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conditions économiques, fera certainement naître pour une cause ou pour une autre, à propos de quelque fait imprévu, une de ces crises soudaines qui passionnent même les indifférents, et nous verrons tout à coup jaillir cette immense énergie qui s’est emmagasinée dans le cœur des hommes par le sentiment violé de la justice, par les souffrances inexpiées, par les haines inassouvies. Chaque jour peut amener une catastrophe et la situation est tellement tendue que dans chaque pays on s’attend à un éclat, qui sait ? peut être la première fusée de l’explosion ! Le renvoi d’un ouvrier, une grève locale, un massacre fortuit, peuvent être la cause de la révolution, de même qu’une simple étincelle peut allumer une poudrière. C’est que le sentiment de solidarité gagne de plus en plus et que toute secousse locale tend à ébranler l’Humanité. Il y a deux ans à peine qu’un ouvrier proposa quelque part la « grève générale ! Le mot parut bizarre, on le prit pour l’expression d’un rêve, d’une espérance chimérique, puis on le répéta d’une voix plus haute, et maintenant il retentit si fort que le monde des capitalistes en tremble. Non, la grève générale n’est pas impossible. Salariés Anglais, Belges, Français, Allemands, Américains, Australiens comprennent qu’il dépend d’eux de refuser le même jour tout travail à leurs patrons, et ce qu’ils comprennent aujourd’hui pourquoi ne le pratiqueraient-ils pas demain ? Un vent d’orage passe sur les peuples comme sur l’Océan : attendons-nous à la tempête !

Il me souvient, comme si je la vivais encore, d’une heure poignante de ma vie où la joie profonde d’avoir agi suivant mon cœur et ma pensée se mêlait à l’amertume de la défaite. Il y a vingt