Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/Tome I/2/3

La bibliothèque libre.
Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne, Libraire-éditeur (Tome I. — Ballades, etcp. 73-81).

CHANT TROISIÈME.

i à x.

IL y avait au pays de Galles un roi nommé Triamour : il avait une jeune fille qu’on appelait Blanche-Fleur. Urgan, prince voisin, voulut conquérir cette douce beauté, et l’emmener captive. Il assiège Triamour dans son château, et ravage la contrée.

Tristrem, banni de Cornouailles, apprend cette injuste attaque. Triamour invoque son assistance, et lui promet le don de ceux de ses domaines que l’ennemi a conquis, s’il parvient à les reprendre.

Tristrem et Urgan se déclarent ennemis, et en viennent à un combat singulier. Urgan est un chevalier d’une taille gigantesque. Il reproche à Tristrem la mort de son frère Morgan, qui a péri de la main de notre héros.

Les deux antagonistes combattent avec acharnement. Tristrem tranche la main droite d’Urgan ; mais le géant continue la bataille de la main gauche ; mais bientôt, serré de près, il fuit, et se réfugie dans son château.

Tristrem ramasse la main sanglante du vaincu, et l’emporte. Urgan sort de son château avec des baumes d’une vertu miraculeuse pour reprendre sa main et la recoller à son bras ; mais ne trouvant ni la main ni Tristrem, il se met à sa poursuite, et l’atteint sur un pont où le combat est renouvelé en présence d’une multitude de spectateurs.

Urgan, furieux, serre Tristrem de près, et fend son bouclier en deux ; mais Tristrem, évitant son autre coup, le perce lui-même de part en part. Le géant, dans l’agonie de sa mort violente, saute par-dessus le pont dans la rivière.

Triamour reconnaissant récompense la valeur de Tristrem, en lui cédant la souveraineté du pays de Galles, et lui offre aussi un joli petit chien, appelé Peticrew, dont le poil est de trois couleurs, rouge, vert et bleu.

Le généreux chevalier donne le royaume de Galles à Blanche-Fleur, fille de Triamour, et envoie en présent à Ysonde le joli chien aux couleurs extraordinaires.

xii à xxv.


Le bruit des exploits de Tristrem parvient jusqu’à la cour de Cornouailles. Son oncle se réconcilie avec lui, et le rappelle.

Marc donne à notre héros la place de grand intendant de la couronne ; mais tous ses bienfaits ne sauraient contrebalancer les effets du — boire amoureux. — Les amours clandestines de Tristrem et d’Ysonde recommencent et sont découvertes encore par le roi Marc, qui bannit sa femme et son neveu de ses domaines. Les amans fuient dans une forêt, ravis de la liberté qu’ils acquièrent au prix de l’exil. Ils habitent une caverne, et vivent de la venaison que Tristrem tue avec ses chiens, Peticrew et Hodain, dressés par lui à la chasse[1].

La caverne avait été creusée jadis par des géans : elle devient la demeure des deux fugitifs, hiver comme été. Tristrem et Ysonde y sont privés des commodités de la vie ; mais le tout-puissant amour y pourvoit à tous leurs besoins. Ils demeurent dans la forêt pendant au moins trois semaines.

Tristrem, ayant tué un daim et l’ayant porté dans sa caverne, s’endort auprès d’Ysonde, laissant entre elle et lui, sans préméditation, l’épée nue qui probablement lui avait servi à écorcher l’animal. Or, le hasard fit que le roi de Cornouailles chassait ce jour-là dans la forêt : les gens de sa suite découvrent les amans endormis dans cette posture, et vont le raconter au roi, qui vient visiter la caverne. Un rayon de soleil y plongeait à travers les crevasses du rocher, éclairant les beaux traits d’Ysonde. La vue de ses charmes renouvelle la passion du monarque débonnaire ; il bouche le trou de la crevasse, de peur que le repos de la dormeuse ne soit troublé. De la circonstance accidentelle de l’épée posée entre eux il conclut qu’aucun commerce criminel ne subsiste entre Tristrem et Ysonde. Sa cour complaisante approuve ce raisonnement.<ref>Dans les mariages par ambassadeur en Allemagne, l’épée séparait ainsi le mari par procuration de sa chaste moitié. — Ed.

Les amans se réveillent quand le roi est parti, et sont surpris de trouver son gant bien connu. Des chevaliers arrivent pour les conduire au roi Marc, auprès de qui ils rentrent encore en grâce.

xxvi à xxx.

Or il arriva un jour d’été que Tristrem et la reine jouaient aux jeux de l’amour. Le nain les épie, les voit, il court chercher le bon roi Mare, et lui dit : — Sire roi, ta femme est occupée à cette heure avec son chevalier ; viens vite, et surprends-les si tu peux.

Le roi accourt avec tant de hâte, qu’il surprend en effet sa femme et son neveu. Tristrem n’a que le temps de fuir, et se voit forcé de laisser Ysonde derrière lui. Il se lamente d’avoir abandonné ainsi la reine. Il est inutilement poursuivi par les courtisans du roi Marc, que le monarque a appelés pour être témoins ; mais ne trouvant qu’Ysonde seule, ils soutiennent, à la barbe du malheureux Marc, que ses yeux l’ont trompé. Marc lui-même se persuade qu’ils ont raison, ou fait semblant de le croire ; Ysonde est encore en grande faveur.

xxx à xxxviii.


Tristrem, dans un nouvel exil, se livre aux entreprises les plus désespérées. Il traverse l’Espagne, où il tue trois géans. D’Espagne, il se rend au pays d’Ermonie, où il est reçu avec joie par ses vassaux, les fils de son ancien tuteur Rohan. Ils lui offrent de lui rendre ses domaines héréditaires, qu’il refuse d’accepter.

Tristrem arrive en Bretagne, et assiste le duc de cette contrée dans ses guerres. Grâce à la valeur de notre héros, toute contestation est bientôt terminée. Il est introduit et présenté à la jolie et aimable fille du duc, qui porte le même nom que la reine de Cornouailles ; mais, pour la distinguer, on la surnomme Ysonde aux blanches mains.

Tristrem a composé un lai sur la beauté d’Ysonde de Cornouailles ; la princesse de Bretagne, trompée par la similitude des noms, s’imagine qu’elle a inspiré de l’amour à Tristrem, et communique sa méprise à son père.

Le duc offre à Tristrem la main de sa fille. Tristrem réfléchit sur sa malheureuse situation, sur l’impossibilité de revoir jamais Ysonde d’Irlande, et finalement sur l’illégitimité de leur liaison. Le résultat de ces réflexions est sa résolution d’épouser Ysonde à la blanche main, qu’il aime à cause de son nom. Ils sont fiancés et mariés ; mais lorsqu’ils se rendent à la chambre nuptiale, la bague donnée à Tristrem par la reine de Cornouailles tombe de son doigt : cet accident lui rappelle la fidélité de sa première amie, et le danger qu’elle court à cause de lui. Son cœur lui reproche la fausseté dont il est coupable, et qu’il se promet bien de ne pas pousser plus loin. La belle Ysonde de Bretagne demeure vierge, quoique épouse.[2]

xxviii à l.


Le duc de Bretagne donne à Tristrem un territoire qu’un bras de mer sépare des domaines d’un géant redoutable, nommé Beliagog. Le vieux duc recommande à son gendre de bien prendre garde de franchir, dans ses parties de chasse, les limites de ses terres, de peur d’irriter le ressentiment de son voisin, qui avait été le frère (sans doute frère d’armes) de Morgan, d’Urgan, et du noble chevalier Moraunt, trois champions occis par l’épée de Tristrem.

Ce prudent conseil, comme on s’y attend, ne fait qu’exciter le chevalier à rendre une prompte visite à Beliagog. Il suit ses chiens sur les domaines du géant, qui se montre aussitôt, et, apprenant le nom de l’audacieux, jure de venger la mort de ses frères. Tristrem lui porte un défi, et déclare son intention de s’emparer de toute la forêt, Beliagog lance à Tristrem un javelot qui glisse entre son haubert et ses côtes. Tristrem se précipite sur le géant, et ils combattent tous deux avec vigueur. Enfin, le chevalier coupe un pied à Beliagog, et le géant demande merci, promettant de livrer son trésor et ses domaines à Tristrem.

Tristrem épargne sa vie, à condition qu’il bâtira un château en l’honneur d’Ysonde et de Brengwain.

Beliagog conduit Tristrem à un château environné d’un fossé, ou plutôt d’un lac ; c’est l’ancienne résidence fortifiée de ses pères. Il montre à son vainqueur un gué par lequel il pourra entrer quand il voudra. C’est là qu’est commencé le château promis. Des ouvriers sont mandés de toutes parts pour travailler sous la direction de Beliagog à la construction d’une magnifique salle. Dans cette salle est représentée en sculpture toute l’histoire de Tristrem. Ysonde et Brengwain, Marc et Meriadoc, Hodain et Peticrew y revivent en pierre.

li à lxv.

Le duc Florentin de Bretagne ; suivi de Tristrem et de sa femme, et de son fils Ganhardin, part pour la ville de Saint-Mathieu, pour assister aux noces splendides d’un baron, nommé Boniface, et d’une dame de Lyon. Dans la route, une observation naïve d’Ysonde révèle à Ganhardin que Tristrem néglige les charmes de sa sœur. Ganhardin croit sa famille offensée de ce dédain ; et, dans son extrême ressentiment, il demande raison à Tristrem de son étrange conduite avec sa femme. Tristrem répond avec fierté que puisqu’elle a trahi le secret conjugal, il renonce à elle pour toujours, et retournera à sa première maîtresse, dame trois fois plus belle que l’Ysonde de Bretagne.

Cette déclaration cavalière, jointe peut-être à la prouesse redoutée de Tristrem, produit sur Ganhardin un effet tout différent de ce qu’on pouvait en attendre. Sa curiosité est vivement excitée sur la beauté inconnue que Tristrem a tant vantée. Déposant tout son ressentiment, il devient l’ami de notre héros, et le fidèle confident de ses amours.

Tristrem conduit Ganhardin à son merveilleux château. Le prince breton, se trouvant sur les domaines de Beliagog, craint que Tristrem ne le conduise à la mort. Tristrem lui explique comment le géant est devenu son vassal. En conséquence, Beliagog accourt à son signal convenu, appuyé sur une béquille.

Au commandement de Tristrem, le géant introduit les deux chevaliers dans la salle splendide qui a été construite en l’honneur de la reine de Cornouailles. La beauté d’Ysonde et de Brengwain, telle que la sculpture en offre l’image, produit une telle impression sur Ganhardin, qu’il chancèle, recule d’étonnement, et tombe à la renverse. Lorsqu’il revient de son extase et regarde de nouveau les statues, surtout celle de Brengwain, qui est représentée avec la fatale coupe à la main, il avoue franchement que la beauté d’Ysonde est bien supérieure à celle de sa sœur ; que Tristrem est en tous points excusable de sa conduite, et que lui-même il est si épris des charmes de Brengwain, qu’il faut qu’il la voie ou qu’il en meure.

lxv à lxxvi.

Tristrem promet au prince breton de s’intéresser vivement à son amour pour Brengwain. Ils s’embarquent tous deux pour la Grande-Bretagne.

Un nouveau personnage parait sur la scène ; c’est Canados, connétable du roi Marc, et encore un des adorateurs d’Ysonde, tant ce bon roi était malheureux dans le choix de ses favoris ! Canados entendant Ysonde qui chante un des lais que composa jadis Tristrem, l’interrompt avec discourtoisie, et lui déclare qu’elle est coupable de choisir un tel sujet de chant, d’abord parce que ses notes ressemblent aux cris d’une chouette, ou aux hurlemens d’un orage ; secondement, parce que Tristrem, dont la partialité lui rend les compositions si chères, lui a été infidèle et a épousé la fille du duc de Bretagne. Ysonde répond à Canados qu’il est un lâche et un calomniateur, l’accable de reproches et de malédictions, souhaite qu’il soit toujours aussi malheureux en amour qu’il l’a été avec elle, et le chasse de sa présence.

La reine, inconsolable des nouvelles qu’elle a reçues, monte à cheval avec Brengwain pour aller dans la forêt distraire sa mélancolie. Tristrem et son complaisant beau-frère Ganhardin arrivent dans le même lieu, et aperçoivent les dames. Tristrem envoie porter sa bague à Ysonde, comme un gage de son approche. Cependant le chien Peticrew a déjà reconnu son ancien maître, et court à lui pour le caresser. Ysonde, apprenant par le message de Ganhardin et par le gage de la bague, que Tristrem est près d’elle, prend la résolution de passer la nuit dans la forêt. Elle feint une indisposition, et ordonne qu’on lui dresse des tentes sous les arbres. Son entrevue avec Tristrem amène leur réconciliation. Brengwain et Ganhardin sont fiancés[3].


lxvii à lxxxiii.

Après deux jours passés dans la forêt, Tristrem et Ysonde sont au moment d’être surpris par Canados, qu’un espion a informé de ce qui est advenu. À cette nouvelle, Canados a rassemblé tous les soldats du canton, et il marche vers le bois pour faire son rival prisonnier.

Le fidèle Gouvernayl vient avertir Tristrem et Ganhardin du danger qu’ils courent : le nombre des assaillans les force de fuir dans différentes directions. Ysonde est ramenée à la cour par Canados, qui se vante d’avoir fait peur à Tristrem, qui, dit-il, n’avait pas osé se mesurer avec lui. La reine et Brengwain lui font d’amers reproches.

Ganhardin, dans sa fuite, est retourné en Bretagne. Tristrem est seul resté en Cornouailles, déguisé en mendiant avec la besace et l’écuelle. Brengwain feint de désapprouver sa conduite et menace de révéler ses entrevues avec Ysonde.

Mais, bien au contraire, cette fidèle confidente d’Ysonde fait voir au roi Marc le danger qu’il court par l’amour présomptueux que Canados a conçu pour la reine. Le roi Marc, furieux de l’audace de son connétable, le bannit de sa cour ; et la reine, réconciliée avec sa suivante, admiré son adresse à mentir.

LXXXVI A XC.

Dans une conversation entre Ysonde et Brengwain, la reine défend la valeur de son amant, qui semble avoir déchu dans l’opinion de sa confidente depuis la dernière aventure dans la forêt. Brengwain consent à l’introduire cette nuit dans la chambre de la reine. En s’acquittant de cette fonction, elle lui reproche sa retraite précipitée avec Ganhardin devant leurs ennemis. Tristrem répond en demandant qu’on proclame un tournoi dans lequel son beau-frère et lui vengeront leur réputation.

Le tournoi est annoncé : Canados et Meriadoc en sont les tenans. Ganhardin revient de Bretagne pour joindre Tristrem. Quand la joûte commence, Tristrem, se rappelant sa vieille rancune contre l’espion Meriadoc, l’attaque et le blesse à mort. Un combat terrible et douteux s’engage entre Ganhardin et Canados, jusqu’à ce que Tristrem, venant au secours de son frère d’armes, désarçonne et tue son antagoniste. Cette terminaison sanglante des joutes occasionne une consternation générale dont Tristrem profite pour se venger de ses ennemis. Avec l’assistance de Ganhardin, il immole et met en déroute tous ceux qui lui résistent, et les médisans du pays paient cher leurs propos.

xci à xcv.


Brengwain se réjouit de la défaite de ses ennemis. Tristrem et Ganhardin se retirent en Bretagne, où Tristrem est abordé par un jeune chevalier, sans souliers, qui le cherchait depuis long-temps. Ce jeune champion, qui s’appelle aussi Tristrem, se jette aux pieds de notre héros, et implore son assistance dans une périlleuse aventure. Il a été privé de sa dame par un chevalier. Le ravisseur, avec ses sept frères et sept autres chevaliers, doivent escorter, ce jour-là, leur captive jusqu’à quelque lieu de refuge. Le chevalier suppliant propose à son homonyme de l’aider à reconquérir sa dame. Tristrem n’a garde de refuser.

Les deux chevaliers s’arment et se préparent au combat : ils attaquent les ravisseurs dans le voisinage d’une forêt. Tristrem le jeune est bientôt tué ; notre héros venge sa mort, et tue quinze chevaliers, mais, dans ce combat, il reçoit une flèche dans son ancienne blessure… (Ici le manuscrit Auchinleck se termine brusquement ; le reste du roman a été déchiré[4].)

  1. Illocques apprint Tristan à Huden (l’Hodain de Thomas le Rimeur) à chasser sans glattir, pourvu qu’il ne fût quitté en aucune manière. » (Tristan français.)
    On sait que ces deux chiens furent fidèles même aux cendres de leurs maîtres.
    — Ed.
  2. « Tristan se coucha avec Yseult. Le luminaire ardoit si cler que Tristan pouvoit bien voir la beauté d’Yseult. Elle avoit la bouche blanche et tendre, yeux verds, rians, les sourcils bruns et bien assis, la face clerc et vermeille. Tristan la baise et accole ; et quant il lui souvient de la reyne Yseult de Cornouailles, si a toute perdu la voullonté du surplus faire. Ceste Yseult est devant luy, et l’autre est en Cornouailles, qui lui deffend si cher comme il ayme son corps, que à ceste Yseult ne face chose qui à villenie lui tourne. Ainsi demeure Tristan avec Yseult sa femme ; et elle qui d’autre soulas que d’accoller et baiser ne savoit rien, s’endort entre les bras de Tristan. » (Tristan, foliolxix)
  3. Dans le roman français, c’est de Gouvernail que Brenguien devient l’épouse. C’est d’Ysonde que Ganhardin est amoureux, et il meurt en terminant un madrigal à sa louange. — Ed.
  4. La conclusion qui va suivre est de sir Walter Scott, qui a imité avec une singulière vérité le vieux langage de Thomas le Rimeur, et sa concision, qu’on trouve presque affectée quand on la compare à la prose du Tristan français. — Tr.