les folies que l’on fait pour obtenir une rose nouvelle ou un camélia récemment inventé valent bien celles que l’on pourrait faire pour obtenir un Elzévir impayable ! — On pense bien que nous avons accepté avec empressement cette agréable proposition. Nous avons donc fait, la semaine dernière, un cours d’horticulture fashionable sous le plus séduisant patronage ; et, d’abord, nous avons acquis cette conviction que les femmes étaient très-savantes en botanique, beaucoup plus qu’on ne pourrait l’imaginer, et que la passion des fleurs était chez elles aussi violente, aussi impérieuse que celle de la toilette peut-être, et bien plus que celle… mais nous ne voulons faire à ce sujet aucune réflexion. Une femme qui aime les fleurs ne les aime pas au hasard ; elle veut savoir leurs noms, leurs familles. Oh ! elle n’apporte aucune légèreté dans cet amour-là ! Et quel soin ! quelle intelligence ! quelle mémoire ! tous ces mots en a et en us, comme elle les retient facilement ! elle sait le nom latin de tous les parfums qui l’enivrent, car le pédantisme lui est permis à propos de fleurs. L’étude des fleurs est la science des femmes, et nous voyons avec plaisir plusieurs femmes du grand monde se livrer à cette élégante étude avec fureur. En Russie, tous les palais ont des serres, comme en France tous les hôtels ont des écuries ; il n’y a point d’hiver en Russie, malgré la neige et la gelée qui font la gloire et l’éclat de ce beau pays ; l’hiver c’est l’absence des fleurs, et là-bas les fleurs sont toujours fraîches et belles ; le canapé d’une princesse russe est un banc caché dans un bosquet ; des plantes grimpantes fixées sur un treillage d’or forment derrière elle un paravent de verdure ; la Russie est le pays des fleurs ; Saint-Pétersbourg est le rival de Florence ; mais bientôt, dit-on, nous n’aurons plus rien à leur envier. La science de l’horticulture fait ici chaque jour de nouveaux progrès ; la voilà maintenant qui passe à l’état d’industrie, elle ira loin : l’amour de la science uni à l’amour de l’argent doit mener à de grandes découvertes. On faisait déjà de longs voyages, on courait d’affreux dangers, on prenait toutes sortes de peines, on se livrait à des travaux sans nombre pour mériter un peu de gloire en obtenant une plante inconnue ; que sera-ce donc lorsque avec cette même plante on pourra gagner aussi beaucoup d’argent,
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LETTRES PARISIENNES (1837).