Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un trait de sentiment qui parfois du reste est fort beau.

Je t’aimais inconstant ; qu’aurais-je fait fidèle ?

est une fort belle chose et peut être entendu par le premier venu, et qu’il soit entendu du premier venu n’est point du tout une raison pour le trouver vulgaire et le forclore de la littérature.

Mais il est très vrai aussi que tout texte où il y a de la pensée ne peut être qu’un lieu commun s’il est compris de prime abord. Vous n’avez pas compris du premier coup la Mise en liberté de Victor Hugo et je ne songe qu’à vous en féliciter.

Il y a donc quelque chose de juste dans le principe des amateurs d’auteurs difficiles. Mais ils l’exagèrent, premièrement en excluant ainsi de la littérature toute sensibilité, ou tout au moins toute sensibilité générale et en n’admettant que des sentiments rares très difficiles à pénétrer, c’est-à-dire à ressentir ; secondement, même quand il s’agit de pensée, en voulant que rien de la pensée ne soit compris du premier coup. La pensée doit se présenter, et c’est sa façon d’attirer à elle, de manière à être entendue, du premier abord, en son ensemble, de manière à être apparemment et même partiellement accessible ; il faut ensuite qu’à la reprendre on s’aperçoive qu’on ne l’avait pas entièrement entendue et qu’elle est digne d’être creusée, et qu’on la creuse en effet, et qu’on la trouve toujours plus riche ; et s’il