Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
LE VICOMTE DE LAUNAY.

et la traduction, et toutes les gravures et toutes les vignettes, tout ce bel ouvrage, si bien imprimé, pour quinze francs, le prix d’un roman moderne qui n’est ni de Goldsmith, ni de Charles Nodier, qui n’a pas le moindre esprit et pas la moindre gravure, qui est mal écrit et mal imprimé, qui commence par un catalogue de vingt-cinq pages et qui finit par un chapitre de trompeuses annonces pour prédire des romans qui n’arriveront jamais.


LETTRE VINGT-DEUXIÈME.

Les philosophes sans le savoir.
10 août 1837.

Nous sommes allé l’autre jour faire une visite à la campagne ; nous sommes tombé dans un château frappé de littérature, et pour cause trois infirmes ! Il faut bien lire quand on ne peut marcher. La maîtresse de la maison relève de couche ; nous l’avons trouvée étendue sur un canapé : elle lisait ; une de ses parentes, une grosse cousine, femme très-puissante (expression provinciale fort en usage à Paris), puissante signifie impotente, une grosse cousine était plongée dans un grand fauteuil et lisait. Un oncle goutteux se partageait entre une bergère et une chauffeuse qui soutenait son pied malade. Il gémissait de temps en temps et lisait ; puis, dans un boudoir mystérieux, un jeune homme semblait fuir le monde et l’éclat du jour. Il soutenait de sa main son front couvert d’une compresse et lisait ; ce salon était un véritable cabinet de lecture. Nous étions descendu de cheval dans la première cour du château, et nous venions à pied par le jardin. La porte du salon était ouverte, et tous ces lecteurs étaient si occupés, que pas un ne fit attention à notre arrivée ; mais un joli petit chien anglais qui ne lisait pas, et qui nous connaît, s’étant dérangé pour venir nous saluer, la maîtresse de la maison s’aperçut de notre présence : « Quelle aimable surprise ! » s’écria-t-elle. À ce mot, l’alerte est donnée, les lecteurs s’interrompent, le jeune homme mystérieux s’enfuit. Nous nous approchons de la jeune accouchée, nous lui faisons nos compliments ; nous lui parlons de sa santé avec intérêt : « Je suis beaucoup mieux, dit-elle ;