

AUX MARCHANDS

Et toi, marchand avide,
Tant en gros qu’en détail,
Pour un profit sordide
Toujours dans le travail,
Tu pourrais faire mieux.
Approche, et considère
Que l’Enfant qui naît en ces lieux
Est un marchand qui vend les cieux
O quel achat à faire !

AUX DAMES MONDAINES

Pour vous, beautés coquettes,
De tout âge et tout rang ;
Laissez sur vos toilettes
Et ce rouge et ce blanc ;
De votre Créateur
Vous détruisez l’image.
Par le secours d’un art trompeur,
Pourquoi, de ce divin Auteur,
Réformez-vous l’ouvrage ?

Pour tous, tant que nous sommes,
Jésus prêche aujourd’hui ;
Il vient chercher les hommes ;
Aucun ne vient à Lui.
Nous marchons ici-bas
Dans une nuit profonde ;
Il vient pour y dresser nos pas.
Le monde ne le connaît pas.
Peut-on aimer ce monde ?

Messire Jean Guyot,
Le vicaire d’Églis,
Apporta tout plein pot
Du vin de son logis.
Messieurs les écoliers,
Tous icelle nuitée,
Se sont mis à chanter de hait[12]
Ut, ré, mi, fa, sol, la, la, la
À gorge déployée.

Nous prierons tous Marie,
Et aussi son cher Fils,
Qu’il nous donne la gloire
Là-sus en paradis ;
Après qu’aurons vécu
En ce mortel repaire,
Qu’il nous veuille garder d’aller
Tous en enfer là-bas, la, la,
En tourment et misère.


Le noël de Pellegrin eut un grand succès.... de médisance. C’était beaucoup moins un cantique qu’une satire chantée beaucoup plus par malice que par dévotion. On y chercherait vainement d’ailleurs les sentiments tendres et délicats du Ça, bergers, assemblons-nous, non plus que les belles pensées religieuses du Venez, divin Messie. Les Riches, les Marchands, les Mondaines s’en amusèrent, les Gens de Justice et de Qualité en rirent, les Rois ne tremblèrent point sur leurs trônes, malgré que Pellegrin, jouant au petit prophète, leur eût déclamé en trémolo :

« De votre autorité
L’éclat va disparaître !»

Fâcheusement pour le poète-abbé son cantique avait un couplet de trop, le troisième. Ce prêtre, interdit par son Ordinaire, osait dire aux Prélats :


Puissances de l’Église,
Venez, à votre tour,
D’une âme plus soumise
Faites-lui votre cour.
Auprès de son berceau
Vous devez vous instruire.
Pour bien veiller sur un troupeau
Il faut, de ce Pasteur nouveau,
Apprendre à le conduire ![13]

Cent ans auparavant, et sur la garantie de bons auteurs, Saumaise avait écrit :


Qu’il ne faut jamais dire aux grands
De vérité qui leur déplaise.


Pellegrin ignorait-il ce sage conseil, ou le méprisa-t-il ? Il en était fort capable. L’odium theologicum, qui faisait trembler Érasme lui-même, le laissait impassible et froid. Aussi faut-il ne voir dans l’insolence et l’audace de ce couplet qu’un défi lancé à l’autorité ecclésiastique, la bravade d’un révolté, outrageant l’épiscopat français dans la personne de l’archevêque de Paris lequel avait mis Pellegrin en demeure de choisir entre la messe et l’opéra. Celui-ci, ayant opté pour le théâtre, fut interdit. Inde iræ !



  1. Le Dictionnaire Historique de l’Ancien langage françois par La Curne de Ste-Palaye, compte 10 tomes, grand octavo, et 4,747 pages ! Ab uno disce omnes,
  2. Gringotter, c’est-à-dire fredonner, chanter.
  3. Buccine, pour trompette.
  4. Tretous, c’est-à-dire tous.
  5. Courette, c’est-à-dire petite courroie.
  6. Tout l’entrepas, c’est-à-dire à petit pas.
  7. Estraquer, c’est-à-dire arracher.
  8. Billard : bâton. — Suivant le Supplément au Glossaire du Roman de la Rose billard est celui qui, à cause de sa vieillesse ou de ses infirmités, ne peut marcher sans bâton. Ce bâton recourbé avait le nom de billard.
  9. Le shérif du Saguenav, M. Pamphile-Henri Cimon, m’a raconté avoir entendu, de ses oreilles, un libre et indépendant électeur chanter les vingt couplets d’une chanson politique, diffamatoire au premier chef, et dont il ne pouvait réciter un seul mot au tribunal devant lequel il comparaissait comme témoin.
  10. Mener grand soulas : se divertir, faire de grandes réjouissances.
  11. Mener grand rusterie : faire grand tapage, mener le diable à quatre, s’amuser bruyamment.
  12. Chanter de hait : chanter de joie, chanter gaiement, de bon cœur.
  13. Sur l’air du noël d’Arpajon et la disposition rythmique des strophes de Pellegrin, un poète anonyme a composé Le Fils du Roi de gloire que l’on chante et chantera dans notre belle province de Québec aussi longtemps qu’on y parlera le français :

    « Le Fils du Roi de gloire
    Est descendu des cieux,
    Que nos chants de victoire
    Eclatent dans ces lieux ; »
    Etc., etc., etc.


    Ce cantique est dans tous les recueils à l’usage de nos maisons
    d’éducation. Inutile donc de le publier ici.