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LETTRES PARISIENNES (1838).

Depuis un mois l’on danse, on danse, on ne s’arrête pas. Le bal de M. le président de la Chambre des députés était fort nombreux hier, malgré la neige qui tombait comme la grêle, et qui aurait du effaroucher plus d’un invité charitable. Oh ! comme les chevaux et les cochers ont dû souffrir ! Après une soirée si froide et si humide, que de jeunes filles seront malades ! que de mères enrhumées ! que d’orateurs seront sans voix ! Comment se fait-il que l’hiver soit la saison des plaisirs ? On trouve chez M. Dupin, président de la Chambre des députés, les pairs et tous les députés ; chez M. Dupin, procureur général, tous les avocats et toute la magistrature ; chez M. Dupin, membre de l’Académie française, les illustrations littéraires qui inspirent le plus la curiosité. Tout cela ne fait pas de fort jolis danseurs, nous en convenons ; mais cette réunion d’orateurs, de poëtes, de magistrats, compose la collection la plus intéressante qu’il soit possible d’observer à Paris. Certes, le bal de M. H…, qui avait lieu le soir même, était plus joli et paraissait plus élégant ; des quadrilles de dandys et de merveilleuses font dans un bal un plus charmant effet que des groupes d’avocats et de députés. Cela est vrai, mais, pour nous qui sommes assez blasé sur les fêtes monotones de la fashion, nous trouvons un grand intérêt dans ces assemblées nationales ; sans doute, elles séduisent moins les regards, mais elles parlent plus à la pensée. M. le duc d’Orléans assistait à cette fête, et quelques personnes ont remarqué, en souriant, que plusieurs députés de l’opposition lui faisaient les plus charmantes agaceries.

Du reste, le monde politique semblait jouir du plus parfait repos. Les bouillants professeurs dont l’ardeur belliqueuse a failli naguère bouleverser le monde causaient tranquillement assis sur de pacifiques banquettes en prenant des glaces et du punch. Plus de guerre pour eux, ils ont déposé leurs armes. Dieu soit loué, ils ne rêvent plus la gloire des camps. Pallas s’est ressouvenue de Minerve. La Sorbonne en fureur est rentrée dans son lit, et l’Europe enfin rassurée n’a plus à redouter les excès d’une soldatesque ou plutôt d’une pédantesque effrénée !

M. Thiers était calme et digne, il n’allait plus çà et là don-