Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/105

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saurait offenser personne, le moyen de connaître et de corriger leurs propres défauts. Peut-être ne serait-il pas convenable de faire figurer le Christ sur cette liste ; mais s’il est permis de comparer en quelque manière les choses divines aux choses humaines, ses paraboles n’ont-elles point quelque affinité avec les apologues des anciens ? La vérité évangélique, parée d’attraits de cette sorte, se glisse plus doucement dans les cœurs et s’y établit plus profondément que si elle s’avançait toute nue : c’est ce que, dans son ouvrage de la Doctrine chrétienne, saint Augustin démontre abondamment.


IX. — Je voyais combien le commun des mortels était gâté par les opinions les plus sottes, et cela dans toutes les conditions de la vie, et je souhaitais d’y trouver le remède plus que vraiment je ne l’espérais. Je m’imaginais donc avoir trouvé le moyen, grâce à ce procédé, de m’insinuer pour ainsi dire dans les âmes délicates et de les guérir tout en les amusant. J’avais souvent remarqué que cette façon plaisante et joyeuse de donner un avis réussit le mieux du monde à beaucoup de gens. Si tu me réponds que le personnage que j’ai mis en scène est trop léger pour disputer sous son accoutrement de choses sérieuses, je reconnaîtrai peut-être mon tort. Je ne repousse pas le reproche d’être inepte, je repousse celui d’être amer, bien que je puisse honnêtement me défendre du premier, à défaut d’autres raisons, en invoquant l’exemple de tous ces hommes si pondérés que j’ai énumérés dans la préface de mon livre même.


X. — Que pouvais-je faire d’ailleurs ? J’étais descendu alors, à mon retour d’Italie, chez mon ami Morus ; un mal de reins me retenait depuis plusieurs jours à la chambre ; et ma bibliothèque n’était pas encore arrivée. Eût-elle même été là, que la maladie ne me permettait pas de me livrer ardemment à des travaux sérieux.

Je me mis, étant de loisir, à m’amuser à cet Éloge de la Folie, non point du tout avec l’intention de le publier, mais pour alléger par cette façon de dérivatif les souffrances de la maladie. Je fis goûter le début de mon ouvrage à plusieurs bons amis, pour avoir plus de plaisir à en rire en leur compagnie. Ce début leur plut fort, et ils m’engagèrent à continuer. J’obéis et je consacrai à cette besogne à peu près sept jours, dépense de temps