Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/120

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l’on tient compte de ces gens qui d’abord sont dépourvus d’esprit, et plus encore de jugement ; qui ensuite n’ont aucune teinture des belles-lettres, infectés qu’ils sont plutôt que nourris de leur science sordide et confuse, qui, enfin, détestent tous ceux qui savent ce qu’eux-mêmes ils ignorent, n’ayant d’autre intention que de calomnier tout ce qui leur tombe sous les yeux, — on devra se résigner à m’écrire rien du tout, si l’on veut éviter leurs calomnies. Pourquoi faut-il que le désir de la gloire en pousse quelques-uns à calomnier ? Rien n’est plus présomptueux que l’ignorance jointe à la conviction que l’on détient la science. Aussi, éperdument assoiffés de renommée, et ne pouvant l’atteindre par des moyens honnêtes, ils aiment mieux imiter ce jeune Éphésien, qui se rendit célèbre en brûlant le plus fameux sanctuaire de l’univers, plutôt que de vivre Sans gloire. Et, comme ils ne peuvent rien publier qui vaille d’être lu, ils s’appliquent de toutes leurs forces à dénigrer les ouvrages des hommes célèbres. Je parle des autres, et non de moi qui ne suis rien du tout. Je fais si peu de cas du livre de la Folie que personne ne peut croire que ces procédés m’émeuvent. Mais qu’y a-t-il d’étonnant que des gens tels que nous venons de dire choisissent en les détachant d’un grand ouvrage plusieurs propositions, et rendent les unes scandaleuses, les autres irrévérendeuses, celles-ci malsonnantes, celles-là impies et suspectes d’hérésie — non qu’ils y trouvent ces mauvaises choses, mais parce que ce sont eux-mêmes qui les y apportent. Comme il serait plus conciliant et plus digne de la candeur chrétienne de favoriser l’activité des érudits, et, si par hasard il leur échappe une inadvertance, ou de fermer les yeux ou de l’interpréter avec bienveillance, plutôt que de chercher à la leur reprocher d’une façon hostile et de se conduire en sycophante, et non pas en théologien ! Comme il vaudrait mieux, par un mutuel concours, enseigner ou s’instruire, et, pour employer les termes de Jérôme, s’ébattre dans le champ des lettres sans se faire de mal ! Mais ce qui étonne chez ces gens-là, c’est leur manque total d’impartialité. Trouvent-ils en lisant certains auteurs une erreur des plus manifestes, ils recourent à un frivole prétexte pour la défendre ; ils sont d’une telle mauvaise foi envers d’autres qu’il n’est rien qu’ils peuvent dire avec une circonspection suffisante pour éviter tout prétexte de calomnie. Comme il serait préférable, au lieu d’agir ainsi, au lieu de déchirer et de