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Page:Élémir Bourges, Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent, 1893.djvu/17

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le secret tout entier, que le nom du Grand-Duc l’avait frappé d’épouvante, qu’on avait supprimé un témoin trop dangereux. Il faut ajouter cependant qu’à cette époque Sacha Gourguin demeurait chez elle, sans pouvoir sortir, à pourrir de l’hydropisie dont elle mourut six mois après, tout au fond du superbe hôtel qu’elle s’était bâti des libéralités du Grand-Duc, ce qui rend le soupçon fort hasardé. Quoi qu’il en soit, la nuit se refit, après ces lueurs incertaines. La Grande-Duchesse dévora ses incertitudes et sa douleur, et reporta ses affections sur son fils José-Maria et sur sa fille Tatiana[1].

Ce ne fut que seize ans après, dans le courant de l’été dernier, que le mystère se trouva éclairci. Le médecin Platon Boubnoff, qui vivait à Moscou, opulent et considéré, fut enfin touché de remords. Ce Boubnoff, que j’ai vu maintes fois, était un petit homme à nez effilé, demi-juif, coquin en dessous, mielleux, perfide, respectueux, toujours emmitouflé d’une fourrure, dans laquelle, blondasse comme il était, avec du poil follet plein le visage, il ne ressemblait pas mal à une grande chenille rousse. Étant aux prises avec la mort, il témoigna qu’il voulait demander pardon à Mme la Grande-Duchesse, et lui révéler un important secret. La Grande-Duchesse habitait alors le Hradschin de Prague, comme elle l’habite aujourd’hui ; mais au reçu de ces dépêches, elle n’hésita pas et partit. Ce fut à elle-même que le malheureux fit sa confession complète, en présence de Philarète, métropolitain de Moscou, dont le caractère sacré rassurait Mme Maria-Pia sur les récusations. qui pourraient se produire.

Voici donc la déclaration de Boubnoff.

  1. Mais pourquoi, se demande-t-on, Mme Maria-Pia n’a-t-elle jamais réclamé de S. A. I. le Grand-Duc une franche explication, qui eût terminé tant de maux ? Pourquoi aussi le grand-duc Fédor fit-il disparaître son premier-né, puisque deux autres fruits devaient naître ensuite de cette union ? Pourquoi, après avoir aimé la princesse Gourguin jusqu’à l’excès que nous venons de voir, l’a-t-il postérieurement abandonnée ? Mais pourquoi les hommes sont-ils hommes ? A cette dernière question, il faut s’arrêter, se soumettre, se résigner à la nature humaine… et poursuivre ce triste récit. (Note de M. Thiers.)