Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/119

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j’ai mieux aimé offenser la rhétorique que de froisser la piété. Et à la fin, quand j’ai eu achevé ma démonstration, pour que personne ne s’émeuve de ce que, sur un sujet si sacré, j’ai fait parler la Folie, c’est-à-dire un personnage bouffon, je m’excuse encore en ces termes : « Mais depuis longtemps je m’oublie et j’ai franchi toute borne. Si vous trouvez à mon discours trop de pétulance ou de loquacité, songez que je suis la Folie et que j’ai parlé en femme. » Tu vois que je n’ai nulle part omis d’ôter toute prise au scandale. Mais c’est ce que ne mesurent pas des gens dont les oreilles n’admettent que propositions, conclusions et corollaires. À quoi bon avoir prémuni mon livre d’une préface, par laquelle je m’efforce de couper court à toute calomnie ? Je ne doute pas qu’elle ne satisfasse tous les esprits honnêtes. Mais que faire avec ceux qui, par obstination, ne veulent pas qu’on les satisfasse, ou qui sont trop stupides pour comprendre que satisfaction leur est donnée ? Car de même que Simonide a dit que les Thébains étaient trop bêtes pour qu’il pût les tromper, on voit des gens trop stupides pour qu’on puisse les calmer. De plus, on ne s’étonne pas d’en trouver qui calomnient pour le seul plaisir de calomnier. Si on lit dans de pareilles dispositions les livres de saint Jérôme, on y rencontrera cent passages qui donnent prise à la calomnie, et l’on ne manquera pas de trouver dans le plus chrétien de tous les docteurs mainte occasion de pouvoir le traiter d’hérétique. Et je ne veux rien dire de Cyprien, de Lactance et de leurs pareils.


XXIV. — D’ailleurs a-t-on jamais ouï dire qu’un badinage avait été soumis à l’enquête des théologiens ? Si on l’admet, pourquoi en vertu de cette loi n’examinent-ils pas par la même occasion les écrits et les badinages des poètes d’aujourd’hui ? Que d’obscénités ils y trouveront, que de choses qui sentent le vieux paganisme ! Mais ces productions n’étant pas mises au rang des choses sérieuses, aucun théologien n’estime qu’elles le regardent. Je ne chercherais pourtant pas à m’abriter derrière cet exemple. Je ne voudrais rien avoir écrit, fût-ce par jeu, qui pût en aucune façon scandaliser la piété chrétienne. Qu’on me donne seulement quelqu’un qui comprenne ce que j’ai écrit ; qu’on me donne un homme honnête et intègre, qui ait le désir de se rendre compte, et non l’arrière-pensée de calomnier. Mais si