Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/146

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c’est être au pied des autels, le plus près possible de l’officiant, entendre les oremus des prêtres, et rester spectateur de leurs cérémonies. Ce n’est pas seulement dans ces circonstances, que nous ne donnons que comme exemples, mais dans sa vie tout entière, que le dévot oublie son corps pour s’élever aux choses éternelles, invisibles et spirituelles. — Que résulte-t-il de cette différence d’opinions entre l’homme de la terre et l’homme du ciel ? qu’ils se taxent mutuellement de folie. — Je dois vous dire cependant que, selon moi, la folie me semble tout entière du côté de nos pieux personnages. Et vous en conviendrez certainement si, tenant ma promesse, je vous prouve que ce souverain bien auquel ils aspirent n’est autre qu’un certain état de folie. Je vais vous développer à peu près cette idée de Platon que la folie des amants est la plus douce des félicités. — Celui qui aime avec transport ne vit plus pour ainsi dire en soi, il vit dans l’objet de son amour, et plus il se détache de lui-même pour s’identifier avec cet objet, plus son bonheur est parfait. Nous l’avons dit déjà, lorsque l’âme devient étrangère au corps, c’est un signe de folie, car que signifieraient sans cela les expressions proverbiales : il est hors de lui,… revenez à vous,… il est revenu à lui. Or, s’il est vrai que plus l’amour est parfait, plus grande est la folie et plus complet le bonheur, vous voyez en quoi consiste cette félicité céleste après laquelle les dévots soupirent de toute leur ardeur. Chez eux l’esprit tout-puissant et victorieux absorbera le corps ; et cela d’autant plus