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LE VICOMTE DE LAUNAY.

ture. On l’a nommée Jacqueline, en souvenir de Jack : quelle attention pleine de délicatesse ! Ombre de Jack, ombre empaillée, réjouis-toi ! tu es remplacé, Jack, mais tu ne peux être oublié jamais !… Jacqueline, que le capitaine Bullmer avait nommée la Vieille, peut-être aussi en souvenir de quelque amie, Jacqueline est une petite brune fort piquante, âgée de quinze mois environ : ses cheveux sont noirs comme le visage des habitants de son pays ; sa patrie est l’Afrique, vaste patrie ! Jack était Indien, et ses cheveux étaient rouges comme la figure des habitants de son pays. Là-dessus graves réflexions de la part des savants : tel pays produit des hommes noirs et des singes noirs ; tel autre produit des hommes rouges et des singes rouges : donc les singes sont des hommes, et les hommes sont des singes. Savants, vous pourriez bien avoir raison.

Jacqueline parle : elle a dans la voix quatre sons bien distincts pour exprimer la joie, la douleur, la tendresse et la haine. Les savants ont découvert cela ; il nous semble que tous les animaux ont ce langage.

Jacqueline a pour compagnons les enfants de son gardien et une chienne nommée Corinne. Nous avons demandé d’où venait ce grand nom de Corinne donné à un quadrupède ; on nous a dit que cette créature extraordinaire avait cinq pattes ; cela ne nous a point paru une explication satisfaisante, mais les savants sont habiles à trouver des rapports entre les choses les plus diverses. Demandez à un botaniste un renseignement sur une belle plante qui a de larges feuilles et de grosses fleurs jaunes, il vous répondra qu’elle est de la famille de cette autre petite plante qui a des feuilles longues et de toutes petites fleurs bleues ; il est très-possible qu’un savant vous dise pourquoi une chienne qui a cinq pattes s’appelle Corinne.

Jacqueline fait toutes les grimaces et toutes les singeries que faisait Jack : elle ouvre la porte, elle regarde par le trou de la serrure, elle mange avec une cuiller, elle boit dans un verre comme lui ; mais de plus elle savonne, et quand elle est enrhumée, elle prend son mouchoir, dont elle se sert avec beaucoup de grâce. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est très-vrai. Elle est d’un caractère très-gai, elle rit tout à coup comme une petite folle. On croit même que si elle pouvait parler, elle