Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/16

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À peine M. de Lorville eut-il le secret de ce caractère, qu’il prit en horreur son ancien ami. Sa gaieté disparut, et fit place à la plus pénible défiance, au plus sombre découragement ; ses manières avec lui changèrent subitement : il cessa de le tutoyer ; il ne l’écoutait plus, car il ne pouvait se résoudre à entendre des protestations d’amitié auxquelles il ne pouvait plus croire, et qui, dénuées de grâce et de coquetterie, n’avaient jamais eu de prix à ses yeux que par la confiance que leur rondeur inspirait. Les faussetés gracieuses et élégantes ont cela de précieux, qu’elles séduisent encore lorsque l’illusion est passée. Les mensonges d’une voix douce sont encore de l’harmonie ; elle trouve, pour ainsi dire, dans le charme que lui donnent les sentiments qu’elle affecte le droit de les exprimer ; mais une parole d’amitié grossière et bruyante qui perd sa franchise devient insupportable ; c’est une injure détournée qui irrite et avec laquelle il n’est point d’accommodement. On se trouve entraîné à dissimuler avec une personne adroite et doucement perfide ; mais avec un tartufe tapageur, l’esprit fatigué ne peut cacher ni son mépris ni son dégoût.

Dès qu’il fut poliment permis de quitter M. Narvaux, Edgar lui dit adieu. En partant, après mille récits de plaisirs qu’Edgar n’avait pas écoutés, Frédéric ajouta :

— Nous soupons tous ce soir chez Esther ; viens-y donc, tu nous charmeras.

M. de Lorville, pénétrant sa pensée, ne répondit qu’à elle, et refusa.

— Pourquoi non ? reprit Frédéric ; je me fais une fête de t’y ramener.

— Et moi, reprit sèchement Edgar, un devoir de t’y laisser.

M. Narvaux n’avait nulle envie de ramener son ami chez cette petite danseuse qui avait aimé Edgar avant lui, et qui sans doute le préférerait encore ; il comprit qu’il était deviné, et ne put pardonner à M. de Lorville l’adresse avec laquelle il avait pénétré la fausseté de son invitation, et moins encore l’insolente générosité qui la lui faisait refuser. C’est pourquoi il traçait d’Edgar un portrait si peu flatteur lorsqu’il le rencontra aux Tuileries.