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LETTRES PARISIENNES (1837).

pendant longtemps encore nous serons à l’abri de leur malveillance. Toutefois la chasse de mardi dernier a été très-heureuse : un cerf a été lancé, et il a fui avec vitesse ; il a tenu pendant deux heures et demie : c’était la première fois ; aussi disons-nous que la chasse a été brillante, parce que c’est une vérité. Soyez de bonne foi, messieurs : quand le cerf, au lieu de fuir à travers la campagne, poursuivi par les chiens, se retourne et se bat avec eux, comme un brave âne à la barrière du Combat, pouvons-nous dire : « La chasse a été heureuse ? » Non, cela n’est pas possible en conscience ; tout ce que nous pouvons faire, c’est de dire : « Le combat a été très-intéressant. » Quand le cerf, après deux ou trois bonds légers, va se baigner dans un étang et qu’il y nage deux ou trois heures, pendant que les chasseurs se promènent à cheval autour de l’eau ; quand on se voit forcé de pêcher le gibier à la ligne ou de le ramener dans un filet au rivage, pouvons-nous dire : « La chasse a été brillante ? » En conscience, cela ne se peut pas ; tout ce qu’il nous est permis de dire avec enthousiasme, c’est que « la pêche a été des plus heureuses » ; parce qu’en effet, dans tous les pays, c’est un coup de filet admirable que celui qui ramène sur la plage un cerf dix cors !

Les fêtes de l’Union, comme tous les autres plaisirs de Paris, n’auront donc de nous que la vérité ; nous rendrons justice à l’habileté des chasseurs, à leur bonne grâce, à leur élégance ; nous leur dirons qu’ils montent à cheval à merveille, qu’ils tirent fort bien le pistolet, qu’ils sont très-adroits à l’épée, et que même plusieurs d’entre eux sont gens de beaucoup d’esprit, ce qui est un grand luxe à la chasse ; que leurs habits rouges sont très-bien faits, et que leurs chevaux sont admirables. Mais nous leur dirons aussi que leurs renards, leurs biches et leurs cerfs sont très-mal dressés, et que lorsqu’un animal après lequel on court n’a plus le mérite d’être sauvage, il faut au moins qu’il ait celui d’être bien élevé.

Vérité, déesse implacable, que tu nous causes de chagrins ! Pourquoi faut-il que nous ayons choisi tes autels déserts ? Dès l’aube jusqu’au soir tu nous condamnes à déplaire ; tu fais de nous un être odieux aux mortels ; notre nom est maudit par tous ceux que la clarté réveille : ton flambeau dans nos mains