Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/113

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voulu m’inscrire, quoique la pudeur m’empêche de m’arroger un titre si éminent, car je n’ignore pas quels apanages d’érudition et de vie sont attachés au nom de théologien. Il y a je ne sais quoi de surhumain dans la profession de théologien. C’est une dignité qui appartient à des évêques, non à des gens qui me ressemblent. Il nous suffit de nous être pénétré de ce mot de Socrate, que nous ne savons rien du tout, et de faire notre possible pour aider les travaux des autres.


XVIII. — J’ignore d’ailleurs où se cachent ces deux ou trois dieux des théologiens, dont tu m’écris qu’ils me sont bien peu favorables. J’ai séjourné en beaucoup d’endroits depuis la publication de la Folie, j’ai vécu en bien des académies, en bien des grandes villes ; je n’y ai jamais remarqué de théologien qui me fût hostile, sauf un ou deux de la catégorie de ceux qui sont les ennemis de toutes les belles-lettres. Et encore ceux-là même ne m’ont-ils jamais demandé d’explications. Je ne fais pas grand cas de ce qu’ils peuvent murmurer contre un absent, le témoignage de tous les bons théologiens me suffisant. Si je ne craignais, mon cher Dorpius, de sembler parler avec plus d’arrogance que de sincérité, combien pourrais-je te citer de théologiens, célèbres par la sainteté de leur vie, remarquables par leur érudition, éminents par leur dignité, et même entre autres bon nombre d’évêques, qui ne m’ont jamais montré plus de sympathie que depuis la publication de la Folie, et auxquels ce livre sourit plus qu’à moi-même. Je produirais ici leurs titres et leurs noms, si je ne craignais que même contre de si grands personnages les trois théologiens en question ne se déchaînassent à cause de la Folie. Il y en a un du moins que je suppose être parmi vous l’auteur de cette tragédie, car j’en suis à peu près réduit à des conjectures. Si je voulais le dépeindre sous ses couleurs, personne ne s’étonnerait que la Folie ait déplu à un homme de cette sorte. Et j’avoue qu’elle ne me plairait pas, si elle ne déplaisait à de telles gens. Sans doute elle ne me plaît pas ; mais elle me déplaît moins du fait qu’elle ne plaît pas à de tels esprits. Je suis plus sensible au jugement des théologiens sages et érudits, qui sont si loin de m’accuser d’être mordant, qu’ils vont jusqu’à louer ma modération et ma candeur, pour avoir traité sans licence un sujet licencieux par lui-même et avoir plaisanté sans coup de dent.