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LETTRES PARISIENNES (1837).

couvert de boue ; il fallait un hasard, un malheur même, pour amener une si heureuse combinaison ; il fallait qu’une saison rebelle nous fît gémir pendant un mois, pour que nous eussions en un seul jour tant de feuilles et tant de fleurs ; pour que nous eussions à la même heure l’été et le printemps. Oh ! que la nature était brillante ce jour-là, à la fois gracieuse et puissante, jeune et forte, fraîche et mûre, naissante et parfaite ! elle ressemblait à la passion d’une honnête fille qui aurait attendu l’âge de vingt-cinq ans pour aimer ; c’était toute la pureté d’un premier amour, mais un premier amour éprouvé dans toute la force, dans toute la perfection du cœur.

Que ces hauts marronniers sont superbes ! que leurs fleurs royales se détachent merveilleusement sur ce feuillage sombre !

Voyez d’ici : que le spectacle est beau ! La grande allée du jardin est devant nous. À droite, trois rangs de gardes nationaux ; à gauche, trois rangs de troupe de ligne. Derrière eux, la foule, la foule élégante et brillant de mille couleurs ; devant nous un bassin et sa gerbe d’eau qui s’élance dans un rayon de soleil ; derrière le jet d’eau, voyez-vous l’obélisque, et, derrière l’obélisque, l’arc de triomphe ? Puis, pour encadrer le tableau, les deux terrasses couvertes de monde, et puis des grands arbres partout ; baissez les yeux et admirez ces parterres, ces innombrables touffes de lilas ; tous ont fleuri le même jour. Quel parfum ! quel beau temps ! Chut ! voici un courrier, le cortège s’avance. — Passe un postillon couvert de poussière ; peu de temps après passe un chien caniche au grand galop : rires, hilarité prolongée. Peu de temps après passe un carlin dans un trouble extrême, chien éperdu, sinon perdu : l’hilarité redouble. Ce premier cortège inattendu fait prendre patience à la foule. Une femme du peuple, une ouvrière en bonnet rond, pousse brusquement une vieille élégante : « Laissez-moi voir la princesse, dit-elle, vous la verrez à la cour, vous, mesdames. » La vieille élégante la regarde dédaigneusement, puis elle dit à sa fille : « La brave femme ne sait pas qu’elle a plus de chance d’aller à cette cour-là que nous. — Sans doute, reprend la jeune héritière en souriant : qu’elle épouse un épicier, elle sera grande dame. » Ce dialogue nous apprend que les légitimistes sont venus aussi pour voir passer