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Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/La Dame du lac/Chant troisième

La bibliothèque libre.
Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Œuvres de Walter Scott, tome vingt-neuvièmeFurne, Charles Gosselin, et Perrotin (p. 361-377).


CHANT TROISIÈME.


LA CROIX DE FEU.


I.

Le Temps ne s’arrête jamais dans son vol rapide. La génération passée, qui berça notre enfance sur ses genoux et amusa notre crédule jeunesse par les antiques légendes et les merveilleux récits de ses aventures, est aujourd’hui effacée de la vie. Dépouillés de leurs forces, et semblables aux débris d’un naufrage, quelques vieillards encore attendent sur les bords de la sombre mer de l’éternité que le reflux de ses vagues les entraîne loin de notre vue. Le Temps ne s’arrête jamais dans son vol rapide.

Cependant il en est qui vivent encore et se rappellent cette époque où le son du cor d’un Chef des montagnes était un signal reconnu dans les campagnes et les forêts, sur les rochers arides, au fond des vallons et au milieu des bruyères du désert. Les clans fidèles venaient en foule se ranger autour de lui ; chaque famille déployait sa bannière, la cornemuse guerrière appelait aux armes, et la croix de feu circulait au loin comme un météore (f).

II.

Les doux reflets de l’aube matinale colorent de pourpre l’azur du loch Katrine ; la brise amoureuse de l’ouest caresse de ses ailes le sein paisible de l’onde, et glisse légèrement à travers le feuillage de la rive ; un doux frémissement agite à peine le lac, tel qu’une vierge qui dissimule en tremblant le plaisir qui l’émeut ; les ombres des monts n’étendent plus sur son cristal limpide qu’un voile douteux dont les mobiles et brillans réseaux ressemblent aux vagues espérances et aux désirs de l’imagination ; le nénuphar ouvre le calice argenté de ses fleurs ; la biche se réveille et conduit son faon dans la plaine étincelante des perles de la rosée ; les vapeurs diaphanes abandonnent les flancs des montagnes ; le torrent précipite ses flots écumeux ; invisible dans son essor, l’alouette réjouit les airs de ses chants ; le merle et la grive tachetée saluent l’aurore dans les buissons touffus, et le ramier leur répond en roucoulant ses airs de mélancolie et d’amour.

III.

Nulle pensée de repos et de paix ne peut dissiper l’orage qui gronde dans le sein de Roderic ; armé de sa claymore, il parcourt d’un pas précipité le rivage de l’île ; il regarde le ciel et porte sa main impatiente sur la garde de son glaive. Cependant ses vassaux disposaient à la hâte, sous l’abri d’un rocher, la cérémonie qui allait se célébrer, et dont les apprêts étaient entremêlés de rites mystérieux et lugubres.

L’ancien usage voulait qu’avant de faire partir la croix de feu, on n’oubliât aucun des sombres préludes de cette solennité. La foule respectueuse reculait souvent avec effroi en rencontrant le regard courroucé de Roderic, semblable à celui de l’aigle des montagnes, quand ce tyran des airs fond des hauteurs du Ben-Venu, déploie ses noires ailes, étend son ombre redoutée sur le lac, et fait taire le peuple timide des oiseaux.

IV.

On voit s’élever un amas de branches flétries de genévrier et d’arbustes sauvages, mêlés aux débris d’un chêne récemment brisé par la foudre. Brian l’Ermite, les pieds nus, avec son froc et son capuchon, se tient debout près de ce bûcher. Sa barbe horrible et ses cheveux mêlés rendent plus sombre son visage où se peint le désespoir ; ses jambes et ses bras nus portent les hideuses cicatrices d’une pénitence fanatique. Le danger qui menaçait son clan avait tiré ce sauvage anachorète de la solitude où il vivait parmi les arides rochers du Benharow (g). Son aspect n’était point celui d’un prêtre chrétien, mais plutôt d’un druide impitoyable, sorti de la nuit des tombeaux, et capable de voir un sacrifice humain d’un œil serein. Il mêlait, disait-on, plusieurs mots profanes du paganisme aux prières que murmurait sa bouche. La sainte croyance qu’il professait ne donnait qu’un caractère plus imposant et plus terrible à ses malédictions.

Le simple villageois n’allait point implorer les prières de cet ermite, le pèlerin évitait sa grotte, et le chasseur, qui en reconnaissait les alentours, rappelait soudain ses limiers ; ou, si l’habitant des montagnes le rencontrait dans quelque vallon ou ravin solitaire, il implorait la pitié du ciel et se signait avec un sentiment de terreur qui ressemblait à la dévotion.

V.

D’étranges bruits couraient sur la naissance de Brian. — Sa mère veillait pendant la nuit près d’une bergerie construite dans une vallée affreuse, où étaient entassés çà et là des ossemens, restes oubliés d’une ancienne bataille et blanchis par la pluie et le souffle des vents. Le cœur d’un guerrier lui-même eût frémi à la vue de ce monument de la guerre. Ici les racines du gazon enchaînaient une main qui, jadis armée du glaive, forçait les rangs d’un bataillon bardé de fer ; le mulot, hôte faible et craintif, avait placé son gîte sous ces os dont l’ample circonférence protégeait naguère comme un bouclier un cœur qui ignorait la crainte. Là ce reptile qui déroule si lentement ses anneaux avait laissé son écume visqueuse sur de fragiles ossemens qui défiaient les années ; plus loin on voyait aussi le crâne d’un ancien Chef encore couronné d’une verte guirlande, car le liseron s’était plu à remplacer le cimier et le panache par ses campanules purpurines.

C’était dans ce sombre lieu que la mère de Brian avait passé une nuit, enveloppée dans les plis de sa mante : elle assura qu’aucun berger ne s’était approché d’elle, que la main d’aucun chasseur n’avait dénoué son snood[1] ; et pourtant depuis lors Alix ne porta plus le ruban des jeunes vierges pour fixer les tresses de sa chevelure ; sa pudique gaieté s’était évanouie ; sa ceinture virginale devint trop étroite ; elle évita depuis cette funeste nuit les temples et les solennités religieuses ; renfermant son secret dans son ame, elle l’emporta avec elle dans la tombe, et mourut en devenant mère.

VI.

Dès sa plus tendre enfance, Brian vécut solitaire au milieu de ses jeunes compagnons, toujours rêveur et chagrin, ennemi de la joie et de la sympathie, et semblant confirmer par son caractère la fable de sa naissance mystérieuse.

Il passait des nuits entières au clair de la lune, confiant sa mélancolie aux bois et aux ondes, jusqu’à ce que, dans son délire, ajoutant foi lui-même à tout ce que la crédulité superstitieuse racontait de son origine, il en vint à chercher son père fantastique dans les sombres vapeurs et les météores. Vainement les cloîtres lui ouvrirent leurs charitables asiles pour adoucir sa bizarre destinée ; vainement les livres de la science lui communiquèrent leurs trésors ; il n’y trouva que de nouveaux alimens pour nourrir la fièvre de son imagination, et il lut avec avidité tout ce qui avait rapport à la magie, aux secrets cabalistiques et aux enchantemens : ses sombres méditations augmentèrent son orgueil sans rassasier sa curiosité. Enfin, l’ame en délire, et le cœur déchiré par de mystérieuses horreurs, il alla cacher son désespoir dans la grotte obscure du Benharow, et renonça aux habitations des hommes[2].

VII.

Le désert lui offrit d’étranges visions, qui eussent été dignes de l’enfant d’un spectre. Aux lieux où les torrens luttent contre de noirs rochers, il contemplait les flots écumeux, jusqu’à ce que ses yeux éblouis vissent apparaître le démon des eaux. Pour lui le brouillard des montagnes prenait la forme d’une magicienne nocturne ou d’un hideux fantôme ; le vent sauvage de la nuit apportait à son oreille les voix plaintives de la tombe ; les champs de bruyère devenaient des théâtres de futurs combats, où la mort moissonnait les rangs des guerriers[3]. C’est ainsi que ce prophète solitaire, séparé de tout le genre humain, se créa un monde imaginaire. Un reste de sympathie le tenait encore lié aux mortels. Sa mère, seul parent qu’il pouvait réclamer, appartenait à l’antique clan d’Alpine. Depuis peu, il avait entendu, dans ses songes surnaturels, le cri prophétique de la fatale Ben-Shie (h) ; au vent de la nuit s’étaient mêlés les pas retentissans de nombreux coursiers, qui semblaient charger l’ennemi sur les rochers de Benharow, inaccessibles aux mortels. La foudre avait frappé un vieux pin ; tout présageait malheur à la race d’Alpine. Brian ceignit ses reins, et vint déclarer tous ces augures menaçans.

Tel est l’homme qui se dispose à faire entendre ses prières ou ses malédictions, selon les ordres que donnera le Chef de sa tribu.

VIII.

Tout est prêt. On apporte de la montagne un bouc, patriarche du troupeau ; on le dépose devant la flamme pétillante du bûcher ; le fer de Roderic lui entrouvre le sein. La victime mourante voit d’un œil résigné les flots de son sang qui rougissent sa barbe épaisse et son corps velu, jusqu’à ce que les ombres de la mort viennent obscurcir ses prunelles flétries. Le prêtre, en murmurant une prière, forme avec soin une croix d’une coudée de longueur, dimension consacrée par l’usage. On avait choisi les rameaux d’un if qui, dans l’île d’Inch-Cailliach[4] étendait son ombre sur les tombeaux du clan d’Alpine, et qui, répondant aux soupirs des brises du lac Lomond, berçait de son frémissement monotone l’éternel sommeil de maint Chef enseveli.

Brian éleva cette croix d’une main décharnée ; il promena ses yeux hagards autour de lui, et pénétra d’une émotion étrange tous ceux qui l’entendirent prononcer ces anathèmes :

IX.

— Malheur à l’homme de notre clan qui, voyant ce symbole formé de l’if funéraire, oubliera que ces rameaux eurent leurs racines dans ces lieux où le ciel fait tomber sa rosée sur les tombeaux des fils d’Alpine ! Traître à son Chef, il ne mêlera point sa poussière à celle des guerriers de sa race ; mais, rejeté loin de ses pères et de sa famille, il entendra tout le clan le maudire et appeler le malheur sur sa tête.

Ici Brian s’arrêta. Ses derniers mots furent répétés par les vassaux de Roderic, qui, faisant un pas en avant et jetant des regards terribles, agitèrent leurs épées dans l’air, et choquèrent rudement leurs boucliers. Leurs clameurs confuses s’élevèrent d’abord comme un murmure lent et prolongé ; puis, semblables au cours d’un torrent qui se précipite en courroux vers la mer, et brise contre le rivage tous ses flots réunis, elles éclatèrent avec fracas : — Malheur au traître ! malheur !

La tête chauve du Ben-An fut frappée de ces accens ; le loup sortit avec joie de sa retraite, et l’aigle poussa un cri de triomphe en reconnaissant le cri de guerre du clan d’Alpine.

X.

Quand le silence régna de nouveau sur le lac et dans la forêt, le moine continua ses exorcismes. Pendant qu’il approchait du feu les extrémités de la croix, sa voix sourde avait un son qui inspirait la terreur : le peu de mots qu’on entendit ressemblaient plutôt au blasphème qu’à la prière, quoiqu’il y eût mêlé le saint nom de la Divinité ; mais, quand il agita sur la foule la croix allumée, il s’écria :

— Maudit soit le misérable qui refuse de s’armer de la lance à l’aspect de ce signal redouté ! De même que le feu dévore ce symbole, un pareil sort l’attend dans sa demeure, asile de la lâcheté ! Les tourbillons de l’incendie y proclameront la vengeance du clan d’Alpine, tandis que les jeunes filles et leurs mères appelleront sur sa tête la misère et la honte, l’infamie et la douleur !

Alors retentirent les aigres clameurs des femmes, semblables aux sifflemens des autours sur les montagnes : leurs imprécations s’unissaient aux bégaiemens de l’enfance, qui cherchait aussi à maudire la trahison ; elles disaient :

— Que la maison du lâche s’écroule, et soit consumée par les flammes ! Maudite soit la plus humble chaumière qui servira d’abri à la tête proscrite que nous vouons à l’infamie et au désespoir !

L’écho gémit, ô Coir-Uriskin ! dans ta caverne habitée par des fantômes ! Un cri lugubre fut entendu dans ce sombre ravin où les bouleaux balancent leur feuillage sur Beala-nam-Bo !

XI.

Le prêtre observe de nouveau un silence profond : son souffle a peine à s’échapper de sa poitrine oppressée ; ses dents se heurtent ; sa main se ferme avec un mouvement convulsif, et ses yeux étincellent. Il médite une malédiction plus terrible encore contre celui qui désobéirait au signal qui l’appelle au secours de son Chef ; il éteint dans le sang les branches enflammées de la croix ; il élève une dernière fois ce signal, et sa voix sépulcrale prononce ces paroles :

— Quand cette croix parcourra de main en main les domaines du fils d’Alpine, pour appeler ses vassaux aux armes, que l’oreille qui feindra de ne pas entendre soit frappée cle surdité ! que le pied qui refusera d’accourir demeure à jamais immobile ! que les corbeaux déchirent les yeux indifférens ! que les loups dévorent le cœur du lâche ! comme ce sang immonde rougit la terre, que son sang abreuve ses foyers ! que le flambeau de sa vie s’éteigne comme cette flamme ! que lui seul il implore en vain la grâce dont ce symbole est le gage pour tous les hommes.

Il a dit. Aucun écho ne répéta le murmure approbateur qui répondit à cette imprécation.

XII.

Alors l’impatient Roderic prit le symbole de la main de Brian :

— Pars, Malise, pars ! dit-il en remettant la croix à son brave écuyer : la prairie de Lanric est le lieu du rendez-vous. Le temps presse ;… pars, Malise, pars !

Semblable à l’agile francolin qui fuit la serre cruelle des autours, une nacelle sillonne le lac Katrine. L’écuyer se tient à la proue ; les rameurs font des efforts si rapides, que l’écume soulevée par le premier coup de l’aviron bouillonnait encore sur le sable de l’île lorsqu’ils atteignirent le rivage opposé : mais la nacelle en était encore à douze pieds de distance, que déjà le messager des combats avait franchi légèrement l’espace qui le séparait de la plage.

XIII.

— Vol, Malise, vole ! Jamais la peau fauve du daim ne fut attaché à un pied plus agile[5]. Vole, Malise, vole ! Jamais un plus pressant motif ne doubla ta force et ton activité. Gravis sans reprendre haleine la montagne escarpée ; descends de sa crête aérienne comme le torrent impétueux ; traverse d’un pas prudent les fondrières et le sol mouvant des marais ; franchis le ruisseau comme le chevreuil bondissant ; glisse-toi dans la fougère comme le chien du chasseur. La montagne est haute ; mais ne recule pas à la vue de sa pente rapide. Ton front est brûlant, tes lèvre sont desséchées par la soif ; mais ne t’arrête pas auprès de la source. Héraut des combats et de la mort, achève ton message ! Ce ne sont point les traces d’un cerf blessé que tu suis ; ce n’est point la jeune fille que tu veux atteindre dans le bocage ; tu ne disputes point à tes rivaux le prix de la course : mais le danger, la mort et la gloire t’ont choisi pour leur messager. Vole, Malise, vole !

XIV.

A la vue du symbole fatal, les habitans des chaumières et des hameaux courent aux armes ; les ravins sinueux, les coteaux boisés, envoient leurs valeureux guerriers. Le messager passait sans s’arrêter ; il montrait le signal, nommait le lieu du rendez-vous, et, s’éloignant avec la vitesse du vent, laissait derrière lui la surprise et les clameurs. Le pêcheur quittait le sable du rivage ; le noir forgeron s’armait de l’épée ; l’heureux moissonneur abandonnait sa faucille ; dans les guérets le soc de la charrue restait oisif au milieu du sillon ; les troupeaux erraient sans gardien ; le chasseur cessait de poursuivre le cerf aux abois, et le fauconnier rendait la liberté à son faucon. Docile au signal d’alarme, chaque vassal du fils d’Alpine se préparait aux combats ; le tumulte et l’épouvante parcouraient le rivage d’Achray.

Lac délicieux ! hélas ! l’écho de tes rives n’était pas fait pour répéter des sons de terreur ! L’image des rochers et des bois se réfléchit avec un calme si pur dans ton paisible cristal !… Les gracieux accords de l’alouette elle-même du haut de son nuage ont quelque chose de trop bruyant, peut-être, pour la douce mélancolie de tes sites.

XV.

Vole, Malise, vole ! — Le lac est déjà derrière lui : les cabanes de Duncraggan se montrent enfin, et semblent des rochers tapissés de mousse, à demi aperçus et à demi cachés dans la verdure des taillis ! c’est là que tu vas pouvoir goûter le repos et laisser au Chef de ces domaines le soin de faire circuler le signal des dangers. Tel qu’un épervier qui fond sur sa proie, l’écuyer de Roderic s’élance dans le vallon ; il approche quels lamentables accens frappent son oreille ! Ce sont les chants plaintifs des funérailles, les gémissemens des femmes ! Un brave chasseur ne sera plus la terreur des forêts ! un guerrier valeureux ne cueillera plus les palmes de la gloire ! Qui pourra le remplacer auprès de Roderic dans le noble exercice de la chasse et dans la mêlée des batailles ? Le château est tendu de noir, les rayons du jour en sont bannis, et remplacés par la lueur des torches lugubres ; Duncan est déposé dans le cercueil que sa veuve mouille de ses larmes : son fils aîné se tient tristement auprès d’elle ; le plus jeune pleure sans savoir pourquoi. Les vierges du hameau et leurs mères prononcent le coronach des funérailles.

XVI.
LE CORONACH[6].

Il n’est plus l’honneur des montagnes !
A l’heure du danger nous l’avons vu périr,
Comme on voit l’onde se tarir
Quand le soleil d’été va brûler nos campagnes !

Mais une bienfaisante pluie
Soudain fait rejaillir la source du coteau :
Duncan va descendre au tombeau ;
A nos cœurs pour toujours l’espérance est ravie !

La faucille du laboureur
Epargne les moissons qui sont vertes encore :
Hélas ! la voix de la douleur
Gémit sur le guerrier qui tombe à son aurore !

Le souffle des froids aquilons
Dépouille la forêt des feuilles jaunissantes :
La fleur qu’aujourd’hui nous pleurons,
Jeune encore, brillait de couleurs éclatantes !

Agile chasseur des coteaux,
Ta prudence savait préparer la victoire,
Ton bras nous guidait à la gloire :
Duncan, tu vas dormir du sommeil des tombeaux !

Tel que la vapeur des montagnes,
Tel que le flot qu’on voit des monts jaillir soudain,
Et fuir au loin dans les campagnes,
Le héros, parmi nous, n’a vécu qu’un matin !

XVII.

Voyez Stumah[7] qui près du cercueil contemple d’un œil surpris le corps de son maître ! Pauvre Stumah, qui au moindre geste de Duncan s’élançait plus rapide que l’éclair ! Mais il relève la tête, et dresse ses oreilles comme s’il entendait les pas d’un étranger. Ce n’est point la marche ralentie d’un ami qui vient pleurer sur le guerrier qui n’est plus, mais l’approche précipitée de la terreur. Chacun attend d’un air effaré : l’écuyer de Roderic entre dans la salle, et, s’arrêtant près du cercueil sans faire attention à la pompe funèbre qui s’offre à ses regards, il élève la croix rougie dans le sang, et s’écrie :

— Le rendez-vous est à la prairie de Lanrick ; qu’on se hâte de faire parcourir tous les domaines du clan à ce symbole redouté.

XVIII.

Angus, l’héritier de Duncan, s’élance et saisit la croix fatale. Le jeune homme s’empressa d’attacher à son côté la dague et la claymore de son père ; mais quand il aperçut sa mère qui l’observait avec une douleur muette, il se précipita dans ses bras, et déposa sur ses lèvres le baiser de ses adieux.

— Hélas ! dit-elle avec un sanglot, tu m’abandonnes ! — Mais non ; pars, montre-toi le fils de Duncan.

Angus jeta un dernier regard sur le cercueil, essuya une larme, poussa un profond soupir comme pour reprendre haleine, et agita avec un geste de fierté le panache de sa toque : alors, tel qu’un jeune coursier de noble race qui obtient pour la première fois la liberté d’essayer son ardeur et sa vitesse, il s’échappe, et vole à travers la bruyère, armé de la croix de feu.

Sa triste mère retint ses larmes jusqu’à ce qu’elle eût cessé d’entendre le bruit lointain de ses pas ; et, voyant les yeux de l’écuyer laisser tomber les larmes d’une sympathie que son cœur ne connaissait guère, elle lui dit :

— Cousin, il a terminé sa carrière celui qui aurait dû porter ton message !… Le chêne est tombé… un seul de ses rejetons est aujourd’hui le dernier appui de Duncraggan ; mais j’espère que le Dieu de l’orphelin protégera mon fils.

— Et vous, braves vassaux qui, fidèles dans le danger, tiriez vos glaives de leurs fourreaux au premier signe de Duncan, courez aux armes ! soyez les défenseurs de l’héritier de votre Chef ! laissez aux femmes et aux enfans le soin de pleurer le héros. —

A ces mots le choc des armes et les clameurs belliqueuses retentissent dans la salle funèbre : tous les vassaux détachent des murailles les claymores et les boucliers : un feu passager ranime les yeux abattus de la veuve, comme si ce tumulte cher au héros allait réveiller Duncan dans son cercueil ! Mais ce courage emprunté s’évanouit bientôt ; la douleur réclama ses droits, et les larmes coulèrent encore.

XIX.

Benledi reconnut la croix de feu : elle brilla comme l’éclair sur le sommet de Strath-ire, et parcourut les vallons et les collines[8]. Le jeune Angus ne prend pas un seul instant de repos ; il laisse sécher par la brise des montagnes la larme qui vient mouiller sa paupière. Il voit enfin rouler les ondes naissantes du Teith, qui baignent la base d’un coteau boisé, dont la verdure s’étend jusque sur le sable de la rive : c’est là que s’élève la chapelle de Sainte-Brigite. Le fleuve était gonflé par la crue de ses eaux ; le pont était éloigné : mais Angus n’hésite pas, quoique les sombres flots bondissent et achèvent d’éblouir ses yeux déjà troublés par la douleur ; il se précipite à travers le torrent qui écume et rugit ; sa main droite élève la croix ; sa main gauche a saisi sa hache d’armes pour guider et raffermir ses pas. Deux fois il chancelle… l’écume jaillit au loin, le torrent gronde avec une violence nouvelle… Si Angus tombe… c’en est fait de l’orphelin de Duncraggan ! Mais sa main serre la croix des combats avec plus de force, comme s’il était au moment de périr. Il parvient à la rive opposée, et gravit le sentier qui conduit à la chapelle.

XX.

Un joyeux cortège s’était rendu à la chapelle de Sainte-Brigite. Marie de Tombea s’unissait au jeune Norman, héritier d’Armandave. Les amis et les parens de l’heureux couple passaient sous les arceaux gothiques, et allaient se remettre en marche après la cérémonie nuptiale. Les vieillards, en habits de fête, souriaient au souvenir de leurs premiers plaisirs : les compagnons de l’époux cherchaient à exciter la gaieté des jeunes filles, qui feignaient de ne pas les écouter ; les enfans faisaient entendre leurs bruyantes clameurs, et les ménestrels célébraient à l’envi les attraits de la nouvelle épouse, dont l’œil était baissé avec modestie. Ses joues vermeilles rappelaient l’incarnat de la rose sur laquelle étincelle une larme de l’aurore. Elle s’avance d’un pas timide, et sa main tremblante tient les plis de son voile, dont le tissu a la blancheur de la neige.

Le fiancé marche à côté d’elle en la contemplant avec un air de triomphe, et l’heureuse mère lui parle à l’oreille avec le sourire de la joie.

XXI.

Quel est celui que le cortège rencontre sur le seuil du temple ?… Le messager de la terreur et du trépas. Il balbutie avec l’accent de la précipitation ; ses yeux nagent dans la douleur. Encore humide des flots du torrent, souillé par la poussière, respirant à peine, il présente le signal des batailles, et répète les paroles de Malise :

— Le rendez-vous est dans la prairie de Lanrick ; hâte-toi, Norman, de porter ce signal.

Quoi donc ! faut-il qu’il abandonne la main qu’un saint nœud vient d’unir à la sienne, pour s’armer de la fatale croix et de l’épée ! faut-il que ce jour qui a commencé sous de si heureux auspices, et qui promettait des plaisirs si doux à son déclin, sépare, avant le coucher du soleil, un époux de celle dont il vient de recevoir la foi ! Cruelle destinée… il le faut ! La cause du clan d’Alpine, la gloire de Roderic, son terrible signal ne souffrent aucun délai, il faut partir, — Norman ; obéis sans hésiter.

XXII.

Norman se dépouille lentement de son plaid, et fixe d’un regard attendri son aimable fiancée, jusqu’à ce qu’il aperçoive les larmes qui coulent de ses beaux yeux : hélas ! ils expriment une douleur qu’il doit renoncer à adoucir. N’osant pas risquer un second regard, il part en suivant le cours de l’onde et sans tourner la tête, jusqu’à ce qu’il ait atteint le lac de Lubnaig.

Quelle pensée afflige le cœur de Norman ? C’est le douloureux sentiment de l’espérance différée, et le cruel souvenir de ses vaines visions du matin. A l’impatience de l’amour se mêle en lui la noble soif de la gloire ; il éprouve cette joie tumultueuse des montagnards lorsqu’ils courent à leurs lances ; il brûle d’un zèle généreux pour son clan et son Chef ; il se figure son retour prochain, et son triomphe lorsque après avoir combattu avec valeur, et portant sur son cimier les honneurs de la guerre, il pourra serrer sa Marie sur son sein. Exalté par ces idées, il franchit les ruisseaux et les bruyères, rapide comme l’étincelle qui jaillit du caillou ; son enthousiasme martial et son amour inspirent à la fois ses chants.

XXIII.
LE CHANT DU JEUNE NORMAN.

Mon lit ce soir sera l’humble bruyère,
Et mes rideaux le feuillage des bois :
Belle Marie, aux accords de ta voix
Va succéder une chanson guerrière.

Peut-être encor qu’un plus profond sommeil
M’attend demain sur la plaine sanglante :
On entendra gémir ta voix touchante ;
Mais ton amant n’aura plus de réveil !


Je n’ose plus me retracer l’image
De la douleur qu’exprimait tes beaux yeux ;
Je n’ose plus rêver à tes adieux ;
Ce souvenir énerve mon courage !

Mais quand l’honneur appelle nos guerriers,
Regret d’amour à sa voix doit se taire :
Oui, je le sens, ma valeur sera fière
De mériter Marie et des lauriers ?

S’il faut payer ces lauriers de ma vie,
Si ton ami succombe au champ d’honneur,
Un souvenir consolera son cœur ;
En expirant il nommera Marie !

Mais si, vainqueur, je viens à tes genoux
Goûter les fruits que promet la victoire,
Tes chants d’amour à l’hymne de la gloire
Ajouteront un charme bien plus doux !

XXIV.

La voix terrible de la guerre retentit d’écho en écho dans tes plaines, ô Balquidder ! Tel est, moins rapide peut-être, l’incendie qui s’étend au loin pendant la nuit, dévorant sur son passage les bruyères de tes ravines et de tes vallons, enveloppant d’un voile de pourpre tes âpres rochers, et rougissant les sombres lacs qu’ils dominent[9] !

Le signal belliqueux réveille les sombres échos du loch Voil : il trouble le silence du loch Doine, et alarme jusqu’à leur source les flots marécageux de Balvaig.

Norman continua sa course en descendant vers le sud dans la vallée de Strath-Gartney, jusqu’à ce que tous ceux qui pouvaient réclamer le nom d’Alpine eussent pris les armes, depuis le vieillard en cheveux blancs, dont la faible main tremblait en fixant le glaive à son côté, jusqu’au jeune homme dont la flèche et l’arc faisaient à peine fuir le corbeau.

Chaque vallon isolé envoya ses soldats, qui se réunirent au rendez-vous, et formèrent une masse d’hommes prêts à combattre, semblables à ces torrens des montagnes dont les flots confondus se répandent en grossissant leur murmure, et deviennent un fleuve puissant. Tous ces vassaux de Roderic, élevés dans l’art des batailles depuis le berceau, ne respectaient d’autres liens que ceux de leur clan, d’autre serment que celui qu’ils avaient prononcé par le bras de leur Chef[10], d’autres lois que les ordres du fils d’Alpine.

XXV.

Ce jour-là Roderic avait parcouru les confins de Ben-Venu, et il avait envoyé ses espions pour observer les frontières de Menteith. Tous revinrent lui apprendre que rien n’annonçait la rupture de la trève : tout était paisible dans les domaines de Grœme et de Bruce ; aucun cavalier ne se montrait dans Rednock ; nulle bannière ne flottait sur les crénaux de Cardross ; aucun signal sur les tours de Duchray ne faisait fuir par la clarté de sa flamme les hérons du loch Con ; tout paraissait paisible.

Savez-vous pourquoi le Chef va visiter avec un œil si inquiet la frontière de l’ouest avant de se rendre au lieu du rendez-vous ?

Un objet plein de charmes était caché dans une sombre gorge de Ben-Venu. Ce matin même Douglas, fidèle à sa promesse, était parti de l’île et avait été chercher un refuge dans une grotte solitaire.

Plus d’un vieux harde a célébré Coir-Nan-Uriskin[11] dans la langue celtique ; les Saxons donnèrent un nom plus doux à cette grotte, et l’appelèrent la caverne des Esprits.

XXVI.

Jamais les pas d’un exilé ne foulèrent une retraite plus sauvage. La caverne s’ouvrait dans les flancs de la montagne, comme la blessure faite au sein d’un géant. Ses bords avaient arrêté dans leur chute plusieurs débris de rochers qu’un antique tremblement de terre avait arrachés du sommet stérile de Ben-Venu : entassés comme des ruines éparses que le hasarda réunies, ils formaient, par leurs saillies anguleuses, l’ouverture de la grotte. Le chêne et le bouleau, entrecroisant leurs ombres épaisses, interceptaient les rayons du soleil ; mais quelquefois un rayon égaré brillait soudain à travers ce sombre crépuscule, comme le regard rapide qu’un prophète inspiré jette dans les ténébreuses profondeurs de l’avenir.

Aucun bruit ne troublait le silence solennel de ces lieu excepté le murmure timide d’une source solitaire ; mais, quand les vents bouleversaient les ondes du lac, un tumulte sinistre qui s’élevait tout à coup annonçait l’éternelle lutte des vagues contre leurs digues ; des rochers, suspendus sur la caverne, semblaient la menacer sens cesse de leur chute. C’était un repaire pour les loups ou pour la famille du chat-pard. Telle fut cependant la retraite où Douglas et sa fille vinrent chercher un refuge.

La superstition, avec l’accent de l’effroi, arrêtait tous ceux qui auraient osé y porter leurs pas ; car, disait-elle, c’était le rendez-vous des fées et des urisks[12] de la montagne, qui venaient y célébrer leurs danses mystérieuses au clair de la lune, et qui auraient frappé de mort l’indiscret qui les eût épiés et surpris.

XXVII.

Les ombres plus épaisses du soir flottaient sur les ondes majestueuses du loch Katrine lorsque Roderic, accompagné de quelques-uns des siens, repassa les hauteurs de Ben-Venu. Il se dirige du côté de la caverne des Esprits, à travers les arides sentiers de Bealanam-Bo[13] : ses zélés vassaux le devancent pour mettre la nacelle à flot, car le Chef avait le projet de traverser le lac pour visiter les défilés d’Achray et y poster ses soldats. Roderic semble s’éloigner à regret ; il est rêveur et reste en arrière de sa suite : un seul page, contre sa coutume, chargé de porter son épée, marche à côté de son seigneur ; le reste de ses compagnons a franchi les taillis, et l’attend sur les bords du loch Katrine[14]. C’était un beau spectacle de les voir d’une hauteur voisine, aux dernières clartés du soleil couchant ! Chacun de ces guerriers, choisis parmi l’élite du clan, était remarquable par sa force et sa stature ; on les reconnaissait tous de loin à leur démarche fière, à leur air martial. La brise du soir fait onduler leurs panaches et flotter leurs tartans ; leurs boucliers étincellent, ils forment auprès du bateau un groupe guerrier en harmonie avec un tel rivage.

XXVIII.

Le Chef ne peut s’arracher de ces lieux si voisins de l’antre obscur où Douglas s’est retiré ; il est dans le sentier qui y conduit. Le même jour, au lever de l’aurore, Roderic avait juré avec orgueil d’oublier son amour dans le tumulte des combats, et de renoncer à Hélène ; mais l’homme qui voudrait arrêter un fleuve avec une digue de sable, ou enchaîner un incendie avec des liens, entreprendrait une tâche plus facile que s’il jurait de dompter l’amour.

Le soir trouve Roderic errant autour du trésor qu’il a perdu, comme une ombre privée du repos de la tombe : son cœur trop fier se refuse la douceur de voir une dernière fois celle qu’il aime ; mais il cherche encore avec une tendre inquiétude à saisir les accens de sa voix, et maudit dans sa pensée la brise qui, jalouse de son bonheur, agite les arbres de la grotte. Mais silence !... Quels accords se mêlent au bruissement du feuillage ? C’est la harpe d’Allan-Bane qui prélude avec un murmure solennel, et accompagne un hymne religieux. Quelle est cette douce voix qui se marie à l’instrument harmonieux ? c’est la voix d’Hélène ou celle d’un ange.

XXIX.
HYMNE A LA VIERGE.

Ave, Maria !
Reine du ciel, salut ! Vierge propice,
J’élève à toi la voix de ma douleur !
Des affligés divine protectrice,
Tu sais charmer les maux cuisans du cœur :
C’est vainement qu’on proscrit l’innocence ;
Elle te doit sa douce confiance.

Vierge angélique, écoute-moi ;
D’une vierge timide exauce la prière.
Mère d’un Dieu, c’est pour un père
Qu’une fille éplorée ose espérer en toi.
Ave, Maria !
Ave, Maria !
Ce dur rocher, dans sa grotte sauvage,
Seul de Douglas reçoit les pas errans :
Daigne sourire à mon pieux hommage
Les palais d’or seront moins éclatans.
A l’air infect de la caverne obscure
Déjà succède une vapeur plus pure.

Vierge céleste, écoute-moi ;
D’une vierge timide exauce la prière :
Mère d’un Dieu, c’est pour un père
Qu’une fille éplorée ose espérer en toi.
Ave, Maria !
Ave, Maria !
Ce sombre lieu fut la retraite affreuse
Des noirs démons de la terre et des airs :
Sois avec nous, Vierge mystérieuse…..
Ils vont tous fuir dans le fond des enfers !
Oui, dans mon cœur je sens que ta présence
A réveillé la céleste espérance !

Vierge angélique, écoute-moi ;
D’une vierge timide exauce la prière

Mère d’un Dieu, c’est pour un père
Qu’une fille éplorée ose espérer en toi.
Ave, Maria !

XXX.

Les derniers accords de l’hymne expiraient sur la harpe… Le chef du clan d’Alpine, dans l’attitude immobile de l’attention, et appuyé sur sa pesante épée, semblait écouter encore. Le page lui fit remarquer deux fois par un geste timide que le jour était à son déclin.

Alors s’enveloppant dans son manteau. — Voilà la dernière fois, oui, la dernière ! répéta-t-il, que Roderic entend la voix de cet ange.

Cette pensée était déchirante… Il descendit vers le rivage, d’un pas précipité, s’élança dans le bateau avec un air farouche. Déjà le lac est traversé : Roderic presse sa marche du côté de l’occident, et les derniers rayons du jour allaient disparaître lorsqu’il arriva sur les hauteurs de Lanrick, d’où il découvrit l’armée du clan d’Alpine, dont les rangs s’étendaient dans la prairie.

XXXI.

L’aspect de ces guerriers offrait un tableau varié : les uns étaient assis ou debout ; les autres se promenaient à pas lents : mais la plupart, enveloppés dans leurs manteaux, dormaient étendus sur le sol, et pouvaient à peine être distingués des touffes de bruyère, tant les couleurs de leurs tartans se confondaient avec les nuances de la verdure ; çà et là seulement la lame d’une épée, ou le fer d’une lance, jetait une lumière soudaine, semblable à l’éclat passager qui trahit la luciole sous l’ombrage ; mais dès que le panache flottant du Chef fut reconnu dans les ténèbres, les bruyantes clameurs d’un enthousiasme martial ébranlèrent la base de la montagne : trois fois elles s’élevèrent au loin dans la plaine de Bochastle, et trois fois l’écho du lac et. des rochers y répondit, jusqu’à ce qu’enfin le silence régna de nouveau avec la nuit.


FIN DU CHANT TROISIÈME.
Notes


CHANT TROISIÈME.

Note f. — Paragraphe i.

Quand un Chef voulait convoquer son clan dans un pressant danger, il tuait une chèvre, et, taillant une croix de bois, en brûlait les extrémités pour les éteindre dans le sang de l’animal : c’était ce qu’on appelait la croix du feu, et aussi Crean Tarick, ou croix de la honte, parce qu’on ne pouvait refuser de se rendre à l’invitation qu’exprimait ce symbole, sans être voué à l’infamie. La croix était confiée à un messager fidèle, et agile à la course, qui la portait sans s’arrêter jusqu’au village voisin, où un autre courrier le remplaçait aussitôt par ce moyen, elle circulait dans la contrée avec une célérité incroyable.

Note g. — Paragraphe iv.

L’état de la religion dans le moyen-âge laissait de grandes facilités à ceux qui, par leur genre de vie, étant exclus du culte régulièr, voulaient cependant se conserver l’assistance spirituelle d’un confesseur prêt à adapter sa doctrine aux besoins particuliers de son troupeau. On sait que le fameux Robin Hood avait pour chapelain le moine Tuck : ce moine tronqué était probablement de la même espèce que ces pères spirituels des bandits de Tynedale, contre lesquels, sous Henri VIII, l’évêque de Durham fulmina une excommunication. (Voyez Ivanhoe.)

Note h. ― Paragraphe vii.

Ce bruit entendu sur le Benharow fait allusion à un présage semblable, qui annonce toujours, assure-t-on, la mort à l’ancienne famille de M. Lean : c’est l’esprit d’un de ses ancêtres, tué jadis dans une bataille, qui galope sur une montagne.

  1. Le ruban des filles écossaises, appelé snood, était un emblème de la virginité, que les femmes mariées remplaçaient par la coiffe, curch ou toy : mais, si la jeune fille avait le malheur de perdre ses droits au titre de vierge sans obtenir celui d’épouse, il ne lui était plus permis de porter le snood, et elle ne pouvait porter la coiffe. Les vieilles ballades écossaises font souvent de malicieuses allusions à cette circonstance.
  2. En adoptant la légende concernant la naissance du fondateur de l’église de Kilmalie, l’auteur a essayé de retracer les effets qu’une semblable croyance devait produire, dans un siècle barbare, sur celui qui l’entendait raconter. Il est probable qu’il devait devenir un fanatique ou un imposteur, ou plutôt le mélange de ces deux caractères, qui existe plutôt que l’un ou l’autre séparément. Dans le fait, les personnes exaltées sont fréquemment plus jalouses de graver dans le cœur des autres la croyance en leurs visions, qu’elles ne sont elles-mêmes convaincues de leur réalité ; de même qu’il est difficile à l’imposteur le plus de sang-froid de jouer long-temps le rôle d’enthousiaste sans croire lui-même un peu ce qu’il veut persuader. Il était naturel qu’un personnage tel que l’ermite Brian ajoutât foi aux superstitions des montagnards. Cette stance VI fait allusion à quelques-unes de ces superstitions locales.
  3. La plupart des grandes familles de l’Ecosse étaient supposées avoir un génie tutélaire, ou plutôt domestique, qui leur était attaché exclusivement, s’intéressait à leur prospérité, et les avertissait par ses cris plaintifs quand quelque malheur les menaçait. Celui de Grant s’appelait May-Moulach, et lui apparaissait sous la forme d’une jeune fille qui avait un bras velu. Un autre Grant de Rothermucus avait aussi à ses ordres un de ces esprits, nommé Bodachan-dun, ou l’esprit de la colline.
    La Banchie était la fée dont les gémissemens précédaient toujours, dit-on, la mort d’un Chef. Quand cet esprit femelle est visible, c’est sous la forme d’une vieille femme aux cheveux flottans et couverte d’un manteau bleu.
    La mort d’un chef de famille est aussi quelquefois annoncée par une chaîne de lumières de diverses couleurs, appelée Dreugh, ou la mort du Druide, et qui se dirige vers le lieu de la sépulture.
  4. Inch-Caillach, l’île des Nonnes ou des vieilles Femmes, est une île délicieuse à l’extrémité du Loch Lomond. Il reste à peine quelques ruines de l’église ; mais on y trouve encore le cimetière, qui continue de recevoir les dépouilles mortelles des clans voisins. Les monumens les plus remarquables sont ceux des lairds de Mac-Gregor, qui prétendent descendre de l’ancien roi écossais du nom d’Alpine.
    Les montagnards sont très jaloux de leurs droits de sépulture, comme on doit l’attendre d’un peuple dont les lois et le gouvernement (si ce nom peut être donné aux institutions d’un clan) reposent sur le principe de l’union des familles.
    Que ses cendres soient jetées à l’eau ! était une des imprécations les plus terribles qu’un montagnard pût adresser à un ennemi.
  5. Le bogle, chaussure actuelle des montagnards, est fait de cuir, avec des trous pour laisser l’eau pénétrer et s’écouler ; car on ne peut espérer de traverser les marécages à pied sec. L’ancienne bottine est encore une chaussure plus grossière que le bogle ; les poils de la peau étaient en dehors.
  6. Nous répéterons seulement, au sujet du coronach des montagnards, que c’est l’ululoa des Irlandais et l’ululatus des Romains.
  7. Nom de chien qui répond à notre Fidèle.
  8. Ceux qui voudront connaître les pays que parcourt la croix de feu envoyée par Roderic, doivent la suivre sur la carte jointe à ce poëme.
  9. Il est bon d’informer le lecteur que l’on met souvent le feu aux bruyères d’Ecosse, pour que les troupeaux puissent brouter l’herbage nouveau qui les remplace.
  10. Le respect aveugle que les hommes du clan portaient à leur Chef rendait ce serment très solennel.
  11. Coir-Nan-Uriskin est une caverne pratiquée dans le mont de Ben-Venu ; elle est entourée d’énormes rochers, et ombragée par des bouleaux et des chênes, production spontanée de la montagne, là même où les rochers sont totalement nus. Un lieu aussi bizarrement situé près du loch Katrine, et dans le voisinage d’un peuple dont tous les penchans sont romantiques, n’est pas resté sans avoir ses divinités locales.
    Le nom de Coir-Nan-Uriskin veut dire la caverne de l’homme sauvage ; et la tradition attribue à cet Urisk, qui lui donne son nom, une forme qui tient à la fois du bouc et de l’homme : et bref, dût le lecteur classique en être encore plus surpris, tous les attributs du satyre grec *.
    (*) Le Dr. Graham, que sir Walter Scott cite souvent, prétend que le poète s’est trompé en assimilant l’Urisk au satyre.
  12. Lutin des montagnes d’Ecosse.
  13. Aucun site ne peut être comparé au sublime spectacle qu’offrent les environs de Beal-nam-Bo ou le Passage du bétail.
  14. Un Chef des montagnes étant aussi absolu dans son autorité patriarcale qu’aucun prince, il avait une nombreuse suite d’officiers attachés à sa personne, des gardes-du-corps, un écuyer, un barde, un orateur, un porte-épée, etc, etc. (Voyez les notes de Waverley.)