Novum Organum (trad. Lasalle)/Livre II/Partie I/Chap II

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Novum Organum
Livre II - Partie I
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres5 (p. 76_Ch02-153_com_ch2).
CHAPITRE II.
Exposé de la méthode, ou de l’induction proprement dite.

Voici, en peu de mots, quelle est la marche qu’on doit suivre dans la recherche des formes. Il faut, en premier lieu, présenter à l’entendement tous les exemples connus et semblables entr’eux, par la nature (ou manière d’être), dont on cherche la forme, et qui se trouve dans tous, sans exception. Il faut de plus choisir ces exemples parmi des sujets très différens, à tout autre égard. Or, cette collection doit être purement historique, et sans hazarder aucun jusement, aucune théorie ; il est même inutile de faire de grands efforts d’esprit dans cette première énumération, et de déployer beaucoup de sagacité dans ce premier choix des faits (a). Supposons qu’il s’agisse de chercher la forme de la chaleur[1].

Les exemples analogues par la nature de la chaleur, sont, 1°. les rayons du soleil, sur-tout l’été, et à midi[2].

2°. Les rayons du soleil, réfléchis et concentrés ou réunis, comme ils le sont entre les montagnes, ou par des murs, mais plus encore par les miroirs brûlans[3].

3°. Les météores ignés.

4°. Les foudres brûlantes,

5°. Les éruptions des volcans ; je veux dire, ces flammes qui s’élancent, avec un bruit terrible, des cavités des montagnes.

6°. Toute espèce de flamme,

7°. Tous les solides pénétrés de feu.

8°. Les bains naturels d’eaux chaudes.

9°. Les liquides bouillans ou fortement chauffés.

10°. Les vapeurs et les exhalaisons chaudes ; l’air lui-même qui est susceptible d’une chaleur très forte, et en quelque manière furieuse, lorsqu’il se trouve renfermé, comme dans les founeaux de réverbère.

11°. Certaines températures chaudes et sèches, qui ont pour unique cause la constitution actuelle de l’air, indépendamment de la saison.

12°. L’air souterrein, ou renfermé dans certaines cavernes, sur-tout durant l’hiver.

13°. Tous les corps velus (couverts ou composés de poils), comme la laine, la peau des animaux, le duvet ou les plumes des oiseaux, lesquels ont un foible degré de chaleur, une certaine tiédeur[4].

14°. Tous les corps, tant solides que fluides, soit denses, soit rares, tels que l’air même approché du feu pendant quelque temps, ou en contact avec un corps chaud,

15°, Les étincelles tirées des cailloux et de l’acier, par une forte percussion.

16°. Tout corps frotté avec force, comme la pierre, le bois, le drap, etc. en sorte qu’on voit quelquefois les timons et les aissieux[5] des roues prendre feu ; et les Indiens occidentaux étoient dans l’usage d’allumer du feu par le simple frottement[6].

17°. Les herbes ou plantes, vertes et humides, serrées en certaine quantités et pressées ou foulées ; comme les roses dans leur corbeille ; les pois dans leur panier ; et cela au point qu’assez souvent le foin, serré trop humide, prend feu spontanément[7].

18°. La chaux arrosée d’eau.

19°. Le fer, lorsqu’étant mis dans l’eau forte et dans un vaisseau de verre, il commence à se dissoudre, et cela sans qu’il soit besoin de l’approcher du feu, etc. Il en est de même d’une dissolution d’étain, opérée par le même agent ; mais alors la chaleur a moins d’intensité.

20°. Les animaux, sur-tout leurs parties intérieures, et en tout temps, quoique, dans les insectes dont le corps a trop peu de volume, cette chaleur ne soit pas sensible au tact[8].

21°, Le fumier de cheval et tous les les excrémens récens d’animaux.

22°. L’huile de soufre et l’huile de vitriol[9] produisent, sur le linge, des effets très analogues à ceux de la chaleur ; elles le brûlent.

23°. L’esprit d’origan, et autres du même genre, produisent un effet semblable, en brûlant (et corrodant) la partie osseuse des dents.

24°. L’esprit de vin, bien rectifié et d’une grande force, a aussi une action semblable à celle de la chaleur, et si semblable, que, si on y jette un blanc d’œuf, il se durcit et devient d’un blanc mat, à peu près comme celui d’un œuf cuit. Si l’on y jette du pain, il se torrefie (se grille), et se revêt d’une croûte comme le pain rôti.

25°. Les plantes aromatiques et de nature chaude, comme l’estragon, le cresson alenois, lorsqu’il est vieux, etc. quoique ces plantes, soit entières, soit pulvérisées, ne soient point chaudes au tact ; cependant, lorsqu’on les mâche pendant quelque temps, elles excitent dans la langue et le palais une certaine sensation de chaleur ; elles semblent brûler.

26°. Le fort vinaigre et tous les acides appliqués aux parties du corps dépouillées de l’épiderme, comme aux yeux, à la langue, ou à quelqu’autre partie blessée, et où la peau est enlevée, occasionnent un genre de douleur peu différente de celle qu’exciteroit la chaleur même.

27°. Les froids très âpres occasionnent aussi une certaine sensation assez analogue à celle d’une brûlure.

28°. Et ainsi des autres.

Cette première table, nous l’appelons ordinairement table de l’essence et de la présence.

XII.

En second lieu, il faut présenter à l’entendement des exemples tirés de sujets qui soient privés de la nature donnée. Car la forme, comme nous l’avons dit, ne doit pas moins être absente de tous les sujets où la nature donnée ne se trouve pas, que présente dans tous ceux où se trouve cette nature. Mais s’il falloit faire l’énumération complète de tous les sujets de cette espèce, elle seroit infinie.

Ainsi, il faut accoupler les exemples négatifs avec les affirmatifs, et ne considérer les privations que dans les seuls sujets qui ont le plus d’analogie avec ces autres sujets où la nature donnée est présente et sensible. Cette seconde table, nous l’appelons table de déclinaison, ou d’absence, dans les analogues.

Exemples de sujets analogues aux précédens, mais privés de la nature de la chaleur.
Au premier exemple affirmatif, comparez ou opposez ce premier exemple négatif[10].

On ne trouve pas que les rayons de la lune, des étoiles ou des comètes aient aucune chaleur sensible au tact : il y a plus ; c’est dans les pleines lunes qu’on observe les froids les plus âpres. Cependant l’on croit communément que les plus grandes étoiles fixes, lorsque le soleil est en conjonction avec elles, augmentent considérablement la chaleur de cet astre ; et c’est en effet ce qu’on observe, lorsqu’il est dans le signe du lion et durant les jours caniculaires[11].

Au 2e. exemple affirmatif,… ce 2°. exemple négatif.

Les rayons du soleil ne produisent aucune chaleur sensible dans ce qu’on appelle la moyenne région de l’air et ce froid qui y règne, on l’explique assez bien, en disant que cette région n’est assez proche ni du corps même du soleil d’où émanent les rayons, ni de la terre qui les réfléchit : et ce qui appuie cette explication, c’est ce qu’on observe au sommet des hautes montagnes qui sont en tout temps couvertes de neiges à moins qu’elles ne soient prodigieusement élevées ; je dis prodigieusement, parce qu’on ne trouve jamais de neige ni sur le sommet proprement dit du Pic de Ténériffe, ni sur celui des Andes du Pérou ; les neiges n’occupant que la partie moyenne de leur penchant, et ne s’étendant que jusqu’à une certaine hauteur. De plus, on s’est assuré que, sur ces mêmes sommets, l’air n’est nullement froid ; mais il est si rare, si ténue, si âcre sur les Andes, qu’il pique les yeux et les blesse par cette excessive acrimonie. Il irrite aussi l’orifice de l’estomac, et excite le vomissement. De plus, les anciens ont observé qu’au sommet de l’Olympe, l’extrême ténuité ou rarité de l’air obligeoit ceux qui y montoient, de se munir d’éponges imbibées d’eau et de vinaigre, qu’ils approchoient de temps en temps de leur bouche et de leur narine ; cet air si rare ne suffisant plus à la respiration. On rapporte aussi que, sur ce même sommet, où il n’y avoit jamais ni pluie, ni neige, ni vent, il règnoit un calme si parfait, que certaines lettres que les sacrificateurs traçoient avec leur doigt dans la cendre des sacrifices, sur l’autel de Jupiter, subsistoient jusqu’à l’année suivante, sans s’effacer, et même sans qu’on y aperçût le moindre changement. Aujourd’hui encore les voyageurs qui montent jusqu’au sommet du Pic de Ténériffe, n’y vont que de nuit, jamais de jour ; et peu après le lever du soleil, leurs guides les avertissent et les pressent même de descendre, de peur apparemment que cet air si ténue ne dissolve leurs esprits et ne les suffoque.

Au 2°. affirmatif,… le 3°. négatif.

Il faut que, dans les régions situées près des cercles polaires, la chaleur résultante de la réflexion du soleil, soit bien foible et ait bien peu d’action ; car ces Flamands qui hivernoient dans la nouvelle Zemble, et attendoient que leur navire fût débarrassé des glaces énormes qui le tenoient comme bloqué, voyant, au commencement de juillet, leur espérance entièrement frustrée, prirent le parti d’abandonner le bâtiment, et de se hazarder dans leur chaloupe. Ainsi il paroît que les rayons du soleil n’ont pas beaucoup de force, même sur une terre unie[12] ; et les rayons réfléchis n’en ont guère davantage[13], à moins qu’ils ne soient multipliés et réunis par quelque cause ou circonstance. Et c’est ce qui arrive, lorsque le soleil approche du zénith. Car alors les angles que les rayons réfléchis font avec les rayons incidens, étant plus aigus, les rayons des deux espèces s’approchent, se serrent davantage ; au lieu que, dans les grandes obliquités du soleil, ces angles étant fort obtus, les lignes des rayons des deux espèces sont plus distantes les unes des autres[14]. Au reste, il faut observer qu’il est beaucoup d’effets dus aux rayons du soleil, ou à la simple chaleur, qui ne sont nullement proportionnés au degré de finesse de notre tact ; en sorte que, par rapport à nous, ces effets ne vont pas jusqu’à produire une chaleur sensible ; mais que, par rapport aux autres corps, ils ne laissent pas d’imiter tous les effets de la chaleur.

Au 2e. affirmatif,… ce 4e. négatif.

Il seroit bon de tenter l’expérience suivante : construisez un miroir d’une figure toute contraire à celle qu’on donne ordinairement aux miroirs brûlans[15] ; placez-le entre la main et les rayons du soleil[16], et voyez s’il diminue la chaleur produite par les rayons solaires, comme le miroir brûlant l’augmente et lui donne plus d’intensité. Car il est évident, pour qui connoît la marche des rayons solaires, que, selon que ce miroir est construit dans une densité inégale[17], par rapport à son milieu et à ses côtés, les images paroissent plus diffuses et plus grandes, où plus resserrées et plus petites. Ainsi, il faut faire les mêmes observations par rapport à la chaleur.

Au 2e. affirmatif,… ce 5e. négatif.

Mais voici une expérience qui demande encore plus d’exactitude : il faut voir si, à l’aide d’un miroir brûlant d’une grande force, et construit avec le plus grand soin, l’on ne pourroit pas réunir les rayons de la lune au point de produire tout au moins un très foible degré de chaleur ; et comme il pourroit arriver que ce degré de chaleur fût trop foible pour être sensible au tact, il faudroit alors recourir à ces verres qui indiquent la température, chaude ou froide, de l’air[18] ; en sorte que les rayons de la lune, réunis à l’aide du miroir brûlant, fussent projetés sur la partie supérieure d’un verre de cette espèce, et alors voir s’il en résulteroit quelque foible degré de chaleur qui fit baisser l’eau[19].

Au 2e. affirmatif,… ce 6e. négatif
.

Il faudroit voir aussi quel effet produiroit un miroir brûlant, éprouvé sur un genre de chaleur qui ne fût point rayonnante ou lumineuse ; par exemple, sur celle du fer ou de la pierre, simplement chauffés et non ardens ; ou encore sur l’eau chaude, ou tout autre corps ayant les mêmes conditions, et s’assurer si cette espèce de chaleur est augmentée par un tel miroir, comme l’est celle qui vient des rayons solaires[20].

Au 2e. affirmatif,… ce 7e négatif.

Il faut encore éprouver le miroir brûlant, par rapport à la flamme ordinaire,

Au 3e. affirmatif,… ce 8e. négatif.

On ne voit pas que les comètes (si toutefois on est fondé à les ranger dans la classe des météores) aient le pouvoir d’augmenter constamment, où d’une manière bien sensible, les chaleurs, dans l’année de leur apparition. On a pourtant observé qu’elles occasionnent souvent des sécheresses. De plus, ces poutres ou colonnes lumineuses, ces tourbillons de feu et autres semblables phénomènes, paroissent plutôt l’hiver que l’été, et sur-tout lorsque le froid est très âpre, mais sec ; les foudres, les éclairs et le tonnerre, sont assez rares en hiver ; leur temps est celui des grandes chaleurs. On croit communément que ce météore, connu sous le nom d’étoiles qui filent, a plutôt pour cause une matière visqueuse qui s’allume et brille an instant, que toute autre substance susceptible d’une chaleur un peu forte ; mais c’est un point qui ne peut être éclairci que par des observations plus exactes.

Au 4e. affirmatif,… ce 9e. négatif
.

Il y a des éclairs qui donnent une lumière très vive, mais qui ne brûlent point ; ceux de ce genre ne sont jamais accompagnés de tonnerre.

Au 5e. affirmatif,… ce 10e, négatif.

Il paroît qu’il peut y avoir des éruptions de flammes, ou des volcans, dans les pays froids aussi-bien que dans les pays chauds, comme le prouvent ceux de l’Islande et du Groënland. L’on voit aussi que les arbres des premières contrées sont quelquefois plus résineux, plus imprégnés de poix, et plus inflammables que ceux des dernières, comme on en trouve des exemples dans le sapin, le pin et autres arbres de cette espèce. Mais dans quelle situation ; dans quelle espèce de sol, ces éruptions ont-elles lieu le plus ordinairement ? voilà ce qu’il faudroit savoir, pour pouvoir joindre ici à l’affirmative une négatives et c’est une recherche dont on ne s’est pas encore assez occupé, pour être en état de satisfaire à ces questions.

Au 6e. affirmatif,… ce 11e. négatif.

Toute espèce de flamme, sans exception, est chaude, l’est perpétuellement, et l’est plus ou moins. Mais à cet exemple affirmatif, il est tout-à-fait impossible d’en accoupler un négatif. On a cependant observé que cette sorte de lumière ou de lueur, connue sous le nom de feu-folet, et qui donne quelquefois contre un mur, n’a qu’un très foible degré de chaleur, peut-être un degré de chaleur égal à celui de la flamme de l’esprit de vin, qui est douce et tranquille. Une espèce de flamme encore plus douce, c’est celle qui, au rapport de certains historiens graves et dignes de foi, a paru quelquefois autour de la tête et de la chevelure de jeunes garçons ou de jeunes filles ; flamme qui ne brûloit nullement cette chevelure, et qui ne faisoit que voltiger tout autour, en tremblotant mollement et comme en la léchant. Mais un fait bien constaté, c’est celui d’un cheval faisant route de nuit, par un temps chaud et sec, et suant beaucoup, autour duquel parut une certaine lumière, sans aucune chaleur sensible. De plus, il y a quelques années (fait très connu, et qui a presque passé pour un prodige), le fichu de certaine fille, très jeune encore, un peu secoué ou frotté, paroissoit lumineux ; ce qui pouvoit venir de l’alun ou des autres sels dont le mouchoir étoit imprégné, qui y adhéroient superficiellement, s’y étoient comme incrustés, et étoient brisés par le frottement. Un autre fait qui n’est pas douteux, c’est que toute espèce de sucre, soit candi, soit ordinaire, pourvu toutefois qu’il soit un peu dur, étant rompu dans l’obscurité, ou gratté avec un couteau, jette des étincelles. De même, l’eau de mer, battue par les rames, et durant la nuit, paroît étincelante. Disons plus, durant certaines tempêtes, et la nuit aussi, l’écume de la mer fortement agitée, paroît toute lumineuse ; genre de lumière auquel les Espagnols donnent le nom de poumon marin (b). Quant à cette espèce de flamme, connue des anciens navigateurs sous le nom de Castor et Pollux, et connue aussi des modernes, mais sous celui de feu Saint-Elme, on ne s’est pas encore assuré, par l’observation, du degré de chaleur qu’elle peut avoir[21].

Au 7e affirmatif,… ce 12e. négatif.

Tout corps fortement échauffé par le feu[22], et poussé jusqu’au rouge ou jusqu’à l’incandescence, mais sans flamme, est perpétuellement chaud : et à cette affirmative ne répond aucune négative. Mais ce qui en approche beaucoup, c’est l’exemple du bois pourri, qui, la nuit, paroît lumineux, et cependant n’a aucune chaleur sensible au tact. Il en est de même des écailles de poisson, lorsqu’elles se putréfient ; en les touChant, on n’y trouve aucune chaleur sensible. Il en faut dire autant des vers luisans, et de cette espèce de mouche connue en Italie sous le nom de lucciole[23].

Au 8e. affirmatif, ce 13e. négatif.

Quant aux eaux des bains chauds naturels, il faudroit savoir dans quelles sortes de lieux, dans quelles espèces de terreins elles coulent ordinairement. Mais c’est ce dont on n’a pas encore assez pris soin de s’assurer. Ainsi, il n’y a pas non plus ici de négative.

Au 9e. affirmatif,… ce 14e. négatif.

Aux liquides très chauds, on peut accoupler, pour exemple négatif, ces liquides mêmes, lorsqu’ils sont dans leur état naturel. En effet, on ne trouve aucun liquide tangible qui soit naturellement chaud, et qui demeure tel constamment. Mais la chaleur n’y est que passagère, purement accidentelle et de surérogation. En sorte que les substances, qui n’ont qu’une chaleur potentielle et sensible seulement par ses effets, comme l’esprit de vin, les huiles essentielles de plantes aromatiques, extraites par les procédés chymiques ; et même l’esprit de vitriol (l’acide vitriolique), l’esprit de souffre (l’acide sulphureux), et autres substances semblables, qui brûlent lorsqu’on leur laisse le temps d’agir, paroissent froids au premier contact. Or, l’eau des bains naturels, séparée de sa source, et reçue dans un vase, se refroidit précisément comme celle qui a été échauffée par le moyen du feu. Il est vrai pourtant que les corps huileux paroissent un peu moins froids au tact, que les corps aqueux. Par exemple, l’huile est moins froide que l’eau ; et la soie moins que le linge[24]. Mais il faut renvoyer ces observations à la table des degrés du froid.

Au 10e. affirmatif,… ce 15e. négatif.

De même, à l’exemple affirmatif de la vapeur chaude, répond pour négative, cette vapeur même considérée dans son état naturel, et telle qu’on la trouve le plus ordinairement. Car les vapeurs, qui s’exhalent des corps huileux, quoique très inflammables, n’ont aucune chaleur sensible au tact, si ce n’est au moment même où elles s’exhalent du corps chaud.

Au 10e. affirmatif,… ce 16e, négatif.

De même encore, à l’air chaud répond pour négative, cet air même envisagé dans son état naturel. Car nous ne trouvons ici bas d’autre air chaud, que celui qui a été ou renfermé, ou soumis à un frottement violent, ou manifestement échauffé par les rayons du soleil, par le feu artificiel, ou par tout autre corps chaud.

Au 11e. affirmatif,… ce 17e négatif.

Nous trouvons ici pour négative, les températures accidentelles qui sont plus froides qu’elles ne devroient l’être, eu égard à la saison ; températures qui, près de notre globe, ont pour cause les vents d’est ou de nord ; comme les températures contraires ont pour cause un vent de sud ou d’ouest. On observe de plus que ces températures si douces sont accompagnées d’une certaine disposition à la pluie ; et qu’au contraire, les températures froides le sont d’une disposition à la gelée. |

Au 12e. affirmatif,… ce 18e. négatif.

Ici, l’exemple négatif sera l’air renfermé dans les souterreins, durant l’été. Car, en premier lieu, si l’on demande quelle est, par rapport au froid et au chaud[25], la nature de l’air considéré en lui-même, cette question fait naître des doutes assez fondés. En effet, quant à cette chaleur qu’on observe dans l’air en certains temps, il la doit manifestement à l’impression des corps célestes ; et quant au froid qu’on y observe aussi, il peut avoir pour cause l’expiration de la terre (c). Enfin, ce froid qui règne dans cette partie de l’atmosphère qu’on appelle la moyenne région, a pour cause les vapeurs froides et les neiges. En sorte que l’air extérieur et atmosphérique ne peut nullement servir à porter un jugement décisif sur cette question de la nature de l’air. On en jugera mieux par des observations et des expériences sur l’air renfermé. Mais, pour ôter toute équivoque, il faut que le vaisseau où l’on renferme cet air, soit de telle figure et de telle matière, qu’on puisse être assuré que ce n’est pas ce vaisseau même, qui, par sa force propre et particulière, communique à l’air qu’il contient, un certain degré de chaleur ou de froid ; qu’il ne livre pas aisément passage à l’air extérieur, et n’en puisse recevoir les impressions. Ainsi, servez-vous, pour cette expérience, d’un pot de terre, bouchez-le bien exactement à l’aide d’un cuir mis en plusieurs doubles, et tenez cet air ainsi exactement renfermé pendant trois ou quatre jours ; après quoi, pour décider le point en question, ayant ouvert ce vase, portez-y tout à-coup la main, ou un thermomètre avec son échelle divisée très exactement.

Au 13e. affirmatif,… ce 19e. négatif.

Il est une autre question qu’on peut faire sur ce même sujet ; cette tiédeur qu’on observe dans la laine, dans les peaux d’animaux, dans les plumes, et autres semblables corps, vient-elle d’un foible degré de chaleur inhérent à ces substances, en tant qu’elles sont comme des excrémens d’animaux ? ou auroit-elle pour cause une certaine substance grasse et huileuse, qui, par sa nature, auroit de l’affinité avec la tiédeur ? ou enfin, viendroit-elle seulement de ce que l’air y est renfermé et disséminé, comme nous l’avons dit dans l’article précédent ? Car il paroît que tout air dont on intercepte la communication avec l’air extérieur, contracte un foible degré de chaleur. Ainsi il faut choisir pour ces observations des corps filandreux, des tissus de lin et non de laine, de plume ou de soie, toutes substances qui sont des excrétions d’animaux. Il n’est pas non plus inutile d’observer que toutes les poudres, qui contiennent très certainement un air disséminé, sont moins froides au tact, que les masses dont elles sont tirées. Nous pensons, par la même raison, que toute espèce d’écume (en qualité de composé qui contient aussi de l’air), est moins froide que la liqueur même où elle s’est formée.

Au 14e. affirmatif,… ce 20-e, négatif.

Celui-ci n’a point de négative ; car nous ne connoissons aucun corps, soit tangible, soit aériforme, qui ne s’échauffe, quand on l’approche du feu. Il est cependant, sur ce point, quelque différence du plus au moins entre telle et telle substance : les unes, comme l’air, l’huile et l’eau, s’échauffent plus vite ; les autres, plus lentement, comme les pierres et les métaux ; mais ces détails appartiennent à la table des degrés.

Au 15e. affirmatif,… ce 21e, négatif.

À cet exemple affirmatif, on ne peut en opposer d’autre négatif, qu’une observation connue ; savoir : qu’on ne peut tirer des étincelles du caillou et de l’acier, qu’autant que, par une forte collision, l’on détache du corps même de la pierre ou du métal, des particules très fines et très déliées ; car il ne faut pas croire que le seul froissement de l’air soit une cause suffisante pour produire des étincelles, comme on se l’imagine communément. On observe aussi que ces particules étincelantes, entraînées par le poids de la matière qui a pris feu, se portent plutôt vers le bas que vers le haut, et qu’en s’éteignant elles se réduisent à une certaine fuliginosité qui a du corps.

Au 16e. affirmatif,… ce 22e. négatif.

Notre sentiment est qu’à cet exemple on ne peut pas non plus joindre de négative. Car nous ne voyons autour de nous, aucun corps qui ne s’échauffe très sensiblement par le frottement ; ce qui avoit fait imaginer aux anciens que, si les corps célestes ont la faculté d’échauffer, ce n’est qu’en vertu du frottement violent de l’air, occasionné par la rapidité de leur révolution[26]. Mais ce point ne peut être bien éclairci que par de nouvelles recherches, dont le but seroit de savoir si les corps lancés par des machines, tels que sont les balles des armes à feu, ne contractent pas, en vertu de la percussion même, un certain degré de chaleur, dont on s’apercevroit en les touchant un instant après leur chute[27]. Mais l’air en mouvement refroidit plus qu’il n’échauffe, comme on en voit des exemples dans les vents naturels, dans celui d’un soufflet, ou dans le souffle qu’on produit avec la bouche, en la contractant. Mais au fond, un mouvement de cette espèce n’est pas assez rapide pour exciter la chaleur ; et d’ailleurs, dans le corps mu, c’est un mouvement du tout, et non des petites parties, comme il le faudroit ; il n’est donc pas étonnant qu’il n’excite aucune chaleur.

Au 19e. affirmatif,… ce 23e, négatif.

Cet exemple mérite une recherche particulière et plus exacte ; car les herbes et les végétaux, verds et humides, paroissent avoir je ne sais quelle chaleur foible, et si foible, que, dans leurs petites parties isolées, elle n’est pas sensible au tact. Mais, dès qu’elles sont entassées et renfermées, de manière que leur esprit ne puisse s’exhaler et se perdre dans l’air, et qu’au contraire ces parties se fomentent réciproquement, alors elles s’échauffent à un degré sensible, et quelquefois même elles prennent feu, si la matière est déjà suffisamment combustible.

Au 16e. affirmatif,… ce 24e, négatif.

Le sujet de cet exemple a besoin aussi d’être plus exactement observé ; car la chaux, arrosée d’eau, paroit s’échauffer considérablement, soit par la concentration de la chaleur, qui auparavant étoit plus dispersée, comme nous l’avons déja observé en parlant des herbes entassées et renfermées, soit par l’irritation ou l’exaspération de l’esprit ignée[28], occasionnée par l’eau, d’où naît une sorte de combat et d’antipéristase (d). Reste à savoir laquelle de ces deux causes est la véritable, et c’est ce dont on s’assurera plus aisément, en versant sur la chaux de l’huile, au lieu d’eau ; car l’huile pourra, aussi-bien que l’eau, concentrer l’esprit renfermé dans la chaux, mais elle ne produira pas d’irritation. Or ces expériences-là, il faut les étendre, leur donner plus de latitude, non-seulement en les tentant sur les cendres et les chaux de différens corps, mais aussi, en versant sur ces corps différentes liqueurs.

Au 19e. affirmatif,… ce 25e. négatif.

À cet exemple nous opposerons pour négative les autres métaux qui sont plus mous et plus faciles à liquéfier ou à rendre coulans. En effet, si l’on fait dissoudre de petites feuilles d’or par l’eau régale, cette dissolution ne donne aucune chaleur sensible au tact ; il en est de même du plomb dissous dans l’eau-forte, et de même encore du mercure, du moins autant que je puis m’en souvenir. L’argent lui-même n’excite qu’un foible degré de chaleur. Il faut en dire autant du cuivre, si ma mémoire ne me trompe point. Mais celle de la dissolution d’étain est plus sensible ; et la plus sensible de toutes, c’est celle qu’excitent le fer et l’acier, dont la dissolution est non-seulement accompagnée d’une chaleur très forte, mais même d’une violente ébullition. Ainsi la chaleur paroît naître de ce combat qui a lieu lorsque les eaux-fortes pénétrant, fouillant ces corps, et séparant leurs parties avec violence, ces parties mêmes, en vertu de leur force de cohésion, résistent à cette autre force qui tend à les séparer. Aussi, lorsque les parties de ces corps, mis en dissolution, cèdent aisément, l’action du dissolvant fait-elle naître à peine un foible degré de chaleur.

Au 20e affirmatif,… ce 26e. négatif.

À la chaleur des animaux, point de négative à opposer, si ce n’est l’exemple des insectes, à cause de leur peu de volume[29], comme nous l’avons déjà observé. Quant aux poissons comparés aux animaux terrestres, ce qu’on y observe, c’est plutôt un degré peu sensible, qu’une totale privation de chaleur. Dans les végétaux, on n’aperçoit aucun degré de chaleur sensible au tact, soit dans le corps des plantes, soit dans leurs gommes, soit dans leur moelle récemment ouverte[30]. Mais rien n’est plus inégal et plus variable que la chaleur des animaux, soit d’une partie à l’autre (car autre est celle de la région du cœur, autre est celle du cerveau, autre, celle des parties extérieures), soit dans les différens états par lesquels ils passent successivement ; comme dans les violens exercices, dans les fièvres, etc.

Au 21e, affirmatif,… ce 27e. négatif.

À peine trouve-t-on une négative à opposer à cet exemple-ci. Il y a plus : les excrémens des animaux, même non récens, ont manifestement une certaine chaleur potentielle, comme on le voit par la propriète qu’ils ont d’engraisser les terres.

Au 22e, affirmatif,… ce 28e. négatif.

Les liqueurs (soit qu’on les désigne par le nom d’huiles, ou par celui d’eaux) ; les liqueurs, dis-je, qui ont une grande et forte acrimonie, produisent des effets très semblables à ceux de la chaleur ; elles séparent avec violence les parties des corps ; elles les brûlent même, lorsqu’on les laisse agir pendant quelque temps : cependant elles n’ont aucune chaleur sensible au premier tact de la main. Or, elles agissent, soit en vertu et en proportion de leur affinité avec les substances auxquelles on les applique, soit à raison de leur grandeur et de leur figure comparées à celles des pores de ces substances. L’eau régale, par exemple, dissout l’or, et non l’argent : au contraire, l’eau-forte dissout l’argent, et non l’or ; mais ni l’une ni l’autre ne dissolvent le verre ; et il en est de même des autres dissolvans,

Au 24e. affirmatif,… ce 29e°. négatif.

Il faudroit éprouver les effets de l’esprit de vin, d’abord sur le bois, puis sur le beurre, sur la cire, sur la poix ; et voir si, par hazard, sa chaleur potentielle ne suffiroit pas pour les liquéfier jusqu’à un certain point. Car nous voyons, par ces incrustations dont il est parlé dans le 24e. exemple, que sa chaleur potentielle produit des effets très analogues à ceux de la chaleur actuelle[31]. Ainsi il faudroit tenter ces mêmes expériences par rapport aux liquéfactions. On pourroit éprouver encore d’une autre manière les effets de cette chaleur ; savoir : en employant un tube semblable à ceux des thermomètres : mais qui, au lieu d’une boule eût, à sa partie supérieure et extérieure, une concavité. On mettroit dans cette concavité extérieure de l’esprit de vin bien rectifié, avec un couvercle, afin qu’il conservât mieux sa chaleur. Cela posé, il faudroit voir si l’esprit de vin, en vertu de sa chleur potentielle, ne pourroit pas faire baisser l’eau dans le tube[32].

Au 25e. affirmatif,… ce 30e. négatif.

Les plantes aromatiques, et en général celles qui ont une saveur âcre, sur-tout prises intérieurement, excitent une sensation de chaleur. Ainsi il faut voir sur quelles autres matières elles produisent des effets semblables à ceux de la chaleur. Or, s’il faut en croire les marins, lorsqu’on ouvre tout-à-coup des tas, des masses d’aromates qui ont été long-temps renfermées, ceux qui les premiers les remuent ou les transportent, courent risque d’être atteints de fièvres et de maladies inflammatoires[33]. Il y auroit encore ici telle expérience à faire, pour savoir si les poudres de plantes aromatiques et d’autres semblables n’auroient pas, comme la fumée, la propriété de sécher le lard ou toute autre espèce de viande suspendue au dessus.

Au 26e. affirmatif,… ce 31e. négatif.

Cette acrimonie et cette force pénétrante dont nous venons de parler, ne réside pas moins dans certaines substances de nature froide, telles que le vinaigre et l’huile de vitriol (l’acide vitriolique), que dans les substances de nature chaude, telles que l’huile d’origan et autres semblables, Aussi, les unes et les autres ont-elles également la propriété d’exciter la douleur dans les corps animés ; et, en agissant sur les corps inanimés, celle de séparer leurs parties avec violence et de les brûler. Cet exemple-ci n’a pas non plus de négative qui y réponde ; car, dans les corps animés, l’on ne connoît aucun genre de douleur qui ne soit accompagné d’une sensation de chaleur[34].

Au 27e. affirmatif,… ce 32e. négatif.

Le chaud et le froid ont une infinité d’effets semblables, quoiqu’ils les produisent d’une manière tout-à-fait différente : l’on sait, par exemple, que les enfans, peu de temps après avoir frotté leurs mains de neîge, les sentent comme brûlantes. De plus, le froid garantit les chair de la putréfaction, tout aussi-bien que le feu. Enfin la chaleur, comme le froid, contracte les corps, et diminue leur volume[35]. Mais ces observations et autres de même nature, il seroit plus à propos de les renvoyer à la recherche sur le froid.

XIII.

En troisième lien, il faut faire comparoître devant l’entendement des exemples de sujets où la nature qui est l’objet de la recherche, se trouve à différens degrés ; en observant ses accroissemens et ses décroissemens, soit dans un seul sujet comparé à lui-même, soit en différens sujets comparés entr’eux. En effet, comme la forme d’une chose n’est autre que cette chose même, et qu’il n’y a d’autre diffrence entre la chose et la forme que celle qui se trouve entre l’apparence et la réalité, l’extérieur et l’intérieur, la relation à l’homme et la relation à l’univers, il s’ensuit évidemment qu’on ne doit point regarder une nature comme la véritable forme, si elle ne décroît perpétuellement, quand la nature en question décroît elle-même ; et si elle ne croît aussi, quand cette nature est croissante. Voilà pourquoi cette table-ci, nous l’appelons ordinairement table des degrés ou table de comparaison.

Table comparative des différens degrés de chaleur.

Ainsi, nous parlerons d’abord des corps qui n’ont aucun degré de chaleur sensible au tact, mais qui ne semblent avoir tout au plus qu’une certaine chaleur potentielle, ou une disposition, une préparation à la chaleur.

Nous passerons ensuite aux corps doués d’une chaleur actuelle, c’est-à-dire sensible au tact ; et nous en spécifierons les différens degrés ou intensités.

1°. Parmi les corps solides et tangibles, on n’en connoît aucun qui soit chaud de sa nature et originellement ; ni la pierre, ni le métal, ni le soufre, ni aucun fossile, ni le bois, ni l’eau, ni les cadavres des animaux ne sont chauds par eux-mêmes. Quant aux eaux chaudes des bains naturels, elles ne paroissent devoir leur chaleur qu’à des causes accidentelles, comme la flamme ou les feux souterreins que vomissent l’Ethna et tant d’autres montagnes ; ou au combat de certaines substances de natures opposées, cause semblable à celle dont on observe les effets dans les dissolutions de fer et d’étain. Ainsi, le degré naturel de chaleur des corps inanimés est, par rapport au tact humain, absolument nul. Cependant ces mêmes corps ne sont pas également froids ; par exemple, le bois est moins froid que le métal ; mais observation de ces différences appartient à la table des degrés du froid[36].

2°. Cependant s’il est question de la chaleur potentielle et de l’inflammabilité, nous trouvons une infinité de corps inanimés qui sont éminemment doués de cette qualité ; tels sont le soufre, la naphte et l’huile de pétrole.

3°. Les corps qui ont été chauds pendant un certain temps, tels que le fumier de cheval, parmi les substances animales ou la chaux ; peut-être aussi, les cendres et la suie, conservent un reste obscur de leur première chaleur. Aussi est-il des substances qu’on distille et qu’on analyse, en enterrant dans du fumier de cheval les vaissæaux qui les contiennent. Et la chaux arrosée d’eau s’échauffe à un degré très sensible, comme nous l’avons déjà observé.

4°. On ne trouve, parmi les végétaux, aucune plante ou partie de plante (telles que les larmes ou la moelle) qui soit d’une chaleur sensible au tact humain. Cependant, comme nous l’avons dit plus haut, les herbes vertes et renfermées s’échauffent sensiblement. Et quant au tact intérieur, tel que celui du palais ou de l’estomac, ou même celui des parties extérieures, on trouve, parmi les végétaux, des substances qui, un peu de temps après avoir été appliquées sur ces parties (sous forme d’emplâtres ou d’onguent), excitent une sensation de chaleur ; d’autres, une sensation de froid.

5°. On ne trouve, dans les parties des animaux, une fois mortes ou séparées du corps, aucune chaleur sensible au tact humain. Car le fumier de cheval même, si on n’a soin de le renfermer et de l’enterrer, ne conserve point sa chaleur. Quoi qu’il en soit, toute espèce de fumier paroît être douée d’une certaine chaleur potentielle, comme le prouve sa qualité d’engrais. Les cadavres des animaux ont aussi je ne sais quelle chaleur virtuelle et cachée. L’on observe même que, dans les cimetières où l’on enterre journellement, la terre contracte une certaine chaleur occulte qui consume les cadavres nouvellement ensevelis, beaucoup plus vite que ne le pourroit faire la terre pure. On prétend aussi que les Orientaux ont une espèce de toile fine et molle, faite de plumes d’oiseaux, qui a la propriété de dissoudre et de liquéfier le beurre qu’on y a légèrement enveloppé.

6°. Tous les engrais, tels que les fumiers de toute espèce, la craie, le sable marin, le sel, et autres semblables, ont une certaine disposition à la chaleur.

7°. Tout corps dans l’état de putréfaction, recèle quelque foible commencement de chaleur ; chaleur pourtant qui ne va pas jusqu’au point d’être sensible au tact. Car, ces substances-mêmes, qui, étant putréfiées, se résolvent en animalcules (f), comme la chair, le fromage, etc. ne paroissent pas chaudes au simple tact. Il en faut dire autant du bois pourri, qui la nuit paraît lumineux ; on n’y trouve aucune chaleur sensibles et la chaleur, dans les matières putrides, se décèle par les odeurs fortes et repoussantes.

8°. Ainsi, de tous les degrés de chaleur sensibles au tact, le premier paroît être celui de la chaleur des animaux, laquelle est susceptible d’une infinité de degrés différens et d’une grande latitude. Car le plus foible de tous ces degrés, tel que celui des insectes, n’est pas sensible au tact ; et le plus haut degré égale à peine celui de la chaleur des rayons solaires, dans les pays ou dans les temps les plus chauds, et elle n’est jamais si forte, que la main ne la puisse endurer. On rapporte cependant de Constance et de quelques autres individus d’une constitution extrêmement sèche et attaqués de fièvres très aiguës, que leur corps s’échauffoit à tel point qu’on y pouvoit à peine tenir la main, et qu’il sembloit la brûler.

9°. Le mouvement, l’exercice, le vin, la bonne chère, l’acte de la génération ; les fièvres chaudes, la douleur ; toutes causes qui, dans les animaux, augmentent la chaleur naturelle.

10°. Dans les accès de fièvres intermittentes, les animaux sont d’abord saisis du frisson, mais ensuite ils s’échauffent prodigieusement ; double phénomène qui a également lieu dans les fièvres chaudes et dans les fièvres pestilentielles.

11°. Il y auroit de nouvelles observations à faire sur la chaleur comparée dans les animaux divers, comme poissons, quadrupèdes, serpens, oiseaux ; et cela non-seulement dans les différentes espèces, comme celles du lion, de l’émouchet, de l’homme, etc. car, suivant l’opinion commune, à l’intérieur les poissons sont très froids ; et les oiseaux, au contraire, extrêmement chauds, sur-tout les pigeons, les éperviers, les autruches.

12°. Autres recherches à faire sur la chaleur comparée dans un même animal et considérée dans ses différentes parties[37] ; car le lait, le sang, le sperme, les œufs, n’ont qu’une chaleur assez foible et beaucoup moindre que celle dont est susceptible la chair extérieure de l’animal, lorsqu’il s’agite et fait de l’exercice. Mais quel est le degré de chaleur, dans le cerveau, dans l’estomac, dans le cœur, ou dans toute autre partie ? c’est ce qu’on n’a pas encore assez exactement déterminé par l’observation.

13°. Tous les animaux, durant l’hiver, et lorsqu’il règne une température très froide, en tout temps, sont froids à l’extérieur ; mais alors ils sont beaucoup plus chauds à l’intérieur que dans tout autre temps,

14°. La chaleur produite par les corps célestes, même dans les pays, les temps de l’année et les jours les plus chauds, n’est jamais assez grande pour allumer du bois, de la paille, ni même le linge brûlé, à moins qu’on ne la renforce par le moyen des miroirs brûlans ; cependant elle l’est assez pour faire fumer les corps humides.

15°, S’il en faut croire les astronomes, il y a entre les astres des différences pour le degré de chaleur ou de froid ; par exemple, la plus chaude de toutes les planètes, selon eux, c’est Mars, puis Jupiter, ensuite Vénus : et celles qu’ils regardent comme froides, sont la Lune, et Saturne qu’ils regardent comme la plus froide de toutes. Parmi les étoiles fixes, pensent-ils encore, la plus chaude est Sirius, puis le cœur du lion, ou Répulus, ensuite la canicule, etc.

16°. Plus le soleil est élevé sur l’horizon, ou, ce qui est la même chose, plus il est près du zénith, et plus sa chaleur se fait sentir ; ce qu’il faut penser aussi des autres planètes, en raison toutefois du degré de chaleur propre à chacune. Par exemple, Jupiter excite une plus grande chaleur, lorsqu’il parcourt le signe du cancer ou du lion, que lorsqu’il est dans le capricorne, ou dans le verseau.

17°. On doit penser aussi que le soleil lui-même et les autres planètes doivent produire une plus forte chaleur, dans leur périgée, ou leur plus grande proximité de la terre, que dans leur apogée, ou leur plus grand éloignement. Que s’il existe quelque région où le soleil soit en même temps à son périgée et plus élevé sur l’horizon[38], une conséquence nécessaire du concours de ces deux causes est qu’il doit dans cette région exciter une plus grande chaleur que dans celles où, dans le temps de son périgée, il est moins élevé. En sorte que, pour pouvoir déterminer les degrés de chaleur produits par les différentes planètes, il faut aussi comparer ces astres par rapport à leur plus ou moins d’élévation sur l’horizon, selon les différentes situations des lieux.

18°. De plus, le soleil, ainsi que les autres planètes, paroissent occasionner une plus grande chaleur, lorsqu’ils approchent de leur conjonction avec les plus grandes étoiles fixes. Par exemple, lorsque le soleil est dans le signe du lion, près du cœur du lion, de la queue du lion, de l’épi de la vierge, etc. de sirius, de la canicule, il a plus d’action que lorsqu’il est dans le cancer, signe où il est cependant plus élevé sur l’horizon(g). Enfin, l’on peut penser que les parties du ciel où se trouvent le plus grand nombre d’étoiles, et sur-tout les plus grandes, sont celles qui lancent le plus de chaleur sur notre globe, quoique cette chaleur ne soit nullement sensible au tact.

19°. Tout considéré, trois causes peuvent augmenter la chaleur produite par les corps célestes ; savoir : leur plus grande élévation sur l’horizon, leur proximité ou leur périgée, et leur conjonction avec les étoiles.

20°. Il y a certainement fort loin de la chaleur des animaux, ou même de celle qui est produite par les rayons des corps célestes, tels qu’ils arrivent jusqu’à nous, à celle de la flamme la plus douce, et plus encore à celle des corps ardens, ou enfin, à celle des liqueurs et de l’air même, fortement échauffés par le moyen du feu ordinaire. En effet, la flamme de l’esprit de vin, sur-tout lorsqu’elle est rare et nullement resserrée, n’a qu’une chaleur assez foible, chaleur pourtant suffisante pour enflammer la paille, le linge on le papier ; effet dont sont incapables et la chaleur des animaux et celle du soleil, sans le secours des miroirs brûlans.

21°. Or, les flammes et les corps ardens, (chauffés jusqu’au rouge, ou jusqu’à l’incandescence) sont susceptibles d’une infinité de degrés de chaleur différens. Mais les observations en ce genre ont été si peu exactes, que nous ne pouvons que toucher ce sujet en passant. De toutes les espèces de flammes connues, la plus foible paroît être celle de l’esprit de vin ; à moins qu’on n’imagine que le feu follet et ces flammes qu’on a vues quelquefois autour de certains animaux en sueur, ont encore moins de force. Viennent ensuite, à ce que nous pensons, les flammes des végétaux légers et poreux, tels que la paille, le jonc et les feuilles sèches ; flammes dont ne diffèrent pas beaucoup celles des poils ou des plumes. Nous devons peut-être placer immédiatement après, les flammes des différentes espèces de bois, sur-tout de ceux qui ne contiennent pas beaucoup de résine ou de poix ; en observant toute-fois que la flamme des bois fort menus, tels que ceux dont on fait des fagots, est plus légère que celle des troncs et des racines ; comme on peut s’en assurer par la vue de celui qu’on emploie dans les forges de fer, où le feu de fagots et de branches d’arbres ne seroit pas d’une grande ressource. Nous pensons qu’il faut placer ensuite la flamme de l’huile, du suif, de la cire, et celles de toutes les substances onctueuses et grasses de ce genre ; flammes qui n’ont pas beaucoup d’action et de force. Mais une chaleur vraiment forte, c’est celle de la paix et de la résine ; et une chaleur plus forte encore, c’est celle du soufre, du camphre, de la naphte, de l’huile de pétrole, ou des sels(après que la substance crue qu’ils contiennent, s’en est dégagée par la décrépitation) ; ainsi que celle de la flanme des substances composées des précédentes, telles que la poudre à canon, le feu grégeois (connu sous le nom de feu sauvage), toutes substances dont la chaleur est si tenace, qu’il est difficile de les éteindre avec l’eau seule.

22°. Nous pensons aussi que la flamme qui s’élance de certains métaux imparfaits, est très forte et très active. Mais toutes ces différences auroient besoin d’être vérifiées par des observations plus exactes.

23°. Les flammes des foudres les plus redoutables par leurs puissans effets, paroissent avoir infiniment plus d’activité que toutes celles dont nous venonsde parler ; et cette activité est telle, qu’elles fondent le fer même et le réduisent en gouttes ; effet dont toutes les précédentes seroient incapables.

24°. Les corps chauffés jusqu’au rouge, sont susceptibles de différens degrés qu’on n’a pas non plus observés avec assez de soin. Une chaleur que nous regardons comme une des plus foibles, c’est celle de ce linge brûlé qu’on emploie communément pour allumer du feu. Il en faut dire autant de ce bois spongieux ou de ces cordes desséchées dont on fait des mèches pour mettre le feu aux pièces d’artillerie. Vient ensuite le charbon de bois ou de terre, et même la brique chauffée jusqu’à rougir, et autres corps semblables. De toutes les chaleurs de ce genre, la plus forte nous paroît être celle des métaux ardens, tels que le fer, le cuivre, et autres. Mais c’est encore un sujet qui demande des observations plus exactes.

25°. Parmi les corps chauffés jusqu’à rougir, il en est qui sont beaucoup plus chauds que certaines flammes ; par exemple, un fer rouge est beaucoup plus chaud et plus brûlant que la flamme de l’esprit de vin.

26°. Parmi les corps, dont la chaleur n’est pas poussée jusqu’au rouge, ou jusqu’à l’incandescence, et néanmoins fortement chauffés par le moyen du feu ordinaire ; il en est, comme les eaux bouillantes et l’air même renfermé dans les fourneaux de réverbère, dont la chaleur surpasse de beaucoup celle des flammes mêmes et des corps rougis au feu.

27°. Le mouvement augmente l’effet de la chaleur, comme on le voit par l’effet connu du souffle, ou du vent d’un soufflet ; moyen si nécessaire, que, lorsqu’il s’agit de fondre et de liquéfier les métaux les plus durs, un feu mort et tranquille est insuffisant ; il faut absolument l’animer par le moyen du soufflet.

28°. Voici une expérience qu’il seroit bon de répéter, et dont, autant que je puis m’en souvenir, le résultat fut tel que je le présente ici. Supposons qu’on ait placé ua miroir brûlant à la distance d’un empan, d’un corps combustible, il n’allumera ou ne brûlera pas aussi aisément cette matière que si, l’ayant d’abord placé, par exemple, à la distance d’un demi-empan, on le transporte par degrés et fort lentement jusqu’à la distance d’un empan ; cependant le cône de rayons est le même, et leur concentration a égalment lieu, dans les deux cas ; mais, dans le dernier cas, c’est le mouvement même qui augmente la chaleur[39].

29°. On croit communément que certains incendies qui ont lieu lorsqu’il règne un vent très fort, font plus de progrès contre ce vent, que dans sa direction ; phénomène qu’on peut ainsi expliquer : le vent n’étant pas toujours égal, chaque fois qu’il vient à baisser, la flamme réagissant ou revenant en sens contraire, elle s’élance en arrière avec une vitesse et une force supérieure à celle que le vent lui avoit donnée en la poussant devant lui.

30°. La flamme ne brille ou ne s’engendre point, si elle ne trouve à sa portée une concavité où elle puisse exécuter ses mouvemens, et jouer, pour ainsi dire, librement. Il faut en excepter les flammes flatueuses, comme celle de la poudre à canon, et autres semblables ; car alors la compression même qu’éprouve cette flamme ainsi emprisonnée, ne fait qu’augmenter sa force, et elle écarte ces obstacles avec une sorte de fureur.

31°. Une enclume s’échauffe tellement sous le marteau, que si cette enclume n’étoit qu’une lame de métal fort mince, je ne doute point que les coups violens et réitérés du marteau, ne l’échauffassent au point de la faire rougir comme elle rougiroit au feu ; et c’est encore une expérience à tenter[40].

32°. Quant aux corps chauffés jusqu’à rougir, et tellement poreux, que le feu y trouve un espace suffisant pour exécuter ses mouvemens ; si l’on empêche ce mouvement par une forte compression, le feu s’éteint aussi-tôt ; c’est ce qui arrive au linge brûlé, à la mèche d’une chandelle ou d’une lampe allumée, où même à un charbon ardent : dès qu’on les comprime, soit à l’aide d’une presse, soit en mettant simplement le pied dessus, ils s’éteignent.

33°. Lorsqu’on approche un corps chaud d’un autre corps chaud, le premier augmente la chaleur du dernier, et en raison de cette proximité. C’est ce qui a lieu également par rapport à la lumière ; plus l’objet est prés du corps lumineux, plus il est éclairé et visible.

34°. Si l’on réunit plusieurs corps chauds, cette réunion augmente la chaleur de tous ; à moins que ces corps ne soient tout-à-fait mêlés et confondus ensemble ; par exemple, un grand et un petit feu, allumés dans un même lieu, augmentent la chaleur l’un de l’autre[41]. Mais une eau tiède, mêlée avec une eau très chaude, la refroidit[42].

35°. Une autre cause qui augmente la chaleur, c’est la durée de l’action du corps qui la communique. En effet, l’on conçoit que cette chaleur qui s’en écoule continuellement, et qui passe dans un autre corps, se joint, se mêle à celle qui s’y trouvoit déjà, et la multiplie, en quelque manière. Par exemple, un feu qui ne dure qu’une demi-heure, échauffe moins une chambre que ne l’échaufferoit un feu égal qui dureroit une heure entière. Mais il n’en est pas de même de la lumière. Une lampe ou une chandelle allumée dans un lieu quelconque, ne l’éclaire pas plus au bout d’une heure qu’au bout d’une minute.

36°. L’irritation produite par le froid ambiant (environnant), est encore une cause qui augmente la chaleur ; comme on l’observe dans le feu des cheminées, durant une gelée très âpre ; accroissement d’activité qui n’a pas simplement pour cause la contraction de la chaleur (ce qu’on peut regarder comme une espèce de réunion ou de concentration), mais de plus, comme nous l’avons déjà observé, l’irritation, l’exaspération. C’est à peu près ainsi que l’air fortement comprimé, ou un bâton fléchi avec effort ; et abandonnés ensuite à leur ressort naturel, ne reviennent pas précisément au point d’où on les a tirés, mais se portent beaucoup au-delà.

Il faudroit donc observer avec attention ce qui arriveroit À une petite verge de bois, ou à quelqu’autre corps analogue, plongé dans la flamme, et voir s’il brûleroit plus vite dans la partie latérale de cette flamme, que dans le milieu,

37°. Les divers corps s’échauffent plus ou moins vite ; et à cet égard on observe entr’eux de grandes différences. Il faut remarquer, en premier lieu, qu’un très foible degré de chaleur suffit pour échauffer proportionnellement les corps mêmes qui s’échauffent le plus difficilement, et pour y occasionner du moins ce léger changement. Par exemple, la simple chaleur de la main suffit pour échauffer une balle de plomb on de tout autre métal, qu’on y tient pendant quelques minutes ; tant la chaleur s’excite et se transmet aisément dans les corps de toute espèce, sans y occasionner d’ailleurs le moindre changement apparent.

38°. De tous les corps que nous connoissons, celui qui reçoit la chaleur et la perd avec plus de facilité, c’est l’air, comme on le voit par ce qui se passe dans le thermomètre dont voici la construction[43] : prenez un tube de verre de quelques pouces de longueur, et terminé par une boule ; puis l’ayant renversé, plongez-le dans un vaisseau aussi de verre, et en partie rempli d’eau, mais de manière que son orifice touche le fond du vaisseau inférieur[44], et que son cou s’appuie légèrement sur le bord de ce vaisseau, afin que ce tube puisse rester dans cette situation ; stabilité qu’on lui donnera plus aisément, en mettant un peu de cire à l’orifice du vaisseau inférieur, mais pas assez pour le boucher entièrement, et pour empêcher, en interceptant le passage de l’air extérieur, ce mouvement facile et vif dont nous allons parler.

Or, avant de plonger le tube dans le vase inférieur, il faut chauffer la boule qui le termine, et qui, dans l’expérience, doit, comme nous le disions, occuper la partie supérieure, Lorsque ce tube aura été remis à sa place, l’air contenu dans la boule, et qui avoit été dilaté par cette chaleur accidentelle qu’on lui avoit donnée en l’approchant du feu ; cet air, dis-je, se contractera peu à peu à mesure qu’il perdra cette chaleur, et après quelque temps, il n’aura plus qu’un volume égal à celui qu’avoit une égale quantité de l’air ambiant ou commun, au moment qu’on a plongé le tube dans le vaisseau inférieur[45]. Or, à mesure que cet air se contractera, il attirera l’eau du vaisseau inférieur, jusqu’à ce que cette eau, en remplissant une partie de la boule, l’ait réduit à un tel volume. Il faut, sur la longueur du tube, fixer un papier long et étroit, sur lequel on aura tracé un certain nombre de divisions à volonté. Cet appareil une fois mis en place, selon que la chaleur du jour croîtra ou décroîtra, vous verrez l’air se dilater ou se contracter ; ce qui sera indiqué par le mouvement alternatif de l’eau du tube, que la dilatation de l’air fera baisser, et que sa contraction fera monter. Or, la sensibilité de l’air, par rapport au chaud et au froid, est si fine et si exquise, qu’à cet égard elle surpasse infiniment celle du tact humain ; en sorte qu’un rayon solaire, ou la chaleur de l’haleine, ou mieux encore celle de la main appliquée à la partie supérieure du tube, fait sur-le-champ baisser l’eau d’une quantité sensible. Nous croyons cependant que l’esprit animal a un sentiment encore plus exquis, du chaud et du froid ; comme il seroit facile de s’en assurer, si la masse du corps qui l’enveloppe, ne le rendoit plus obtus.

39°. Nous pensons qu’après l’air, les corps les plus sensibles à la chaleur, ce sont ceux qui ont été récemment contractés et modifiés par le froid ; telles sont la glace et la neige, qui, au plus foible degré de chaleur, commencent à se fondre et à se liquéfier. Vient ensuite peut-être le mercure ; puis les substances grasses, telles que l’huile, le beurre et autres semblables : ensuite le bois, l’eau ; enfin, les pierres et les métaux, qui ne s’échauffent pas aisément, sur-tout à l’intérieur. Mais la chaleur qu’ils ont une fois contractée, ils la conservent long-temps, et ils la retiennent si obstinément, qu’une pierre ou un morceau de fer chauffés jusqu’au rouge, jetés dans un bassin rempli d’eau froide, et retirés presque aussi-tôt, sont encore, au bout d’un quart d’heure, tellement chauds, qu’on ne peut y porter la main.

40°. Moins un corps a de masse, et plus il s’échauffe promptement à l’approche d’un corps chaud ; ce qui prouve que toute chaleur près de notre globe, est, en quelque manière, ennemie des corps tangibles (h).

41°. La chaleur, quant à la sensation et au tact humain, est une chose variable et purement relative ; car de l’eau tiède paroît chaude, si la main qu’on y plonge est froide, et paroît froide, si cette main est chaude[46].

XIV.

Que notre histoire naturelle soit encore bien pauvre et bien incomplète, c’est ce dont on aura d’autant moins de peine à s’apercevoir, que, dans les tables précédentes, au lieu d’une histoire et de faits bien constatés, nous insérons quelquefois de pures traditions, de simples ouï-dire (sans oublier pourtant la précaution d’y joindre quelqu’avertissement qui mette le lecteur en état de distinguer les faits douteux, de ceux qui sont appuyés sur de plus graves autorités) ; nous sommes et souvent obligés d’employer ces expressions : c’est un fait à vérifier, une expérience à tenter ; ou encore, ce point auroit besoin d’être éclairci par des observations plus exactes.




Commentaire du second chapitre.


(a) L’exposé de ces faits doit être purement historique, etc. Pour bien saisir l’esprit de la méthode qui va être exposée, il faut y appliquer une observation qu’a souvent faite l’abbé de la Caille : les méthodes géométriques et rigoureuses, disoit-il, ne sont que des méthodes de parade ; dans la pratique ; on est presque toujours forcé d’en revenir aux fausses positions et aux méthodes d’approximation. Par exemple, ajouterois-je, supposons qu’après avoir observé la hauteur d’une étoile sur l’horizon, je veuille m’en servir pour déterminer avec exactitude l’heure de cette observation mème ; et pour régler ma montre ou ma pendule, il faut d’abord que je connoisse la position du soleil relativement à cette étoile, et rapportée à l’équateur, c’est-à-dire, son ascension droite, pour le jour, l’heure, la minute, etc. de l’observation. Or cette heure est précisément ce que je cherche ; il y a donc ici un cercle vicieux : voici comment on s’en tire. Comme on sait toujours l’heure à peu près, et qu’une erreur de ce genre, même considérable, fût-elle d’une heure ou deux, n’en occasionne qu’une fort petite dans l’ascension droite, cette ascension droite ainsi calculée n’en occasionne qu’une égale, et par conséquent aussi très légère dans le calcul de l’heure de l’observation. Ayant donc, par le moyen de cette ascension droite, déjà trouvé l’heure avec plus d’exactitude qu’on ne l’avoit déterminée par la simple estimation, on se sert de cette heure plus exacte pour calculer de nouveau l’ascension droite ; qui, cette seconde fois étant plus exacte, donne aussi l’heure plus exactement que le premier calcul. À l’aide de cette heure, on calcule une troisième fois l’ascension droite ; et ainsi de suite.

De même, pour bien-choisir les faits qui mènent le plus directement à la forme, ou cause essentielle que l’on cherche, il faudrait connoitre déjà cette cause ; par la même raison que, pour découvrir aisément les routes qui abrègent un voyage, il faut l’avoir fait, parce qu’alors en considérant alternativement le point de départ et le point d’arrivée, on aperçoit aussi-tôt les détours inutiles. En rassemblant un grand nombre de faits relatifs à la nature donnée dont on cherche la forme, et sans les choisir avec beaucoup de soin, on applique à ces faits la méthode qui va être exposée, et l’on obtient ainsi un premier résultat, fort grossier et seulement provisoire. Mais ce résultat, tout grossier qu’il est, ne laissant pas de faire entrevoir la forme, cette forme entrevue fournit des indications pour mieux choisir d’autres faits. On applique ensuite la méthode à ces faits mieux choisis, et l’on obtient un second résultat, provisoire aussi, mais plus approchant de la vérité que le premier, et qui sert à obtenir un troisième résultat encore plus exact, comme le premier a servi à obtenir le second ; et ainsi de suite.

Nous avons beau inventer des règles, elles ne nous dispensent jamais entièrement de tâtonner ; parce que les données que nous tirons de l’observation et de l’expérience, n’étant jamais aussi précises que le supposent ces règles ; nous ne pouvons y mettre une précision réelle qu’en resserrant peu à peu l’erreur entre deux limites, l’une du côté de l’excès, l’autre du côté du défaut ; limites que l’observation et l’expérience, combinées avec le raisonnement, nous mettent en état de rapprocher de plus en plus. Cette méthode mixte ; qu’on peut qualifier de tâtonnement savant, nous semble préférable à l’hypothétique précision des géomètres et à l’aveugle empyrisme du vulgaire.

(b) Durant certaines tempêtes, etc. l’écume de la mer paroît toute lumineuse, etc. Lorsque ce phénomène a lieu (et c’est ordinairement, à ce que croient les marins, par un vent de sud-est ou de nord-ouest), chaque vague qui se brise, paroît un petit foyer d’un feu pâle, et la mer semble un vaste champ tout semé de semblables feux ; l’écume que produit le vaisseau en fendant l’onde avec son taille-mer, et le long de laquelle il passe ensuite, lui forme une ceinture brillante ; la trace qu’il laisse derrière lui (ce qu’on appelle le sillage), est un long ruban de feu. Tous ces poissons (comme bonites, dorades, dauphins, etc), qui l’accompagnent, tantôt le côtoyant, tantôt passant et repassant devant lui, tracent des sillons de feu qui se croisent dans tous les sens ; et paroissent eux-mêmes tout enflammés. Ce phénomène, la première fois qu’on en est témoin, a quelque chose d’effrayant, puis on l’admire, enfin on s’y accoutume tellement qu’on n’est plus même tenté d’en chercher la cause. Or, la cause matérielle de cette lumière paroît être une substance visqueuse qui entre dans la composition de l’eau de mer, et qui, en certains lieux, comme les côtes de Bretagne et celles de l’État vénitien, se déposant sur le rivage, le rend fort glissant. Ce qui semble le prouver, c’est qu’à Terre-Neuve, l’eau du havre où l’on est mouillé, et où l’on jette sans cesse les débris de la morue, étincelle en tout temps, comme je m’en suis assuré par moi-même, en 1771, dans le havre du Quairpont, situé près le cap de Grate, la pointe la plus septentrionale de l’île. Mais je dois ajouter, qu’ayant souvent pris de cette eau dans ma main et durant le jour, je la trouvai remplie d’une infinité de petits vers rougeâtres, d’où peut-être vient cette lumière, comme l’ont pensé quelques physiciens. De ce fait et d’autres encore plus connus, il semble qu’on puisse conclure que le gluten animal, lorsque la fermentation putride y est à un certain degré, a la propriété de luire ; et la viscosité parait être une qualité commune à toutes ces matières animales qui jettent de la lumière.

(c) Et quant au froid qu’on y observe aussi, il peut avoir pour cause l’expiration de la terre, etc. C’est une question, parmi les physiciens, de savoir s’il existe un froid positif, c’est-à-dire, une certaine espèce de corps naturellement froids ou refroidissans ; ou si le froid n’est l’effet que de la simple absence ou diminution de la cause de la chaleur. La plupart des anciens étoient du premier de ces deux sentimens ; ils regardoient le globe terrestre comme la première cause du froid, et en conséquence ils donnoient à la terre le nom de premier froid. Muschenbrock est aussi pour le froid positif, et son opinion sur ce point, il l’appuie de raisons qui ne sont point à mépriser, entr’autres de l’observation suivante. Quelquefois, en Hollande, dit-il, le thermomètre étant à deux degrés au-dessous de zéro, il ne gèle point. D’autres fois, au contraire, le thermomètre étant à deux degrés au-dessus du terme de le congélation, et le vent passant au nord-est, il gèle. Ce fait semble décisif ; mais il le seroit davantage, si les limites dans la variation de la température étoient ici moins étroites ; autrement on peut soupçonner, pour cause de cette apparente exception dont il parle, quelque défaut de construction on de position dans son thermomètre. Il allègue aussi en faveur de son sentiment, l’exemple de ce refroidissement artificiel qu’on produit à l’aide d’un mélange de salpêtre et de neige, où de glace pilée. Mais tant s’en faut que nous soyons en état de terminer cette question, que nous n’en savons pas même assez pour pouvoir affirmer qu’il existe une chaleur positive, c’est-à-dire, des corps naturellement chauds ou échauffans ; ou si ce n’est qu’un certain état, un certain mode particulier et accidentel des corps ; par exemple, un mouvement. Bacon lui-même est de ce dernier sentiment ; et ce sera le résultat, du moins provisoire, de la recherche actuelle.

(d) D’où naît une sorte de combat et d’antipéristase, etc. Le lecteur nous demandera peut-être ce que c’est que cette antipéristase dont les anciens parlent si souvent, et qu’on retrouve aussi dans quelques écrits modernes ? Nous répondrons, en premier lieu, que si, pour découvrir la signification de ce mot, on a recours à son étymologie, on trouvera qu’il désigne la réaction d’un corps ambiant et de nature contraire. Nous observerons, en second lieu, que les anciens attachoient à ce mot une signification beaucoup plus étendue, et qu’ils l’employaient pour désigner l’état respectif de ces puissances opposées qui, en se fournissant réciproquement un point d’appui, un sujet d’action, rendent ainsi toutes les actions possibles, et dont le perpétuel combat entretient la vie de l’univers ; qu’en conséquence le principe obscurément indiqué par ce mot d’antipéristase, n’est au fond que l’inverse, ou, si l’on veut, la converse de ce grand principe de Newton, la réaction est égale à l’action ; principe que les anciens avoient aperçu, et dont ils lui ont probablement donné la première idée, mais dont peu de modernes même ont bien senti la justesse, embrassé toute l’étendue et pénétré toute la profondeur ; sur-tout celle de cette converse si féconde, qui est une des plus grandes clefs de la physique, de la morale et de la politique. Car non-seulement la réaction est égale à l’action, mais point d’action sans réaction ; et, toutes choses égales, l’action est elle-même proportionnelle à cette réaction ; ce qui ne signifie pas seulement qu’aucune action n’a jamais lieu, sans que la réaction ait lieu aussi ; mais de plus que, s’il n’y avoit pas de réaction en même temps qu’il y a une action, cette action ne pourroit avoir lieu ; attendu que toute puissance, tout corps capable d’agir sur un autre, a besoin, pour pouvoir exercer son action, de trouver un point d’appui, soit dans une force opposée, soit dans la simple inertie des corps à mouvoir, laquelle résiste, en raison de leur masse, à l’action tendante à les mettre en mouvement.

Pour le démontrer, au plutôt, pour le montrer à l’imagination (car c’est à la jeunesse que nous parlons, les savans n’ayant pas besoin de notre explication), supposons que je donne, avec la main, un coup violent à cette table sur laquelle j’écris ; non-seulement cette table que je frappe me frappant aussi, le coup que j’en reçois est égal à celui que je recevrois si une personne frappoit ma main avec un corps semblable à cette table, et avec une force égale à celle avec laquelle je la frappe : mais si la table ne résistoit à ma main et ne lui rendoit le coup par cette résistance même, la première ne le recevroit pas. En effet, supposons encore qu’au moment où ma main est près de la toucher, elle fuie devant cette main avec une vitesse moindre que celle de la main, il est clair que le coup sera diminué en raison de la vitesse avec laquelle cette table la fuira, Si cette vitesse augmente ; le coup reçu de part et d’autre diminuera proportionnellement, jusqu’au point où la vitesse de la table devenant parfaitement égale à celle de la main, il n’y aura plus de coup.

De même, lorsqu’un cheval tire une charrette, la charrette tire aussi le cheval puisque, si cet animal n’est pas assez fort pour la mettre en mouvement, on le voit revenir vers la charrette, comme il arriveroit si un autre cheval, après le coup de collier donné par le premier, et au moment où celui-ci mollit, le tiroit en arrière avec une force égale ou supérieure à celle qu’il a déployée avant de mollir, et qui tint lieu de la résistance victorieuse que la charrette oppose par sa seule masse, par sa seule inertie.

Or, non-seulement la charrette tire le cheval en arrière ; mais, si elle ne le tiroit pas en arrière, il ne pourroit la tirer en avant ; car, supposons qu’au moment où le cheval donne le coup de collier, le poids de la charrette, ou plutôt que sa masse soit tout-à-coup et totalement anéantie, que tirera-t-il alors ? rien ; et faute de cette réaction que nous venons de supprimer, il n’y aura plus d’action.

Ainsi, dans ce second exemple, comme dans le premier, l’action dépend de la réaction ; et lui est, toutes choses égales, proportionnelle. Quand la force réagissante est supérieure à la force agissante, celle-ci n’obtient pas son effet propre et direct ; mais son action n’en est pas moins réelle, et son effet alors tout aussi réel est de diminuer, non l’effet en général, mais seulement l’effet propre et direct de la force opposée. Ces considérations sont importantes, et leur avantage est de faite disparoître toutes les exceptions ; parce qu’elles nous mettent en état de bien limiter les principes et les règles.

Mais ce qui a lieu dans les chocs, dans les pressions et dans les tractions, doit aussi nécessairement avoir lieu dans les attractions et les répulsions. Si, lorsqu’une planète tend à en attirer une autre, cette autre ne lui résistoit, en l’attirant elle-même et la tirant, pour ainsi dire, à elle, la première ne pourroit attirer la seconde, son action porteroit, pour ainsi dire, à faux ; car si rien ne résistoit à cette force attractive, sur quoi s’exerceroit-elle ? Il en est de même des répulsions.

Ainsi, nul corps ne peut agir sur un autre corps, si cet autre corps ne réagit contre lui ; nulle force ne peut exercer actuellement son action, si une autre force ne lui résiste aussi actuellement ; et, toutes choses égales, son action est proportionnelle à cette résistance.

Ce principe une fois posé, suffisamment éclairci et solidement établi, ne craignons plus de l’appliquer et d’abord à la question qui nous a obligés d’y remonter. L’on conçoit sans peine comment l’eau versée sur la chaux contractant tout-à-coup, par sa froideur, la matière expansive et élastique qui réside dans cette substance pierreuse, et qui s’y est accumulée durant la calcination, bande, pour ainsi dire, les ressorts de celle-ci, en leur fournissant un point d’appui ; et par cette résistance momentanée qu’elle leur oppose, fais qu’ensuite cette matière se débande avec plus de force : puis le froid de l’eau la contracte de nouveau ; elle réagit encore, est contractée une troisième fois, et ainsi de suite ; de manière que, de ces actions et de ces réactions multipliées, naît, soit entre les parties propres de chacun des deux corps qui se combattent, soit entre les parties de l’un et celles de l’autre, un frottement rapide et violent, d’où résulte la chaleur qu’un tel frottement, quelle qu’en soit la cause ; occasionne toujours.

C’est par un méchanisme fort analogue que, durant les grandes gelées, l’air devenu plus dense, plus pesant et plus élastique, rend le feu plus âpre et nos corps plus vigoureux. On peut supposer aussi que la violente irritation dont parle l’auteur, a pour cause la force répulsive que l’eau et la matière ignée exercent l’une sur l’autre, et en réagissant l’une contre l’autre.

Telle est à peu près l’idée qu’on peut se faire de cette antépéristase dont il sera souvent parlé dans les écrits que nous devons interpréter,

(e) Le bois n’est pas aussi froid que le métal, etc. toujours relativement au tact humain. Nous avons, dans une des notes précédentes, rendu raison de cette différence ; mais, si l’on vouloit pousser plus loin cette explication, on pourroit y ajouter ce qui suit. Le froid que l’on ressent en touchant un corps inanimé et fort dense, tel que l’or, quoiqu’il soit à la même température que l’air et les autres corps environnans ; ce froid, dis-je, n’est autre chose que le sentiment que nous avons de la perte que fait de sa chaleur, la partie de notre corps, par exemple, la main qui touche ce corps inanimé, chaleur qu’elle lui communique, en la perdant. Or, la quantité de chaleur ainsi perdue et communiquée, et la sensation qui résulte de cette perte, sont, toutes choses égales, proportionnelles au nombre de parties que le corps touché présente au contact de la main. Mais un corps très dense contenant, sous un volume déterminé, une plus grande quantité de matière propre qu’un corps très rare, présente ainsi au corps qui le touche, un plus grand nombre de parties ; il doit donc dérober à la main plus de chaleur, et paroitre plus froid ; raisonnement qui est assez bien d’accord avec l’expérience.

(f) Car ni ces substances mêmes qui, étant putréfiées, se résolvent en animalcules, etc. Notre auteur paroit ici penser et affirme ailleurs très positivement, que la simple putréfaction suffit pour engendrer des animaux ; opinion fort accréditée chez les anciens, qui avoient eu apparemment leurs raisons pour l’adopter. Les physiciens modernes nient la possibilité d’une génération de cette espèce, comme s’ils connoissoient tout ce qui est possible en ce genre, et n’ignoroient aucune des ressources de la nature ; c’est chez eux une affaire d’habitude ; rien n’est si commun que les générations par voie de fécondation ; leur mémoire est toute pleine de faits de cette espèce ; leur imagination en est frappée. Et d’ailleurs, amoureux de cette uniformité si commode pour tout homme qui veut simplifier, ils prêtent à la nature des vues, des moyens et un plan proportionnés à leur foiblesse. Ils nient donc la possibilité des générations par voie de putréfaction, parce qu’ils n’en ont jamais vu de telles : eh ! comment les auroient-ils vues ? Si elles étaient réelles, elles ne seroient pas visibles, attendu que nos sens n’auroient point de prise sur une opération si délicate.

Que si, des raisonnemens généraux, nous passons aux faits, je dis que les expériences qu’ils allèguent en preuve de leur opinion, ne me paroissent rien moins que concluantes ; car ces petits appareils qu’ils ont imaginés pour fermer le passage aux animalcules (qui, selon eux, viennent déposer leurs œufs ou s’accoupler, et pour tout dire en un seul mot, engendrer dans les liqueurs et autres matières putréfiées) ; ces appareils, dis-je, en fermant le passage à ces animalcules, le ferment aussi à l’air, en totalité ou en partie. Or, il se peut que le contact, non-seulement de l’air, mais de l’air libre et dans toute sa liberté, soit, à leur insu, une condition absolument nécessaire à ce genre de fermentation putride dont s’ensuivent des générations d’animaux ; ce qui laisse une équivoque dans tous les résultats de ces expériences.

Ils ont aussi oublié de se faire une certaine question, et par conséquent d’y répondre ; c’est celle-ci : les deux premiers individus de chacune des espèces qui aujourd’hui engendrent par voie d’accouplement, ont-ils eux-mêmes été engendrés ainsi ? Nous ne risquons rien de répondre que non, attendu qu’avant la formation du premier mâle et de la première femelle, il n’y avoit encore ni mâle ni femelles et à toute question semblable relativement au premier individu de chaque espèce hemaphrodite, on peut faire la même réponse. Mais si ces deux premiers individus n’ont point été engendrés par voie d’accouplement, ou ce premier individu hermaphrodite par la voie d’une fécondation quelconque, il existoit donc dans la nature, avant la formation du premier ou des deux premiers individus de chaque espèce, quelque autre moyen de génération que ceux qui nous sont connus. Or, les forces de la nature étant éternelles comme ce fonds sur lequel elles travaillent, si ce moyen a existé dans l’univers, il doit y exister encore. Reste à dire qu’il peut y être encore, mais n’y être plus à un degré suffisant pour opérer des générations spontanées et immédiates, et c’est ce qui seroit en effet, si ce moyen primitif, cette cause première (et physique) de toute génération n’étoit autre que la chaleur même du soleil. Notre globe s’est prodigieusement refroidi depuis quelques milliers, ou, si l’on veut, depuis quelques millions d’années ; car les chiffres ne coûtent rien. Et il se peut que cette chaleur qui, toute affaiblie qu’elle est aujourd’hui, est encore suffisante pour perpétuer les espèces déjà formées et en reproduire les individus, à l’aide des moules qu’elle trouve tout faits, et qu’elle forma dans les premiers temps de son action, dans le temps de sa plus grande énergie ; que cette chaleur, dis-je, ne soie plus suffisante pour opérer des générations spontanées, produire de nouvelles espèces, ou reproduire les anciennes, par cette première voie qui les produisit. Mais alors ces générations spontanées ne seroient impossibles que d’une impossibilité actuelle ou relative, et non d’une impossibilité absolue, comme le prétendent ces physiciens germinalistes auxquels nous parlons.

Enfin la nature ne nous a laissé qu’un seul moyen pour acquérir des connoissances sur les sujets qui échappent entièrement à l’observation ; c’est de lire l’invisible dans le visible ; et ce qu’elle dérobe à nos yeux, nous pouvons, jusqu’à un certain point, le voir dans ce qu’elle nous montre : or, que nous montre-t-elle ? une circulation universelle et perpétuelle d’élémens et de composés, de matériaux et de force, de vie et de mort. La plante vit des débris de l’animal ; l’animal, des débris de la plante, et servira un jour lui-même de pâture à d’autres végétaux, qui seront à leur tour dévorés par d’autres animaux. Ces eaux que l’océan a perdues par l’évaporation, ou les absorptions, ou les suctions souterreines, lui sont rendues par les fleuves qui réparent leurs pertes, à l’aide de ces mêmes sources qui leur fournirent les premières eaux, et rendront encore à l’océan ces mêmes eaux qu’ils en empruntèrent par l’intermède du ciel ou de ces sources, et qui repasseront de nouveau dans leur lit, pour s’en écouler et y repasser encore, et ainsi de suite à l’infini. Tout fait le cercle. Si donc la nature, ayant brisé le moule d’un animal, reprenoit ses matériaux pour en former réellement des millions d’animalcules, comme elle semble le faire (si nous en croyons plus nos yeux que nos systémes), elle ne feroit là que ce qu’elle fait par-tout ailleurs ; elle ne feroit que se montrer fidèle à la plus générale de ses propres loix, et que se mettre parfaitement d’accord avec elle-même.

Voilà des raisons capables de balancer quelque peu les observations minutieuses et en petit nombre du grand Bonnet, en faveur des germes préexistans, ou les raisonnemens physico-théologiques qu’il a pu y joindre.

Que conclurons-nous donc de ces réflexions ? Que les matières putréfiées peuvent engendrer des animaux ? Non ; mais nous conclurons seulement que de véritables observations sur ce sujet manquant absolument, ou ne prouvant pas plus pour une opinion que pour l’autre, on n’en peut rien conclure, sinon qu’il faut, sur ce grand procès, comme sur tant d’autres, renvoyer les deux parties à un plus ample informé, en publiant le programme suivant, qui peut les engager à s’accommoder :

Vous qui du monde entier embrassez le système,
L’institut vous propose un important problème,
Problème fort ancien et pourtant toujours neuf ;
Lequel vint le premier, de la poule, ou de l’œuf ?

(g) Enfin l’on peut penser que les parties du ciel où se trouvent le plus grand nombre d’étoiles, sur-tout les plus grandes, etc. Il n’y a pas d’apparence que chaque étoile, prise seule, fût-ce même Sirius, ait beaucoup d’action sur notre planète dont elle est si éloignée, Mais il n’est pas croyable non plus que ce nombre infini de soleils que nous voyons semés dans l’espace, et considérés tous ensemble, n’aient aucune action sur notre soleil, et en général, sur notre tourbillon. Chaque étoile, il est vrai, est comme un point par rapport à nous, vu son prodigieux éloignement. Mais, si vous les supposez toutes réunies, elles formeront un fort gros point : or, comme elles agissent toutes ensemble, elles influent sur chaque tourbillon, comme si elles étoient toutes réunies.

De plus, si leur action est de toute autre nature que celle de la lumière et de la chaleur, elle peut être très réelle et assez grande, sans être aperçue. La figure constante des constellations, laquelle semble prouver que toutes les étoiles demeurent constamment à peu près à la mème distance et dans la même situation les unes à l’égard des autres, doit avoir sa cause, et cette cause est probablement un certain équilibre dont la cause nous est inconnue. Or, si tous ces tourbillons sont en équilibre les uns à l’égard des autres, ils agissent donc les uns sur les autres ; et s’ils agissent les uns sur les autres, il y auroit, dans l’astrologie (non pas judiciaire, mais philosophique, et telle que Bacon l’entend), parmi une infinité de chimères, quelque peu de réalité. Car, si les étoiles agissent sur notre soleil qui agit sur nous, les étoiles agissent aussi sur nous. Ainsi, les grands hommes qui ont soupçonné cette influence, n’ont eu que deux torts : l’un, d’avoir vu plus loin que nous ; l’autre, d’avoir dit ce qu’ils voyoient. Tout homme qui aperçoit ce qui échappe aux autres hommes, est condamné à le voir seul, ou à passer pour visionnaire.

(h) Ce qui prouve que toute chaleur ; près de notre globe, est, en quelque sorte, contraire aux corps tangibles. Singulière conclusion ! Il sembleroit plutôt qu’il auroit dû tirer de ces faits, la conséquence opposée ; savoir : que la chaleur est amie des corps tangibles. Car d’un côté, Les corps denses, dérobant plus de chaleur aux autres corps, et retenant plus obstinément celle qu’ils leur ont dérobée, semblent, par cela seul, être plus amis de la chaleur ; et d’un autre côté, les corps denses contenant, sous un volume donné, plus de parties propres, et par conséquent présentant plus de parties au contact des autres corps, sont, par cela même, plus tangibles. Ainsi les corps les plus amis de la chaleur sont aussi les plus tangibles, ou réciproquement. Mais il veut dire qu’il y a une certaine opposition entre ces deux qualités, chaleur et tangibilité ; ce qui est vrai, et peut se prouver ainsi. L’effet propre de la chaleur est de dilater les corps et de les raréfier, en écartant leurs parties. Or, plus leurs parties sont écartées, moins ils contiennent de parties propres sous un volume déterminé, moins ils en présentent au contact des autres corps, et par conséquent moins ils sont tangibles ; quand cette raréfaction est extrème, ils se convertissent en substances aériformes et impalpables, ou intangibles, etc. Donc, etc.

  1. Quand il s’agira de la seule chaleur, nous emploierons ce mot même ; et quand il sera question de comparer au froid cette même qualité, nous dirons le chaud et le froid ; car ces deux façons de parler, la chaleur et le froid ; la nature, la forme du chaud, sont également choquantes ; une des premières précautions à prendre pour éclairer l’esprit, c’est de ne pas blesser l’oreille.
  2. Pas précisément à midi, ni au solstice d’été ; mais deux ou trois heures après midi, et quelques semaines après le temps du solstice. Car le maximum de la chaleur, et en général de l’effet de toute cause dont l’action se fait sentir encore après qu’elle a cessé d’agir, n’est pas au moment précis du maximum de cette cause, mais à l’épogue où son effet actuel joint aux parties de ses effets antérieurs encore subsistantes et successivement accumulées, composent la plus grande somme possible. Voilà une considération que Bacon a oubliée, et qu’on ne trouve nulle part dans ses écrits ; considération bien nécessaire pourtant, et sans laquelle, en physique, on tombe dans de fréquentes méprises ; car l’on est naturellement porté à croire que le maximum de l’effet doit avoir lieu précisément à l’époque du maximum de la cause ; et une fois prévenu de cette opinion, si l’on vient à rencontrer des cas où cette correspondance exacte n’ait pas lieu, ne reconnoissant plus les véritables causes, l’on en suppose ou l’on en cherche d’autres ; et comme ce qui est cause, dans la théorie, est moyen, dans la pratique, la pratique souffre toujours de ces méprises sur les causes. Par exemple, ne seroit-ce pas faute de cette même considération que, n’ayant pu encore déterminer avec assez de précision les inégalités ou variations de la lune, on n’a pu mettre toute l’exactitude souhaitée dans les tables relatives à cet astre, ni dans la détermination des longitudes calculées par le moyen de ses éclipses, ou de ses distances aux étoiles (ce qui importe fort à la navigation) ? car il est probable que le maximum de l’attraction que la terre exerce sur son satellite, a lieu lorsqu’il répond perpendiculairement à l’équateur terrestre, vu le renflement sphéroïdal de notre planète dans cette parties et il est clair que l’augmentation de vitesse dans le mouvement de la lune, qui est l’effet de cette situation, doit subsister en partie, lorsqu’elle a dépassé ce cercle.
  3. Et les verres lenticulaires.
  4. Il peut y avoir ici une équivoque. Car, toutes choses égales, l’intensité de la sensation de froid que nous éprouvons, en touchant avec la main différens corps, tous plus froids que cette main et tous à la même température, jugée par le thermomètre, est proportionnelle à la quantité de chaleur que cette main leur communique et perd en les touchant. Or, la quantité de chaleur communiquée ou perdue dans ce cas, est, toutes choses égales, en raison directe de la densité des corps touchés. Ainsi, les corps très denses doivent, en pareil cas, paroître plus froids que les corps très rares ; et au contraire. Or, les corps velus, laineux, etc. sont des corps qui ont très peu de densité. Ils doivent donc paroitre moins froide au tact ; ou, ce qui est la même chose, plus chauds que les corps denses, comme le verre, les métaux, les pierres, etc. quoiqu’ils soient à la même température jugée par le thermomètre.
  5. Il veut dire, les moyeux.
  6. Ils avaient deux pièces de bois : l’une, en forme de planchette ; l’autre, de forme cylindrique, un peu aiguisée par l’une de ses extrémités ; ils faisoient une petite excavation à la première, logeoient dans ce trou l’extrémité aiguë de la seconde ; puis appuyant la première contre quelque chose de solide, et tenant la seconde entre les deux mains, ils la faisoient tourner rapidement ; à peu près comme on s’y prend pour faire mousser le chocolat.
  7. Étant à Rome en 1780, je fus témoin d’un incendie produit par une semblable cause, et qui consuma quarante maisons. Il avoit plu durant la fenaison, et le foin était encore humide lorsqu’on l’avoit serré. Depuis cette époque, presque tous les greniers à foin sont hors de l’enceinte de la partie habitée, et dans cette autre partie qui est toute en vignes ou en vergers : précaution qu’on devroit peut-être imiter dans toutes les villes mal pourvues de moyens ; soit pour prévenir, soit pour éteindre les incendies.
  8. Il se peut que cette différence ne dépende pas de leur peu de volume, puisque le sang est froid dans les poissons d’un grand volume ; mais il ne connoissoit pas la distinction faite entre les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid.
  9. L’acide sulphureux et l’acide vitriolique. Je sais qu’on à depuis peu changé les noms de ces deux substances ; et je sais aussi que ces nouveaux noms n’y ont rien changé. Dans mes propres écrits, je me ferai une loi d’adopter la nouvelle nomenclature ; mais elle ne me paroit pas encore assez universellement répandue, pour qu’il soit nécesgaire de l’employer dans cette traduction, où je ne parle qu’au grand nombre.
  10. À chaque article en tête duquel on trouve ces mots : à tel exemple affirmatiftel exemple négatif, il faut ajouter mentalement l’un de ces trois mots, placé entre deux, répond… est opposé… comparez.
  11. Ce n’est pas précisément parce qu’on a fait bon feu dès le matin, que le pot bout ; mais parce qu’il y a, dans une certaine maison à deux cents lieues d’ici, une chandelle allumée ; son raisonnement équivaut à celui-là. Durant les jours caniculaires, le soleil est fort élevé sur l’horison ; il l’est depuis long-temps, et les jours sont fort longs : voilà une explication qui vaut au moins la sienne.
  12. Pourquoi une terre ? Il s’agit ici de glaces qu’ils n’avoient pu fondre.
  13. Toutes choses égales, les rayons du soleil sont moins réunis (ou rendus moins convergens) par un terrein convexe que par un sol uni ; et moins aussi par un terrein uni, que par un terrein concave.
  14. Toutes choses égales d’ailleurs (car il ya ici d’autres circonstances à considérer), lorsque le soleil étant plus élevé sur l’horison, ses rayons tombent plus perpendiculairement sur les surfaces parallèles à ce cercle, l’augmentation de chaleur, résultante de cette perpendicularité, est en raison composée de quatre raisons directes.

    1°. IL tombe une plus grande quantité de rayons sur une surface d’une grandeur déterminée.

    2°, Chaque rayon heurtant plus perpendiculairement cette surface, il la heurte avec plus de force.

    3°. Les rayons ont une moindre épaisseur de l’atmosphère à traverser.

    4°. Les rayons traversant alors moins obliquement l’atmosphère, la dispersion résultante, soit de leurs réflexions, soit de leurs réfractions, est aussi moins grande.

  15. C’est-à-dire, de figure convexe, s’il s’agit de miroirs proprement dits ; et de figure concave, s’il est question de verres. Car, comme on le verra plus bas, l’auteur comprend sous ce nom général de miroirs, et les miroirs proprement dits, soit convexes, soit concaves, et les verres de l’une et de l’autre figure.
  16. Si on plaçoit ainsi un miroir proprement dit, comme il semble le prescrire, non-seulement on ne brûleroit pas sa main, mais au contraire on la mettroit à l’ombre.
  17. Il est clair qu’il y a ici une faute dans l’original ; car il s’agit ici d’un verre, puisque l’auteur veut qu’on place l’instrument entre Le soleil et la main, Ainsi, au mot densité, il faut substituer celui d’épaisseur ; et dire à peu près ce qui suit. Selon que l’épaisseur du milieu du verre et celle de ses côtés sont plus ou mains inégales, ce verre a plus où moins le pouvoir d’amplifier ou de rappetisser les images ; et comme l’augmentation et la diminution de la chaleur dépendent de la marche de ces rayons, aussi-bien que l’augmentation et la diminution de ces images, ces observations qu’on a faites par rapport à ces images, il faut aussi les faire par rapport à la chaleur.
  18. Il s’agit ici du thermomètre de Drebbel, dont il donne la description dans un autre endroit, et qui diffère des nôtres à deux égards : 1°. en ce que, dans ce thermomètre, ce n’est pas la liqueur qui est dilatée par la chaleur, ou contractée par le froid ; mais une masse d’air qu’on a laissée dans la boule : 2°, en ce que le tube de ce thermomètre, étant placé dans une situation renversée (la boule en haut), lorsque la chaleur dilate la masse d’air renfermée dans cette boule, cet air, en se dilatant, presse la liqueur de haut en bas, et la fait baisser, tandis que celle des nôtres monte ; et au contraire, quand la chaleur diminue. Mais on sait que cet instrument ne fournit que des indications équivoques, parce que la masse d’air renfermée dans la boule, est affectée par deux sortes de variations ; savoir : par celles de le température, et par celles de la pesanteur de l’air atmosphérique.
  19. C’est aussi ce qu’on a fait depuis, et peut-être d’après cette indication. Mais ayant réuni les rayons de la lune à l’aide de miroirs concaves et fort grands, et fait tomber ces rayons sur la boule d’un thermomètre très sensible, on n’a pu apercevoir aucun mouvement dans la liqueur ; ce qui n’est pas fort étonnant : car, en premier lieu, la surface de la lune est un miroir convexe, qui rend divergens les rayons qu’il réfléchit. En second lieu, les inégalités de la surface de la lune, comme on peut s’en assurer à la vue simple, sont beaucoup plus grandes que celles de la surface de la terre, qui, à la distance où ces deux planètes sont l’une de l’autre, ne seroient presque pas sensibles : nouvelle cause de la dispersion des rayons du soleil. Ainsi la lune est un miroir encore plus mauvais que la terre. Or, on sait qu’à une lieue de la surface de la terre et sous tous les climats, il règne un froid glacial. Ainsi, à 80 ou 90 mille lieues de la lune, les rayons solaires que cette planète a réfléchis, ne doivent pas produire une chaleur bien forte.
  20. L’on sait que, si, ayant placé, à quelques pieds de distance l’un de l’autre, et bien parallèlement l’un à l’autre, deux miroirs sphériques concaves Un peu grands, fussent-ils seulement de carton doré ; on met an foyer de l’un un charbon bien allumé ; et au foyer de l’autre, un corps très combustible ; les rayons de lumière, ou plutôt de chaleur, lancés par le charbon ardent, vont tomber sur la surface du miroir qui en est le plus proche, deviennent parallèles entr’eux après cette première réflexion ; puis, allant tomber sur la surface de l’autre miroir, deviennent convergens au foyer de ce dernier, et y vont allumer le corps combustible. Cet appareil qui se trouve dans presque tous les cabinets de physique, pourroit servir à tenter l’expérience indiquée par Bacon : au charbon, on substitueroit le fer, la pierre, etc. fortement chauffés.
  21. D’après la description très exacte que le chevalier de Forbin nous a donnée d’un feu de cette espèce, il paroit asses bien prouvé que ce n’est autre chose que le fluide électrique, que les ferrures placées aux extrémités des mâts et des vergues soutirent d’un nuage électrisé qui en passe fort près. Ainsi, il paroit probable que l’homme qui, lorsque ce phénomène paroit, seroit assez hardi pour aller tirer une étincelle de ces ferrures, ou, si l’on veut, pour la recevoir, avec quelque partie de son corps, apprendroit par lui-même ce que Bacon vouloit savoir ; et peut-être aussi ne le sauroit-il pas long-temps. Quoique ce phénomène soit assez rare, j’ai quelquefois été moi-même à portée de faire cette expérience ; mais j’avoue que je n’en ai jamais eu la tentation. Pour la faire sans risque, il faudroit s’armer d’un excitateur à manche de verre, ou de toute autre matière idio-électrique.
  22. Car il est d’autres moyens pour les échauffer ; tels que le frottement, la percussion, la pression même.
  23. Elles sont beaucoup plus petites et en plus grand nombre que nos vers luisans.
  24. Ce qui dépend probablement de la différence des densités.
  25. C’est-à-dire, si l’air est naturellement chaud ou froid.
  26. Cette opinion a été renouvellée de nas jours ; il est aujourd’hui tel physicien qui pense que notre globe s’électrise et s’échauffe par le mouvement rapide de sa révolution diurne.
  27. Comme il ne joint, au mot percussion, aucun autre substantif, il y a ici une équivoque : car le boulet choque l’air en le traversant ; et en tombant, il choque des corps plus solides ; genre de choc qui seroit plus capable de l’échauffer : mais la phrase précédente et la suivante prouvent qu’il parle de l’air seulement.
  28. Cet esprit ignée ressemble fort à l’acide ignée de M. Sage, qui ne ressemble à rien ; c’est un nouveau mot qui ne nous apprend rien de nouveau.
  29. On peut opposer celui de tous les animaux à sang froid.
  30. Ce qui peut venir de l’extrême lenteur du mouvement ; Car les mouvemens des animaux sont infiniment plus vifs ; et il est probable que, d’un règne à l’autre, la chaleur diminue à mesure que les mouvemens se ralentissent, comme d’un individu à l’autre, dans le même temps, et d’un temps à l’autre, dans le même individu.
  31. La chaleur actuelle d’un corps est celle dont il est actuellement doué ; et sa chaleur potentielle est celle qu’il peut acquérir lui-même, où donner à un autre corps, sans être lui-même actuellement chaud.
  32. Il s’agit toujours du thermomètre de Drebbel, dont la partie la plus ample est en haut ; mais avec la différence de construction indiquée ici.
  33. J’ai ouï dire à des marins qui avoient fait le voyage de Mahé, ville des Indes, d’où est tiré presque tout le poivre qui se vend en Europe, qu’on est dans l’usage de changer de demi-heure en demi-heure les matelots qui travaillent au poivre dans la calle du vaisseau, et que, lorsqu’on néglige cette précaution, ils sont atteints d’un crachement de sang.
  34. Généralement parlant, et dans les degrés correspondans, les mouvemens qui excitent la douleur, sont plus vifs, plus grands et plus violens que ceux qui font naître le plaisir : or, les mouvemens vifs, grands et violens sont toujours accompagnés d’une sensation très forte de chaleur. Ainsi, un plaisir très vif, tel que celui de la génération, ou d’une grande joie, étant accompagné d’un mouvement plus vif et plus violent que celui qui accompagne une douleur légère, l’est aussi d’une plus grande chaleur.
  35. M. Changeur, physicien aussi modeste que profond, qui a eu les mêmes vues, et qui, pour les avoir, n’a pas eu besoin de lire ce passage, a traité cette matière avec beaucoup d’étendue, dans l’ouvrage portant pour titre, des extrêmes : il m’est inconnus mais j’ai trouvé, dans le journal de physique, un exposé fait par lui-même, et qui en est comme l’extrait ou l’esquisse.
  36. Distinction qui semble assez inutile : si le bois est moins froid que le métal, peut-on dire, il est donc plus chaud ? et par conséquent l’observation de cette différence appartient à cette table-ci ; mais Bacon ne regarde pas le froid simplement comme une moindre chaleur, mais comme une qualité opposée et positive, effet d’un mouvement contraire.
  37. On peut faire ces comparaisons des différens degrés de chaleur, ou de toute autre qualité, d’un temps à un autre temps, dans une même partie d’un même individu, de partie à partie, d’individu à individu, d’espèce à espèce, d’un genre, d’une classe, d’un règne à l’autre, enfin d’un lieu à un autre lieu ; car à quoi bon délayer dans plusieurs pages ce qui peut être dit en quelques lignes ?
  38. Cette région existe en effet, et elle n’est pas petite, car c’est tout l’hémisphère austral : cependant la chaleur y est en général beaucoup moindre que dans l’hémisphère boréal, où le soleil est périgée durant l’hiver, et apogée durant l’été ; différence de température qu’on attribue communément à la vaste étendue des mers qui couvre presque entièrement cet autre hémisphère. Car le froid glacial qui règne en tout temps et sous tous les climats, à une assez petite distance de la surface du globe, prouve qu’il faut moins attribuer la plus grande partie de la chaleur que nous ressentons, aux rayons directs du soleil, qu’aux rayons réfléchis et rendus convergens par les surfaces concaves, ou les surfaces planes tournées vers les mêmes points, lesquelles se trouvent en plus grand nombre sur les continens que sur les mers.
  39. Il y a ici plusieurs circonstances qui mettent de l’équivoque dans le résultat, et auxquelles il n’a point égard. Au fond, il se peut que ce mouvement dont il parle, contribue un peu à augmenter la chaleur ; mais, dans le second cas, le corps combustible demeure exposé à l’action des rayons solaires durant tout le temps qu’on emploie à le transporter de la distance d’un demi-empan à celle d’un empan ; et cette dernière cause peut autant et plus que le mouvement, contribuer à l’augmentation de chaleur qu’il éprouve ; d’ailleurs, il se peut qu’à l’aide de ce mouvement, on parvienne à placer plus exactement au foyer le corps combustible ; et c’est ordinairement dans cette vue qu’on le fait ainsi mouvoir. Mais ce foyer, Bacon n’en parle pas ; et c’est pourtant ici la principale chose à considérer. Au reste, le résultat est toujours tel qu’il le dit, et il est peu de personnes qui n’aient fait cette expérience : mais, à ce mot de miroir, il faut substituer celui de loupe, ou de verre lenticulaire.
  40. Elle l’a été fort souvent ; et a toujours réussi.
  41. C’est ce qui nous paroit fort douteux ; ces deux feux réunis augmentent certainement la chaleur du lieu ; mais comme il est prouvé par l’expérience que tout feu a plus d’activité dans un air froid que dans un air chaud, il semble que ces deux feux doivent, à cet égard, se nuire réciproquement.
  42. Au premier coup d’œil, ce fait semble prouver directement que La chaleur n’est qu’un certain mouvement, et non une qualité propre à une certaine espèce de substance ; puisque la communication de la chaleur se fait précisément suivant la même loi que celle du mouvement, dans le choc des corps. Qu’on lise avec attention les expériences qu’a faites l’abbé Nollet sur le mélange de diffétentes eaux, à différentes températures et en différentes proportions, on trouvera que, pour avoir, par le calcul, la chaleur commune de deux eaux, après leur mélange, et telle que la donne l’expérience, il faut, après avoir multiplié la quantité de chaque eau par son degré de chaleur, ajouter ensemble ces deux produits, et diviser leur somme par celle des deux masses réunies : comme dans le choc de deux corps mous, dont l’un est immobile ; ou qui se meuvent dans la même direction avec des vitesses inégales, pour avoir la vitesse commune après le choc, il faut diviser la somme des deux quantités de mouvement qu’ils avoient avant le choc, ou celle qu’avoit l’un seulement, par la somme des deux masses, Il faut convenir pourtant que, si la chaleur étoit une qualité inhérente à une certaine espèce de fluide qui tendit, comme tous les autres, à se répandre uniformément, la loi suivant laquelle elle se communiqueroit, seroit encore la même, et le résultat soit du calcul, soit de l’expérience, seroit aussi le même. Ainsi, il faut abandonner la conséquence assez spécieuse qu’on est d’abord porté à tirer du fait en question.
  43. C’est toujours celui de Drebbel ; les autres ont été inventés depuis.
  44. Pas trop exactement ; autrement la liqueur du tube n’auroit plus de mouvement.
  45. À celui qu’a actuellement une égale quantité de l’air extérieur, devoit-il dire ; car ces deux airs se faisant équilibre, ils doivent avoir la même densité.
  46. Les scholastiques proposoient cette question : si, ayant une main très chaude, et l’autre très froide, on les plongeoit toutes deux à la fois dans une eau tiède, sentiroit-on du froid ou du chaud ? La réponse est, je pense, qu’on sentiroit d’abord la température apposée à celle de la main dont le degré différeroit le plus de celui de l’eau ; car ce sont les plus grandes différences qui sont le plus sensibles ; et la sensation la plus forte efface La plus foible. Si donc le degré de la main froide étoit plus au-dessous de celui de l’eau que le degré de l’autre main n’est au-dessus, on sentiroit de la chaleur ; et au contraire, dans le cas opposé.