Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/147

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facilement que ce corps aura déjà été préparé à cette transformation par la pénitence. L’esprit à son tour sera absorbé par l’âme suprême et toute-puissante. De sorte que l’homme tout entier sera hors de lui et qu’il ne sera heureux que parce qu’il trouve un plaisir ineffable à se fondre dans ce souverain bien qui attire à lui toutes choses.

Cette félicité, il est vrai, ne sera parfaite que dès l’instant où l’âme et le corps réunis jouiront ensemble de l’immortalité. Cependant comme l’existence des dévots, toute consacrée à la méditation de cette vie céleste, en est une image sur la terre, ils ont comme un avant-goût, une jouissance anticipée du bonheur éternel. Ce n’est là qu’une goutte en comparaison de la source immense de la félicité divine, mais cette goutte, dans sa médiocrité, vaut mieux que toutes les délices humaines ensemble ; tant les délices spirituelles surpassent celles des sens ! tant les biens invisibles sont au-dessus des biens du monde ! C’est là le bonheur qu’annonçait le prophète aux élus lorsqu’il a dit : « Pas d’œil qui ait jamais vu, pas d’oreille qui ait jamais entendu, pas de cœur qui ait senti les plaisirs que le Seigneur réserve à ceux qu’il aime. » La vie des dévots est donc une espèce de folie qui, loin de leur être enlevée par la mort, arrive par elle à sa perfection. Peu de mortels l’ont ici-bas en partage ; il est facile de les connaître à leur aspect particulier ; leurs discours manquent de suite, leur voix étrange dit des paroles vides de sens, et leur physionomie change à chaque instant ; tour à tour, on les voit joyeux et abattus ; ils