Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
LE VICOMTE DE LAUNAY.

même au jour du plaisir. S’il avait plu, dit-on, le 29 juillet 1830, la révolution n’eut pas eu lieu… eh bien ! cette année, il a plu le 29 juillet, et la fête d’anniversaire a eu lieu, et pas un des spectateurs n’a été épouvanté de la pluie. Il est probable que les vainqueurs des trois journées auraient eu le même courage. Nous pensons, nous, que le peuple a autant de ténacité comme combattant que comme badaud, et que, n’ayant pas eu peur du feu, il n’aurait pas eu peur de l’eau.

Samedi, il pleuvait si obstinément depuis le matin, que nous hésitions à aller voir les joutes, imaginant qu’il n’y aurait personne ; mais « quiconque n’a rien vu, n’a rien à dire aussi ; » et nous voulions voir pour avoir à dire ; car on ne fait pas un rapport au roi avec plus de conscience que nous n’en mettons à écrire ces niaiseries ; nous ne parlons que de ce que nous savons, nous ne disons que ce que nous pensons, nous ne racontons que ce que nous avons vu ; la vérité, c’est tout notre esprit ; et quand un spectacle nous séduit, quand une belle fête nous amuse, nous songeons tout de suite au récit que nous en pourrons faire, nous cherchons aussitôt le moyen d’y faire assister nos lecteurs.

Samedi, à deux heures, nous sommes donc monté en voiture, non pas avec l’idée d’aller jouir d’une fête, mais avec l’intention de savoir si on l’avait remise au lendemain, et bien persuadé qu’il n’y aurait personne de notre connaissance. Nous arrivons au coin de la rue Royale ; là un groupe de gardes municipaux à cheval nous ferme le chemin : a On ne passe pas !… » Nous changeons de route ; nous voulons traverser un pont ; un second groupe de gardes municipaux nous crie : « On ne passe pas ! » et ne voyant personne, nous nous mettons à rire de ces grandes précautions de l’autorité pour protéger une foule imaginaire, pour prévenir les encombrements de notre voiture qui était la seule sur le chemin, et pour empêcher toute confusion dans cette affreuse cohue qui se composait d’un commissionnaire et d’un invalide, foule empressée qui nous semblait assez facile à contenir. Enfin nous trouvons un passage libre que ne gardait plus le cerbère municipal. Nous traversons une partie du faubourg Saint-Germain, et nous arrivons rue de Bourgogne, à l’entrée désignée sur nos billets : une su-