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LETTRES PARISIENNES (1837).

madame Gay, madame de C… et d’autres femmes poëtes dont nous ne parlons pas. Entrez dans ce beau salon, par ce charmant oratoire, souvenir de l’Alhambra ; mais parlez bas, marchez sans bruit, car votre arrivée va interrompre un air de Norma ou d’Orphée, une inspiration de Berlioz ou de Choppin, une ode sublime, une fable ingénieuse, un mot profond, un récit piquant, un son enfin précieux par l’esprit ou par l’harmonie, et que vous regretterez d’avoir perdu.

C’est enfin, — sur la route de Sceaux, dans le val d’Aulnay, à trois lieues de Paris, un chalet suisse au pied d’une montagne suisse, avec de véritables rochers qui seraient sauvages s’ils n’étaient couronnés de fleurs, non pas de bruyères, de clochettes et de liserons champêtres, mais de fleurs royales, de fleurs civilisées, perfectionnées, nous dirons même corrompues, car il en est de monstrueusement belles ; fleurs nouvelles dans toute la rigueur du mot ; si nouvelles, qu’elles ne sont pas encore nommées ; fleurs inconnues, fleurs inventées, fleurs trouvées par un beau hasard ; et toutes ces richesses de la science parfumée, tous ces prodiges de culture règnent sur la montagne la plus agreste, la plus solitaire, la plus poétique que l’on puisse gravir à plus de cent lieues de Paris. Avec quelle admirable intelligence tous les accidents de la nature sont respectés ; avec quel art les beautés du site sont exploitées : vous cheminez dans l’ombre, un bois épais vous environne ; vous vous croyez perdu au bout du monde, vous montez lentement, la pente est douce, mais la montagne est haute, il faut marcher sans se hâter. Oh ! que vous êtes loin ! que cette roche est solitaire ! Quel silence autour de vous ! Ce pays est désert ; malheur à vous, s’il ne l’est pas ! Vous vous attendez à voir paraître des sauvages et des singes ; vous avez droit à des serpents, vous méritez un ours, un loup-cervier, un sanglier au moins ; cette forêt est si obscure, et vous êtes seul depuis si longtemps ! Au détour du sentier vous apercevez un banc : l’île est habitée, pensez-vous, et, rêveur, vous dirigez vos pas vers ce lieu de repos ; soudain la lumière vous éblouit ; l’air plus vif enivre vos sens, un monde nouveau vous apparaît, et toute la vallée à vos pieds se déploie, et tout le pays est à vous, et c’est pour vous qu’il s’est paré ainsi, pour vous qu’il