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LE VICOMTE DE LAUNAY.

de Constantinople ; ceci vient d’Athènes, cela de Syracuse, ceci de Vienne, cela de Madrid, et toutes ces choses charmantes et si commodes arrivent de Londres ! Oui, tout est souvenir dans cette poétique demeure, tout jusqu’au repas. Chaque mets raconte un voyage et fait valoir les études vagabondes d’un chef errant ; ce plat espagnol est exquis et plein de couleur locale ; ce roastbeef a l’accent anglais ; cette polenta a le costume exact du pays ; ce bœuf fumé c’est la Hollande elle-même, c’est un Teniers assaisonné ; et cette garbure formidable, c’est l’Allemagne tout entière avec ses vieux châteaux, avec sa forêt Noire, avec Goethe, Hoffmann, Weber et Schiller ; cette sauce confuse et abondante, c’est le Rhin et le Danube mêlés ensemble. Quel sombre mystère dans ces cavernes de légumes défigurés ! c’est le déjeuner de Faust apprêté par Méphistophélès, c’est un mets diabolique qui rajeunit ceux qu’il n’étouffe pas. Acceptez-en un peu, vous aimerez ce petit goût tudesque et sauvage ; il semble qu’on mange l’ouverture de Robin des bois.

Les convives eux-mêmes sont des voyageurs que le talent et le génie ont rendus Parisiens. C’est Meyerbeer, qui s’est naturalisé parmi nous à force de succès ; Choppin, le Polonais, le rêveur inspiré que l’exil nous envoie ; c’est madame la comtesse Merlin, cette belle Espagnole que la France a adoptée avec amour ; c’est madame Berlioz, Ophélia aux douleurs sublimes ; c’est Duprez, le talent voyageur que Guillaume Tell nous a rendu. Allez visiter cette retraite, vous y trouverez aussi de vos compatriotes ; vous serez heureux d’y rencontrer la célèbre madame Lebrun, dont le musée de Versailles vient de rajeunir les triomphes, de constater la gloire : pour elle la postérité a déjà commencé ; elle sait déjà que le temps ne lui ôtera rien. — Le comte de Sabran, digne héritier du chevalier de Boufflers ; le comte Alfred de Maussion, le plus aimable causeur de la fashion, homme à la mode s’il en fut, que Michelot imitait lorsqu’il jouait les marquis et les hommes à bonnes fortunes, et qui lui-même à son tour, dans nos comédies de château, imitait Michelot sans se douter qu’il lui servait de modèle. Le marquis de Dreux-Brézé, le Berryer de la Chambre des pairs, Victor Hugo, le grand poëte qui… qui est Victor Hugo ; et puis madame la duchesse d’Abrantès et madame de T…, et