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LE VICOMTE DE LAUNAY.

sa bonté naturelle, mais il saura repousser avec adresse ceux qui voudraient en abuser ; il se formera le cœur et l’esprit, c’est-à-dire qu’il sera dévoué avec mesure, et consciencieux sans sacrifice ; enfin il acquerra plusieurs mauvais sentiments qui le perfectionneront. L’homme-chien élevé parmi les chats, l’homme-chien élevé… en Normandie, donne une superbe qualité de préfets, de banquiers, de manufacturiers et de grands industriels ; ce sont des hommes d’honneur qui connaissent le monde, qui ne sont jamais dupes et jamais fripons ; ce sont enfin des hommes honnêtement habiles ; ils sont séduisants, car ils ont acquis l’élégance des manières et la coquetterie du langage ; ils savent plaire, parce qu’ils savent ce qui déplaît ; ils sont à la fois sincères et flatteurs, naïfs et défiants, gracieux et bourrus ; ils ont ce qu’on appelle de l’originalité ; ils sont aimables et sont souvent fort aimés.

Mais la plus précieuse de toutes les espèces, la nuance par excellence, le plus admirable des résultats, c’est le caractère de l’homme-chat élevé parmi de nobles chiens ; l’homme-chat, élevé, par exemple… en Bretagne ! C’est là l’être irrésistible, l’homme supérieur, l’esprit modèle, le véritable type de la perfection ; il conserve toutes ses qualités naturelles qui sont indestructibles : il conserve son adresse, sa profonde intelligence, son instinct infaillible, sa grâce, sa souplesse, sa douceur, sa finesse, et il acquiert toutes les vertus de ses maîtres, car les vertus peuvent s’acquérir par la volonté. Nos qualités nous viennent de la nature, mais nos vertus sont le fruit de notre éducation ; un enfant avare, si on lui fait honte de son avarice, peut devenir généreux ; un poltron peut devenir brave ; un égoïste même peut devenir bienfaiteur par orgueil ; mais un homme gauche est toujours maladroit, mais un paresseux est toujours inutile. L’homme-chat, parmi les chiens, acquiert donc la noblesse qui lui manque, la générosité, la franchise ; il exagère même toutes ces conquêtes, parce qu’il est difficile de garder une juste mesure dans les vertus contre nature ; l’homme-chat converti est bien plus généreux que les hommes-chiens ; il va plus loin que tout le monde, il comble de bienfaits ses ennemis ; il a si grand’peur d’être égoïste, qu’il s’oublie volontairement dans tous ses calculs ; il choisit toujours