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LETTRES PARISIENNES (1837).

perbe ondée nous accueille, une belle pluie d’orage accompagnée d’un vent furieux ; plusieurs femmes qui arrivaient en même temps que nous, s’effrayent du trajet qu’il faut faire à pied avant de parvenir aux tribunes du quai d’Orsay, les laquais imbibés jettent aux cochers ce cri de détresse : « À l’hôtel ! » et nous allions en dire autant, lorsqu’une femme qui était avec nous fit cette réflexion : « Ces dames s’en vont, dit-elle, parce qu’elles ont des chapeaux tout neufs qui sont fort jolis ; il pleut à peine, venez. » Alors nous avons levé les yeux sur le chapeau de notre compagne, il expliquait tout son courage. Nous descendons de voiture et nous allons bravement sur le quai ; là, quel fut notre étonnement en le voyant couvert de monde ; une foule immense, joyeuse et trempée, des milliers de personnes souriant sous des parapluies en larmes. Les joutes avaient lieu comme par le plus beau temps du monde ; elles avaient lieu sur l’eau et sous l’eau.

Rien de plus étrange, du haut des tribunes, que ce peuple caché sous une vaste écaille de parapluies tous de même couleur ; on aurait dit une immense baleine au bord de la rivière ; il y avait tant de monde et la foule était si pressée, qu’un même parapluie abritait cinq ou six personnes. En France, le parapluie est monotone. Ce n’est pas comme en Italie ; là, quelle indépendance ! des parapluies rouges, verts, bleus, jaunes, roses, orange, pistache. La foule, ainsi abritée, ressemble à un parterre de riches anémones. Chez nous, le parapluie est sévère, il n’a rien de flatteur aux yeux ; on voit qu’il ne sort qu’au jour de tristesse ; son nom le dit : parapluie. En Italie, il se nomme ombrella.

L’orage cessa au moment où nous entrâmes dans le pavillon. Nos places étaient excellentes, et le spectacle était charmant. Nous voudrions bien vous en donner une idée, non pas à vous, Parisiens qui savez tout, ou qui ne tenez pas à savoir, mais à vous, amis de province, dont nous sommes ici le fidèle correspondant. D’abord, dans le fond du tableau, les Tuileries, une ligne d’arbres, toute la terrasse du Bord de l’eau ; sur le mur de la terrasse, une foule pressée, se tenant par miracle sur cet espace étroit, au bord d’un précipice. Ceci formait un premier étage de spectateurs ; au-dessous d’eux le quai couvert