Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE VICOMTE DE LAUNAY.

Le monde fashionable revient, cela est incontestable : les théâtres et les boulevards, depuis huit jours, ont changé d’aspect. Les rues de Paris sont redevenues parisiennes. On n’y rencontre plus ces figures étranges, ces parures bigarrées dont l’inharmonie irritait le regard. Ce sont de jolis visages qu’on aime à reconnaître, d’élégantes beautés qu’on se plaît à nommer à voix basse, et dont on est fier d’être salué. — Ah ! vous connaissez madame de X… ? dit votre voisin envieux. — Oui, je l’ai rencontrée, il y a trois mois, aux eaux de Néris. — Et, malgré soi, on prend un air plus gracieux, on se tient plus droit, on se grandit de quatre lignes. Si peu de vanité qu’on ait, on se sent glorieux, il est toujours flatteur d’être salué par une jolie femme. C’est un plaisir dont plus d’un élégant a pu jouir l’autre soir à la Comédie française. La dernière représentation de Marie était brillante de retours. De belles voyageuses y faisaient aussi leur rentrée ; l’enthousiasme et l’émotion les embellissaient, elles prenaient pour elles toutes les vertus de Marie ; les jeunes femmes croyaient, de bonne foi, être généreuses et dévouées comme madame Forestier ; les autres se trouvaient encore jeunes et jolies comme mademoiselle Mars. Il y avait des illusions pour tout le monde. Le grand succès qu’obtient chaque jour l’ouvrage de madame Ancelot nous confirme plus que jamais dans cette remarque que nous avons faite depuis longtemps, que le public français est de tous les rois celui qui exige le plus qu’on le flatte, et que le peintre le plus habile est celui qui fait de lui le portrait le moins ressemblant. Le public français a horreur du vrai. Ce qui le séduit, ce sont les monstruosités en tous genres, monstruosités vertueuses, monstruosités criminelles. Il ne veut point qu’on lui dépeigne les gens tels qu’ils sont dans la vie, versatiles et inconséquents. Non, il lui faut des êtres parfaits en bien ou en mal : un notaire qui est un ange pendant cinq actes, un duc qui est un démon pendant le même espace de temps, cela seul fait le succès de la Duchesse de la Vaubalière ; et quand au cinquième acte le notaire recommence ce qu’il a fait pendant les quatre premiers actes, le parterre trépigne d’admiration : C’est bien lui, dit-il, c’est bien le même ; il a fait cela, il a dit cela tout à l’heure ; c’est toujours la même