Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LETTRES PARISIENNES (1837).

vous à droite : vous ne vous êtes pas reconnus. Quel plaisir de se promener sur l’impériale de la voiture ! s’il pleut, on n’a pas le temps d’ouvrir son parapluie. Ah ! la délicieuse manière de voyager ! Mais, hélas ! chaque belle invention a son mauvais côté : à peine arrivé, une faim horrible vous dévore ; vous venez de faire dix lieues, et la faim ne vous fait point de grâce, vous avez l’appétit qu’on a quand on vient de faire dix lieues. L’estomac se fait à l’image de la route, un chemin de fer produit un estomac de fer. Ô gastronomes ! quelle découverte pour vous !

Les chevaux sont, dit-on, indignés, humiliés, furieux ; on prétend qu’ils se révoltent contre cette nouvelle invention ; il y en a de présomptueux qui veulent lutter de vitesse avec les wagons. On raconte qu’hier, plusieurs chevaux, sur la route, en voulant dépasser les voitures, se sont emportés, car hier déjà la reine et les princesses sont allées à Saint-Germain. La reine est la première femme qui soit montée dans la voiture aérienne ; aujourd’hui le grand chancelier de France et trois ministres ont fait le voyage : le ministre de l’instruction publique, le ministre des finances et le ministre de la justice ; et les mauvais plaisants de s’abandonner aussitôt à leur légèreté naturelle. « Jamais l’instruction n’avait été plus rapide, disait l’un. La justice est prompte aujourd’hui, disait un autre. Le ministre des finances serait bien content, disaient les plus malins, si son budget pouvait passer aussi vite. » Toutes sortes d’aimables bêtises, qui n’en sont pas moins l’esprit français.

Après le chemin de fer, ce qui enchante le plus les Parisiens, c’est le nouvel éclairage des boulevards. Le soir, cette promenade est admirable. Depuis l’église de la Madeleine jusqu’à la rue Montmartre, ces deux allées de candélabres, d’où jaillit une clarté blanche et pure, font un effet merveilleux. Et que de monde ! que de monde ! En vérité, on ne devinerait jamais qu’il n’y a plus personne à Paris.

Des femmes élégantes sont assises sur des chaises, et auprès d’elles sont de beaux jeunes gens qui fument : c’est charmant ; des marchandes de fleurs vous poursuivent avec des bouquets et ne vous laissent pas un moment de repos ; des vieilles femmes vous offrent des paquets d’aiguilles, des enfants vous proposent