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Page:Élémir Bourges, Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent, 1893.djvu/16

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quelque méfait de peu d’importance. C’était une fille maladive, exaltée et même un peu folle, pleurant et riant sans motif, de gros yeux bleus toujours étonnés, les pommettes extrêmement saillantes et des mâchoires de prognathe : je la revois comme d’hier, l’ayant connue depuis son enfance. A peine enfermée en prison, la crainte, les remords la travaillèrent, et elle déclara au juge, qui ne s’attendait à rien moins, qu’elle avait à faire des révélations intéressant un très grand personnage, mais qu’elle ne parlerait pas, à moins qu’on ne lui garantît un complet pardon. Le juge la pressa de questions, et Agraféna, revenant sur l’événement oublié de 1844, confessa que la Grande-Duchesse avait, en effet, accouché, mais d’une fille mort-née, et qu’elle-même avait enterrée sous une pierre, près de la grange de la basse-cour, à Biélo.

Le juge fit part aussitôt à Mme Maria-Pia de l’interrogatoire d’Agraféna : le Grand-Duc se trouvait alors en Perse, à Téhéran, qu’il habita près de sept ans, et où mon frère avait l’honneur de l’accompagner. La Grande-Duchesse supplia que l’on suivit l’affaire avec chaleur, et le juge se rendit à Biélo, accompagné d’un médecin. Mais on ne trouva ni la pierre, ni aucun indice que la terre eût jamais été remuée ; et c’est vainement que l’on fouilla en plusieurs endroits circonvoisins.

On eut recours à la servante. Dans un second interrogatoire, Agraféna nia que la Grande-Duchesse eût accouché ; dans un troisième, elle avoua que sa maîtresse avait accouché d’une mâle ; dans un quatrième, qu’elle avait mis au monde un fils, et jura ne pas en savoir plus. Aussitôt après cet interrogatoire, elle confirma ses aveux par une lettre qu’elle fit écrire à la Grande-Duchesse : et elle reconnut en justice cette lettre, où elle avait mis sa croix pour marque. Toutefois, dans un cinquième interrogatoire, elle rétracta tout ce qu’elle avait confessé. Mais au cours de ces variations, il ne lui échappa rien qui pût incriminer aucun complice.

L’affaire en était là, quand Agraféna mourut en prison. L’opinion de poison se répandit vite, tant cette mort se trouvait opportune, et l’on en donna le paquet à la princesse Gourguin. On disait que le juge avait eu