Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/11

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La langue de Montaigne, sa période abondante, sa façon d’insérer les textes anciens, conviendraient peut-être à notre dessein. Cependant, c’est la prose d’Henri Estienne qui semblerait la mieux choisie. L’Apologie pour Hérodote, les Dialogues du langage français italianisé fourniraient sans doute l’instrument le mieux adapté. Il y a, d’ailleurs, entre les deux écrivains, une parenté assez étroite. Bons hellénistes l’un et l’autre et « lucianisants » avertis, ils ont sur l’usage courant du latin des idées communes, combattent de même façon le « cicéronianisme » à l’italienne et, sachant penser librement, s’arrangent pour librement écrire. Estienne, qui fut à l’école d’Érasme comme tout le siècle, est un écolier de choix, qui a joui dans son métier de l’avantage d’être bilingue, alors que le maître universel a eu la disgrâce d’écrire toutes ses œuvres dans la langue qui allait mourir.

Je ne puis mettre à son service que celle d’un temps ingrat, où les études antiques, si elles gardent des fidèles très ardents, les comptent de moins en moins nombreux, où l’éducation de la jeunesse n’est plus celle dont Mélanchthon, Vivès, Rabelais, Montagne ont transmis les principes érasmiens aux nations du Nord. La déchéance des humanités va nous laisser fort démunis pour réclamer le meilleur de notre héritage spirituel. Le beau mot d’humanisme lui-même, que j’ai contribué jadis à rendre français, se galvaude déjà à tous les usages et n’exprime presque jamais son véritable sens.

Travaillons à en maintenir la haute signification, et sauvons de la tradition littéraire ce qui peut en être sauvé. L’humble travail d’un traducteur n’y est point inutile. À la satisfaction qu’il ressent du service rendu, se joint pour lui une récompense déjà suffisante : il est entré, par la bonne clé, dans l’intimité de son auteur ; il a surpris, avec les procédés de son style, les secrets mouvements de sa pensée.

Les bibliophiles ont toujours recherché l’Éloge de la Folie. Le plus enthousiaste que j’aie connu fut Marco Besso, de Trieste, qui en conservait, dans sa bibliothèque, toutes les éditions et traductions avec tous les travaux relatifs à Érasme. Il a élevé à l’Éloge un véritable monument dans sa publication faite à Rome en 1918. À toutes les recherches qui s’y trouvent résumées, l’édition