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LETTRES PARISIENNES (1837).

idée dans ses paysages ; vous avez un ciel triste, et d’un bleu probable, qui sera compris de tous les bourgeois du Salon de 1838 ; grâce à vous, toute la nature semble poser pour un tableau moderne, et se draper pour être admirée de la foule à la prochaine exposition. Pour le chasseur… vous avez mille attraits ; toutes vos prévenances pour lui sont pleines de délicatesse ; votre souffle, ni chaud ni froid, lui permet de marcher pendant des journées entières sans fatigue ; votre soleil Locatelli le réjouit sans l’échauffer ; votre demi-mystère l’aide à se cacher, en lui laissant apercevoir sa proie. La moisson est faite, les granges sont remplies, et la terre qui se repose lui appartient, et ses pas s’impriment sans remords dans les sillons désœuvrés ; la vigne seule garde encore sa richesse, et tous ses trésors sont pour lui, et la grappe lourde et noire le désaltère, pendant que son chien attentif court ramasser sur le sable sanglant la perdrix qui vient de tomber. Oh ! pour eux, vous êtes aimable, vous avez d’enivrantes faveurs, vous avez même des promesses ; pour le poëte… vous n’avez rien. Pas un plaisir, pas une fête ; vous n’avez rien pour lui, cruelle ! Il vit de lumière, et vous êtes pâle ; il vit de chaleur, et vous êtes froide ; il vit d’avenir, et vous n’en avez plus ; il vit de parfums, et toutes vos fleurs sont fanées. Au printemps, du moins, il s’enivre de la senteur des roses et de l’éclat du jour ; l’été, la chaleur du soleil l’embrase ; l’hiver, la flamme du foyer l’inspire ; l’été, il rêve à l’ombre d’un chêne, il rêve auprès de l’âtre : le feu et le soleil sont les compagnons indispensables de sa vie ; sans eux, il mourrait, et dans leur attente il languit. L’automne, c’est pour lui une saison d’adieux, et les adieux sont encore plus tristes que l’absence ; car les adieux ne sont déjà plus la présence et pas encore le souvenir ; on se voit mal et l’on ne s’écrit pas encore. L’avenir, c’est se quitter ; dans l’absence, du moins, l’avenir c’est se revoir. Ainsi l’automne, qui n’a plus de soleil, n’a pas encore de feu ; il ne fait plus assez chaud pour les vêtements d’été, il ne fait pas encore assez froid pour les vêtements d’hiver ; il ne fait pas jour, il ne fait pas nuit ; la fenêtre n’est pas ouverte, la cheminée n’est pas habitée ; les appartements n’ont pas encore de tapis, et le vent souffle déjà sous la porte. Ô fatale automne !