Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/391

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silence autant qu’on peut, et ne s’entretenir que de Dieu qu’on sait être la vérité ; et ainsi on se le persuade à soi-même.


39.

Quelle différence entre un soldat et un chartreux, quant à l’obéissance ? Car ils sont également obéissans et dépendans, et dans des exercices également pénibles. Mais le soldat espère toujours devenir maître, et ne le devient jamais (car les capitaines et princes même sont toujours esclaves et dépendans) ; mais il l’espère toujours, et travaille toujours à y venir ; au lieu que le chartreux fait vœu de n’être jamais que dépendant. Ainsi ils ne diffèrent pas dans la servitude perpétuelle, que tous deux ont toujours, mais dans l’espérance, que l’un a toujours, et l’autre jamais.


40.

La volonté propre ne se satisfera jamais, quand elle auroit pouvoir de tout ce qu’elle veut ; mais on est satisfait dès l’instant qu’on y renonce. Sans elle, on ne peut être malcontent ; par elle, on ne peut être content.

... La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable, pour l’aimer. Mais, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous, et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or, il n’y a que l’Être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous : le bien universel est en nous-mêmes, et ce n’est pas nous.

Il est injuste qu’on s’attache à moi, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperois ceux à qui j’en ferois naître le désir ; car je ne suis la fin de personne, et n’ai pas de quoi les satisfaire. Ne suisje pas prêt à mourir ? Et ainsi l’objet de leur attachement mourra donc. Comme je serois coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir, et qu’en cela on me fit plaisir ; de même, je suis coupable de me faire aimer, et si j’attire les gens à s’attacher à moi. Je dois avertir ceux qui seroient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même, qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi ; car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu, ou à le chercher.


41.

C’est être superstitieux, de mettre son espérance dans les formalités ; mais c’est être superbe, de ne vouloir s’y soumettre.


42.

Toutes les religions et les sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide. Les seuls chrétiens ont été astreints à prendre leurs règles hors d’eux-mêmes, et à s’informer de celles que Jésus-Christ a laissées aux anciens pour être transmises aux fidèles. Cette contrainte lasse ces bons pères. Ils veulent avoir, comme les autres peuples, la liberté de suivre leurs imaginations. C’est en vain que nous leur crions, comme les prophètes disoient autrefois aux juifs : « Allez au milieu de l’Église ; informez-vous des lois que les anciens lui ont laissées, et suivez ces sentiers. »