Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/112

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qu’ils soient plus stupides qu’un cochon, et n’aient même pas le sens commun, qui croient détenir l’arsenal de la sagesse. Ils tranchent, condamnent, prononcent, ne doutent de rien, n’hésitent sur rien, n’ignorent rien. Et pourtant ces deux ou trois individus suscitent souvent de grandes tragédies. Qu’y a-t-il en effet de plus impudent, ou de plus obstiné que l’ignorance ? Ils conspirent avec un grand zèle contre les belles-lettres. Ils briguent d’être quelque chose dans le sénat des théologiens, et ils craignent que, si les belles-lettres renaissaient et que le monde se ressaisît, tels passent pour ne rien savoir qui jusqu’alors passaient communément pour ne rien ignorer. De là leurs clameurs, de là leur soulèvement, de là leur conjuration contre les hommes qui ont le culte des belles-lettres. La Folie ne leur plaît pas parce qu’ils n’entendent ni le grec ni le latin. Si, non point des théologiens, mais des histrions de la théologie de cette espèce, on dit d’aventure vivement ce que l’on pense, qu’est-ce que cela a affaire avec l’ordre entre tous magnifique des bons théologiens ? Si c’est le zèle de la piété qui les remue, pourquoi s’enflamment-ils de préférence contre la Folie ? Que d’impiétés, que d’ordures, que de dégoûtations n’a pas écrites le Pogge ? Cependant il passe pour un auteur chrétien, il est dans toutes les poches, il est traduit presque en toutes les langues. De quels opprobres, de quels outrages Pontan ne poursuit-il pas les clercs ? Cependant il passe pour un écrivain élégant et enjoué, et on le lit. Que d’obscénités il y a dans Juvénal ? Cependant on juge qu’il rend service même aux prédicateurs. Avec quels outrages Corneille Tacite, avec quelle hostilité Suétone n’ont-ils pas parlé des chrétiens ! Avec quelle impiété Pline et Lucien ne se moquent-ils pas de l’immortalité de l’âme ! Cependant tout le monde les lit pour leur érudition, et on a bien raison de les lire. La Folie seule, parce qu’elle a lancé quelques plaisants brocards, non contre les bons théologiens, dignes de ce nom, mais contre les frivoles ratiocinations des ignorants et le titre ridicule de « notre Maître », ne peut être supportée ! Deux ou trois charlatans, affublés de l’habit de théologien, s’efforcent de soulever la haine contre moi, sous prétexte que j’ai offensé et froissé l’ordre des théologiens. Je fais un si grand cas de la science théologique que je n’ai coutume de donner qu’à elle seule le nom de science. Je respecte et vénère si bien cet ordre que c’est le seul dans lequel je me sois enrôlé et auquel j’ai