Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/127

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XXXI. — Ah ! plût au ciel, mon cher Dorpius, que les Pontifes Romains eussent assez de loisir pour publier sur ce point des arrêts salutaires, grâce auxquels on saurait ce qu’il faut faire pour rétablir les œuvres monumentales des bons auteurs, pour en préparer et en redonner des éditions corrigées ! Mais je ne voudrais pas voir siéger dans ce conseil ces gens qu’on nomme, bien à tort, théologiens, qui ne visent qu’à mettre en relief ce qu’ils ont appris. Or qu’ont-ils donc appris qui ne soit aussi inepte que confus ? Avec ces tyrans-là il arrivera qu’en dépit des meilleurs auteurs de l’antiquité le monde sera forcé de tenir leurs nénies pour des oracles ; or elles sont si dépourvues de bonne érudition que j’aimerais beaucoup mieux être un artisan même médiocre que le premier de leur bande, en n’ayant pas une science de meilleur aloi. Voilà des gens qui ne veulent pas qu’on rétablisse un texte, crainte de sembler avoir ignoré quelque chose. Ils nous opposent l’autorité fictive des synodes ; ils exagèrent la grande crise de la foi chrétienne ; ils accréditent les dangers de l’Église (qu’ils portent apparemment sur leurs épaules, mieux faites pour porter la charrue) et d’autres fumées de cette sorte auprès de la foule ignorante et superstitieuse, qui les prend pour des théologiens et dont ils ne voudraient pas anéantir l’opinion qu’elle a d’eux. Ils craignent que, quand ils citent de travers les saintes Écritures, comme ils le font souvent, on ne leur jette à la figure l’autorité de la vérité grecque ou hébraïque, et qu’il n’apparaisse bientôt que leurs soi-disant oracles ne sont que des rêveries. Saint Augustin, ce grand homme, qui est en outre un évêque, ne craint pas d’être instruit par un enfant d’un an. Mais ces gens-là aiment mieux mettre tout sens dessus dessous que de sembler ignorer quoi que ce soit au point de vue de l’érudition absolue.


XXXII. — D’ailleurs je ne vois rien là qui touche beaucoup à la sincérité de la foi chrétienne ; et si cela y touchait, ce serait une raison de plus de bien travailler. Il n’y a pas de danger qu’on s’écarte tout d’un coup du Christ en apprenant par hasard qu’on a trouvé dans les Livres saints un passage qu’un copiste ignorant ou somnolent a altéré ou que je ne sais quel traducteur a rendu peu exactement. Ce danger tient à d’autres causes, que je tais prudemment ici. Combien il serait plus chrétien, écartant ces querelles, de contribuer volon-