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LE VICOMTE DE LAUNAY.

de ces gens-là. L’esprit de parti a découvert une mine de scrupules inouïs, de délicatesses étranges, auxquels heureusement nous ne comprenons rien ; aujourd’hui, grâce aux nouvelles susceptibilités de la politique, servir son pays comme officier, comme diplomate, comme magistrat, c’est parjurer sa foi, c’est être indigne de son nom ; mais, en revanche, passer sa vie à fumer, à jouer, à boire jusqu’au délire, à déchirer de ses éperons le canapé d’une danseuse, à médire avec elle des femmes du monde, qui ont eu l’esprit de se moquer de vous et qui vous préfèrent les vieux élégants de l’Empire ; se livrer sans colère aux propos les plus grossiers ; ne vivre enfin ni pour l’étude, ni pour le cœur, ni pour la gloire, cela s’appelle garder ses convictions, être fidèle à une noble chose, comprendre enfin tous les devoirs de son rang et de son nom… Ô noble parti ! que vous remplissez bien la mission qui vous est confiée ! Qu’il serait fier de vous, ce jeune roi dont vous préparez le retour, s’il pouvait vous contempler dans vos jours d’enthousiasme ! quel séduisant avenir pour lui que l’espérance d’une cour si chevaleresque et si brillante ! et puis quelle sympathie éveilleraient en lui de si touchants tableaux ! Quelle heureuse harmonie entre son existence et la vôtre ; comme vous marchez bien ensemble au même but, comme vous suivez bien la même route, comme vos pensées sont bien l’écho de ses pensées ! Mêmes occupations, mêmes loisirs. Il travaille… Vous jouez aux cartes !… Penché sur de gros livres, il étudie l’histoire, il interroge la science… Penchés sur un billard, vous étudiez un nouveau coup !… Chaque soir il tombe à genoux devant une image du Christ, et, dans l’extase de la prière, il pense à son pays, il pense à vous, à vous ses défenseurs et ses amis… Chaque soir vous tombez aussi, mais sous une table et dans l’ivresse du vin et de la fumée ; vous ne pensez à personne, car vous ne pensez pas du tout. Voilà sa vie, voilà la vôtre. Oh ! s’il était revenu il y a deux jours, quel admirable accueil il eût reçu de vous ! avec quel empressement vous auriez couru à sa rencontre en descendant de la Courtille, déguisés en troubadours et en charretiers, en bateleurs et en malins, en Robert-Macaires et en postillons de Longjumeau ! Maintenant que le délire est passé, soyez de bonne foi,