Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/91

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profondément théologique. Et, tandis qu’on réclamait, survint, comme on dit, un avocat de Ténédos et d’autorité irréfragable : « Écoutez bien, dit-il. Il est écrit. Ne laissez pas vivre le malfaisant (maleficus). Or, l’hérétique est malfaisant. Donc, etc. » Il n’y eut alors qu’une voix pour louer l’ingénieux syllogisme, et toute l’assemblée trépigna de ses lourdes chaussures. Il ne vint à l’esprit de personne que cette loi est faite contre les sorciers, jeteurs de sorts et magiciens, que les Hébreux appellent d’un mot qui se traduit par maleficus. Autrement, la sentence de mort s’appliquerait tout aussi bien à la fornication et à l’ébriété.


LXV. — Mais il serait insensé de poursuivre ; ce vaste sujet ne tiendrait même pas dans les volumes de Chrysippe et de Didyme. Je voulais seulement, en vous montrant ce que se permettent les divins docteurs, obtenir votre indulgence pour une théologienne de bois de figuier, lorsqu’elle vous présente des citations un peu risquées.

Revenons à saint Paul. « Vous supportez aisément les fous », dit-il de lui-même, et plus loin : « Acceptez-moi comme un fou » ; puis : « Je ne parle pas selon Dieu, mais comme si j’étais fou » ; et encore : « Nous sommes fous pour le Christ. » Que d’éloges de la Folie, et dans quelle bouche ! Il va plus loin et la prescrit comme indispensable au salut : « Que celui d’entre vous qui paraît sage devienne fou pour être sage ! » Dans saint Luc, Jésus ne donne-t-il pas le nom de fous aux deux disciples qu’il a rejoints sur le chemin d’Emmaüs ? Et peut-on s’en étonner, puisque notre saint Paul attribue à Dieu lui-même un grain de folie ? « La folie de Dieu, dit-il, est plus sage que la sagesse des hommes. » Origène explique, il est vrai, que cette folie ne saurait être mesurée par l’intelligence humaine, ce qui s’accorde à ceci : « La parole de la Croix est folie pour les hommes qui passent ».

Mais pourquoi se fatiguer à tant de témoignages ? Le Christ, dans les psaumes sacrés, dit à son Père : « Vous connaissez ma folie. » D’ailleurs, ce n’est pas sans raison que les fous ont toujours été chers à Dieu, et voici pourquoi. Les princes se méfient des gens trop sensés et les ont en horreur, comme faisait, par exemple, César pour Brutus et Cassius, alors qu’il ne redoutait rien d’Antoine, l’ivrogne. Sénèque était suspect à Néron, Platon à