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Oliver Twist/Chapitre 17

La bibliothèque libre.
Traduction par Alfred Gérardin sous la direction de P. Lorain.
Librairie Hachette et Cie (p. 116-125).
CHAPITRE XVII.
Olivier a toujours à souffrir de sa mauvaise fortune, qui amène tout exprès à Londres un grand personnage pour ternir sa réputation.

Il est d’usage au théâtre, dans tout bon mélodrame bien sanglant, de présenter tour à tour des scènes tragiques et des scènes comiques entrelardées. On nous montre, gisant sur un grabat, le héros accablé sous le poids de ses chaînes et de ses malheurs ; puis, à la scène suivante, son écuyer fidèle, ignorant le sort de son maître, vient égayer l’auditoire par une chanson bouffonne. Nous voyons avec émotion l’héroïne à la merci d’un baron cruel et superbe, exposée à perdre l’honneur ou la vie et tirant son poignard pour sauver l’un au prix de l’autre ; et, au moment où l’intérêt est le plus vivement excité, on entend un coup de sifflet, et nous voilà transportés tout d’un coup dans la grande salle d’un château, où un vieux sénéchal, à la chevelure grise, chante un air joyeux. Ses vassaux font chorus avec lui ; ils n’ont pas autre chose à faire, et s’en vont tous de compagnie, toujours joyeux, toujours chantant.

Ces changements de scène nous paraissent ridicules ; ils ne sont pourtant pas aussi invraisemblables que nous pourrions le croire au premier abord. La vie n’offre-t-elle pas sans cesse des contrastes de ce genre, ici des fêtes et là un lit de mort ; tantôt le deuil et la tristesse, et tantôt la joie et le plaisir. Mais alors nous sommes nous-mêmes acteurs, au lieu d’être témoins passifs des événements, et cela fait une grande différence. Ces transitions brusques, ces élans subits de colère ou de douleur, qui ne nous étonnent point sur la scène du monde, nous semblent ridicules et déplacés, dès que nous sommes réduits au rôle de simples spectateurs.

Les soudains changements de scène, de temps et de lieu, ne sont pas seulement sanctionnés dans les livres par un long usage ; ils sont encore considérés par beaucoup de gens comme étant le grand art de la composition. Il y a même certains critiques qui n’estiment le talent d’un auteur qu’en raison des difficultés qu’il amoncelle autour de ses personnages à la fin de chaque chapitre. Ce court préambule paraîtra peut-être inutile. En tout cas, on doit y voir de la part de l’historien une manière délicate de prévenir ses lecteurs qu’il va les ramener à la ville natale d’Olivier, et qu’il a de bonnes raisons de leur faire faire ce voyage.

Un matin, de très bonne heure, M. Bumble sortit, la tête haute, du dépôt de mendicité, et se mit à monter la grande rue d’un pas majestueux. Il était dans l’éclat et la splendeur de sa dignité de bedeau. Les rayons du soleil levant se jouaient sur son tricorne et sur son habit, et il tenait sa canne de l’air résolu que donnent la santé et la puissance. M. Bumble avait toujours la tête haute, mais ce jour-là plus haute encore que d’habitude. Il y avait dans son regard quelque chose de profond, et dans sa démarche une fierté qui annonçait que de graves réflexions, trop importantes pour être communiquées à personne, traversaient sa cervelle de bedeau.

M. Bumble ne s’arrêta pas en route à causer avec les petits marchands ou autres qui lui adressaient respectueusement la parole ; à peine répondait-il à leurs saluts par un geste rapide. Il garda cette allure imposante jusqu’à ce qu’il eut gagné la Ferme, où Mme Mann veillait, avec un soin paroissial, sur son petit troupeau d’enfants pauvres.

« Au diable le bedeau ! dit Mme Mann en entendant M. Bumble secouer avec impatience la porte du jardin. C’est sans doute lui qui nous arrive si matin !… Ah ! monsieur Bumble, j’étais bien sûre que c’était vous ! quel plaisir vous me faites ! Entrez donc, monsieur, je vous prie. »

Les premiers mots s’adressaient à Susanne, et les exclamations de joie à M. Bumble, tandis que la bonne femme ouvrait la porte du jardin et faisait entrer le bedeau avec empressement et respect.

« Madame Mann, dit M. Bumble en se laissant tomber lentement dans un fauteuil, au lieu de s’asseoir brusquement comme un manant ; bonjour, madame Mann.

— Je vous souhaite le bonjour, monsieur, répondit Mme Mann d’un air souriant. J’espère que vous vous portez bien, monsieur ?

— Comme ça, madame Mann, répondit M. Bumble. Une vie paroissiale n’est pas un lit de roses.

— Ah ! monsieur Bumble, à qui le dites-vous ? » répondit celle-ci.

Si les pauvres enfants du dépôt l’eussent entendue parler ainsi, ils eussent tous fait chorus avec elle.

« La vie paroissiale, madame, continua M. Bumble en donnant un coup de canne sur la table, est une vie fatigante, agitée, tourmentée ; mais on sait bien que c’est la destinée de tous les fonctionnaires publics d’être toujours en butte aux persécutions. »

Mme Mann, sans trop comprendre ce que le bedeau voulait dire par là, leva toujours les mains au ciel d’un air de compassion et soupira.

« Ah ! vous avez raison de soupirer, madame Mann ! » dit le bedeau.

Voyant qu’elle avait bien fait, celle-ci poussa un nouveau soupir, à la grande satisfaction du fonctionnaire qui, réprimant un gracieux sourire, regarda son tricorne avec un grand sérieux et dit :

« Madame Mann, je pars demain pour Londres.

— Comment, monsieur Bumble ! dit celle-ci en reculant de deux pas.

— Oui, madame, pour Londres, reprit l’inflexible bedeau. Je prends la diligence, et j’emmène avec moi deux pauvres du dépôt. On est en instance pour les placer ailleurs, et le conseil d’administration m’a chargé, moi, entendez-vous, madame Mann, de suivre l’affaire devant les assises de Clerkenwell. Et je me demande, ajouta-t-il en se redressant, si les assises de Clerkenwell n’auront pas du fil à retordre avant d’en finir avec moi.

— Oh ! monsieur, ne soyez pas trop sévère à leur égard, dit Mme Mann d’un ton doucereux.

— Ce sera la faute des assises de Clerkenwell, répondit M. Bumble ; et, si elles ne s’en tirent pas à leur honneur, les assises de Clerkenwell ne pourront s’en prendre qu’à elles-mêmes. »

M. Bumble prononça ces mots d’un air si résolu et même si menaçant que Mme Mann parut effrayée.

« Et vous prenez la diligence ? dit-elle enfin. Je croyais que d’habitude on expédiait les pauvres en charrette ?

— Oui, madame Mann, lorsqu’ils sont malades, dit le bedeau ; nous les mettons en charrette découverte, quand il pleut : c’est pour les empêcher de s’enrhumer.

— Oh ! dit Mme Mann.

— Quant à ces deux-ci, la concurrence s’en charge et les prend à bon marché, dit M. Bumble. Ils sont dans un piteux état, et nous avons calculé que les frais de transport coûteraient deux livres sterling de moins que les frais d’enterrement… à condition pourtant que nous puissions les colloquer dans une autre paroisse. J’espère que nous en viendrons à bout, à moins qu’ils n’aillent s’aviser de mourir en route, pour nous faire enrager. Ha ! ha ! »

M. Bumble se mit à rire ; mais ses yeux rencontrèrent son tricorne et il reprit son air grave.

« N’oublions pas les affaires, madame, dit le bedeau ; voici l’allocation mensuelle que vous accorde la paroisse. »

M. Bumble tira de son portefeuille quelques pièces d’argent roulées dans du papier, et demanda un reçu que Mme Mann écrivit aussitôt.

« C’est un vrai griffonnage, dit-elle ; mais c’est en règle tout de même. Merci, monsieur Bumble ; bien obligée, monsieur. »

Celui-ci répondit par un léger signe de tête aux révérences de Mme Mann, et demanda des nouvelles des enfants.

« Les chers petits trésors ! dit Mme Mann d’une voix émue ; ils se portent à merveille, sauf deux qui sont morts la semaine dernière, et le petit Richard qui est malade.

— Est-ce qu’il ne va pas mieux ? » demanda le bedeau.

Mme Mann hocha la tête.

« C’est un enfant qui a de mauvaises dispositions, une nature vicieuse, un caractère rebelle, ajouta M. Bumble d’un air courroucé. Où est-il ?

— Je vais vous l’amener à l’instant, monsieur, répondit Mme Mann. Richard ! Richard ! arrivez vite. »

Elle trouva bientôt l’enfant, lui fit mettre la figure sous la pompe, et l’essuya avec sa robe ; puis il comparut devant l’imposant M. Bumble.

Il était pâle et maigre ; il avait les joues creuses, et de grands yeux brillants. Le misérable uniforme de la paroisse, cette livrée de la misère, flottait sur son corps débile, et ses petits membres étaient rabougris comme ceux d’un vieillard.

Tel était le pauvre enfant qui tremblait sous le regard de M. Bumble, sans oser lever les yeux, et craignait d’entendre la voix du bedeau.

« Voulez-vous bien regarder monsieur, entêté que vous êtes ? » dit Mme Mann.

L’enfant leva timidement la tête, et ses yeux rencontrèrent ceux de M. Bumble.

« Eh ! bien, enfant de paroisse, qu’y a-t-il pour votre service ? demanda M. Bumble en prenant, fort à propos, un ton goguenard.

— Rien, monsieur, répondit celui-ci d’une voix tremblante.

— Je le crois bien, dit Mme Mann après avoir ri de tout son cœur de la saillie du bedeau. Vous n’avez besoin de rien, je pense.

— Je voudrais bien… balbutia l’enfant.

— Comment ! interrompit la femme ; vous allez dire que vous avez besoin de quelque chose, petit misérable ?

— Un instant, madame Mann, un instant ! dit le bedeau en levant la main d’un air d’autorité. Que demandez-vous, monsieur ?

— Je voudrais bien, balbutia l’enfant, que quelqu’un consentît à m’écrire quelques mots sur un morceau de papier, à le plier, à le cacheter et à le garder quand je serai sous terre.

— Que veut dire par là cet enfant ? s’écria M. Bumble sur lequel le ton suppliant et l’air souffreteux de Richard avaient fait quelque impression, tout endurci qu’il était à de tels spectacles. Qu’entendez-vous par là, monsieur ?

— Je voudrais, reprit l’enfant, laisser quelques mots d’amitié au pauvre Olivier Twist, et lui faire savoir combien j’ai pleuré en songeant qu’il errait à l’aventure, pendant les nuits sombres, sans personne qui vînt à son aide… Et je voudrais aussi lui dire, ajouta l’enfant d’un ton suppliant en joignant ses petites mains, que je suis content de mourir jeune ; car peut-être, si je vivais longtemps, ma petite sœur, qui est au ciel, m’oublierait ou ne me reconnaîtrait plus : il vaut bien mieux que nous nous retrouvions bientôt là-haut. »

M. Bumble, très étonné, considéra le petit orateur des pieds à la tête, et s’adressant à Mme Mann :

« Ils sont tous taillés sur le même modèle, dit-il ; cet effronté d’Olivier les a tous démoralisés.

— Qui eût pu s’en douter, monsieur ? dit Mme Mann, en levant les mains au ciel, et en regardant Richard de travers. Je n’ai jamais vu un petit misérable si endurci !

— Emmenez-le, madame ! dit M. Bumble d’un ton d’autorité ; je serai forcé de rendre compte de cela au conseil d’administration, madame Mann.

— J’espère que ces messieurs comprendront qu’il n’y a pas là de ma faute ? dit Mme Mann en pleurnichant.

— Soyez tranquille, madame, ils seront exactement mis au courant de l’affaire, dit M. Bumble avec emphase. Tenez, emmenez cet enfant ; sa présence me fait mal. »

Richard fut emmené sur-le-champ et mis sous clef dans la cave au charbon ; quelques instants après, M. Bumble sortit pour aller faire ses préparatifs de voyage.

Le lendemain matin, à six heures, M. Bumble, après avoir changé son tricorne contre un chapeau rond, et s’être bien enveloppé d’une grande redingote bleue, garnie d’un capuchon, prit place sur l’impériale de la diligence, en compagnie de deux criminels dont l’administration voulait se défaire. Il arriva à Londres sans autre désagrément que la détestable tenue des deux pauvres, lesquels s’obstinaient à grelotter, et à se plaindre du froid, de manière à faire dire à M. Bumble qu’ils lui donnaient le frisson, et qu’il était gelé malgré sa grande redingote.

Après s’être débarrassé pour la nuit de ces êtres désagréables, le bedeau s’installa à l’hôtel où s’était arrêtée la diligence, et dîna modestement de quelques tranches de bœuf rôti, à la sauce aux huîtres, qu’il arrosa d’une bouteille de porter. Puis il approcha sa chaise du feu, posa sur la cheminée un verre de grog, et, après quelques réflexions morales sur la tendance coupable qu’ont les hommes à murmurer et à se plaindre, il se disposa à lire le journal tout à son aise.

Le premier article qui lui tomba sous les yeux était l’avis suivant :

Cinq guinées de récompense.

Un jeune garçon, nommé Olivier Twist, a disparu, jeudi soir, de son domicile à Pentonville, et depuis lors on ne sait ce qu’il est devenu : la récompense ci-dessus sera accordée à quiconque fournira des renseignements qui puissent faire retrouver ledit Olivier Twist, ou qui jettent quelque lumière sur son histoire, que l’auteur du présent avis a le plus grand intérêt à connaître.

Venaient ensuite le signalement exact d’Olivier, avec les plus minutieux détails sur son costume et sur toute sa personne, et enfin, le nom et l’adresse de M. Brownlow.

Le bedeau ouvrit de grands yeux, lut et relut trois fois cet avis lentement et attentivement ; cinq minutes après, il se dirigeait vers Pentonville, sans avoir seulement pris le temps d’avaler son grog.

« M. Brownlow est-il chez lui ? » demanda-t-il à la servante qui vint lui ouvrir.

À cette question, celle-ci fit la réponse ordinaire et évasive : « Je n’en sais rien ; de la part de qui venez-vous ? »

M. Bumble n’eut pas plutôt prononcé le nom d’Olivier et expliqué le motif de sa visite, que Mme Bedwin, qui écoutait de la porte de la salle, se précipita hors d’haleine dans l’allée.

« Entrez, entrez, dit-elle ; je savais bien que nous aurions de ses nouvelles, le pauvre enfant ! j’en étais sûre ! je l’avais bien dit ! »

Tout en parlant ainsi, la bonne vieille dame rentra dans la salle avec précipitation, se jeta sur un sofa et fondit en larmes ; tandis que la servante, qui n’était pas aussi impressionnable, courait prévenir M. Brownlow et revenait prier M. Bumble de la suivre.

Elle l’introduisit dans le petit cabinet où se trouvaient M. Brownlow et son ami M. Grimwig, assis à une table avec des verres devant eux.

« Un bedeau ! s’écria ce dernier en voyant entrer M. Bumble ; c’est un bedeau de paroisse ! j’en mangerais ma tête.

— Ayez la bonté de ne pas nous interrompre en ce moment, dit M. Brownlow. Veuillez vous asseoir, » ajouta-t-il en s’adressant à M. Bumble.

Celui-ci obéit, très étonné des manières originales de M. Grimwig ; M. Brownlow plaça la lampe de manière à voir en plein la figure du bedeau, et dit avec un peu d’impatience :

« Vous avez sans doute lu, monsieur, l’avis que j’ai fait insérer dans les journaux.

— Oui, monsieur, dit M. Bumble.

— Et vous êtes bedeau de profession, n’est-ce pas ? demanda M. Grimwig.

— Je suis bedeau de paroisse, messieurs, répondit M. Bumble avec orgueil.

— C’est cela, observa M. Grimwig à l’oreille de son ami ; j’en étais sûr, sa grande redingote sent la paroisse ; c’est un bedeau tout craché. »

M. Brownlow fit un léger signe de tête pour imposer silence à son ami, et continua :

« Savez-vous ce qu’est devenu ce pauvre enfant ?

— Pas plus que vous, répondit M. Bumble.

— Eh bien ! que savez-vous sur son compte ? demanda le vieux monsieur. Parlez, mon ami, si vous savez quelque chose ; que savez-vous de lui ?

— Vous n’avez probablement rien de bon à en dire ? » observa M. Grimwig d’un air moqueur, en considérant attentivement la contenance du bedeau.

M. Bumble ne se le fit pas dire deux fois et hocha la tête d’un air profond.

« Voyez-vous ! » dit M. Grimwig en regardant son ami d’un air triomphant.

M. Brownlow considérait avec appréhension la mine rengorgée du bedeau, et lui demanda d’exposer, aussi brièvement que possible, tout ce qu’il savait sur le compte d’Olivier.

M. Bumble posa son chapeau à terre, déboutonna sa redingote, se croisa les bras, rejeta sa tête en arrière, et, après quelques moments de réflexion, commença son récit.

Il serait superflu de rapporter ici les propres paroles du bedeau, qui mit bien vingt minutes à discourir. En résumé, il dit qu’Olivier était un enfant trouvé, né de parents obscurs et pervers ; que depuis sa naissance il n’avait montré qu’hypocrisie, ingratitude et méchanceté ; qu’il avait terminé son court séjour dans sa ville natale en essayant d’assassiner lâchement un garçon inoffensif, et qu’il s’était sauvé la nuit de la maison de son maître. À l’appui de ses assertions, M. Bumble étala sur la table les papiers qu’il avait apportés avec lui ; puis, se croisant les bras de nouveau, il attendit les observations de M. Brownlow.

« Je crains bien que tout cela ne soit que trop vrai, dit le vieux monsieur avec tristesse, après avoir examiné les papiers. Voici cinq guinées pour vos renseignements ; mais j’aurais volontiers donné le triple de cette somme pour qu’ils fussent favorables à l’enfant. »

Il est vraisemblable que, si M. Bumble eût su cela plus tôt, il aurait donné à sa petite histoire une tout autre couleur. Mais maintenant, il était trop tard ; il fit un profond salut, empocha les cinq guinées et sortit.

Pendant quelques minutes M. Brownlow se promena en long et en large dans la chambre, d’un air si attristé par le récit du bedeau, que M. Grimwig renonça à le contrarier plus longtemps. Enfin il s’arrêta et agita violemment la sonnette.

« Madame Bedwin, dit M. Brownlow en voyant entrer la femme de charge, cet enfant, cet Olivier, est un imposteur.

— C’est impossible, monsieur, tout à fait impossible, dit la vieille dame avec énergie.

— Je vous répète que c’est un imposteur, reprit le vieux monsieur avec rudesse. Que signifie votre : « C’est impossible ? » Nous venons d’apprendre toute son histoire depuis sa naissance, et il n’a jamais été qu’un méchant petit garnement.

— On ne me fera jamais croire cela, monsieur, répondit la vieille dame avec fermeté.

— Vous autres vieilles femmes, vous ne croyez qu’aux charlatans et aux contes à dormir debout, murmura M. Grimwig. Il y a longtemps que je savais à quoi m’en tenir. Pourquoi ne m’avoir pas consulté dès le principe ? Vous l’auriez fait, je suppose, s’il n’avait pas eu la fièvre. Mais cela le rendait intéressant, n’est-ce pas ? Intéressant ! quelle pitié !

— Monsieur, répliqua Mme Bedwin indignée, c’était un enfant aimant, doux et reconnaissant ; je connais bien les enfants peut-être, depuis quarante ans que j’en vois, et les gens qui ne peuvent en dire autant feraient mieux de se taire : c’est mon opinion. »

Ceci allait tout droit à l’adresse de M. Grimwig, qui était resté garçon ; mais il se contenta de répondre par un sourire, et la vieille dame allait probablement continuer sa harangue, quand M. Brownlow lui imposa silence.

« Taisez-vous ! dit-il, en feignant une irritation qu’il était loin de ressentir ; que je n’entende jamais le nom de cet enfant ! C’est pour vous dire cela que j’ai sonné. Jamais, entendez-vous, jamais, sous aucun prétexte. Vous pouvez vous retirer, madame Bedwin. Souvenez-vous que je veux être obéi. »

Il y eut ce soir là des cœurs bien tristes chez M. Brownlow. Quant à Olivier, il était en proie à la plus vive douleur, en pensant à ses bons amis de Pentonville ; heureusement pour lui, il ignorait ce que leur avait conté le bedeau ; car il en serait mort de désespoir.