Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/92

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Denys, les tyrans n’aimant que les esprits grossiers et peu perspicaces. De même le Christ déteste et ne cesse de réprouver ces sages qui se fient à leurs propres lumières. Saint Paul l’affirme sans ambages : « Dieu a choisi ce qui, pour le monde, est folie », et encore : « Dieu a voulu sauver le monde par la Folie », puisqu’il ne pouvait le rétablir par la Sagesse. Dieu lui-même l’exprime assez par la bouche du prophète : « Je perdrai la sagesse du sage et je condamnerai la prudence des prudents. » Il va jusqu’à se féliciter d’avoir caché aux sages le mystère du salut et de ne l’avoir révélé qu’aux tout petits, c’est-à-dire aux fous ; car, dans le grec, pour indiquer les tout petits, c’est le mot « insensé » qui s’oppose au mot « sage ». Ajoutons tous les passages de l’Évangile où le Christ poursuit sans relâche les pharisiens, les scribes et les docteurs de la Loi, tutélaire pour la foule ignorante. Que signifient ses paroles : « Malheur à vous, scribes et pharisiens ! » sinon : « Sages, malheur à vous ! »

Sa compagnie de prédilection est celle des petits enfants, des femmes et des pêcheurs. Même parmi les bêtes, il préfère celles qui s’éloignent le plus de la prudence du renard. Aussi choisit-il l’âne pour monture, quand il aurait pu, s’il avait voulu, cheminer sur le dos d’un lion ! Le Saint-Esprit est descendu sous la forme d’une colombe, non d’un aigle ou d’un milan. L’Écriture sainte fait mention fréquente de cerfs, de faons, d’agneaux. Et notez que le Christ appelle ses brebis ceux des siens qu’il destine à l’immortelle vie. Or, aucun animal n’est plus sot ; Aristote assure que le proverbe « tête de brebis », tiré de la stupidité de cette bête, s’applique comme une injure à tous les gens ineptes et bornés. Tel est le troupeau dont le Christ se déclare le pasteur. Il lui plaît de se faire appeler agneau lui-même, C’est ainsi que le désigne saint Jean : « Voici l’agneau de Dieu ! » et c’est la plus fréquente expression de l’Apocalypse.

Que signifie tout cela sinon que la folie existe chez tous les mortels, même dans la piété ? Le Christ lui-même, pour secourir cette folie, et bien qu’il fût la sagesse du Père, a consenti à en accepter sa part, le jour où il a revêtu la nature humaine et « s’est montré sous l’aspect d’un homme », ou quand il s’est fait péché pour remédier aux péchés. Il n’a voulu y remédier que par la folie de la Croix, à l’aide d’apôtres ignorants et grossiers ; il leur recommande avec soin la Folie, en les détour-