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LETTRES PARISIENNES (1836).

chose ; vertueux notaire, je te reconnais ; parfait notaire, c’est bien toi ! Bravo ! — Car, pour le parterre, la vérité dramatique, c’est une donnée fausse qu’on lui fait accepter au premier acte et que l’on traîne jusqu’à la fin. Ainsi en est-il de la comédie de madame Ancelot. Non pas que nous voulions faire entendre que le charmant caractère de Marie soit un mensonge ; nous savons, au contraire, que la vie de plus d’une femme n’a été qu’un long et pur sacrifice ; mais nous disons que la peinture de cette vertu sublime n’est pas une vérité absolue, c’est une vérité d’exception : vérité immorale, en ce qu’elle est trompeuse ; vérité fatale, en ce qu’elle dégoûte de l’autre ; vérité stérile, en ce qu’elle livre notre âme à des rêves impuissants, à des recherches inutiles ; vérité coupable, en ce qu’elle nous rend ingrats envers des êtres quasi-vertueux qui nous entourent, et que nous dédaignons pour les héros imaginaires qu’elle nous a promis ; vérité servile et flatteuse, et par cela même la seule vérité reçue au théâtre, la seule que le public veuille reconnaître. Aussi entendez-vous tous les journaux vertueux s’écrier : Voilà la bonne, la vraie comédie ; ce n’est plus le crime échevelé, la femme coupable et misérable des drames de l’école moderne : c’est le monde tel qu’il est. Entendez-vous tous les bons maris se réjouir, en voyant madame Forestier sacrifier l’amour de d’Arbelle au bonheur de son époux, et s’écrier avec confiance : C’est bien cela ! sans faire attention aux différents d’Arbelle qui sont dans leur loge, — et les susdits d’Arbelle eux-mêmes, en voyant qu’on ose inventer un homme fidèle à la même femme pendant dix-sept ans, répéter sur le même ton : C’est bien cela !… Ô comédie ! ô comédie ! La bonne comédie, la voilà !… Elle est dans la salle quand il se donne un drame vertueux. Ah ! madame Ancelot est une femme d’esprit, nous le savions déjà, mais elle l’a prouvé dans son œuvre : c’est la femme de France qui sait le mieux ce qu’il faut dire pour plaire et pour flatter. Elle a traité le public comme ses amis. Elle est bien trop habile pour lui dire ce qu’elle sait : elle veut réussir ; elle connaît trop bien le monde pour le peindre comme elle le voit.

Oui, pauvre vieux public ! il te faut des Néron et des Agrippine, parce que tu ne crains pas les applications, ou bien des