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Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/196

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ainsi le signe que c’était faux, Swann comprit que c’était peut-être vrai.

— Je te l’ai dit, tu le sais bien, ajouta-t-elle d’un air irrité et malheureux.

— Oui, je sais, mais en es-tu sûre ? Ne me dis pas : « Tu le sais bien », dis-moi : « je n’ai jamais fait ce genre de choses avec aucune femme. »

Elle répéta comme une leçon, sur un ton ironique, et comme si elle voulait se débarrasser de lui :

— Je n’ai jamais fait ce genre de choses avec aucune femme.

— Peux-tu me le jurer sur ta médaille de Notre-Dame de Laghet ?

Swann savait qu’Odette ne se parjurerait pas sur cette médaille-là.

— Oh ! que tu me rends malheureuse, s’écria-t-elle en se dérobant par un sursaut à l’étreinte de sa question. Mais as-tu bientôt fini ? Qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Tu as donc décidé qu’il fallait que je te déteste, que je t’exècre ? Voilà, je voulais reprendre avec toi le bon temps comme autrefois et voilà ton remerciement !

Mais, ne la lâchant pas, comme un chirurgien attend la fin du spasme qui interrompt son intervention, mais ne l’y fait pas renoncer :

— Tu as bien tort de te figurer que je t’en voudrais le moins du monde, Odette, lui dit-il avec une douceur persuasive et menteuse. Je ne te parle jamais que de ce que je sais, et j’en sais toujours bien plus long que je ne dis. Mais toi seule peux adoucir par ton aveu ce qui me fait te haïr tant que cela ne m’a été dénoncé que par d’autres. Ma colère contre toi ne vient pas de tes actions, je te pardonne tout puisque je t’aime, mais de ta fausseté, de ta fausseté absurde qui te fait persévérer à nier des choses que je sais. Mais comment veux-tu que je puisse continuer à t’aimer, quand je te vois