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LE VICOMTE DE LAUNAY.

qui obéit à l’ordre d’un chef, chaque spectateur se retourne. Vous figurez-vous cela ? cent mille hommes qui tournent la tête en même temps ! Le ballon disparaît ; le feu d’artifice continue ; alors la foule recommence le même mouvement avec le même ensemble pour regarder le feu d’artifice. Plusieurs fusées partent, puis un second ballon s’élève, pareil au premier ; il porte en chiffres de lumière le no 28. Il rejoint son compagnon dans sa course aérienne, et le peuple, qui le suit des yeux, se retourne encore pour le contempler plus longtemps. Un troisième ballon part : 29, et la même oscillation recommence, avec la même précision, la même unanimité. Ces mouvements réguliers, cet accord parfait dans une foule si considérable, était une étude vraiment bien intéressante ; on aurait dit une armée innombrable qu’un chef immortel passait en revue du haut des cieux, tandis que ses aides de camp s’en allaient en ballon porter ses ordres de phalange en phalange et d’un pôle à l’autre. Ces trois ballons, 27, 28, 29, ont eu les honneurs de la soirée, malgré le bouquet qui était magnifique, et malgré les malins qui prétendaient qu’ils étaient les véritables emblèmes des promesses de la révolution de Juillet : Autant en emporte le vent, disaient-ils. Nous qui trouvons que la révolution de Juillet a parfaitement tenu les promesses qu’elle nous avait faites à nous, savoir : émeutes, incertitudes, ambitions funestes, prétentions risibles, grands héros démasqués, grands coupables justifiés, abus détruits et remplacés, fautes et bonnes intentions, crimes et belles actions, nobles sentiments et discours absurdes, promesses naturelles de toute révolution et de toute aventure humaine, nous soutenons que la révolution de Juillet ne nous a point trompé, et nous persistons à ne pas comprendre l’allégorie des trois ballons.

Ce mot d’un ouvrier venant de voir le feu d’artifice nous a paru assez joli. « Tu ne sais pas ? ce feu-là, lui disait son camarade, on dit qu’il coûte cinquante mille francs. — Cinquante mille, francs ! répéta-t-il ; ma foi, ils ont été bientôt bus !… » Est-ce une épigramme ? nous ne savons pas.

Depuis huit jours, l’agitation est grande dans les colléges, le concours a jeté le trouble dans tous les jeunes esprits. Déjà quelques parents s’apprêtent à revenir ; car pour supporter le