Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
LETTRES PARISIENNES (1838).

nicipaux ne l’ont point sentie. À ce bal, il y avait un grand nombre de députés, les personnages graves dominaient ; c’était une fête de charité. Les hommes sages avaient saisi cette occasion généreuse de s’amuser, ils se reconnaissaient par une bonne action le droit de chercher encore un plaisir.

Aujourd’hui, le doyen de la diplomatie, M. le prince de Talleyrand, doit prononcer à l’Académie des sciences morales et politiques l’éloge de M. Reynhart. Un discours par M. de Talleyrand ! quelle merveille !… Qui peut lui inspirer ce dévouement ? Quand on s’est immortalisé par des mots si spirituels et si profonds, se résigner à faire un long discours, quel sacrifice ! quelle abnégation ! car enfin, pour dire ces fameux mots que toute l’Europe sait, il faut des idées, et pour faire un discours il ne faut que des phrases. Ah ! si la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, les discours lui ont été généreusement octroyés pour cacher qu’il ne pensait pas. — Aujourd’hui, qu’il y aura de monde à l’Académie !…


LETTRE CINQUIÈME.

Le retour. — Paris et ses ruisseaux. — Bourganeuf et ses torrents. — Un cheval de fantaisie. — Le jargon de Racine. — Mademoiselle Rachel. — Causeries.
24 novembre 1838.

Que Paris semble laid après un an d’absence ! Oh ! que c’est triste une ville de plaisirs ! Quand on revient d’un grand voyage, quand on a longtemps respiré l’air pur, l’air embaumé des montagnes, comme on étouffe dans ces corridors sombres, étroits, humides, que vous voulez bien appeler les rues de Paris ! On se croirait dans une ville souterraine, tant l’atmosphère est pesante, tant l’obscurité est profonde !… Oui, l’on respire plus à l’aise dans la grotte de Pausilippe. Ah ! sortons vite de cette caverne, marchons vers le jour… de l’air ! de l’air ! On se meurt ici ! qu’il y fait chaud… et qu’on a froid ! tour à tour on brûle, on frissonne… Que ce brouillard tiède est glacial ! il vous pénètre jusqu’au cœur ; il enveloppe toutes vos pensées, il aveugle votre regard. Hélas ! ce n’est plus cette blanche vapeur des rivières dans les vallées, gaze aquatique,